L’heure du conte
A l’image de nombreuses bibliothèques, je vous propose, cette semaine, mon heure du conte, une heure où on peut rêver mais surtout un moment d’intense réflexion à l’écoute d’histoires innocentes qui ne s’adressent pas forcément aux seuls enfants, où on peut méditer sur la faiblesse et la force des hommes face leur destinée. Et, pour rendre cette lecture encore plus insolite, j’ai décidé de marier le soleil et la glace, l’eau et le feu, le blanc et le noir, Gunnar Gunnarsson l’Islandais et Birago Diop le Sénégalais, dans une même lecture comme pour vous laisser croire que, quelque soit le lieu, l’homme rencontre toujours les mêmes problèmes, qu’il doit toujours lutter pour contenir ses envies et puiser au fond de lui-même pour rendre la vie des autres plus facile et, peut-être, plus heureuse.
Le berger de l’Avent
Gunnar Gunarsson (1889 – 1975)
Une nouvelle ? Un peu ! Une fable ? Probablement ! Un conte de Noël ? Certainement ! En tout cas, une bien belle petite histoire que celle de Benedikt ce brave et simple berger islandais qui, comme chaque année, à l’époque de l’Avent, part dans le froid, la neige et le blizzard à la recherche des moutons égarés qui n’ont pas rejoint le troupeau avant l’arrivée de l’hiver. Mais pour son vingt-septième périple après ses vingt-sept ans, son voyage prend une tournure plus difficile encore qu’à l’accoutumée mais il ne reculera pas pour autant devant les obstacles pour accomplir la mission qu’il s’est fixée en compagnie de ses fidèles acolytes, son bélier et son chien.
Et, c’est une forme de crèche qu’il reconstitue avec son bélier pour bœuf, son chien pour âne et les moutons qu’il récupère pour aller à la rencontre de celui qui pourrait un jour devenir leur guide comme un nouveau Christ en ce monde.
Un beau conte de l’Avent où religion et paganisme, croyance et tradition se mêlent en une douce harmonie car si Dieu préside aux cieux et à la destinée, la nature et ses éléments déchaînés imposent le respect et fixent la véritable valeur des hommes qui savent la défier avec courage et humilité.
Une fable aussi qui nous rappelle que les plus faibles et les plus fragiles ont, eux aussi, leur place dans le grand troupeau de l’humanité et que les vrais héros sont souvent les plus obscurs et les plus humbles.
Contes et lavanes
Birago Diop (1906 – 1989)
Même s’il a recueilli le témoignage et les souvenirs des griots, bergers et autres gardiens de la mémoire et de la sagesse de la brousse sénégalaise, Birago Diop ne pourra pas cacher bien longtemps qu’il est un très fin lettré qui a une excellente connaissance de la langue et de la littérature française. Son champ sémantique, même s’il est truffé de termes propres à l’Afrique ou de mots empruntés aux divers langages employés aux Sénégal, s’étend à un vocabulaire français en général plutôt réservé aux élites intellectuelles.
Dans ce recueil de contes et lavanes, fables africaines, il fait, dans la plupart des cas, vivre un bestiaire qui, s’il nous fait penser immédiatement aux fables de la Fontaine évoque beaucoup plus sûrement le célèbre Roman de Renart. En effet, comment ne pas voir dans ces deux personnages récurrents, Leuck-le Lièvre rusé, farceur et redresseur de tord, le Renart du célèbre roman médiéval et dans Boucki-l’Hyène hideuse, vile, fourbe et âpre au gain, l’Ysengrin de ce même roman. Et pourquoi, pour un Franc-Comtois comme moi, ne pourrait–on pas penser à Goupil et à Margot mis en scène par Louis Pergaud dans son célèbre bestiaire ? Même si toutes les civilisations ont leurs bestiaires et leurs contes animaliers, il est bien difficile de dissocier l’œuvre de Birago de la tradition africaine et de l’éloigner de la littérature française. Il faut donc voir là une forme de syncrétisme littéraire entre ces deux influences que sont la tradition orale africaine et la sagesse qu’elle véhicule et la langue et la culture française avec sa morale.
Il faut aussi considérer que ce recueil de contes et fables a été publié pour la première fois en 1963, à une époque où l’Afrique venait de découvrir l’indépendance dans une grande partie de son territoire et que les jeunes républiques issues de la colonisation avaient encore un avenir ou croyaient encore en un avenir doré que l’histoire a bien vite terni. Et, on pourrait voir dans la publication de ces contes, une forme d’invitation à la sagesse et au retour à la tradition à destination de tous ceux qui avaient en charge le devenir de ces pays. Mais Birago n’est pas dupe, il connait les hommes et leur faiblesse, l’Afrique et ses mirages, et dans le premier conte de ce recueil, il raconte comment la petite chèvre innocente et téméraire qui a rencontré l’hyène cruelle et affamée croit échapper à la férocité du charognard en subissant avec succès l’épreuve qui lui est imposée mais se fait tout de même dévorer car « malheureusement, ce soir, Béye, tu as rencontré le BESOIN. » Ce fameux besoin que les Africains éprouvent désormais dans toute son ampleur et toute sa tragédie.
Denis BILLAMBOZ