par Denis BILLAMBOZ
Le Malawien Steve Chimombo dit qu’il a apporté sa contribution à la lutte contre le SIDA en publiant le petit recueil que je présente ci-dessous, je voudrais, moi aussi, à ma très modeste mesure, attirer l’attention des lecteurs sur le drame que vit actuellement l’Afrique de l’Ouest, en publiant les commentaires que j’ai rédigés sur ce livre et sur celui de Petina Gappah, une jeune Zimbabwéenne, qui a elle aussi évoqué ce fléau dans un recueil de récits qui recensent toutes les calamités qui affligent actuellement son pays. Toute une région d’une grande richesse et d’une grande beauté qui sombre actuellement dans un marasme épouvantable.
Les racines déchirées
Petina Gappah (1971 – ….)
Si l’Egypte a connu ses sept plaies calamiteuses, le Zimbabwe en connait actuellement au moins treize comme le nombre d’histoires que renferme ce recueil qui n’ose pas dire qu’il contient des nouvelles mais plutôt des débris de l’histoire de ce pays qui a complètement explosé sous l’impact d’une crise économique monumentale et d’une maladie qui n’ose pas dire son nom, « la grande maladie au petit nom ».
Dans ce recueil Petina Gappah fait une sorte d’inventaire des calamités qui accablent ce pays depuis qu’il a troqué le nom de Rhodésie contre celui de Zimbabwe, depuis que les idéalistes qui conduisaient la révolution ont oublié toutes leurs belles théories pour instaurer un pouvoir dictatorial absolu et cessé de considérer les femmes comme des égales pour les utiliser seulement pour leurs besoins sexuels et ménagers. « Mon mari trouvait que c’était du gaspillage de pénis d’être fidèle à une seule femme. »
Le catalogue des misères zimbabwéennes commencent avec une décolonisation ratée qui donne le pouvoir à ces révolutionnaires qui ont perdu leur idéal mais qui ont découvert une nouvelle vénalité dans les avantages que l’argent facile leur procure. Les colons sont partis, les fermiers ont été chassés, pour la plupart, mais les nouveaux paysans n’ont ni outils ni semence pour faire prospérer leurs exploitations.
La corruption, la concussion, le trafic d’influence, le népotisme et le favoritisme et d’autres malversations encore sont devenus le mode habituel de fonctionnement du pays. L’économie est parti à vau-l’eau, l’inflation galope comme elle n’a jamais galopé ailleurs, atteignant des gouffres abyssaux et laissant le pays exsangue, incapable de nourrir, loger et soigner ses habitants. La seule solution réside dans l’exil pour trouver une misère moins pénible sous d’autres cieux moins cléments et parfois même revenir avec le rouge de l’échec au front. Le pays se vend par morceaux aux plus offrants, notamment aux Chinois qui sont très présents et très attentifs devant cette déconfiture.
Mais le grand fléau est avant tout la fameuse maladie qui ne peut pas être évoquée. « Il n’existe qu’une maladie qui pousse à la fois ceux qui ont de belles voitures et ceux qui n’ont pas de voitures du tout à s’adresser au prophète. C’est la grande maladie au nom bref, la maladie dont personne ne meurt, la maladie dont le vrai nom n’est jamais prononcé, la maladie qui manifeste sa présence par la rougeur rosée des lèvres, l’aspect luisant des cheveux, le blanc des yeux plus blanc que la nature l’a voulu. »
Petina Gappah, dans une langue vive, acérée, parfois truculente, non sans ironie et dérision, pointe de la plume ceux qui ont conduit le pays à la faillite et ses habitants dans la tombe, sans trembler, ni faillir. Son doigt se fait encore plus accusateur que celui de Nozipo Maraire qui dénonçait déjà cette situation dramatique mais, hélas, elles vivent toutes les deux à l’étranger comme la quasi totalité des élites zimbabwéennes qui ne peuvent plus vivre dans leur pays pour essayer de le sauver.
L’ombre de la hyène
Steve Chimombob (1945 – ….)
Sigele est appelé par sa belle-sœur à l’hôpital au chevet de son frère à la mode locale, il remarque les plaies aux poignets et aux chevilles de la jeune femme ; son frère décédant rapidement, il organise les funérailles mais s’esquive prestement pour ne pas être obligé, comme lui demande les anciens de la famille, d’accomplir le « kusudzula », le nettoyage rituel de la femme du défunt. Ce rite ancestral consiste en l’accouplement de la veuve avec un membre de la famille ou un professionnel payé spécialement pour effectuer cette mission. Un geste qui permet de rompre le lien de fidélité qui lie la veuve à son ancien mari et ainsi de lui laisser espérer un remariage. Son frère aîné remplace donc Sigele qui, ayant repéré les symptômes de la maladie, n’a pas voulu prendre le risque de la contamination le laissant, avec la mission, à son frère désigné à sa place pour perpétuer la tradition ancestrale. « D’un côté la hyène est purificatrice… la hyène est associée à l’homme qui performe le rite sexuel au nom de la tradition. Mais, dans le conte malawien, la hyène est toujours présentée comme victime de la tricherie. »
Les trois nouvelles – traduites par Kangmi Alem – qui constituent ce petit recueil, pourraient former les trois chapitres d’un court roman dans lequel l’auteur explore le destin d’une famille aux prises avec la pandémie du SIDA qui frappe violemment l’Afrique du Sud-ouest notamment. « Les écrivains répondent à la pandémie du sida en l’utilisant comme une source d’inspiration dans leurs poèmes, romans et pièces de théâtre». Steve Chimombo précise clairement : « l’ombre de la hyène est ma propre contribution à cette campagne massive d’éducation du public sur la pandémie ».
« Ce recueil est une étude de cas concrète sur ce qui se passe dans la réalité, » un véritable plaidoyer contre les traditions ancestrales qui survivent encore dans les rites sexuels comme le nettoyage rituel des veuves. Avant de décéder, un mari atteint du sida, contamine sa femme qui transmet la maladie à celui qui la « nettoie » et qui, à son tour transmet le virus à son épouse et à ses autres conquêtes. Un drame foudroyant qui contribue grandement à l’explosion de ce fléau dans cette partie de l’Afrique. Les pouvoirs publics, relayés par les intellectuels, font pression sur les anciens pour qu’ils transforment cette tradition mortifère en un rituel plus symbolique.
« La mort ne devrait pas être la seule finalité de l’expérience humaine… »