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Qu’en pense Buzzati
par Denis Billamboz
Dino Buzzati semble bien avoir inspiré les auteurs de ces deux livres, en les lisant, j’ai eu ce même sentiment de vaineté dans le combat, de puérilité dans la cause, d’impuissance et d’inutilité des armes, pour ces deux troupes naufragées dans des déserts différents mais tout aussi inhospitaliers. Ces deux histoires plongent leurs racines dans des guerres bien réelles qui ont terminé toutes les deux en débandades et qui étaient, dès l’origine, vouées à la débâcle. La guerre entre Grecs et Turcs sur le sol asiatique pouvait difficilement tourner à la marche triomphale pour les Hellènes et la guerre du Chaco n’avait que peu de chance d’apporter la gloire aux troupes boliviennes. De quoi publier un solide plaidoyer contre toutes ces guerres où l’égo de quelques uns semble bien dominer l’intérêt de la majorité et envoyer au massacre ceux à qui on ne demande jamais leur avis. Oui, Buzzati n’aurait certainement renié ces deux romans.
Le labyrinthe
Panos Karnezis (1967 – ….)
La présentation du livre « évoque, bien sûr, le Désert des Tartares de Dino Buzzati » et son armée vaine et puérile mais aussi, et surtout, « un formidable roman épique où résonne l’écho d’une geste plus ancienne ». Le labyrinthe est en fait l’épopée tragique et grotesque d’une brigade grecque défaite en 1919 dans la guerre contre la Turquie, en Anatolie, et qui erre dans le désert pour chercher une issue vers la mer et vers la mère patrie. Cette épopée est retracée à travers quelques personnages qui constituent la théogonie de cette troupe en déroute : le général morphinomane écrasé par l’humiliation de la défaite et le décès de sa femme, le colonel, homme de guerre, qui a perdu sa motivation militaire et qui ne croit plus en sa hiérarchie et en le pouvoir en place, le prêtre qui a perdu ses ouailles et qui persiste à garder la foi, le médecin militaire qui croit fermement en la science mais qui peu à peu désespère des homme et un caporal, candide au milieu de ceux qui ont le pouvoir, qui ne croit plus qu’en l’amour d’une belle bien hypothétique, là-bas, au pays. Et cette petite troupe défaite, accablée par la malédiction et les éléments traîne sa misère sous un soleil de plomb avec un vilain secret dans ses bagages qui pèse aussi lourd sur les consciences que sur le moral de ces soldats en déroute.
Ce récit serait trop improbable si Karnézis ne nous invitait pas, par des allusions régulières, à lire cette histoire comme une épopée antique avec ses héros et ses traîtres, ses exploits et ses viles bassesses et tous ces preux guerriers en quête d’une gloire quelconque, militaire, religieuse, scientifique ou plus simplement populaire. Et, même l’aviateur qui aurait pu sauver la troupe qu’il a repérée dans le désert, se brûle les ailes en tombant du ciel comme un Icare, mais en sens inverse, brûlant les siennes en voulant s’évader lui aussi de son labyrinthe. Et le général reste convaincu qu’« Il est regrettable de ne pas connaître l’histoire de son propre peuple. Mais presque criminel d’ignorer sa mythologie… Car la mythologie est plus que de l’histoire, … , C’est aussi de la science. »
En ressuscitant l’épopée des dieux de l’Olympe, Karnézis a aussi voulu montrer toute la puérilité des guerres qui régulièrement enflamment ce qu’on appelait encore le « Levant » à l’époque où l’auteur fixe son récit, mais aussi tous les travers de l’humanité où l’homme confronté aux limites de son existence retrouve tous les instincts et les vices qui le rapprochent du monde animal aux abois. Caleb, le chien du prêtre, semble avoir plus d’humanité que les hommes qui l’entourent. Et, il ressort de cette épopée comme une fatalité qui rend toutes les bonnes volontés vaines et inutiles devant le l’impitoyable destinée de chacun.
Et, quand l’armée après avoir retrouvé la ville et l’espoir, prend le chemin de la mère patrie et, bien que la défaite et le remord assomment toujours un peu plus le général, la presse pourrait construire avec cette retraite salvatrice une légende où cette « équipée et celle des Dix Mille de Xénophon » auraient certaines analogies.
A l’aube de cette nouvelle légende, dans cette armée fuyant Smyrne avec sa population chrétienne, on croit voir parmi les civils qui ont choisi le chemin de l’exil, les ancêtres grecs que Jeffrey Eugenides a fait revivre dans Milddlesex.
Le puits
Augusto Céspedès (1904 – 1997)
« … Mes hommes creusent, creusent, creusent l’atmosphère, la terre et la vie d’un mouvement lent et atone de gnomes. » Dans le Chaco, en 1933, quand les Boliviens et les Paraguayens s’étripent, espérant trouver du pétrole dans cette région désertique et particulièrement inhospitalière, un sous-officier bolivien et sa vingtaine de sapeurs doivent trouver de l’eau pour les soldats qui fondent sous le plomb du soleil qui écrase le front.
Après plusieurs tentatives infructueuses, ils décident de creuser un puits plus profond pour chercher l’eau plus bas, dans le ventre de la terre. Mais leur tentative est aussi vaine que l’attente des soldats de Buzzati dans le désert des Tatares, l’eau est aussi rare au cœur de la terre qu’à sa surface. Malgré tout, la troupe ne désespère pas et continue à creuser en n’espérant même plus trouver cette eau indispensable à la vie de la troupe, donnant ainsi une réalité à ce puits par le seul fait de le creuser et d’y souffrir jusqu’à la mort. Et, ce puits, devenu tellement réel, tellement imprégné de leur vie, de leur souffrance, de leur douleur, devient une partie d’eux-mêmes, une partie de cette petite troupe, ce qui laisse croire à l’ennemi qu’il a une réelle fonction. Il devient alors objet de convoitise et donc enjeu de combat. « Le puis est en train d’acquérir à nos yeux une personnalité effrayante, essentielle et dévorante, se transformant, en seigneur inconnu des sapeurs. »
Ce micro livre, très esthétique, est constitué de cette seule et brève nouvelle tirée d’un recueil plus important écrit par Céspedès quand il était correspondant pendant la guerre du Chaco. D’une écriture très raffinée, félicitations à la traductrice, ce texte, une véritable épure, touche du doigt en quelques phrases ciselées, l’absurdité des actions de l’homme, la puérilité des luttes envieuses mais aussi la réalité des choses qui naissent par le seul fait que les hommes les désirent. C’est du Buzzati en raccourci et en condensé, l’eau de Céspedès est l’armée tatare que les soldats de Buzzati attendent avec de moins en moins de crédulité. Il est aussi remarquable de constater que les brèves notes qui constituent cette nouvelle, s’espacent au fur et à mesure que le temps s’écoule, de janvier à décembre 1933, comme l’espérance s’évapore au soleil du Chaco, comme la nature humaine révèle ses véritables limites dans des conditions extrêmes. « C’est la mort de la lumière, la racine de cet arbre énorme qui pousse la nuit, éteint le ciel et endeuille la terre. »
Denis Billamboz