Le livre oublié

images?q=tbn:ANd9GcSk2hl-I6Y5yUQdek1jsVio-_L8eg11na4sSa_acXv_asyzgfoXIEi3uYAC’était un livre oublié dans une bibliothèque de quartier. Qu’on n’avait jamais ouvert, jamais lu. Il avait depuis longtemps renoncé à tout espoir, il voyait les autres être empruntés, parfois des proches, des compagnons d’étagère, et lui rien. Il s’était fait une raison, il attendait la mort, la décomposition  de ses vieilles pages… Quand un jour, une main se tendit vers lui, une main inconnue, qu’il n’avait jamais sentie, pas celle du bibliothécaire qui, une fois par siècle, le dépoussiérait de ses grosses mains velues. Celle d’une lectrice, une jeune lectrice d’après ce qu’il pouvait en juger. C’était pour une lecture scolaire. Depuis le temps qu’il existait, il ne devait s’agir que d’une lecture scolaire. Mais quand on n’a pas eu d’amour, on ne pinacle pas. Il se souviendra longtemps de cette attente, entre les mains, les deux cette fois,  de la jeune fille. De son haleine fraîche, de la bonté de son regard sur sa couverture. Mais non, ce ne serait pas encore cette fois, ce serait jamais. Une voix, celle de sa mère sans doute dit : « Ne lis pas ça, ça ne te plaira pas, prends plutôt celui-ci. » S’il avait pu sauter à la gorge de cette femme, il l’aurait fait. Mais de quoi avait-il encore la force ? Il pensa très fort à sa fin et se dit qu’il n’avait plus que cela vers quoi se projeter désormais. Souvent il hait l’auteur de son texte qui n’a pas réussi à le rendre lisible une seule fois depuis qu’il est né. Mais il se dit que lui a dû l’aimer, durant sa gestation, du moins il peut l’espérer.

Des livres

Livres en voie de disparition

Ce livre écrit par un ibis japonais connut un beau succès auprès de la gente ailée asiatique. Mais les félins d’Afrique le boudèrent et les crocodiles de mer australiens crièrent au plagiat. L’année précédente, un bouquin écrit par un de leurs congénères racontait à quelques détails animaliers et environnementaux près la même histoire de disparition.

 

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Les livres qui piquent aux yeux

Cet éditeur avait lancé une collection de livres qui piquent (aux yeux) mais aussi, pour compenser les effets de la première, une collection de livres-collyre. Après la faillite de sa maison d’édition, l’homme fit les yeux doux à l’industrie ophtalmologique.

 

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Les livres minces

Les livres de cet auteur étaient minces, ses chapitres de l’épaisseur d’une tête d’épingle, et ses phrases microscopiques. Si bien qu’on les perdait presque toujours avant de les lire.

 

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Galop Décès de John Ellyton

Trois belles dans la peau

Une fille inconnue qui vous tombe dans les bras sur le seuil de votre logement avec la promesse d’une fortune à saisir, quoi espérer de mieux pour un homme en noir retiré du monde. Sauf que la jeune femme est en sang, mal en point et que l’argent, lui, ne vous tombera pas du ciel dans l’immédiat…

Voilà le départ du polar sensuel, très bien écrit, dans un langage fleuri, truffé de mots d’argot savoureux, et mené à vive allure de John Ellyton qu’on connaît comme éditeur, ce qui ne fut d’ailleurs pas, l’apprend-on, son seul métier (« il a tâté de la marine marchande »), et le côté bourlingueur se sent dans ce récit. Il a le sens du voyage, des rencontres, souvent musclées voire plombées, François Nedonema, le narrateur du roman, même si, suprême ironie, il a le mal de mer.

Je vous passe les péripéties politico-maffieuses mais le narrateur, après son interpellation par la police du royaume, se rend en Sardaigne pour la partie solaire du roman, tant au niveau climatique que purement relationnel. D’ailleurs, n’est-ce pas, toutes proportions gardées, le voyage d’Italie des peintres du Nord auquel on assiste ici avec cet enquêteur improvisé qui vient rechercher des forces vives et quelques couleurs dans le Sud? Là, il  rencontre Genna, la troisième femme du roman (car Nedonema a laissé en Belgique Germaine, sa vieille complice en affaires et en amours), une policière chargée de l’accompagner sur place. Je n’avais pas lu de description aussi sensuelle d’un coït, aux pages 46 et 47, que celle que nous donne l’auteur. Où on se dit que les écrivains qui font l’impasse sur ce genre de scènes ont intérêt à lire Ellyton.

Toujours sur l’île italienne, en fin de séjour, le roman nous gratine d’une poursuite à la James Bond qu’on imagine aisément sur grand écran.

La dernière partie est plus sombre, à plus d’un titre, puisque Nedonema, qui a bravé la pire famille sarde, de retour en Belgique, va choper les instigateurs du meurtre originel au sein de l’hôtel de ville de Charleroi – bien avant que Paul Magnette (mais cela fera peut-être l’objet d’une autre histoire) ne vienne l’investir de sa présence. Il y a du Don Quichotte chez Nedonema qui va rétablir la justice là où elle est en défaut pour autant qu’on ne touche pas à sa liberté.

La fin, en une belle boucle, nous renvoie aux heures ayant précédé l’irruption tragique de l’Italienne. A travers les aventures d’un anar plus de première jeunesse qui prend une belle revanche sur la vie, on assiste à la naissance d’un écrivain au style plein d’allant.

E.A.

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Pour commander: http://cactusinebranlableeditions.e-monsite.com/pages/catalogue/galop-deces-john-f-ellyton.html

Trois poèmes courts

amours

j’ai pour seules amours

un cancrelas

et deux mouches tsé-tsé

 

pour les frissons

je baise parfois

avec une belle araignée 


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tournage

voir la terre

 

tourner la plage

sur l’axe de la côte

– entre cou et larges hanches –

 

voir ta tête

 

rouler sur le sable

vers la boule de la mer

– bleue comme ton bikini orange –

 

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cinéma

je vis je marche je parle 

comme dans un film

mes amis mes collègues

sont des acteurs que je connais

la femme que j’aime

est l’héroïne principale

son amant, un comédien de renom

quand je les vois ensemble

je cours leur demander un autographe

j’ai toujours aimé le cinéma.

  

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E.A.

Silvia Pérez Cruz

images?q=tbn:ANd9GcQ-1mDaZRO6oeJMyJvyLULcchR9U_TmAeEd5J1bp137VYLYRp8hdSWmpgSylvia Perez Cruz est une chanteuse catalane qui a sorti son premier album en 2012, « 11 de novembre« , de « folk classieux » même si elle n’est pas une inconnue de l’autre côté des Pyrennées. 

« La moitié des chansons ont été influencées pas la mort de mon père. C’est ce qui donne l’unité au disque, et le disque m’a servi à faire le deuil. »

« J’écoute très peu de musique parce que j’en fais beaucoup. J’aime la musique, pas les styles musicaux. Mais en 2009 ou 2010, j’ai beaucoup écouté un seul disque, Five leaves left de Nick Drake. C’était comme une route à suivre. » SPC

 

Silvia Pérez Cruz sera en concert, jeudi 7 février 2013, sur la scène de l’Alhambra à Paris dans le cadre du festival Au fil des voix.

 

Pas si bêtes

images?q=tbn:ANd9GcThg_y7eWRrHW8xmSnukiA3FgzNZQRd2z25OlmMNOH_SG_Xbm2wfqEAOYYpar Denis Billamboz

Né au pays de Louis Pergaud, j’ai peut-être une sensibilité particulière pour les bestiaires et je trouve que la littérature en produit bien peu actuellement, aussi, je suis très heureux de pouvoir vous présenter, aujourd’hui, deux textes que j’ai lus ces dernières années : le livre de Chamoiseau, « Les neuf conscience du Malfini » qui a connu un succès suffisant pour que de nombreux lecteurs le connaissent, et un autre, beaucoup moins connu, écrit par un écrivain résidant à Moscou mais originaire d’Abkhazie, une de ces petites républiques caucasiennes qui font actuellement tellement parler d’elles. Deux textes qui se glissent dans la peau de nos amis les bêtes pour nous faire comprendre que nous n’avons pas souvent raison et que nous nous comportons souvent bien mal.

images?q=tbn:ANd9GcQiCSdcIrHUTsk-YpVIQuNtcDAqK9k-hWL-LIrKHA5n_j99ZmvsVdhyqwLes lapins et les boasimages?q=tbn:ANd9GcQTEQCNh0jknraYsJZgR4uDBNnWY_O_ndCXMHMU0IFm0TYA4eMD1j9lkw

Fazil Iskander (1929 – ….)

Renart fut peut-être le premier animal à dénoncer la perversité des tenants du pouvoir, du moins dans la littérature française, mais depuis il a eu de nombreux successeurs, en France et sous d’autres cieux. Et, dans une des petites républiques caucasiennes, si agitées actuellement, Fazil Iskander a inventé, dans un hypothétique pays africain, un royaume où les lapins et les boas cohabitent selon une bien étrange règle tacite. Les boas mangent les lapins après les avoir hypnotisés et les lapins se multiplient le plus vite possible pour perpétuer leur espèce au détriment des indigènes dont ils pillent les jardins.

Mais ce bel équilibre est chamboulé quand un lapin plus malin que les autres constate que « votre hypnose, c’est notre peur. Notre peur, c’est notre hypnose », donc, sans peur, il n’y a plus d’hypnose et les boas ne peuvent plus manger les lapins. Le lapin intelligent a grippé la belle machine et détruit le fragile équilibre qui présidait au pays des boas et des lapins.

Iskander a ainsi, lui aussi, utilisé le bestiaire pour critiquer, à visage masqué, le système politique qui gouvernait à cette époque, l’Union des républiques socialistes et soviétiques. En mettant en scène les systèmes sociaux des boas et des lapins, il a stigmatisé toutes les tares que l’on attribue habituellement à ce régime : la terreur, la délation, la flatterie, l’appât du gain, l’usage éhonté du pouvoir, la cupidité, la manipulation, etc… Mais cette satyre déborde largement le système soviétique et peut s’appliquer à la rigueur un peu aveugle de nos républiques démocratiques et même aux méthodes managériales de bien des entreprises ou autres organismes contemporains.

Toutefois, ce texte n’est pas seulement un pamphlet politique, il est, avant tout, comme c’est indiqué en sous-titre : «  un conte philosophique » qui soulève la question du pouvoir et de son exercice dans une organisation sociale quelconque. Et, il veut, surtout, débattre de la vérité et de son usage, « nous avons besoin d’un repère aussi dur que le diamant et la vérité est là ». Cependant, la vérité n’est pas toujours bonne à dire car il faut maintenir une certaine angoisse pour que les populations conservent une saine inquiétude et un bon instinct de conservation collectif. « Telle est la vie, telle est la loi du renouvellement de l’angoisse. La loi de l’autoconservation de la vie. » Si, la vérité est nécessaire, « il y a peut-être quelque chose de supérieur à la certitude, c’est l’espoir ». Et, cet espoir, il n’est pas évident qu’Iskander l’avait encore en écrivant ce livre à l’humour grinçant et au pessimisme fataliste. Les lapins, pas plus que les boas, ne sortirent de leur médiocrité et les hommes n’oublièrent, pas plus, leurs travers et leur appétit du gain et du pouvoir.

L’humanité risque de mériter encore longtemps les régimes politiques pervers qu’elle génère elle-même par sa faiblesse et son manque de courage et de volonté.

images?q=tbn:ANd9GcQ6XBjAlgapN_TvZxrHqVhiV-ZKPz_ERI6s6g8ePRgwhT4r4sFAGpISAzELes neuf consciences du Malfiniimages?q=tbn:ANd9GcTecbCi0LrBBdr1_WUuSWlWjNE8eD3nIN9xgQKJd2aTWmyuYkdEzbRVZg

Patrick Chamoiseau (1953 – ….)

Le Malfini, un grand rapace sanguinaire qui règne dans les airs du vallon de Rabuchon – à la Martinique -, s’abat un jour dans le jardin de Chamoiseau et lui raconte une drôle d’histoire. Il lui narre sa rencontre avec l’insignifiant, l’invisible, l’étincelant, le vibrionnant, le colibri qui lui fait découvrir la délicatesse, le raffinement et prendre conscience de son comportement sommaire et brutal. Ainsi, Il apprécie l’art de vivre pour vivre en délaissant l’intérêt immédiat, la fantaisie, l’enthousiasme, l’absence d’a priori, la vie vidée de ses contraintes, l’importance des choses apparemment insignifiantes, ce que l’on ne sait pas voir. « Comme nous ne cherchions rien, nous découvrions tout. »

Deux colibris frères mais très différents rivalisent dans le vallon : l’un, Colibri parfait, ordonné, organisé, respectueux des règles, l’autre Foufou imprévisible, fantasque, fantaisiste, irrespectueux  de l’ordre établi, improvisateur, explorateur, expérimentateur découvreur…, Finalement Colibri expulse Foufou que le Malfini observe avec intérêt dans ses frasques qui s’avèrent être des expériences fondamentales sur le fonctionnement de l’écosystème et de la chaîne alimentaire. Des observations qui permettront à Foufou de sauver le vallon du désastre écologique. « La proximité rend plus menaçante la différence … »

Ce roman animalier pourrait, au premier abord, évoquer « Nuée d’oiseaux bruns » de Ge Fei mais la lecture révèle vite une fable plus proche de « Les lapins et les boas » de Fazil Iskander. On y trouve de la même façon les thèmes de la différence, de la force brutale, de la ségrégation. Chamoiseau introduit cependant une dimension sociale plus politique, plus philosophique : tout ce qu’on apprend au contact des autres sans vanité, seulement pour le plaisir, seulement pour le plaisir d’élargir l’horizon de ses expériences, seulement pour explorer l’espace que les marginaux investissent pour découvrir de nouveaux horizons. L’apologie d’une société pacifique, désintéressée, respectueuse des plus faibles et de son environnement.

Mais cette lecture prend, in fine, la forme d’un manifeste écologique : l’observation de la faune et de la flore, la destruction de la nature par les « Nocifs » (les hommes), une alerte écologique, une catastrophe évitée par la seule ingéniosité de Foufou.

Ce livre, c’est aussi une écriture très personnelle, un style qui frôle la grandiloquence sans jamais y sombrer mais un texte qui s’achève pourtant dans un certain obscurantisme qui ne facilite pas la lecture du manifeste écologique que l’auteur souhaite adresser à ses lecteurs. Nous retiendrons cependant cette citation parfaitement claire en forme de conclusion : « Rien n’est vrai, juste ou bon, tout est vivant » car le vivant n’est jamais parfait, il est destructeur par essence. Alors : « Que vivent les croyances ! Que fleurissent les histoires ! Que reviennent les légendes ! Qu’elles aillent au gré de leur propre légèreté et nous laissent la beauté. »

 

Les dangers de l’édition

images?q=tbn:ANd9GcSfbUZiR-Dw1ng3jIou7uH1gejFXBxlV8v5fdwV7S902YJ6dV8o7T6xIhNrCet éditeur se baignait une fois par semaine dans le sang de ses auteurs. Après les avoir publiés, il leur prenait un peu de leur raisiné. C’était une clause à peine lisible du contrat écrite en fines lettres d’hémoglobine. Mais les jeunes écrivains se refont vite un sang d’encre. D’autre part ils devaient bien se douter qu’en publiant aux éditions Vampire, ils allaient y laisser quelques plumes.