Bleue est la couleur du regard, du dedans de l’âme et de la pensée, de l’attente, de la rêverie et du sommeil.
Il nous plaît de confondre toutes les couleurs en une. Avec le vent, la mer, la neige, le rose très doux des peaux, le rouge à lèvres des rires, les cernes blancs de l’insomnie autour du vert des yeux, et les dorures fanées des feuilles qui s’écaillent, nous fabriquons du bleu.
Nous rêvons d’une terre bleue, d’une terre de couleur ronde, neuve, comme au premier jour, et courbe ainsi qu’un corps de femme.
Nous nous accoutumons à n’y point voir clair dans l’infini, et patientons longtemps au bord de l’invisible. Nous convertissons en musique les discordances de notre vie. Ce bleu qui nous induit le cœur ous délivre de notre condition claudicante. Aux heures de chagrin, nous le répandons comme un baume sur notre finitude. C’est pourquoi nous aimons le son du violoncele et les soirées d’été : ce qui nous berce et nous endort. Le jour venu, l’illusion d’amour nous fermera les yeux.
Ne croyez pas que tout ce bleu soit sans douleur.
La mer n’est pas une image naïve épinglée dans la chambre au-dessus du lit parmi les peluches et les bijoux d’un sou.
Lorsque le cœur ne nous bat plus, nous guettons le grand large dans les flaques de la rue afin d’y laper notre misère et d’offrir à notre désir un semblant de ciel. Parfois, nous regardons intensément les yeux de nos semblables, espérant y trouver la mer et y sombrer brièvement.
Nous frottons notre peau dans la chambre contre la peau d’autrui, en quête d’une électricité bleue et de son bel arc de foudre.
Nous échangeons de loin en loin avec nos semblables des signaux de fumée. Les bras ballants, nous demeurons seuls sur la piste et mâchons sa poussière mouillée de larmes invisibles. Nous sommes ici pour peu de temps : quelques mots, quelques phrases, si peu sous les étoiles, rien que cela, parmi tout le reste. Du bleu dans la bouche, jusqu’à la dernière heure. Voix banche, voix tachée, conjurant la mort, épousant le mourir, écoutant sans effroi craquer les os du ciel et de la mer.
Extrait de Une histoire de bleu, Jean-Michel Maulpoix (Poésie/Gallimard)
Le site de Jean-Michel Maulpoix:
http://www.maulpoix.net/