par Denis BILLAMBOZ
L’écriture sert aussi à témoigner, à raconter, pour que tout le monde sache, que chacun connaisse les exactions qui ensanglantent encore la planète, qui déshonorent le genre humain et qui infligent la douleur et la souffrance aux plus faibles, aux enfants notamment. En ce début d’année je voulais, à ma façon, attirer l’attention des lecteurs sur tous ces drames qui affectent notre jeunesse de Kaboul, où Latifa est persécutée parce qu’elle veut vivre comme n’importe quelle autre gamine, à Phnom Penh où Pol Pot à essayé d’éradiquer toute une population, même les enfants, pour imposer sa vérité. Ces deux lectures ne sont peut-être pas très littéraires mais c’est d’abord et surtout un hommage à tous ces enfants martyrs, ces enfants du malheur.
D’abord, ils ont tué mon père
Loung Ung (1970 – ….)
Phnom Penh, 1975, la famille Ung, le père commandant dans les services secrets du Général Lon Nol, contre sa volonté, la mère, trois fils et quatre filles dont Loung, avant dernier enfant, la narratrice alors âgée de cinq ans, évacuent précipitamment leur demeure sous la pression des Khmers Rouges qui veulent vider la ville afin de constituer une société égalitaire et agraire en éliminant tous ceux qui veulent contrarier leur projet. La famille Ung est déportée à la campagne où elle souffre de maltraitances, d’humiliations, de violences et surtout de la faim. Elle est rapidement dispersée, une fille meurt dans un camp et le père est finalement démasqué. Loung, fillette débrouillarde et forte, capable de rosser des enfants bien plus grands qu’elle se bat comme une forcenée, armée de sa volonté de vivre et d’une haine farouche de ceux qui les maltraitent, pour survivre et aider sa sœur à supporter les sévices qu’elles doivent endurer dans les camps khmers, dans les camps vietnamiens et, pour Loung seulement, lors de son évasion vers le monde libre.
La narratrice a choisi, alors qu’elle avait près de vingt-cinq ans, de se réincarner en la fillette qu’elle était en 1975 pour raconter le calvaire vécu par sa famille pendant la traversée de l’horreur déversée sur le Cambodge par les sbires de Pol Pot. Ce processus littéraire donne plus de vie et d’émotion au texte en mettant le narrateur et le lecteur en prise directe avec les événements même si on ressent bien que cette histoire n’est pas le fruit de la plume d’une gamine de cinq ans mais celui d’une adulte capable de concevoir des raisonnements trop élaborés pour sortir de l’esprit de cette gamine si dégourdie soit-elle. Ainsi, cette histoire même si nous n’avons aucune raison de la mettre en doute, apparait-elle comme un peu reconstituée, réorganisée pour que les principaux aspects de cet abominable génocide puissent y trouver une place. Ce texte serait donc la somme des souvenirs de la fillette enrichie de quelques autres témoignages et d’émotions développées a posteriori.
Ce livre n’a pas vocation littéraire, il reste trop factuel pour que le lecteur prenne réellement conscience de toute la complexité du processus qui a conduit Pol Pot et ses affidés à de telles exactions, à franchir la limite de ce qui est humainement concevable. Il a bien évidemment pour but principal de témoigner de ce que fut le drame cambodgien à travers des faits réels et irréfutables mais aussi de montrer comment la solidité des liens qui unissent les membres de la famille Ung ont aidés certains d’entre eux à survivre et à se réunir pour reconstituer une famille nombreuse et dynamique implantée sur plusieurs continents.
Et ce témoignage montre une fois de plus toute l’étendue de l’imbécilité de ces révolutionnaires qui se croient obligés d’infliger à tout un peuple qui ne leur demande rien, leur façon de concevoir la société et de les contraindre d’accepter cette conception sous peine de torture et de mort. D’après certains historiens la méthode utilisée par Pol Pot, et d’autres avant lui, aurait été inspirée par celle inaugurée en France lors du massacre des Vendéens et des Chouans.
Visage volé
Latifa ( ? – ….)
Kaboul. Septembre 1996. Latifa qui n’est pas encore Latifa, a seize ans. Les Talibans prennent la ville abandonnée par Massoud et imposent la charia, cette loi arbitraire, aveugle, manipulée par les hommes au pouvoir pour écraser le peuple et surtout les femmes qui servent de bouc émissaire à ces pseudos religieux en mal de pouvoir qui mélangent hardiment leurs intérêts personnels avec un idéal religieux peu orthodoxe et féru de violence gratuite surtout quand elle s’exerce sur les plus faibles.
Paris. Printemps 2001. Latifa, accompagnée de sa mère, a été choisie avec une autre fille pour témoigner de la vie que mènent les femmes à Kaboul depuis cinq ans : souffrance, douleur, humiliation mais aussi débrouillardise, témérité, audace. Elles parcourent le chemin de croix qui passe par toutes les institutions qui gouvernent le pays, l’Europe, les multiples organismes qui devraient œuvrer pour la paix dans le monde, les associations qui plaident pour la cause de la paix, des femmes, les médias qui peuvent faire un peu d’audience et rassurer leur conscience. Elles racontent, elles illustrent à grand renfort de témoignages vécus, de témoignages entendus, d’histoires qui circulent en ville, etc… Mais le résultat est maigre, qui veut se mouiller pour un peuple perdu dans ses montagnes et que son voisin voudrait bien dominer ?
Alors avec le renfort de Chekeba Hachemi, créatrice d’Afghanistan Libre en France, Latifa devient réellement Latifa et écrit pour témoigner, pour laisser une trace mais surtout pour appeler au secours car la situation à Kaboul n’est plus tenable pour toutes et tous mais principalement pour elle qui a osé parler chez les incroyants comme Massoud qui l’a payé de sa vie deux ans auparavant.
Alors Latifa écrit, ce qu’elle vécu, ce qu’elle a vu, ce que sa famille a subi, ce que le peuple kabouli supporte, les horreurs qu’elle a vues de ses yeux, que ses proches ont vécues. Et, avant d’écrire le mot fin, elle doit encore ajouter quelques lignes pour évoquer ce qui vient de se passer à New York ce fameux 11 septembre 2001. Et dix ans après, Latifa, que reste-t-il de ce cri de désespoir ? Une autre guerre qui laissera certainement la place à de nouveaux règlements de comptes ? Pays de malheur qui ne sait plus le goût de la paix.