Ces chères britanniques
Ces « chères anglaises » tellement vénérées par de nombreux lecteurs et qui ont ébloui les lettres mondiales pendant de nombreuses années, ont-elles eu la succession qu’elles méritaient ? Nous essaierons de l’entrevoir à travers la présentation de deux œuvres de deux jeunes britanniques, car l’une d’elle n’est pas anglaise mais écossaise, nées toutes les deux en 1965. Hélas, Alison Louise Kennedy, l’Ecossaise, et Zoë Heller ne m’ont pas fait oublier leurs célèbres devancières avec les deux œuvres que je vous propose et je pense que je puiserai encore longtemps dans les lettres classiques anglaises du côté des sœurs Brontë, de Jeanne Austen et de bien d’autres moins anciennes mais tout aussi talentueuses. Il faudra donc que nous allions à la rencontre d’autres auteurs pour trouver de nouveaux talents à la hauteur de ceux qui nous ont tellement enthousiasmés.
Volupté singulière
Alison Louise Kennedy (1965 – ….)
« Maintenant, une autre année merdeuse de train-train quotidien atteignait le mois de juin sans qu’il y eût la moindre révolte. » Madame Brindle s’ennuie ferme dans son pavillon de Glasgow où elle n’est que la femme de son mari qu’elle n’aime pas trop car il est trop velu à son goût et surtout, parce qu’il ne lui laisse guère l’occasion d’exprimer sa personnalité, la cantonnant dans son rôle stricte d’épouse modèle. Mais, un beau jour elle découvre, à la télévision, le Professeur Gluck qui est l’auteur d’un ouvrage « La Nouvelle Cybernétique » qu’elle adopte pour remplir sa vie spirituelle qu’elle a un peu vidée en perdant la foi en Dieu. Et, sous l’emprise de cette nouvelle passion, elle part pour Stuttgart où Gluck séjourne pour une conférence. Rapidement, les deux protagonistes se rencontrent et forment un couple étrange où chacun cherche à vaincre ses démons, cette « vieille peur de mourir » pour elle et un besoin permanent d’images pornographiques pour lui. Ce couple impossible bute sur ses propres problèmes et sur le troisième personnage du trio rituel, le mari délaissé, et s’engage sur un chemin chaotique et incertain qui les conduira jusqu’au fond de leur être pour espérer entrevoir un avenir possible.
C’est un récit très freudien où la frustration, le refoulement, le péché, la faute, la punition et le pardon ont une large place. Helen Brindle a peur de la mort et elle ne trouve plus les réponses nécessaires dans sa foi, «elle était la veuve de Dieu», et Gluck, même s’il se donne des allures de héros en s’identifiant souvent à James Stewart, a recours en permanence à la pornographie pour vaincre les démons qu’ils traînent depuis l’enfance.
C’est aussi une analyse introspective très fine que l’auteur conduit à travers les petits riens de la vie quotidienne, ces futilités qui semblent ne pas avoir d’importance et qui, pourtant, peuvent avoir une signification précise. Mais, Mon dieu, Alison, qu’il est encore difficile de réunir deux corps à la fin du XX° siècle en Ecosse.
La critique parle de prose admirable, moi j’ai vu, ou ressenti, beaucoup de points de suspension comme dans un discours de Modiano où il faut soi-même construire la fin des phrases. Un récit du non-dit où le toucher a une grande importance comme si les mains pouvaient suppléer le langage pour ce qui est trop difficile à énoncer.
Chronique d’un scandale
Zoë Heller (1965 – ….)
Après avoir lu le premier paragraphe de ce livre, instinctivement, j’ai levé les yeux pour chercher la pendule de la gare qui indique l’heure de départ des trains. Mais, je n’étais pas dans une gare en train de lire un roman acheté à la boutique de l’établissement, j’étais bien dans mon salon commençant la lecture de « Chronique d’un scandale » de Zoë Heller qui traite de la solitude de deux Anglaises ayant quelques difficultés avec leur entourage.
Sheba, la quarantaine avantageuse, vit avec un mari plus âgé qu’elle qui ne la considère pas plus que son fils mongolien ou que sa fille en pleine crise d’adolescence aigüe. C’est donc sans beaucoup de résistance qu’elle cède aux avances d’un adolescent précoce qui lui apporte le minimum d’excitation qui manque sérieusement à son existence. Pendant que Barbara, professeur célibataire proche de la retraite, s’enlise dans « la solitude au long cours qui s’écoule au goûte à goûte et dont on n’entrevoit pas la fin », et s’accroche désespérément à Sheba pour meubler sa triste vie. Mais l’amour illicite de Sheba va mettre une jolie pagaille dans ce petit monde et remettre en cause la vie de ces deux femmes.
Ce livre pourrait être intéressant, son argument ne manque pas de piment mais voilà Zoë Heller n’est pas Barbara Pym, ni Muriel Spark, ni Elizabeth Taylor, ni l’une des ces vieilles Anglaises qui ont égayé si longtemps les Lettres britanniques. Et, son roman n’est pas comme celui de Mary Wesley « Sucré, salé, poivré », il est n’est même pas amer, il est tout simplement … fade, plat. Il lui faudrait comme à ceux de ses congénères un peu plus de malice, d’impertinence, d’ironie, d’espièglerie ou même d’une certaine dose de méchanceté, voire de férocité.
Denis Billamboz