La pêche à la chapelle

Cela faisait des mois que la rivière était à sec. Alors les pêcheurs ordinaires en eurent assez et se mirent à prendre un peu de tout. Des gazelles et des livres. Des maisons abandonnées. Des allées de tilleul. Des marchés, des kermesses. Ils étaient équipés pour la pêche au gros. Un jour, il en eurent assez du « matériel » et se mirent à pêcher de l’illusion et du rêve. Cela dura un temps. Puis ils se mirent à pêcher des idées, de grandes théories, de la spiritualité. Quand ils eurent pêché une chapelle romane du XIIème siècle, ils se dirent qu’ils avaient atteint leur but ultime. Ils se firent  moines et enseignent désormais les rudiments de pêche à la chapelle à une poignée de crève-la-faim-de-Dieu dans les paroisses sans lieu de culte.     

 

Pierre Autin-Grenier

D’entre tous les animaux l’homme se distingue par son immense compétence en matière de laisser-aller et de rien du tout, son aptitude à choisir toujours les solutions de facilité; comme naître, exister, écrire des livres. Par contre, on ne lui connaît la plupart du temps aucun talent pour les choses essentielles de la vie; se taire ou mourir par exemple.

Extrait de LES RADIS BLEUS, Folio, 2005.

Choisi par Éric Dejaeger.

 

 

 

Nicole Atkins

« Convoquant un puissant mélange d’influences – de la country sixties et Johnny Cash, qu’elle adore, au psychédélisme “période 1968, en passant par les girls groups, les BO de Badalamenti ou de Danny Elfman –, Neptune City est un disque hors du temps et hors des modes, parfois proche de l’anachronisme d’un Richard Hawley. Son songwriting classique et travaillé est naturellement sublimé par sa voix profonde et boule-versante, allant chercher aussi bien chez Dusty Springfield que chez Patsy Cline, voire parfois dans la grandiloquence tragique de Rufus Wainwright.

Arrangements de violons chavirants, accords mineurs, guitares sombres… Nicole Atkins est ambitieuse et ne prend pas sa musique à la légère. Pour élaborer ses chansons aux multiples couches, elle se sert d’un processus créatif rodé en peinture, applique des techniques apprises en arts plastiques. “Mon prof me disait toujours d’essayer d’imaginer l’odeur de l’air, ou comment le sol pouvait être ressenti et représenté. Là, j’essaie d’incorporer mes cinq sens dans les chansons, pour que les gens rentrent dans l’univers, vivent la chanson quand ils l’écoutent. Je m’imagine aussi des images et, quand j’enregistre, je décris des scènes aux musiciens, c’est mieux que de leur demander de jouer tel ou tel accord.” »

Anne-Claire Norot (Les Inrocks)

Le clip de The way it is :

http://www.youtube.com/watch?v=e4pxn-xULNs

 

Honoré de Balzac

Eugénie appartenait bien à ce type d’enfant fortement constitués, comme ils le sont dans la petite bourgeoisie, et dont les beautés paraissent vulgaires ; mais si elle ne ressemblait pas à la Vénus de Milo, ses formes étaient ennoblies par cette suavité du sentiment chrétien qui purifie la femme et lui donne une distinction inconnue aux sculpteurs anciens. Elle avait une tête énorme, le front masculin mais délicat du Jupiter de Phidias, et des yeux gris auxquels sa chaste vie, en s’y portant tout entière, imprimait une lumière jaillissante. Les traits de son visage rond, jadis frais et rose, avaient été grossis par une petite vérole assez clémente pour n’y point laisser de traces, mais qui avait détruit le velouté de la peau, néanmoins si douce et si fine encore que le pur baiser de sa mère y traçait passagèrement une marque rouge. Son nez était un peu trop fort, mais il s’harmoniait avec une bouche d’un rouge de minium, dont les lèvres à mille raies étaient pleines d’amour et de bonté. Le col avait une rondeur parfaite. Le corsage bombé, soigneusement voilé, attirait le regard et faisait rêver ; il manquait sans doute un peu de la grâce due à la toilette ; mais, pour les connaisseurs, la non-flexibilité de cette haute taille devait être un charme. Eugénie, grande et forte, n’avait donc rien du joli qui plaît aux masses ; mais elle était belle de cette beauté si facile à reconnaître, et dont s’éprennent seulement les artistes. Le peintre qui cherche ici-bas un type à la céleste pureté de Marie, qui demande à toute la nature féminine ces yeux modestement fiers devinés par Raphaël, ces lignes vierges souvent dues aux hasards de la conception, mais qu’une vie chrétienne et pudique peut seule conserver ou faire acquérir ; ce peintre, amoureux d’un si rare modèle, eût trouvé tout à coup dans le visage d’Eugénie la noblesse innée qui s’ignore ; il eût vu sous un front calme un monde d’amour ; et, dans la coupe des yeux, dans l’habitude des paupières, le je ne sais quoi divin. Ses traits, les contours de sa tête que l’expression du plaisir n’avait jamais ni altérés ni fatigués, ressemblaient aux lignes d’horizon si doucement tranchées dans le lointain des lacs tranquilles. Cette physionomie calme, colorée, bordée de lueur comme une jolie fleur éclose, reposait l’âme, communiquait le charme de la conscience qui s’y reflétait, et commandait le regard. Eugénie était encore sur la rive de la vie où fleurissent les illusions enfantines, où se cueillent les marguerites avec des délices plus tard inconnues.

 

Extrait d’EUGÉNIE GRANDET (1833)

Choisi par Daniel Charneux

au Brésil

 

Entre la capoeira

et la bossa-nova

le Corcovado

et  Copacabana

le poème

au Brésil

fut comme un piranha

dans l’Amazone

 

si bien

qu’à l’aéroport

au moment

de repartir avec Sarko

il fila doux

sans même embrasser

la présidentielle Rolex

 

mieux vaut finir

sur une musique

de Carlos Jobim

ou dans la voix

de la Bethania

que dans les cordes

à Carla

pensa-t-il

in petto