AGNÈS HENRARD est RAVIE

P.Leuckx.jpgpar Philippe LEUCKX

Pour accompagner les toiles économes de Juliette Rousseff, sobres comme des peintures intimistes de Morandi, toutes dans les beige, ocre, rouge adouci, vert bronze, lie-de-vin, Agnès Henrard, que de rares livres ont fait connaître pour ses beaux textes d’intimité fiévreuse, sait, elle aussi, donner dans le bref blason ou le quatrain léger pour atteindre à une simplicité souveraine. Comme dans « L’aile du loup, le lait de l’ange » ou « Au plus nu de nos danses », la poétesse invite à la contemplation des flux, à la divination des foudres, à suivre la « voix aimée ».

Et donc, le titre « RAVIE » est à lire au double sens de l’enjeu esthétique et de la joie inouïe du ravissement.

a_henrard.jpgAdorant jouer de l’allitération et des harmonies musicales qu’elle génère, l’auteur envoûte à son tour et convie au partage des sonorités :

« Derrière le voile/ Visage ébloui »

ou

« Délivre l’ample langue

De l’ange »

De quoi « l’âme est ravie »?

De l’intériorité retrouvée?

« Celle dont l’âme est vraie », juste anagramme, « reconnaît /les voix levées », « accueille/ Ce qui t’ensemence », « a touché ce matin/ Le bord intime/ De l’infini ».

Une extrême élégance tisse tous ces poèmes, accompagne « les chants longs/ Des plus anciennes/ Communions ».

Une extrême sensualité borde les trames, les tissus, les voiles, dévoile les coeurs, dénoue les corps.

L’eau des fontaines, le ciel délivré, la main traversent ces désirs et la vie est comme « effleurée »

Une beauté qui ne s’altère consent à se livrer :

« Où trouver le passage

De la matière

Inachevée

Vers la plus fine

Transparence? »

On se laisse gagner par cette voix, à la fois douce, sereine, déliée, prompte à saisir le ténu dans le filet des voix.

C’est très beau.

Comme un visage.

D’abandon.

De beauté.

Agnès Henrard et Juliette Rousseff, RAVIE, L’Arbre à paroles, 2013, 52p., 10 €.

Agnès HENRARD sur le site de la MAISON DE LA POÉSIE d’AMAY pour un précédent recueil:

http://maisondelapoesie.com/index.php?page=dans-la-beaute-je-marcherai—agnes-henrard

SAMEDI + ÉVASION: deux textes de Denis BILLAMBOZ

Samedi

 

 

Mon jour le plus long

Que tu me sembles court

 

Jour sans réveil

Jour de sommeil

 

Mais quand la nuit

Etouffe le bruit

 

Je chausse mes anneaux

Les plus beaux

 

Pour le sabbat

Incarnat

 

Pour séduire

Le plomb de Saturne

 

Et l’offrir à Bacchus

Dieu de mes abus

 

Maître des orgies

De la nuit du samedi

 

 

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Evasion

 

Lumière économisée

Murs dépouillés

Fauteuils cramoisis

Ambiance adoucie

 

                Femmes ennuyées

                Messieurs déplumés

       Yeux vitreux

                Séminaire oiseux

               

Dehors ciel bleu

Terrasse pour deux

Bière blonde

Filles girondes

 

                La porte claque

                Je prends mes cliques

                Je quitte la rade

                Je m’évade

 

L’air est pur

La route est large

Jolie blonde

Rejoint mon monde


Vingt-et-une bonnes raisons de demander l’euthanasie pour Noël

Un ami m’a quitté sur Facebook et je ne sais pas lequel.

 

Il n’y a plus de saison et Luc Trullemans ne présage de rien de bon dans le climat politique actuel.

 

Même dans les bus de la TEC, il y a maintenant des SDF qui mendient le prix de la course.

 

Je n’ai plus d’eau de toilette Fabergé et je ne suis pas certain de sentir naturellement assez bon pour m’en passer pendant les fêtes.

 

 

Il n’y a plus de place pour le Conseil Communal de fin d’année et je n’imagine pas attendre 2014 pour voir Paul Magnette en spectacle.

 

 

Mon dernier grand-père est mort il y a plus de vingt ans. Quant à l’autre, il n’a même pas eu la politesse d’attendre que j’arrive pour se faire la malle.


Ma copine ne m’adresse plus que 65 sms par jour  au lieu de 150 en début d’année. (Calculer la perte d’intérêt en pourcentage sur l’année écoulée.)

 

Mes enfants ne veulent pas que je télécharge le nouvel album (surtout légalement) de Céline Dion.

 

Je n’ai pas encore écouté tous les albums de Pink Floyd ; pour tout dire, je n’en ai pas encore écouté un seul.


 

Personne n’a encore lu mon dernier roman paru, même pas mon éditeur.


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Lou Reed ne m’a jamais adressé aucun tweet, Michel Delpech non plus, mais pour ce dernier, je ne désespère pas d’en recevoir encore un avant Noël.

 


Mes élèves ne m’écoutent pas, même quand je leur enregistre des cours tout faits pour leur Ipod.


Il manque une étoile de mer à mon tableau de stars du grand étang.

 

 

Je ne suis pas aimé de toutes les poules de ma basse-cour. Une d’elles me cache ses yeux…



Je cherche en vain un pianiste pour interpréter le Concerto pour piano n°1 de Chopin avec moi cependant que je tourne les pages de sa partition.

 

 

Les cours particuliers d’araméen sont à des prix inabordables : certains profs d’araméen sont de vraies putes. 


Je ne pourrai jamais être cent pour cent végétalien, j’aime trop les œufs d’autruche.

 

 

Le Petit Jésus ne me dit plus rien, Marie-Madeleine est une pleureuse comme les autres et la Vierge Marie ne me fait plus autant bander qu’avant.


Mes anciens condisciples d’école primaire ne me reconnaissent plus quand je les croise dans la rue (il faut dire que je peine aussi à les remettre).

 

Même le serial killer du quartier ne veut pas de moi comme prochaine victime.

 

Ma copine ne m’a adressé que 21 sms depuis ce matin mais, d’autre part, il n’est pas encore midi…

E.A.

LES ÉLASTIQUES

220px-Rubber_bands_-_Colors_-_Studio_photo_2011.jpgÀ partir du jour où cet homme entra en possession d’une boîte d’élastiques, son existence changea. Il encercla de latex tout ce qui constituait son environnement : stylo, souris, iPhone, iPad, imprimante, verre, canette, tasse, toast, tête, casserole, frigo, table, lit, femme, enfants et animaux de compagnie. Ses voisins furent moyennement surpris de constater son véhicule entouré d’une bande élastique colorée et pensèrent d’abord à un ornement de fantaisie, d’autant que l’homme leur avait toujours paru un rien étrange. Quand ils observèrent les membres de sa famille affublés d’élastiques aux mains, aux jambes et à la taille, ils se dirent que l’affaire prenait un vilain tour et qu’il était peut-être temps de réagir… Mais ils n’eurent pas tôt fait de penser cela que leur habitation, tout le quartier et bientôt la ville, le pays, la planète furent enceints d’élastiques très souples et résistants. L’homme, comme on pouvait s’y attendre, usa comme d’une catapulte d’un élastique puissant pour quitter l’orbite de la terre et s’échapper de la galaxie.    

LES DÉSIRS DE L’ESQUIMAUDE de Denys-Louis COLAUX (Atelier de l’Agneau, 2013)

Les désirs de l'esquimaude - Denys-Louis Colaux - Babelio


CHAIR-POEMES

On néglige trop les vertus érotiques des climats polaires ou de la saison hivernale, quand les corps corsetés, enlainés, sont soudain pris d’un besoin de se libérer de leur fatras de vêtements pour se livrer au frimas, à la neige, au risque de la pneumonie, de l’embolie poétique.

Il y a de cette folie, de cette déraison en prise directe avec une aspiration à se détacher des contraintes, stylistiques ici, dans Les Désirs de l’Esquimaude qui donne par ailleurs, à chaque poème, si ce n’est à chaque vers, le sentiment de réinventer la langue, et la femme. Non seulement une poésie claire et riche, sans afféterie mais non sans nuances, mais surtout une poésie qui inclurait toute son histoire dans le temps même où elle s’écrit. Une poésie qui ne craint pas de faire résonner les mots comme, entre autres, opale et épaule, canopée et copeaux, asphodèle et foulque, phlox et fauvette… Mots rares et beaux qui renvoient à de non moins délectables réalités. Allez voir la plaque frontale blanche de la foulque ou les fleurs délicates du phlox !

Une poésie qui lie amour et lecture, peau et page, qui se veut le mariage du gel avec le charbon.

Une poésie qui puise dans le lyrisme la matière concise de son verbe car le lyrisme est coupant comme le gel, vite il enflamme la langue.

On peut lire de nombreuses formules troublantes dictées par la chair et l’âme féminines dont voici un échantillon, un raccourci forcément arbitraire: le temple des hanches … l’aisselle en nage de Joyce Mansour … le délicat danger de ton  visage … le linge mouillé de son âme … le sirop de sa salive … les dunes lisses / de ses fesses… les ailes de tes yeux… le réchaud de ton ventre… la nuit ardente de ta chair / sur la forêt de mon poème…

Où on comprend que le poète – et son lecteur ? – n’a au fond besoin de rien d’autre que le corps nu sacré et musical / d’une femme pour établir toutes ses liaisons au monde.

Sont convoquées à cette fête des sens les figures de peintres et de musicien(ne)s, comme si l’Amoureux des Arts ne pouvait les laisser en dehors de la célébration: Modigliani, Dufy… mais aussi l’archet merveilleux de Jacqueline Dupré (sublime fée furtive/ bel orage de lait / et de mélancolie) ou Lhasa de Sela, trop tôt disparue, à la voix de laquelle est consacré toute une section du livre.

Les oeuvres, fameuses, d’Alain Adam, qui font face et écho à la poésie de Colaux, sont, dirais-je, d’un expressionnisme discret, comme si les femmes, mesurées dans leurs expressions, et impudiques dans leurs positions, retenaient leurs désirs aux élastiques des vers.

Dans la préface, le terme de truculence est avancé à propos de l’auteur. Le mot générosité, même s’il est plus banal, vient aussi à l’esprit concernant Denys-Louis Colaux qui ne fait pas rétention de mots et d’enthousiasme pour parler des  artistes qu’il découvre et fait connaître sur ses différents blogs, où il démontre une activité rare pour un écrivain de sa réputation. D’habitude, les écrivains de cet ordre sont plus économes de leur production journalière, comme ces trop bons élèves qui cachent d’une main leur feuille jusqu’à la remise des copies…

Mais c’est comme si, pour Louys-Denis Colaux, les livres papier ne pouvaient contenir toute sa verve, son besoin de rendre compte de toutes les créations qu’il admire dans des domaines artistiques divers et qu’il se devait d’employer tous les moyens de diffusion mis à sa disposition.

Ainsi, pour ce présent recueil, qui est sa Centaine d’amour, on compte plusieurs sections, qui sont à elles seules des mini-recueils, agencées en une dramaturgie, en un opéra, comme c’est écrit en préambule. Justement, pour entrer dans ce livre fourmillant, on prendra soin de lire (avant, pendant ou après) la préface dense, signée Otto Ganz, bien à l’image du livre dont elle ouvre la voix…

Éric Allard

 

Sur le site de l’éditeur:

http://www.atelierdelagneau.com/spip.php?article176

D’autres avis sur ce livre…

http://denyslouiscolaux2.skynetblogs.be/archive/2013/11/01/des-avis-sur-l-esquimaude-7973360.html

images?q=tbn:ANd9GcR5hl9cOf9Grja0wdBRdRpUb34t770e6ANQmnW77flKoJa2BKB3Les blogs de Denys-Louis COLAUX:

http://denyslouiscolaux.skynetblogs.be/

http://denyslouiscolaux2.skynetblogs.be/

http://denys-louiscolaux3.skynetblogs.be/

BRONTË DIVINES: la centième chronique de Denis BILLAMBOZ

billamboz.jpegpar Denis BILLAMBOZ

Pour ma centième contribution à ce blog, j’ai voulu me faire un petit plaisir qui j’espère vous touchera aussi, pour cette circonstance, je présenterai donc trois œuvres majeures des sœurs Brontë, une pour chacune des membres de cette sororité que j’apprécie particulièrement, vous l’avez peut-être déjà remarqué. Je vous proposerai donc ma lecture de « Jane Eyre » de Charlotte, celle d’ « Agnes Grey » d’Anne et, comme j’ai lu « Les Hauts de Hurelevent » avant de me lancer dans les commentaires de lecture, je vous proposerai l’avis que le grand auteur hongrois, Miklos Szentkuthy, a formulé parmi les souvenirs qu’il évoque dans « La confession frivole ». J’espère ainsi vous faire partager mon admiration pour cette famille tellement talentueuse et si peu favorisée par le sort.

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Jane-Eyre.jpgJane Eyre

Charlotte Brontë (1816 – 1855)

J’avais le projet de lire les trois sœurs Brontë parce que cette sororité m’inspire une réelle curiosité, comment trois filles vivant dans un coin perdu de l’Angleterre du début du XIX° siècle ont-elles pu, presque simultanément, écrire chacune au moins une œuvre majeure de la littérature anglaise ? J’avais lu « Les Hauts de Hurlevent » il y a déjà plusieurs années, « Agnes Grey » l’an dernier, je devais donc relire « Jane Eyre » pour réunir les trois sœurs dans un souvenir suffisant pour les rapprocher et peut-être mieux les comprendre.

Tout bon lecteur connait l’histoire de Jane, petite fille pauvre recueillie par la famille de son riche oncle, suite au décès de ses parents, et persécutée par cette famille qui ne l’aime pas après la mort de l’oncle bienfaiteur. Placée dans un pensionnat, elle connait de nouvelles misères : privation, humiliation, punition, mais finit par se résigner et accepte ce sort pendant huit ans. Elle décide de changer de vie et trouve une place d’institutrice privée chez un riche maître qui a recueilli, lui aussi, une petite orpheline dont elle doit assurer l’instruction. Rochester, le maître, éprouve rapidement un penchant pour la jeune fille qui le repousse uniquement par respect de la morale car elle est aussi attirée par cet homme beaucoup plus âgé qu’elle qui la considère avec humanité et respect. Commence alors une grande histoire d’amour contrarié qui est le cœur du roman.

Mais ce texte est avant tout une grande œuvre romanesque qui démontre la grande maîtrise qu’on peut aussi apprécier chez ses sœurs, de Charlotte Brontë pour conduire une grande histoire située dans un contexte superbement décrit et habitée par des personnages dont on perçoit la vie jusqu’au fond de l’âme. Joseph Sheridan Le Fanu et William Wilkie Collins n’auraient, n’ont, certainement pas renié l’atmosphère, digne des grands romans noirs, que Charlotte compose pour installer son histoire. Les filles Brontë n’ont guère connu que la misère, elles savent s’en inspirer pour créer l’ambiance de leurs romans.

« Jane Eyre » est évidemment une grande histoire d’amour, d’amour passionné, d’amour contrarié, que rien ne peut arrêter sauf la morale. Jamais chez les Brontë, Charlotte et Anne au moins, on ne transige avec la morale. On ne provoque pas la loi des hommes et on plaisante encore moins avec la parole de Dieu. Ayant respecté ses conditions, l’amour est total, sans concession, à la vie à la mort, quelque soit le prix qu’il faille payer. Jane n’aura qu’un amour que rien ne saurait l’empêcher de rechercher.

Une histoire d’amour qui prend aussi la forme d’une leçon de morale, Jane aime avec passion et sans concession mais elle ne transgresse jamais la loi de Dieu ni celle des hommes. L’injustice la révolte même si elle se résigne et finit par l’accepter. Le bonheur sera donné à ceux qui le mériteront, ceux qui auront payé le prix nécessaire pour avoir droit à ce bonheur même si ce prix est parfois fort élevé. Jane est bien loin de Constance Chatterley, la transgression devra attendre encore un siècle pour que les amoureux s’en emparent dans la littérature.

Si Jane respecte toujours les règles de la morale malgré le prix qu’elle doit payer pour respecter ce choix, elle est aussi très éprise de liberté, elle ne veut dépendre que d’elle-même tant pour sa subsistance que pour ses choix. Son hypersensibilité, son orgueil, son féminisme avant l’heure, sont arguments qu’elle déploie sans cesse pour atteindre ses objectifs sans jamais avoir recours à l’appui ou à l’aide de quiconque. Un aspect que je n’attendais peut-être pas dans cette lecture mais Charlotte Brontë semble bien avoir été une féministe de la première heure. Ce texte est donc aussi un plaidoyer pour la liberté et l’indépendance des femmes.

Une histoire romanesque, un roman d’amour, une leçon de morale, un plaidoyer pour la condition des femmes mais aussi, en rassemblant tous ces thèmes, une belle peinture de l’Angleterre du début du XIX° siècle, de l’Angleterre terrienne dirigée par des nobliaux fossilisés sur leur domaine, habitant dans des châteaux mais plus souvent dans des manoirs pas toujours reluisants. Une belle image de cette nation religieuse et prude, aristocratique et morale, murée dans ses croyances et ses traditions, éparpillée dans ses landes et ses forêts, prisonnière de son histoire.

In fine, une grande page de littérature qui brasse tous les thèmes qui peuvent constituer une société dans son époque, faire vivre une grande histoire et inviter le lecteur à réfléchir sur les valeurs qui construisent notre monde et préparent au voyage dans l’autre auquel l’auteur croit fermement. Un texte qui étale au grand jour tout le talent d’écrivain de Charlotte, toute sa maîtrise du récit et toute sa capacité à entraîner le lecteur dans un monde que seuls ceux qui aiment les livres connaissent. Un texte marqué par la malédiction des Brontë comme « Agnes Grey » et « Les Hauts de Hurlevent ».

 

agnes-grey-roman-d-anne-bronte-1847_3641964-L.jpgAgnes Grey

Anne Brontë (1820 -1849)

J’ai une réelle empathie pour cette fille qui a dû souvent rêver d’une vie plus riche en émotions ; « … il faut prendre du plaisir tant qu’on est jeune… Et si les autres vous en empêchent, eh bien, on ne peut que les haïr », fait-elle dire à l’un de ses personnages. Condamnée à vivre recluse dans le presbytère de son père, comme ses héroïnes dans des châteaux perdus sur la lande déserte, elle laisse transpirer dans son texte la solitude et les frustrations qu’elle a supportées avec ses sœurs tout au long de sa courte existence.

Et dans ce texte, Agnès Grey connait une forme de solitude encore plus accablante quand elle décide de devenir gouvernante pour alléger les charges de sa famille après les mauvaises affaires réalisées par son père. Elle doit instruire et éduquer trois petits monstres qui s’évertuent à lui rendre la vie impossible avec la complicité passive d’une mère hautaine et d’un père méprisant. L’expérience tourne rapidement court, une nouvelle tentative est faite avec des enfants plus grands qui ne sont guère plus disciplinés et pas plus attentifs. Elle réussit cependant à conserver son poste suffisamment longtemps pour pénétrer le monde de la petite noblesse terrienne anglaise dont elle dresse un portrait peu flatteur.

Le tableau de la petite noblesse agraire de l’Angleterre de la première moitié du XIX° siècle qu’elle peint montre l’éducation, l’instruction et le  comportement de ces petits nobles qui ont conscience, jusqu’au plus profond de leur être, d’appartenir à une classe supérieure et dominante. Ils éprouvent un réel mépris à l’égard des gens du peuple qui travaillent pourtant pour leur compte. « Elles (les filles qu’elle était chargée d’éduquer) pensaient que, puisque ces paysans étaient pauvres et n’avaient reçu aucune éducation, ils étaient nécessairement stupides et bestiaux… »

Son texte reste cependant un peu trop manichéen : les bons pauvres sont toujours méprisés et maltraités par des mauvais riches, et moralisateurs : la passion ne dévore pas les amoureux  et les femmes sont souvent les victimes de maris, soupirants, galants et autres coureurs de jupons qui ne connaissent pas les vertus de la fidélité. La passion ne souffle jamais dans ce roman comme dans « Les hauts de Hurle-vent » ou dans « Jane Eyre », on y trouve plutôt une certaine forme d’acceptation voire de résignation. Les filles calculent mais jamais ne s’embrasent et parfois même désespèrent :  « … s’il m’était interdit de me consacrer à son bonheur, interdit à jamais de goûter aux joies de l’amour, de connaître la bénédiction d’un amour partagé, alors la vie ne saurait être qu’un fardeau… »

Anne écrit remarquablement, sa prose, pleine de délicatesse, est d’une grande de élégance et d’une grande justesse, ses portraits sont finement dessinés et très expressifs même si ses personnages n’ont pas la puissance de ceux qui peuplent les romans des deux autres sœurs. Elle n’a pas inventé le roman féminin anglais, elle se situe cependant en amont d’une lignée de nombreuses romancières qui ont cette façon typiquement britannique de raconter des histoires d’amour qui ne peuvent se dérouler que de ce côté-là du chanel.

 


hautsdehurlevent.jpgLes Hauts de Hurlevent

Emily Brontë (1818 – 1848)

Ce livre a été suffisamment loué mais je voudrais simplement ajouter l’opinion de Miklos Szentkuthy publiée dans « La confession frivole » éditée en 1988 à Budapest : « … Les Hauts de Hurlevent, roman d’horreur, très captivant, plein d’histoires de familles très complexes et que j’ai lu(s) à deux reprises, à quarante ans de distance. » Ce passage est extrait d’un paragraphe consacré aux soeurs Brontë qui précise aussi : « … j’aimais beaucoup les trois soeurs Brontë ». Moi, j’ai lu ce livre en ayant l’impression qu’il se passait dans les grands espaces américains tant il préfigure déjà les premiers westerns ceux qui sont bâtis comme des tragédies grecques (Schaefer, Dorthy M Johnson, etc ….) et j’ai adoré !

 

 

Vendredi + Echec: 2 textes de Denis Billamboz

Vendredi

 

Ouf il est advenu

Le jour où elle est venue

Ma Vénus

 

Viens mon amour

C’est le grand jour

On va faire un tour

 

Larguer les amarres

Dans un bar

Pour chasser le cafard

 

Et dans les draps

On s’aimera

Comme à l’opéra

 

En une nuit infernale

Ma Bacchanale

 

 

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Echecs… Echec

 

Noir et Blanc

Blanc et Noir

Tour d’argent

Tour d’ivoire

Fou l’amant

Fou l’espoir

Chevalier blanc

Prince Noir

Roi du néant

Dame en noire

 

Noir sur blanc

Blanc sur noir

Ecran blanc

Nuit noire

Verre de blanc

Misère noire

Zweig Stefan

Echecs aux noirs

Echec aux blancs

 

Trou noir

Linceul blanc

 

 

Denis BILLAMBOZ

Vladimir NABOKOV à APOSTROPHES le 30 mai 1975

Date: 30 mai 1975

Heure: Vers 21 h 45 

Durée de l’émission: 1h 01 min 35 

Particularités de cette émission: « Un an avant la mort de Vladimir Nabokov, Bernard Pivot le reçoit sur son plateau. Il l’a rencontré quelques temps avant en Suisse, assez hardi pour lui demander une interview alors que tout le monde lui expliquait que l’auteur de Lolita n’en donnait plus du tout. Nabokov a donc accepté, mais à une condition secrète: toutes les questions lui auront été posées par avance, par écrit, et toutes les réponses qu’il fera auront été rédigées par lui: il ne fera que les lire en direct. Il cache ses fiches, et fait semblant de chercher l’inspiration, de temps à autres, avec une feinte hésitation.

Pivot prétend aussi lui verser du thé, alors qu’il lui sert de l’alcool, lui demandant régulièrement: «un peu de thé Monsieur Nabokov?» Parce qu’une heure sans alcool était un peu trop à supporter pour l’écrivain. »

Résumé de l’émission (sur le site de l’INA):

Emission spéciale consacrée à Vladimir NABOKOV à l’occasion de la sortie de son dernier roman « Ada ou l’ardeur » (Editions Fayard).

Vladimir NABOKOV, qui s’exprime en français, évoque sa vie, la Russie, son goût pour les langues et sa carrière d’écrivain.  

Gilles LAPOUGE retrace l’oeuvre de NABOKOV : « Lolita » est l’oeuvre la plus célèbre, « La défense Loujine », « Pnine », « La chambre obscure », « autres rivages ».

NABOKOV parle de ses origines assez cosmopolites, il est né en Russie, avait une grand-mère allemande, passait ses vacances d’été en France. Il décrit les paysages de Saint Petersbourg où il a vécu avant la révolution russe. Sa langue reste le russe mais il ne regrette pas « sa métamorphose américaine » et la syntaxe de la langue française ne lui permet pas certaines libertés qu’il prend avec le russe ou l’anglais. Il parle de son apprentissage du français, à 12 ans il connaissait les poètes français, cite VERLAINE. Après des études à Cambridge, il a commencé l’écriture de nouvelles, à Paris et à Berlin entre 1922 et 1939. Il a écrit 10 romans en russe entre 1925 et 1940, 8 romans en anglais. En 1940 il est parti en Amérique où il a enseigné la littérature russe. – Il donne sa définition du roman : c’est avant tout une excellente histoire. Ses meilleurs romans ont plusieurs histoires qui s’entrelacent.

NABOKOV parle de « Lolita », du succès de livre. L’aspect physique et l’âge de la nymphette ont été modifiés par des illustrations dans certaines publications. – Gilles LAPOUGE parle du dernier roman de NABOKOV, « Ada ou l’ardeur ». NABOKOV parle du personnage d’Ada. On retrouve dans « Ada » le goût de NABOKOV pour les papillons. Extrait d’un reportage en noir et blanc de Daniel COSTELLE montrant NABOKOV en 1967 chassant les papillons. NABOKOV parle de la nature, de l’utilité de la protection des espèces rares, des papillons. NABOKOV parle également du jeu d’échecs, des grands joueurs d’échecs comme RUBINSTEIN. NABOKOV n’aime pas les écrivains engagés. Il parle de FREUD, dont il trouve les livres comiques. Il n’aime pas FAULKNER.


 

Retranscription intégrale de l’entretien:

http://alain-andreu.over-blog.com/article-interview-nabokov-pivot-1975-77536742.html


Vladimir Nabokov (1899 -1977) 

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Du côté de Castel Rock : Le talent du dernier PRIX NOBEL

P.Leuckx.jpgpar Philippe LEUCKX

 






cote-castle-rock-L-1.jpegAlice Munro, nouvelliste canadienne anglophone, née en 1931, propose dans ce recueil « Du côté de Castel Rock », une véritable radiographie d’une famille écossaise arrivée en terre canadienne. Une dizaine de nouvelles plongent dans le passé de sa famille. Chronologiquement, A. Munro analyse les conditions de départ et d’arrivée des premiers membres de sa famille. Le voyage en bateau donne lieu à des épisodes hauts en couleurs.

Le regard de l’auteur scrute dans le fouillis du passé, remue des carnets de route, réveille la mémoire des anciens.

C’est une observation quasi neutre, comme si la nouvelliste voulait échapper au reproche de trop embellir la réalité. La traversée comme l’installation au pays nouveau connaissent des aléas et l’époque n’est pas tendre avec les immigrants. L’étude est quasi ethnographique, relatant des usages, replongeant le lecteur dans des périodes âpres du XIXe siècle. La maladie, la pauvreté sont de la partie.

Plus on se rapproche des nouvelles générations, plus la plume se fait familière, sinon attendrie.

Les épisodes qui évoquent les parents et l’auteur elle-même montrent à quel point une société rurale (élevage de renards, petites exploitations agricoles) peut changer, le temps d’une seule génération et l’auteur, avec beaucoup de sagacité et de tendresse, rappelle la vie étroite de ses parents, les  conditions difficiles et ses expériences d’adolescente un peu égarée dans les campagnes canadiennes.

Le souffle du « Chez nous » traverse ces histoires, certes le moins du monde originales par les aventures, mais prenantes, quotidiennes, hyperréalistes aussi.

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Le talent de Munro éclate dans les atmosphères recluses de province, dans l’exposition des métiers et des usages.

On est au Canada, on suit, au fil du temps, les allées et venues de Munro, pour retrouver les figures attendries de son village natal.

Je comprends très bien le choix des académiciens suédois : ils ont saisi un regard unique, qui ne se paie pas de mots, qui décrit avec justesse un monde, le monde près de muer une fois de plus. On se reconnaîtra sans problème dans ces nouvelles qui photographient une part de l’histoire familiale d’un auteur doué pour parler des siens, sans mélo, sans afféterie, avec une grâce narrative et stylistique.

Alice Munro, Du côté de Castel Rock, Ed. de l’Olivier, 2009, 344p.

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