Au vent des îles

images?q=tbn:ANd9GcQ8ZQRh5vCHHCb0oOMtYL07fF9qsYa379z4wfNeuWrnBJVWnBxm1wAU VENT DES ÎLES 

par Denis BILLAMBOZ

J’ai intitulé cette publication du nom de cette sympathique maison d’édition qui publie de si jolis textes en provenance du Pacifique. Lors du dernier Salon du Livre de Paris qui consacrait une large place à la littérature de l’Océanie, j’ai eu l’occasion d’acheter quelques livres polynésiens, néo-calédoniens et même vanuatais, dont les deux titres qui figurent ci-dessous et qui m’ont vraiment enchanté. C’était une grand découverte pour moi, cette littérature surgit directement de l’oralité,  même si Chantal T. Sptiz que j’ai rencontrée, a quelques européens dans son arbre généalogique. On a l’impression que les auteurs de cette partie du monde ont acquis les langues écrites sans que leur culture soit encombrée par des langages, dialectes, idiomes, … écrits sommairement et clarifiés au fil du temps. Ils ont acquis directement une langue élaborée, le français ou l’anglais le plus souvent. Ceux qui lisent régulièrement ce blog ont déjà pu lire les quelques lignes que j’ai confiées à Eric dans l’interview qu’il m’a proposée récemment, ils ont pu y découvrir tout le bien que je pense de cette littérature des îles du Pacifique.

 

images?q=tbn:ANd9GcQyjNKmJ7CNVH8ivkDq-APLKkeOmPEvdRIymm01hBI446DhpFXhEwL’île des rêves écrasés

Chantal T. Spitz (1954 – ….)

« Ils arriveront sur un bateau sans balancier, ces enfants, branches nées du même tronc, qui nous a donné la vie. Leur corps sera différent du nôtre, mais ils seront nos frères, pousses du tronc unique. Ils s’approprieront notre Terre, renversant l’ordre que nous avons établi, et les oiseaux sacrés de la mer et de la terre viendront se lamenter. »

Sur l’île de Ruahine (Huahine), sur les rives du lac Fauna Nui, Tematua, fier garçon mà’ohi, voit le jour assez tôt pour être un jeune gaillard plein de vitalité quand les blancs viennent chercher de bons soldats pour défendre la mère-patrie, là-bas, si loin, qu’on ne peut même pas imaginer où c’est, ni comment c’est. Et encore moins, pour quoi se battre et contre qui.

Tamatua revient de cette dangereuse expédition avec, au cœur, les stigmates de ce qu’il a vu, subi, et supporté, et, un jour, il rencontra la belle Emere, Emily selon son père seulement, filles de Toofa une jolie polynésienne qui est tombée amoureuse d’un richissime Anglais qui ne peut pas l’épouser, race oblige, mais qui lui a donné cette ravissante fille que sa mère élèvera seule, refusant de devenir une maîtresse officielle.

La mère a transgressé la loi du peuple, elle a aimé l’envahisseur, le Blanc, la fille perpétuera la transgression en vivant, sans mariage, avec un garçon aborigène et pauvre alors que sa mère rêvait d’une carrière brillante à la mode européenne pour sa fille adorée. Les deux jeunes gens s’installent sur un ilot, acheté par le richissime père anglais pour sa fille, proche du lieu de naissance de Tematua. Le couple vivra, là, une vie d’amour ponctuée par la naissance de trois enfants : Terii, jeune homme intelligent qui fera des études en métropole mais reviendra sur l’île pour retrouver ses racines dans les fouilles archéologiques de Maeva qu’il dirigera ; Eritapeta, fille aux apparences européennes, qui refusera de croire à l’amour de celui que son cœur lui a désigné et qui, « belle intelligente, dérivera dans la longue nuit sans étoile que sera sa vie » ; et, Tetiare, l’auteur, la petite dernière, plus débrouillarde qu’intellectuelle qui partira à la dérive avec des groupes révolutionnaires mais trouvera un sens à sa vie quand les Blancs voleront la terre de ses ancêtres.

L’amour qui sert de fil rouge à cette saga familiale sera encore le lien qui reliera le fils aîné à Laura, l’ingénieur français, qui dirige les travaux de la base de lancement de missiles que le gouvernement du Général-président a décidé d’implanter sur l’ilot de ses parents. Encore une transgression, encore un amour impossible.

« Vous n’aviez pas de passé

Vous n’aviez pas de présent

Il ne vous restait qu’un maintenant. »

Les amants vont essayer de vivre ce maintenant malgré la lutte puérile et futile que la famille va entreprendre pour conserver ses terres.

Ce livre est tout d’abord, pour moi, un très grand livre d’amour car à chaque génération, l’amour, malgré la transgression, triomphe toujours des obstacles les plus difficiles même si cet amour n’est que temporel et qu’il ne peut pas durer, le syncrétisme entre les cultures est impossible car :

« Les racines de l’Amour finissent par mourir

Sans les racines de la Terre. »

Et, Chantal Spitz parle de l’Amour (avec un grand A, toujours) comme plus personne ne sait en parler depuis un bon bout de temps. Chez elle, l’Amour est absolu et exclut tout autre sentiment, on ne badine pas avec cet amour là, on le vit tant qu’il dure.

Mais, son livre est aussi un farouche plaidoyer pour la défense de l’identité et de la culture polynésiennes. Le métissage n’est qu’une calamité supplémentaire apportée par les Blancs dans leurs bagages plein de vices inconnus avant leur arrivée. « Profit, envie, pauvreté, délinquance, prostitution, pollution, exploitation. Ils (les Ma’ohis) ne sont pas faits pour un monde empli de ces mots. » Le métis est encore pire que le Blanc car le Blanc vit selon sa culture et sa terre. La terre est une notion fondamentale dans ce livre, comme dans la mythologie locale, elle est une véritable terre-mère au sens chthonien du terme. Elle définit les êtres qui sont ses enfants. On ne peut donc pas trahir sa terre, il faut y revenir toujours et, surtout, ne pas la violer en la cédant.

Et même si Toofa, la mère d’Emere, a rêvé que sa fille conjuguerait l’intelligence des Blancs et le rêve des Ma’ohis, l’intelligence de l’esprit et l’intelligence du cœur, cette vision est restée celle de l’esprit car elle n’est pas possible, une fêlure sépare les peuples qui ne leur permet pas de mélanger leur culture. Ils ne sont pas de la même terre.

Ce livre participe aussi de la lutte pour la défense de la tradition polynésienne, il est le premier roman tahitien écrit par un Polynésien et contribue, ainsi, très largement, à la diffusion de cette culture encore trop méconnue. C’est une véritable ode à ce peule, à sa terre et à sa culture.

J’ai beaucoup aimé ce livre où la poésie vient supplanter la prose quand elle est insuffisante pour transcrire les sentiments ou l’expression de l’âme polynésienne, où la plume de Chantal Spitz génère aussi bien les plus douces caresses de l’amour que les sanctions les plus virulentes pour défendre sa terre, son peuple, ses mœurs. Elle écrit comme personne d’autres, c’est un style, une âme, une main qui vous emmène sur le chemin de la sérénité, de l’humilité, de l’humanité. Et, même si ce livre me pose un réel problème, il prône ostensiblement une différence entre les races, un droit du sol qui a pour corollaire le rejet des étrangers quel que soit le pays où ils séjournent, une impossibilité de conjuguer les cultures et un refus total du métissage, il fascine par son magnétisme auquel j’ai succombé.

 « L’amour est né et il faut le vivre avant qu’il devienne douleur. »

 

images?q=tbn:ANd9GcTbf6XMdfCTcQlQ5vPTv4mdkL5kIi6GbocfaRkpv9erbrT99yzYAwArioi

Vairaumati no Ra’iatea ( ? – ….)

« … et rien ne comptait que les arts. »

Vahinetua avait l’âge des premiers tatouages quand elle a vu pour la première fois les Arioi débarquer sur son île, Maupiti, qui n’appartenait pas encore aux Iles de la Société mais était encore une des Iles de la Grande Alliance. C’était à l’époque où Pomaré I° était roi de Tahiti et gouvernait l’archipel avec l’appui des Britanniques.

Les Arioi constituaient une caste qui était une sorte de troupe de saltimbanques, ils dansaient, chantaient, jouaient la comédie, …., dans les grandes occasions de la vie locale, se déplaçant dans toutes les îles de l’archipel. Ils étaient vénérés et adulés par les populations qui les nourrissaient. Vahinetua assiste ainsi au débarquement, en grande pompe, de cette troupe sur son îlot natal et elle est éblouie par la beauté des artistes, le chatoiement des parures et l’élégance des danses. Et, comme une jeune fille se blesse, le maître de la troupe lui demande de la remplacer au pied levé, ce qu’elle fait si brillamment que celui-ci lui propose d’intégrer la troupe pour devenir un jour une Airoi. Elle quitte donc son île, à la grande fierté de ses parents, pour intégrer cette caste prestigieuse.

Elle gravit alors très rapidement les échelons de la troupe et devient vite la préférée du maître mais, un jour, elle commet l’irréparable avec un jeune homme qu’elle aime et refuse de procéder au crime rituel que sa situation exige. Sa vie devient alors très précaire, elle est sauvée, ainsi que sa petite fille, par une vieille femme qui la protège de ceux qui lui veulent du mal, … selon les dire de celle-ci…

Dans ce texte brillant, poétique, ciselé dans une langue belle, hélas par trop encombrée de termes  polynésiens qui rompent le rythme de la lecture des non-initiés et en altèrent le charme et c’est bien dommage, Vairaumati cherche à redonner vie à cette caste, si prestigieuse, qui a été éradiquée au XIX° siècle par les missionnaires. Aujourd’hui, nous ne savons que très peu de choses de ces saltimbanques des îles du sud mais l’auteur, à travers ce petit roman, relie directement leur histoire à la mythologie et à la légende fondatrice de la culture polynésienne.

Même si Vairaumati, femme très secrète qui porte le nom de l’île où elle habite désormais, a trempé sa plume dans le monoï, elle n’hésite pas à dénoncer tout ce qui a altéré définitivement sa culture originelle : une société très hiérarchisée aux mœurs barbares et sans pitié pour les mal nés, les Blancs, notamment les missionnaires, qui ont détruit nombre de pratiques ancestrales, les ari’i, les princes qui ont pactisé avec les Blancs pour s’arroger un pouvoir absolu en échange de la suppression de mœurs et coutumes jugées trop paganiques. Et, finalement en voulant faire revivre les arioi, c’est tout  une culture telle qu’elle existait avant que les rois de Tahiti, alliés aux blancs, ne l’altèrent à jamais, que l’auteur voudrait nous transmettre afin qu’elle ne se perde pas dans la nuit de temps.

Le maître de la troupe « nous disait toujours que nous sommes le peuple de la parole » et moi, je reste émerveillé devant ces gens qui ont merveilleusement su transformer la parole en écrit. Serait-ce la proximité de l’oralité qui aurait permis de conserver une grande pureté de la langue écrite et une si charmante musique dans les textes ?  D.B.

L’eau qui bout

L’eau qui bout, à des fins heureuses (pour accueillir un sachet de thé, une patate douce, un légume nu) ou funestes (pour ébouillanter, napper de feu, chauffer les tympans) s’exprime au maximum de ses possibilités. Elle ne peut aller au-delà de son effort, au risque de se désagréger, de perdre en puissance et en volume. Si elle appelle, si elle crie ainsi, c’est pour qu’on la délivre d’une agonie qui prend momentanément la forme d’une petite mort.   

A voix autres avec Eric Allard – Alain Dartevelle – Michel Lambert

e40f695fe6.jpgArnaud Defrère vous présentera les auteurs invités : Eric Allard (Penchants retors, Ed. Gros Textes et Corbeaux brûlés, Ed. Du Cygne), Alain Dartevelle (Amours sanglantes, Ed. L’Âge d’homme) Narconews, Ed Murmure des Soirs) et Michel Lambert (Dieu s’amuse, Ed. Pierre Guillaume de Roux) tous trois nouvellistes. La lecture sera assumée à deux voix, par les comédiens Catherine Cornil et Rodrigue Yao Norman.
Présentation entrecoupée de musique baroque : la Partita n°2 pour violon seul de js Bach, interprétée par Eveleine Cobut.

 

http://www.quefaire.be/les-nuits-encre-a-voix-328077.shtml

 

Tout le programme des Nuits d’encre 2012
 

 

http://www.poleculturel.be/fr/litterature/

 

L’article de La Dernière heure: 70 auteurs dont 38 invités

 

http://www.dhnet.be/regions/brabant-wallon/article/386065/70-auteurs-dont-38-invites.html

 

LieuBibliothèque publique du Douaire à Ottignies

AdresseAvenue des Combattants, 21340 Ottignies

Date: Jeudi 29 mars à 20:30


Le Microbe de printemps est arrivé!

331976424.jpgAu sommaire du MICROBE 70

Illustrations de Martine Zimmer
Textes de
P
ierre Anselmet
Y
ve Bressande
É
ric Dejaeger
G
uillaume Decourt
F
abrice Farre
J
ean-Paul Gavard-Perret

Jean-Philippe Goosens
F
rédérick Houdaer
D
iane Meunier
Minicrobe 33 Guiot.jpg
Jean-Jacques Nuel
M
organ Riet
T
hierry Radière
T
hierry Roquet
S
alvatore Sanfilippo
G
uillaume Siaudeau

Les abonnés le recevront dans quelques jours.

Les abonnés « + » recevront également le 33e mi(ni)crobe signé Paul Guiot : MAIS QUI SONT-ILS ?

Pour vous abonner, contacter Éric Dejaeger via son blog

http://courttoujours.hautetfort.com/

L’écrivain fétiche

Vous ne supportez plus votre écrivain fétiche. Il laisse traîner ses phrases partout, il vous colle au cerveau, il vous tape sur les nerfs. Ses écrits vous lassent, il ne soigne plus son style, il oublie la ponctuation, il ne pense plus qu’au tirage de ses livres, il humilie ses éditeurs, a des idées sur tout et de moins en moins de bons mots pour les exprimer… Essayez l’apprenti-écrivain ! Généralement jeune, plein d’entrain, humble, en quête d’éditeur (le premier sera le bon), il chiade ses phrases, les compare à celles de ses idoles et, par-dessus tout, il est respectueux du moindre lecteur (le premier sera le bon). Certes, avec de la chance, de l’entregent ou du talent, parfois les trois, il fera son chemin, deviendra comme votre vieil écrivain : hautain, râleur, plein de tics d’écriture et jamais content. Un écrivain comme les autres. Mais il vous aura donné du plaisir, et que veut d’autre le bon lectorat. 

HOMMAGE A SALLENAVE, qui sera reçue jeudi prochain, 29 mars 2012, à l’Académie française

images?q=tbn:ANd9GcRTXlMzgsSLy7n9sf_i0xby-k7Zo1r0PrFDYkt46a5wZ53GC1zmmAPar Philippe Leuckx

Romancière, nouvelliste, essayiste, Danièle Sallenave, née à Angers, a enseigné la littérature et la photographie (un photopoche consacré à Kertesz) à Paris-Nanterre. Elle a aussi traduit quelques auteurs italiens : Pasolini, Calvino et Calasso.

Autant reconnue par ses fictions que par ses essais.images?q=tbn:ANd9GcQMg3uq-Rje8O6VjxavThJg9sMyYp0MuRomH31WbxJmlb2K3lcD

Avant d’évoquer ce 26e livre de l’écrivain, rappelons quelques titres : « Les Portes de Gubbio » (Prix Renaudot 1980), «  »Un printemps froid », «  »La vie fantôme », « Rome », « Le don des morts », « Les trois minutes du diable », « Viol », « D’amour », « Castor de guerre » (un essai époustouflant de subtilité sur Simone de Beauvoir)…

« Nous on n’aime pas lire » (1)  relate une expérience pédagogie de l’auteur à Toulon, lors d’une « résidence d’écrivain ». Sallenave a, à cette occasion, rencontré deux classes de 3e pour nouer un projet en trois étapes.

Le livre, fruit de ce travail, a paru en 2009 et concerne l’année scolaire 2007-2008.

Disons-le d’emblée. Voici, non un essai pédagogique, théorique, didactique, mais un livre d’écrivain et de professeur.

L’écrivain en collège, c’est peut-être devenu une mode. Sallenave s’en défend. Dès l’entame, elle avoue sa réticence. Et puis, réflexion redoublée, saisit l’opportunité.

Elle va donc à Toulon, à trois reprises, dans un collège du quartier de la Marquisanne. Qu’elle décrit, en l’approchant, avec l’oeil de l’écrivain et de la spécialiste de la photographie. L’environnement, les barres d’où proviennent les élèves, beurs pour la plupart. Un travail ethnographique qui cerne la ville, sa pollution, le port, les achélèmes, enfin, le Collège, « son » collège, puisque le possessif revient comme une antienne.

Cet oeil voit tout : le beau, les plantes vertes, le confort assuré de l’établissement, la peinture fraîche…Le Centre de Documentation,  confortable aussi… L’écrivain sent tout : la violence contenue toujours près d’éclater, la séparation des sexes, on est pourtant dans un collège mixte, l’absence de mixité sociale, la bonne volonté des professeurs et de la direction, les doutes, la volonté aussi assignée à elle-même de ne pas céder aux préjugés, aux clichés de toutes sortes (cf. épisode du tag).

Et l’expérience se met en place. Après l’oeil qui a tout vu, tout senti, le coeur apprivoise. Un coeur serein d’un professeur, qui a longtemps travaillé dans l’enseignement supérieur, mais qui, ici, éprouve pour la première fois le contact avec des élèves bien plus jeunes, bien plus démunis…

Loin des discours démagogiques, à l’oeuvre très souvent lorsqu’on évoque collège à difficulté, population d’origine immigrée, pédagogie adaptée, Sallenave décrypte la situation et propose, non une solution toute tracée, mais quelques aides. Voilà des élèves de quatorze-quinze ans, dépossédés d’une langue qui puisse les aider à communiquer : peu de vocabulaire, une maîtrise insuffisante de l’orthographe, de graves réticences, pour certains vis-à-vis de la lecture…

Lire, ou ne pas lire, la grande affaire. Péremptoire, chez les garçons, dans la classe qui s’ouvre à elle , la déclaration : « Nous,  on n’aime pas lire! »images?q=tbn:ANd9GcQj3kCjEso20g73B2CgBgofg8F9ICopzOMqLWBLy-i9xGa00PBKsg

L’écrivain analyse les circonstances qui ont amené tel constat. L’appartenance à un milieu – qui se défie des livres, n’en possède pas-, la pression de la télévision et d’autres activités sur une pratique de lecture,  qui semble, pour beaucoup, inutile, lourde, décalée, éloignée de leurs intérêts et préoccupations…

Comment arriver à les faire lire? Par obligation? Peu crédible. Peut-être en montrant que lire est une ouverture à AUTRE CHOSE, à un autre univers, que le foot, la télé, la glande n’offrent pas…

Lire, difficile? Complexe, oui. Mais « tellement nourrissant ». « Une paix peuplée », nous dit l’auteur. Quelle métaphore!

Pour contrecarrer les pires stéréotypes : seules les filles aiment lire; lire, c’est une activité de « tapette »; ça ne sert de rien etc.

Lire élève, puisque Sallenave convoque Alain, non pour édifier une thèse (elle en a horreur), mais pour revenir à ce « bon sens », qui manque tant à une période où l’on a privilégié les recherches didactiques, les théorisations, et qu’on a oublié les fondamentaux : le contact avec le livre, la narration à voix haute, le goût des histoires (comme celles que réclament les enfants), le retour à une simplicité porteuse (lire ouvre des portes, gage de liberté)…

Trente-sept petits chapitres ordonnent l’expérience. On retrouve là le goût de l’auteur pour une approche par strates (comme elle fit pour ses fictions ou sa vision d’une « Ville rêvée », Rome). Cette géologie est particulièrement porteuse, intellectuellement, philosophiquement. C’est une manière plurielle de cerner, par autant de clés, la complexité d’un collège proche d’une cité, d’élèves attachants, adolescents en recherche de cadres, de soutiens… Sallenave en profite, avec son bon sens des lumières, pour rappeler quelques évidences – souvent omises, négligées : il faut saper les opinions fausses, être des « transmetteurs d’opinions droites, qui sont alors des vérités, soit de la science soit de l’expérience, pas de plus beau métier : c’est cela, être professeur » (p.154).

Tant d’autres fragments seraient à citer, d’un livre NOURRI d’intelligence, de droiture intellectuelle, qui élève, oui, osons le mot. A l’heure où tant de professeurs éprouvent un dur métier, soit qu’ils ont à se débattre dans un climat hostile, soit qu’ils sont mal préparés à un enseignement qui a terriblement changé, ce livre revient sur l’essentiel : foin des expériences passées (2) où à force de simplification et de démagogie, on assignait au professeur de classes dites « faibles » une forme d’enseignement qui réduisait les chances de celles, de ceux qui le recevaient. L’exigence, l’apprentissage du vocabulaire approprié, des lectures (qui ne se réduisent pas à la littérature de jeunesse),le  retour à un enseignement protégé (l’école-sanctuaire),  la sérénité, l’intelligence sont à remettre à l’honneur…

Un livre, indispensable, et, forcément, d’une très belle écriture.

P.L.

(1) Danièle SALLENAVE, Nous, on n’aime pas lire, Gallimard, 2009, 168 p.- 11,50 euros.

(2) Celle qui veut, dans l’enseignement supérieur pédagogique, privilégier les approches théoriques aux expériences concrètes (que de grilles et si peu…de lectures!)

 

 

Seule sur Facebook

Elle avait accepté il y a longtemps une invitation à s’inscrire sur Facebook, elle ne savait plus de qui. Et elle attendit, des jours, des mois, une année sans qu’on lui fît de demande d’amitié. Au bout de trois ans, elle consentit à inclure une photo de profil comme on le lui conseillait vivement.  Mais au terme de cinq nouvelles années, elle n’avait toujours aucun contact. Elle était d’un tempérament têtu et voulait qu’on réclame son amitié et non l’inverse. Depuis son inscription, elle s’était mariée, avait divorcé et eu de cette union un fils qu’elle avait inscrit sur le réseau social en espérant qu’un jour, bientôt, le garçon devienne son premier ami.