Résumé de l’épisode précédent : Le narrateur vit avec sa psy une idylle qui les conduit sur des sites libertins mais tout cela finit par les ennuyer.
Mon travail m’avait un peu éloigné de ma psy qui, de son côté, recevait beaucoup et, à force, elle était tombée amoureuse d’un de ses patients – une manie chez elle, comme je m’en rendis compte. Elle n’arrêtait pas de me parler des problèmes de son nouveau patient, un gars qui se prenait pour Miles Davis.
– Il est trompettiste ?
– Non !
– Il est Noir ?
– Non !
– Il ne faut pas que qu’il soit comme Miles Davis pour se croire Miles Davis, repartit-elle d’un ton sec, l’air de dire : C’est ki ka fait psycho en promotion sociale ?
Chaque fois que je plaisantais sur le gars, elle prenait la mouche. Il faut dire que j’habitais chez elle, que je l’empêchais de prolonger les séances à domicile. Même si je délogeais, de plus en plus d’ailleurs, passant la nuit chez un couple ou l’autre (quand je vidéastais pour Rosie et Michaël) ou chez un chapelain ,un historien de la chose papale (quand je vidéastais pour les bonnes œuvres). Elle s’était remise en tête de me guérir de ma bloguomanie, histoire de me faire passer pour The malade.
– Il a un blogue, ton Miles ? lui dis-je.
– Tu te fiches de moi ?
Un peu, il faut dire.
Un jour, je m’arrangeai pour voir l’hurluberlu. Un quart d’heure avant la séance, je me pointai dans la salle d’attente avec un disque vinyl de Miles (Kind of blue*, qui venait de ressortir). Je m’assis devant lui. Sa tête changea, il était nettement moins beau que son modèle et même pas Black. Je n’allai
pas jusqu’à lui demander un autographe, non. Je lui dis que j’étais Stan Getz et que je souhaitais qu’on joue ensemble. Puis je filai avant d’être pris d’un fou-rire. Quoique un fou-rire dans le cabinet d’un psy, ça puisse pas mal dérider l’assistance habituelle mais on ne rit jamais, il faut le savoir, chez un psy sans son consentement. Il en parla à sa psy, ma compagne, qui prit tellement la mouche, cette fois, que je lui mis la tête sur la vitre avant de décamper : j’étais devenu limite violent à force de fréquenter des plus cinglés que moi.
Un peu après, j’appris qu’elle s’était mise avec lui. Leur trip, m’avoua-t-elle plus tard, quand elle eut rompu, c’était qu’il la déguise en Juliette Gréco avant leurs ébats. C’est vrai qu’elle avait toujours eu (surtout depuis sa liposuccion et même sans s’être refait le nez) un petit air de Jujube.
* ♫ The Kind of blue sessions, 1959:
http://www.youtube.com/watch?v=ijDTS8cWI0o&feature=related