par Denis BILLAMBOZ
Pour avoir une petite idée de la vie à Jérusalem aujourd’hui et dans les années récentes, il faut jeter au moins deux regards sur la ville : celui des fils d’Ismaël et celui des fils d’Israël et pour parvenir à cette fin, nous observerons donc la ville avec les yeux de Mahmoud Shukair un Palestinien qui a dû quitter Jérusalem pour rejoindre le Liban et celui de Chouchona Boukhobza, une Tunisienne qui, comme presque l’ensemble de sa communauté, a abandonné sa terre natale pour rejoindre la France et Israël. Deux regards qui nous montrent que, si la cohabitation entre les deux communautés n’est pas encore un fait acquis, elle pourrait cependant être aisée si les hommes avaient un peu de bonne volonté, tant les points de rencontre entre les deux cultures sont nombreux. Mais, hélas, les hommes qui ont intérêt à séparer les communautés ont beaucoup plus de pouvoir que ceux qui voudraient vivre en paix et en harmonie.
Ma cousine Condoleezza et autres nouvelles
Mahmoud Shukair (1941 – ….)
Ils sont venus, ils sont (presque) tous là : Ronaldo, Koffi Annan, Shakira, Brigitte Bardot, Naomi Campbell, Donald Rumsfed, …, il y a même Condoleezza Rice, la méchante américaine, dans ce recueil de nouvelles construit avec des textes déjà publiés dans d’autres ouvrages. Un recueil en deux parties, la première comportant des textes mettant en scène des personnalités célèbres qui font rêver les Palestiniens ou dont ils craignent les décisions, et la seconde faite de textes courts, poétiques, qui évoquent les difficultés des femmes et des hommes à vivre en harmonie sentimentale et charnelle.
Ils sont venus nourrir les fantasmes de ce peuple qui croit toujours au mythe du retour au pays, de la libération des terres confisquées par Israël, confiné dans un pays qui n’en est pas tout à fait un tant ses libertés sont restreintes. Ils sont venus alimenter l’imaginaire de tout un peuple qui n’a que des chefs de guerres et des chefs religieux pour construire des mythes et des idoles. Ils sont venus pour convaincre les Palestiniens que, derrière leurs frontières, il y a la liberté, la paix, la joie, l’insouciance des jeux et des chansons. Et ils croient fermement que les idoles de la télévision sont aussi leurs idoles et qu’elles viendront bientôt leur apporter les frivolités occidentales auxquelles ils aspirent eux aussi. « Tu peux t’inventer toutes les réalités que tu veux et convaincre des foules entières de leur existence, alors qu’elles sont impalpables et qu’aucune preuve matérielle ne peut en attester ».
Ces textes sont comme des lambeaux résiduels des grands textes de l’Orient médiéval dont la douce sensualité fait toujours rêver les femmes et les hommes de toute la planète. Une façon de rappeler au monde que les Palestiniens ne sont pas forcément les sauvages terroristes que l’on voit habituellement à la télé mais qu’ils sont aussi des êtres doux, pleins de candeur, capables d’inventer les pires subterfuges pour échapper à leur triste sort, incroyablement persévérants pour trouver un moyen de quitter la terre qui leur a été assignée, la terre qui n’est pas la leur, même par l’esprit et par le rêve. Mais aussi une façon pleine d’humour, d’ironie et de dérision de dénoncer les persécutions israéliennes et la passivité de la planète.
Et pendant ce temps, « le vent se déchaîne. La terre est à nu. Les êtres se sont barricadés derrière leurs portes, laissant la terre seule, dehors, nue comme une femme, attendant la pluie. »
Le troisième jour
Chouchona Boukhobza (1959 – ….)
Deux violoncellistes, Elisheva, le professeur, rescapée des camps de la mort, et Rachel, l’élève qui a quitté sa famille pour devenir concertiste internationale à la fameuse Juilliard School de New-York, viennent passer trois jours à Jérusalem pour y donner un concert unique mais aussi, pour Rachel, visiter sa famille abandonnée dans la douleur, et, pour Elisheva, solder un vieux compte ouvert avec son tortionnaire au camp de Majdanec pendant l’horrible guerre. Mais le chamsin, vent brûlant et sec d’Israël, souffle quelques grains de sable pernicieux dans le plan patiemment ourdi par Elisheva et dans les retrouvailles de Rachel avec sa famille, ses amis et surtout son ancien amoureux qui ne l’a pas oubliée.
Un séjour en trois cantiques, deux histoires bien différentes et pourtant deux destinée bibliques qui se rejoignent dans un final christique, un portrait sans concession de la vie en Israël avec le poids de la tradition, de l’histoire, des croyances aveugles et de la crainte sans cesse renouvelée qui pèse toujours sur l’existence même du peuple juif.
Verbeux comme presque tous les écrits juifs, exubérant comme un récit séfarade, ce texte au langage, hélas, un peu banal, contenant des passages trop convenus, trop usités, mais aussi quelques belles pages est un regard acéré sur la religion, les origines, la tradition, la raison d’être et le devenir d’un état juif et aussi une interrogation sur la cohabitation entre les diverses communautés peuplant le Moyen-Orient. Mais il comporte trop d’invraisemblances, dans un contexte déjà très chargé par les événements ambiants et historiques, pour que l’émotion ne s’effrite pas, le souffle épique qui devrait porter ce récit sur ses ailes s’époumone avant la fin de ces deux aventures.
Les héros exultent, défaillent, explosent, se lamentent, pleurent, ont des égos débordants … ça grouille de vie comme dans un film réaliste italien. Ca aurait pu être une grande épopée tragique de plus dans l’histoire du peuple juif, une aventure puisant sa source aux origines des temps bibliques mais ce n’est finalement qu’un élan pathétique, un peu grandiloquent, destiné à émouvoir un large public et à satisfaire les jurys des concours littéraires. Trop de complaisances concédées au marché peuvent nuire à la qualité de l’œuvre. Il en reste cependant quelques belles envolées sur des airs de Bach et une question obsédante : c’est quoi la justice ? La justice immanente ? La justice de Dieu ? La justice des hommes ? La Loi du Talion ?… L’humanité mérite-t-elle le sacrifice christique ?