Fais comme chez toi
Ces deux livres traitent à peu près le même sujet, l’histoire d’une jeune fille qui arrive, pour une raison quelconque, dans un foyer ne comportant que les deux époux et qui s’incruste entre le mari et la femme jusqu’à provoquer l’explosion du couple. Un sujet éminemment banal qui ne vaudra certainement pas le Prix Nobel à Joyce Carol Oates qui lorgne dessus depuis un moment déjà. Elle aussi aurait pu figurer dans ma chronique précédente. Je vous laisse apprécier la façon dont les deux auteurs ont traité le sujet, je vous dirai simplement que l’un et l’autre ne m’ont pas franchement convaincu, ces deux livres ressemblent trop à des livraisons qu’il faut bien effectuer pour honorer la commande d’un éditeur.
La fille tatouée
Joyce Carol Oates (1938 – ….)
Je ne suis vraiment pas convaincu que c’est écrivant ce type d’ouvrage que JC Oates pourra prétendre un jour au Prix Nobel de littérature. J’ai l’impression que je viens de lire le récit d’un bon gros fait divers comme l’Amérique nous en envoie un peu trop souvent. En l’occurrence, il s’agit de la narration d’un drame consécutif à la rencontre d’un écrivain qui a connu la gloire quand il était plus jeune et d’une jeune fille paumée qui débarque dans cette petite ville universitaire comme un zombie dans un synode épiscopal.
L’écrivain, fils d’un juif mort à Dachau, décide d’engager un assistant pour faire face au désordre que sa notoriété a généré dans sa maison mais tous les candidats qui se présentent ont un petit défaut qui déplait à l’employeur. Et c’est dans son bar habituel qu’il croise cette fille paumée, avec un vilain tatouage sur la joue, qu’il embauche surtout par pitié et peut-être aussi pour se donner bonne conscience. Ainsi, se trouve réunis, sous un même toit, deux personnages que tout oppose, un écrivain juif, ou presque, cultivé, raffiné, talentueux et plutôt doux et aimable et cette fille surgie comme de nulle part mais en fait du fond du pays minier où végète une maigre population qui a refusé d’évacuer le village quand les mines ont pris feu et pollué l’atmosphère. C’est l’opposition de deux cultures, de deux histoires, lourdes toutes les deux mais infiniment différentes, de l‘instruction et de l’ignardise, du raffinement et de la rusticité, de la suffisance et de la rancœur.
Ce huis clos se déroule sur fond d’Eneide et d’Odyssée pour l’écrivain et sur fond de violence et de haine pour la fille qui est antisémite parce que son amant l’est et qu’il faut bien que quelqu’un endosse la responsabilité de la misère qu’elle a connue avant d’échoir dans cette maison. La situation ainsi créée aurait pu donner naissance à un beau roman mais Oates est restée dans le domaine narratif, racontant cette histoire avec force détails en nous entrainant dans le passé des protagonistes mais en ne sachant pas expliquer les mécanismes de la haine qui est le principal ressort de ce roman. Elle ouvre le discours sur de nombreux thèmes, l’holocauste, l’antisémitisme primaire, la culpabilité, le rôle de la famille, le devoir de mémoire, l’incommunicabilité, la rédemption mais ne les explore pas, laissant le lecteur sur sa faim.
Ce fait divers à l’américaine où le pauvre veut se venger du riche par la violence est d’une grande banalité mais la fin de l’histoire, même si elle est un brin filandreuse, peut laisser entrevoir une autre façon de considérer la vie de ces deux êtres réunis par le hasard. Mais pour que cette histoire devienne un grand roman, il aurait fallu qu’Oates dessine des personnages plus cohérents, son écrivain semble avoir le double de son âge dès les premières lignes du livre et la fille navigue entre un portrait bovin et des allures aguicheuses. Il aurait surtout fallu qu’elle maitrise mieux les ressorts de son histoire, La haine qui anime l’intrigue, semble trop gratuite, on ne voit pas bien comment elle se nourrit, comment elle enfle et comment elle peut aussi, parfois, se rétracter et même s’inverser. Tout comme l’antisémitisme semble un acquis et ne pas s’expliquer, ne pas vivre, ne pas croître et surtout ne pas mourir. Certes, l’auteur nous immerge totalement dans ce huis clos qui semble finalement plutôt banal avec ses sentiments contradictoires assez convenus dont on n’arrive pas à bien comprendre les ressorts qui sont apparemment un peu fatigués.
Et, si une fois de plus un auteur va chercher des arguments, et l’inspiration, dans la shoah, Oates en l’occurrence, n’apporte rien de nouveau à cette question et aurait pu éviter de ressasser ce problème pour en dire de telles banalités. Les victimes méritent peut-être mieux que cette évocation bien superficielle après tout ce qui a été dit et écrit depuis plus de cinquante ans.
Bienvenue parmi nous
Eric Holder (1960 – ….)
« Ce fut peu avant la date anniversaire de ses soixante-deux ans que Taillandier prit la décision de se suicider. » Ca fait tout drôle de lire ces deux lignes en introduction d’un livre quand on vient, précisément, de fêter, soi-même, ce même anniversaire. On s’interroge, comment ce peintre célèbre qui, il est vrai, ne peint plus depuis sept ans, a-t-il pu avoir une telle idée ?
Certes, il souffre du cœur et il estime avoir atteint l’apogée de son art. Un suicide bien mis en scène pourrait donc être une sortie majestueuse, pleine de dignité, qui resterait à jamais dans la légende. Mais, comme toute histoire, celle-ci comporte sa part de hasard et le destin cette fois s’incarne dans la personne d’une fille paumée, comme « La fille tatouée » de JC Oates, que sa compagne prend, un jour, en stop.
La fille s’installe à la maison et, petit à petit, il s’intéresse à cette adolescente gauche et taciturne jusqu’au jour où elle s’enfuit subrepticement. Il loue alors, en cachette de sa femme, une voiture pour accomplir son suicide mais, finalement, il rejoint la fille sur la route et commence alors un long voyage jusqu’à Coutances où la gamine veut revoir sa mère. Mais, une fois de plus, celle-ci la repousse et le peintre, ne voulant, ne pouvant, pas abandonner cette compagne malheureuse entreprend avec elle une sorte de « road movie » en terre bretonne, jusqu’en Pays nantais.
Au cours de cette grande vadrouille «une gamine qui n’avait pas de projets, (et) un homme qui n’en avait plus… » trouvent l’une sa personnalité et l’autre une nouvelle envie, raison peut-être, de vivre. Comme un moyen de donner du sens à une vie vide et sans intérêt pour lui et sans lendemain pour elle.
Ce petit roman minimaliste me rappelle l’atmosphère de ces films « Nouvelle Vague » où la vie se mange au quotidien, sans réel souci du lendemain. Mais, il évoque surtout, pour moi, « La fille tatouée », le roman de JC Oates, avec son artiste riche et désabusé et sa jeune fille pas franchement belle mais réellement paumée. Dans ces deux huis clos qui rassemblent chacun deux protagonistes très différents, l’histoire n’évolue certes pas de la même manière mais on ne peut éviter de comparer ces ceux couples si improbables. Ce parallèle entre les deux romans pourrait être poussé un peu plus loin mais si Oates met l’accent sur la défaillance et la frustration sexuelle, Holder élude très chastement cette question pour laisser ses héros retrouver une certaine forme de pureté originelle qui pourrait être le moteur de leur raison de croire en un avenir possible pour chacun d’eux malgré la solitude pour l’une et la maladie pour l’autre.
Denis Billamboz