ALLEMAND, NYS-MAZURE, LIBERT… par Philippe LEUCKX

P.Leuckx.jpgLa chronique de Philippe Leuckx

 

 

 

 

Alain Allemand poursuit ses explorations d’éléments naturels entre ciel, neige et « herbes des collines » dans le petit et troisième volume de ses « ESTIVES ».

« Estives 3 », donc, pour « effeuiller la montagne des gris », pour décrire « dans les parages du ciel » l’été, le très bel été de nos souvenirs et de nos saisons intérieures.

Des détours (retours) littéraires à notre grande Colette (là honorée par Baude à Saint-Tropez, ici par Allemand « aux jardins suspendus d’enfance), Proust ou Ravel, de quoi faire revivre Combray et « ce tintement de soi-même ».

L’écriture est toujours aussi dense et la maîtrise des vignettes confond :

« Le ciel lave là-bas une nichée de lointains »

 

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*

Les huitains servis par la belle écriture de Colette Nys-Mazure dans « De seuil en seuil » (La Lune bleue) évoquent aussi l’aile de l’été « sous le vert vainqueur » et « la puissance des recommencements ». Il faut prendre le temps « lorsque l’heure pleine / Ouvre son portail d’or » de saisir ce que la marche pourvoyeuse peut laisser comme traces, « l’air acidulé » ou « l’élan des projets intrépides ».

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*

Béatrice Libert propose dans « Un chevreuil dans le sang » (L’Arbre à paroles) une anthologie restreinte de trois recueils (1991/1997/2009), qui donne assez bien la teneur en thèmes personnels et les qualités d’une écriture versée surtout dans la poésie dense et brève. « Lalangue du désir et du désarroi », « Le bonheur inconsolé » et « L’instant oblique » sont trois étapes d’un parcours qui a commencé dès 1979 et qui, depuis, n’a cessé de donner formes essentiellement à des poèmes d’intime fréquentation, pourrait-on dire. « Un chevreuil court dans mon sang » du premier recueil fêté ici par un préfacier de renom, Laurent

Demoulin, offre le titre de l’ensemble. La femme mise à l’honneur dans toutes ses préoccupations, du matin à « la fin du poème », se révèle, dans l’amour, dans la lucide préhension du temps compté, de la marche raisonneuse (« Tu marches/ et c’est ton pas qui/ donne sens à la route »), de l’ancrage en son temps (« Il pleut de l’anonyme en nous »).

Les formules sont heureuses et le travail précis, autour des images de nature et d’intérieur :

« l’arbre guéri de l’arbre »

ou

« La mort n’est plus la mort si je rouvre les yeux »

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*

Colette Nys-Mazure décline dans « Hors de soi » (bel ouvrage d’une série limitée aux Carnets du Douayeul) une autre définition de la femme, à la fois poète, vivante, quotidienne, « franchissant les clôtures », quand « la nuit mûrit (les) ombres », prompte à toutes les traversées significatives :

« Nous marchons de nuit

par étapes forcées

Il n’y aura pas de halte

Nous allons sous l’acide pluie

(…)

Nous crions sans voix… »

Et souvent, parabole de femme, comme le signale le titre de cet ensemble de poèmes, la femme est mise « hors d’haleine » et le travail du poème à créer peut sans doute la « désaltérer » sans « l’aliéner ».

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Philippe LEUCKX, prix Robert GOFFIN pour LUMIÈRE NOMADE

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La Biennale Robert Goffin a récompensé deux poètes: Nicolas Grégoire et Philippe Leuckx. L’œuvre du premier est plus dure, celle du second plus enchantée.

par Quentin Colette (dans L’avenir du 22 mai 2014)

En dix-huit éditions, ce n’est que la troisième fois que cela arrive: la biennale Robert Goffin, du nom de ce poète brabançon décédé en 1984, a récompensé, mercredi à l’athénée royal Maurice Carême de Wavre, plusieurs poètes. D’un côté Philippe Leuckx de Braine-le-Comte, et de l’autre Nicolas Grégoire originaire de Dinant et vivant actuellement au Rwanda.

Cette année, 102 auteurs dont de nombreux Africains ont remis, anonymement, un recueil d’au moins 30 pages à la Fondation Poche, organisatrice du concours s’adressant aux poètes francophones.

«Le jury était favorablement partagé entre deux recueils et n’a pas su trancher», commente Jean-Luc Wauthier, le président du jury, composé de membres issus du monde de l’enseignement et de la poésie.

face à/morts d’être de Nicolas Grégoire, né en 1985, est «un travail poétique marqué par le drame génocidaire, explique le président du jury. C’est une œuvre dure avec une écriture âpre, expressionniste et haletante avec des silences dans la page comme s’il y avait quelque chose que l’auteur ne sait ou ne peut pas dire.»

Lumière nomade est le second recueil lauréat. Il est l’œuvre de Philippe Leuckx, né en 1955 et professeur de français au collège Saint-Vincent de Soignies. «Ici, l’écriture est plus fluide, en clair-obscur. C’est une œuvre plus enchantée», continue Jean-Luc Wauthier.

Et Philippe Leuckx d’ajouter: «J’y évoque des impressions, des images de voyage avec Rome comme fil conducteur.»

L’écrivain a déjà publié une vingtaine de recueils même s’il a débuté sur le tard.«J’écris des textes depuis l’âge de 8-9 ans. Mais j’ai été longtemps insatisfait de ce que j’écrivais. Ce n’est donc qu’à 38 ans que j’ai envoyé mon premier poème et naturellement j’en ai envoyé d’autres ensuite. Car je voulais que mes textes aillent plus loin que dans mes tiroirs.»

Lumière nomade paraîtra en juin aux éditions M.E.O. tandis que face à/morts d’être devrait être publié courant de cette année.

http://www.meo-edition.eu/actualites.html

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Voici un des poèmes de « Lumière nomade » de Philippe Leuckx :

« Si les murs se parlent, dans la lente nuit, si la fatigue vient aux yeux des lampes, l’enfant lui n’a pas attendu la fermeture des rideaux pour s’enfuir dans l’ombre, se glisser dans les interstices et penser qu’au-delà il y aura place pour quelque rêve. Il a laissé ses jeux, le jour, les mains quiètes de la mère, le sable des parcs, le chant d’un oiseau juste avant la nuit. Tout autour : la ville de soie, le moindre pas craquelle une pâte douce, le vent léger qui flaire la pierre et repart, en frôlant les jambes.

 

Philippe Leuckx avait livré 7 extraits de LUMIÈRE NOMADE sur Les Belles Phrases en automne dernier (copier-coller le lien)

:http://lesbellesphrases.skynetblogs.be/archive/2013/10/27/extraits-de-lumiere-nomade-de-philippe-leuckx-7968938.html

Courant d’air + Mon nègre, deux textes de Denis BILLAMBOZ

Courant d’air

 

 

Son médoc

Avait pris l’air

Il était médiocre

 

 

Ils sont morts

Ils sont éventés

Ce ne sont plus que des mots

 

 

Il accusait le sort

Ce n’était qu’un courant d’air

Qui avait soufflé sur un sot

 

 

La petite brise

Dans un courant d’air s’est mué

En une glaciale bise

 

 

L’imprimeur a fermé sa casse

L’air des pixels et octets

A noyé son outil sous la crasse

 

 

Son corps gisait éventré

Sans plus aucune odeur

Un courant d’air l’avait éventé

 

 

Il avait touché le fond

Un changement d’air

Ramena des couleurs à son front

 

 

Elle était de braise

Une brise la dévoila

Pour que je la baise

 

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Mon nègre

 

Il cherchait un nègre pas forcément noir, juste un nègre pour noircir des piles de feuilles blanches. Il ne trouva qu’une aigre mégère qui le mit dans une colère noire en noircissant ses pages blanches avec maladresse.

Moralité :

Une aigre mégère, même si elle noire, ne vaut pas forcément un nègre, même s’il est blanc, pour noircir des pages blanches.

TRIO INFERNAL

billamboz.jpegpar Denis BILLAMBOZ

L’originalité de ces deux textes m’a incité à les rapprocher, deux textes plutôt courts, exigeants, qu’il faut lire avec attention, respirer, humer, pour en sentir toute la saveur. Deux textes qui évoquent la difficulté de vivre dans un couple, la complexité des relations entre les êtres, qu’elles se situent dans le langage ou dans la capacité à concevoir la vie, à l’imaginer pour pouvoir la construire. Deux textes estampillés littérature contemporaine même si celui de Valdislavic est traduit de l’anglais d’Afrique du sud. Deux textes exigeants, contemporains, pour évoquer deux trios en plein déséquilibre, je crois qu’il y avait là une belle occurrence à réunir Catherine Ysmal et Ivan Vladislavic.

 

Irene-Nestor-et-la-v%C3%A9rit%C3%A9.jpgIRÉNE, NESTOR & LA VÉRITÉ

Catherine YSMAL (1969 – ….)

« J’aimerais dire la vérité. Ce salut dans les mots. Mais quel salut ? Je sais que rien ne sauve. Les mots sont victimes d’eux-mêmes, comme je le suis. A eux la raclée que je fous. Salauds de mots. » Irène enfermée, étouffée, dans un silence qu’elle semble plus subir que souhaiter, ressent des sensations nouvelles. Elle émerge par bribes du terrible chaos dans lequel un violent choc l’a précipitée. On comprend très vite que Nestor l’a frappée un peu plus fort que les autres fois et qu’elle sort péniblement, sensation par sensation, du néant dans lequel elle était plongée. Progressivement, ces sensations lui évoquent des choses qu’elle a connues avant, elle se souvient peu à peu de son existence avec Monsieur, de ses évasions avec Alice, de ses peines, de ses douleurs, de ses désirs… qu’ils n’ont pas compris sa différence, qu’ils la croyaient folle.

Ce texte polyphonique, récité tour à tour par les membres d’un trio rituel : Irène, épouse, Nestor, époux, et Pierrot amant improbable, témoin effectif porteur d’une certaine part de vérité, évoque la déconfiture du couple qui se défait progressivement jusqu’à la destruction. Une décomposition due à l’incompréhension qui existe entre les deux époux résultant de leur difficulté de mettre des mots communs sur des sensations qu’ils pourraient partager s’ils savaient, s’ils pouvaient, mettre les mêmes mots sur les mêmes ressentis. A chacun sa vérité, à chacun sa manière d’exprimer ce qu’il ressent sans que l’autre le comprenne forcément. Les mots qui s’élèvent entre les êtres ne rendent pas toujours les ponts possibles, ils sont souvent coupables de l’impossibilité de communiquer comme ils ont rendu Irène muette. Nestor l’a réduite au silence en exigeant d’elle un langage qu’elle ne possède pas, en lui demandant des mots qu’elle ne connait pas.

1891018_470541539738999_677468575_n.jpg?oh=1e4b1e0a7462f767ea4ee459bb19be11&oe=53FF8109&__gda__=1409686856_8036599f8303d0734914926f8a11a586Dans ce texte très travaillé, très moderne, très novateur, de grande qualité, Catherine Ysmal démontre comment le langage devient le deus ex machina de la décomposition de ce couple. Un couple que l’auteur utilise comme l’illustration de la difficulté d’utiliser un vocabulaire commun pour rassembler, réunir dans une même pensée, des êtres différents. Un réquisitoire contre l’usage d’un langage banalisé, standardisé, pour promulguer une pensée unique meilleur outil d’un pouvoir totalitaire. « Les définitions ne sortent pas de nulle part mais d’un monde, d’une organisation sociale ; de pouvoirs, d’une histoire qui se construit. Ils ne sont pas neutres ».

« Je ne peux pas y croire à ta vérité

Je ne peux pas y croire au malheur

Au malheur de la vérité »

 

1239784-gf.jpgFOLIE

Ivan VLADISLAVIC (1957 – ….)

Un beau jour, en Afrique du sud, un individu plutôt banal débarque à la limite d’un quartier périphérique d’une ville inconnue, à proximité du veld, où il s’installe en face de la maison d’un couple très intrigué par cette intrusion dans son paysage. Le trio ainsi constitué, le Patron, quincailler, la Patronne qui passe son temps à faire le ménage et l’Autre, celui qui vient d’arriver et qui a l’intention de bâtir une maison sur ce bout de terrain qu’il a acquis, s’observe avec curiosité et inquiétude. Que vient faire cet inconnu ? Pourquoi m’observent-t-ils comme ça ? La crainte de l’inconnu, l’inquiétude devant l’étranger, l’angoisse de voir pousser un bidonville comme aux alentours de multiples villes de cette nation à peine ébauchée, pour les uns, une certaine insolence, un certain mépris pour l’autre… on croit deviner mais on ne sait pas réellement…

Poussé par la curiosité de la Patronne, le Patron approche progressivement l’Autre et noue finalement avec lui une vraie complicité, jusqu’à sombrer sous la coupe de cet original qui le convainc d’imaginer la maison qu’il souhaite construire, au point d’y vivre réellement. Le triangle ainsi constitué déstabilise le couple, le Patron se rapproche de l’autre en s’éloignant de la Patronne. L’Autre utilise la Patron pour entreprendre les travaux qu’il n’a pas le courage de réaliser lui-même, au grand dam de la Patronne. Le Patron entre ainsi de plus en plus dans le jeu fantastique et onirique de l’Autre malgré l’opposition de la Patronne, au point d’adopter son délire, d’entrer dans son rêve et dans sa maison illusoire.

20050225193358.jpgAvec une écriture dépouillée qui tresse un récit construit sur des détails infimes, en détournant les mots de leur sens initial pour formuler des expressions originales, inventives, savoureuses, ce texte très énigmatique qu’il faut faire vivre comme les deux hommes ont fait vivre leur maison dans leur imagination, évoque une construction très illusoire, bâtie dans une réalité rêvée, une vue de l’esprit, et non une réalité matérielle ou affective. « Ce n’est pas dans le cœur qu’elle se trouve, nigaud, mais dans la tête». On pourrait ainsi lire ce texte comme une parabole de l’Afrique du sud moderne qui ne serait encore qu’une vue de l’esprit confrontée à des différences ethniques et langagières fondamentales et difficilement surmontables. « Qu’est-ce qu’une maison ? Ce dont elle est sortie vaut bien davantage ». Qu’est-ce qu’un pays ? Les peuples qui le constituent sont bien davantage. On pourrait effectivement lire ce texte obscur de cette façon et y voir une parabole d’un pays en construction sur les fondations aléatoires de langages et de cultures très différents.

GROVISSE DE FORME par André Stas & Éric Dejaeger

969704735.jpg« Il devait paraître en juillet, mais comme les éditions Microbe sont toujours à l’avance sur les autres, il a été envoyé avec le Microbe 83 de mai

Au départ, une idée de Dédé sur une règle de grammaire* très pointue du plus célèbre grammairien francophone autant que belge. À l’arrivée, la règle illustrissimée par des dizaines d’exemples multiclastes, entortitordus, calemboufoireux et pires.

Les zauteurs sont certains que personne ne fera mieux. Sauf eux ! » E.D.

* La règle à Maurice:  » Certains verbes intransitifs ou pris intransitivement se conjuguent avec AVOIR quand ils expriment l’action et avec ÊTRE quand ils expriment l’état résultant de l’action accomplie ».

Un exemple du détournement opéré par les compères: 

« DÉMÉNAGER

J’ai déménagé de ma monture.
Je suis déménagé depuis mon divorce.

J’ai déménagé ma monture du box.

Je suis déménagé en papillon mais j’aurais préféré en crawl, je suis pressé. »

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Éditions Microbe (2014)
Tirage numéroté et limité à 130 exemplaires
28 pages
ISBN : néant
Il reste très peu exemplaires, uniquement en s’abonnant au Microbe
Si intéressé(e), contactez Éric Dejaeger via son blog:

http://courttoujours.hautetfort.com/ (copier/coller le lien)

CONCOURS: A l’instar des Champs magnétiques de Breton & Soupault, on peut jouer à rendre à André & à Eric chacune des petites phrases pour, disons, gagner une dédicace des zauteurs. 

Moi, président d’un bureau de vote… (air connu)

Moi, président d’un bureau de vote, l’électeur pourra faire usage de l’isoloir à sa guise, après s’être écarté du tumulte de la campagne, inviter parents & amis pour un barbecue (le matériel sera fourni, un buffet froid sera dressé), le visionnage d’un match de foot, une partie de belotes ou de Candy Crush Saga.

 

Moi, président d’un bureau de vote, l’électeur pourra colorer, griffonner, raturer, graffiter le bulletin de vote puis l’exposer ensuite à la vue de tous dans le lieu abritant le bureau de vote, en exemple de sa créativité d’artiste-de- bureau-électoral.

 

Moi, président d’un bureau de vote, j’inviterai tous les écrivains du quartier à une séance de dédicaces et à un atelier d’écriture sur le thème de la civilité & du bien-fondé de l’écriture pour tous.

 

Moi, président d’un bureau de vote, je favoriserai tous les échanges entre l’assesseur et l’électeur, entre le secrétaire et l’assesseur, entre l’assesseure et le secrétaire…, entre la présidente de parti  soucieuse à tout prix du bien de son parti & le ci-devant président du bureau de vote.

 

Moi, président d’un bureau de vote, je ferai la chasse aux certificats médicaux de complaisance avec des médecins policiers armés de seringues gonflées à bloc d’un sérum aux vertus ultra civiques.

 

Moi, président d’un bureau de vote, le bureau deviendra un lieu festif d’indifférenciation des sexes, des classes et des âges, un lieu hautement convivial d’accueil & de partage.

 

Moi, président d’un bureau de vote, les Roms, les Coms, les Pom pom girls… pourront y séjourner la matinée, manifester, revendiquer, défendre leurs droits à la sédentarisation, à l’émancipation des peuples et des soutiens-gorge, à la reconnaissance sans limite des minorités réprimées, encorsetées par une Europe capitaliste & bureaucratique.

 

Moi, président d’un bureau de vote, j’accueillerai toutes les couleurs de la terre et du ciel, les valeurs matérialistes et spiritualistes, tous les signes d’affirmation religieuse ou laïque, sans distinction de couleurs de peau ou de volumes de chair.

Moi, président d’un bureau de vote, j’accorderai le droit de vote aux girafes, aux extra-terrestres, aux deux pandas nationaux, aux taureaux maltraités d’Espagne et de la ferme bio locale, et aux fourmis rouges (pas aux moustiques, mon ouverture à la cause animalière à ses limites).

Moi, président d’un bureau de vote électoral, je me réserverai le droit de passer le dimanche matin en compagnie de la présidente du bureau de dépouillement à la simili plage en bordure de canal de ma ville donnant sur le nouveau palais mayoral (inauguré la veille au soir) en accordant tout pouvoir à mon secrétaire de bureau avide de mener sa population à la baguette jusqu’à quatorze heures tapantes.

 

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HISTOIRES DE THÉÂTRE

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LES RÔLES

Sur scène, il y a le mari, la femme et leurs trois enfants. L’homme peut sortir de scène quand bon lui semble pour aller travailler ou au foot, les enfants se rendre à l’école et à leurs activités, la femme à son boulot, au shopping ou à la zumba. Les rôles sont bien partagés.

À leur retour, le public, changeant certes mais en nombre constant, est toujours là à suivre leurs agissements, à applaudir aux moments plus dramatiques ou comiques, les mieux mal joués. C’est un mode de vie auquel les membres de la famille se sont habitués, un peu par nécessité au début car ils n’ont trouvé aucun autre logement que celui proposé par ce directeur de théâtre innovant et un metteur en scène lassé de faire jouer les grands textes du répertoire comme les petites annonces immobilières.

 

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LE PUBLIC

Les comédiens sont assis comme au théâtre, figurant un public alors que le public, ne sachant pas qu’il constitue le spectacle, attend que quelque chose survienne. Avant de comprendre que la scène leur est séparée par un miroir qui reflète leur attente.

 

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UN THEÂTRE DE CONFIDENCES

Ce serait un théâtre où les gens viendraient se raconter suivant un agenda de passages.

Chez les uns, le contact avec le public se ferait facilement, il y aurait très vite connivence et afflux de spectateurs à la suite d’un bouche-à-oreille favorable.

Chez les autres, la représentation ferait un flop, salle déserte, le confident racontant ses malheurs pour lui seul ou un ou deux spectateurs compatissants…

Rien à voir avec le contenu, la charge de vécu, la nature des révélations, la force de la plainte, la violence des récriminations. Mais plutôt avec la façon de dire, de raconter, de se faire accepter du public. Comme en politique, comme en affaire, comme en amour…

Avoir le sens de la comédie ou ne l’avoir pas.

 

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PAYSAGES DU CORPS DUEL de Yannick TORLINI

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Le jeune écrivain de Nancy n’a que vingt-six ans et déjà huit livres à son actif. Le dernier est paru en mars 2013 au Coudrier, illustré de très belles vignettes de Catherine Berael. Trois sections offrent au lecteur une traversée. Limite, île, crépuscule sont paysages intérieurs et le poème entreprend un périple de dévoilement : « la nuit palpite sous la rugosité de l’écorce », « l’île est une entaille/ un soleil versé dans/ un puits » ou encore cet interpellant « Qui suis-je ; pour être deux ».

Aux thèmes du creusement (de soi) et de l’errance répondent ceux de la vie à dégager d’un manque de souffle et d’horizon et l’indécidable vide qui borde toute existence selon Torlini.

 

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Dans cette quête d’une langue qui puisse énoncer l’essentiel, le corps « divis » pèse, contraint, alors qu’il faudrait renouer avec la maison natale, rejoindre cette partie de soi qui hèle sans fin sur fond de mer et d’île : le poète pense « cercler son cœur de silence », sait noter le tracé d’une vie « de part et d’autre du mot », et comme Savitzkaya le clamait, Torlini aussi se sait « en vie », prompt à « se briser l’échine sur des ombres molles », tout près de sombrer « comme un souvenir ».

Dans ce livre crépusculaire, la mort rôde, celle des « voix qui se sont tues », le souvenir est tout aussi prégnant, à la fois gage de ce qui a été perdu irrémédiablement, garant aussi d’une vie habitée de nuit, de ciel, même si l’écrivain sait trop bien qu’il « vit dans cette hésitation d’une main prête à saisir » : oui, celle de l’écriture, celle qui offre survie à la perte, à l’achèvement, au vide. Et il n’y a plus qu’à attendre une aube bienfaitrice !

 

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L’île – métaphore du poète isolé dans l’insula de son livre – offre de belles images, un peu ténébreuses : « l’île est un tunnel/ creusé dans nos torses » ou encore « l’île est mouvante/ l’île ne se laisse pas/ définir ».

En poèmes cousus de prose, l’auteur nous mène dans les recoins de son âme, nous rappelle la valeur du souffle, celle des mots, de la respiration poétique, réelle.

Un beau talent s’énonce ainsi au fil des pages, nécessaires, déjà d’une belle maîtrise.

 

Yannick TORLINI, Paysages du corps duel, Le Coudrier, 106p., 2013.

PHILIPPE MURAY n’est pas mort, il mord encore…

Une Vie, une œuvre : Philippe Muray (1945-2006) - YouTube

La poésie c’est beaucoup plus que la poésie. Elle est historiquement morte, c’est pour cela qu’elle se multiplie, qu’elle se dissémine sur la planète. Comme le théâtre. Comme la danse. Comme la totalité des arts plastiques. Comme la pornographie. Comme les « luttes » de libération sociétales. (…) La poésie gagne en surface ce qu’elle a perdu en signification, elle doit être sur toutes les surfaces, sur tous les murs. Depuis que la poésie est sortie du poème, on la retrouve partout. Tout le monde est poète. Tout le monde a droit à la poésie. Tout le monde fait ou a le droit de faire de la création, et cette prolifération d’armes de création massive, cette explosion effrayante de culture, ce lyrisme dans tous les coins, cette graphomanie, cette accumulation infernale de « spectacle vivant », ce nouveau développement insensé du quantitatif lyrique d’où la dispariton de toute qualité ne fait plus peur à personne, cette haine au fond de la poésie et de ce qu’elle a pu être malgré tout, sont mes cibles principales, et jusqu’à l’intérieur des poèmes que j’ai écrits. (Festivus festivus)


Aux applaudissements de la plupart, il y a trente ou quarante ans, les grands principes romanesques ont été virés à la poubelle par « les nouveaux romanciers ». L »héritage » de Balzac et des autres a été abandonné. Presque aussitôt, le journalisme planétaire s’en est emparé. Il a repris tout, tout le romanesque retombé en jachère: l’intrigue, les rebondissements, les dialogues, la reconstruction du réel, les personnages, mais dans un but d’efficacité publicitaire et de manipulation optimum, et il le traduit quotidiennement dans son esthétique de supermarché. Les médias sont de grands fabriquants de personnages. Comme la pensé mythique dont ils héritent, ils ne supportent pas l’imprécision, le flou, les responsabilités collectives, le hasard, la culpabilité indivise. Il leur faut QUELQU’UN. Un nom, une personne. Sinon, il n’y a pas d’affaire. (Désaccord parfait)

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Si la gauche a encore l’air de mieux tenir le coup, c’est que ses principes fondamentaux et sentimentaux cadrent plus étroitement avec le programme hyperfestif; mais elle aussi s’affole : elle sait bien que sans la droite, sans l’ersatz de droite qui la fait exister en tant qu’ersatz de gauche, elle n’est plus grand-chose; et que la rupture d’équilibre peut être dramatique également pour elle. Va-t-elle même encore être longtemps « la gauche » sans son vieux complice de bonneteau? Elle a déjà tout oublié de son essence négatrice, jadis basée sur des hostilités de classes, au profit d’une inflation de morale et de vertuisme sans précédent. Elle a remplacé le matérialisme dialectique par la pratique du bien et substitué à la dictature du prolétariat le terrorisme des « valeurs ». (Après l’Histoire)

   L’existence de Dieu: texte de Philippe Muray, musique de Bertrand Louis


Le Bien a vraiment tout envahi ; un Bien un peu spécial, évidemment, ce qui complique encore les choses. Une Vertu de mascarade ; ou plutôt, plus justement, ce qui reste de la Vertu quand la virulence du Vice a cessé de l’asticoter. Ce Bien réchauffé, ce Bien en revival que j’évoque est un peu à l’ « Être infiniment bon » de la théologie ce qu’un quartier réhabilité est à un quartier d’autrefois, construit lentement, rassemblé patiemment, au gré des siècles et des hasards ; ou une cochonnerie d’« espace arboré » à de bons vieux arbres normaux, poussés n’importe comment, sans rien demander à personne ; ou encore, si on préfère, une liste de best-sellers de maintenant à l’histoire de la littérature.(L’Empire du bien)

Oui, il y a de la joie dans la cruauté, de la jubilation dans la détestation, de la volupté dans la non appartenance. (Festivus festivus)

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Le cinéma, c’est le damné du concret, c’est le forçat du réel. Il n’y a qu’en littérature qu’on voit des images ; au cinéma on ne voit que l’apparence et elle est irréfutable. Par-dessus le marché, au cinéma tout le monde voit la même chose alors qu’en littérature tout le monde voit des choses différentes, mais personne ne verra jamais ce que les lecteurs voient (il n’y a pas deux Anna Karénine semblables dans la tête de deux lecteurs assis côte à côte et lisant au même rythme). (Festivus festivus)

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Nous oublions tout mais nous sommes obligés de tout voir, tout le temps, comme nous sommes obligés de tout entendre, nous sommes prisonniers de l’excès d’exhibition et de précision pornographiques, nous n’avons même plus le droit de détourner les yeux (ni les oreilles), ce serait une insulte à la confusion empathique des sentiments que commande la démocratie terminale pour que nous ne nous sentions plus jamais seuls. (Festivus festivus)

La passion fait tout passer, c’est le droit de l’homme le plus imprescriptible. Plus les affaires règnent, plus le business tourne dans son propre vide, avec pour seul et unique projet son extension absolument sans fin, et plus le lyrisme cordicole doit triompher à la surface, habiller la réalité, camoufler les pires trafics, ennuager toutes les intrigues, faire passer l’Ordre Nouveau du monde pour une sorte d’ordre divin. (L’empire du bien)

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La disparition de l’art est un événement qui attend son sens, mais on peut douter qu’il le trouve jamais. Évoquer cette fin comme une éventualité sérieuse ne signifie pas qu’aucun individu, dorénavant, ne se dira plus artiste; ni même qu’il n’y aura pas encore dans l’avenir de grands artistes. L’hypothèse de la fin de l’art ne concerne que l’hypothèse de la fin de l’histoire de l’art, c’est-à-dire le moment où les dernières possibilités de l’art ont été épuisées, et l’ont été par les artistes eux-mêmes (Picasso, Duchamp); et où ne se pose donc plus, du point de vue des artistes, que la redoutable question de la désirabilité de l’art en tant que survivance, inscrite désormais dans une tout autre histoire encore inconsciente. (Après l’Histoire)

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Avec l’artiste contemporain, c’est-à-dire le post-homme (ou femme) dans toute sa splendeur, on a enfin face à face, l’effroyable monstre de l’avenir: l’homme n’est plus un loup pour l’homme, c’est un artiste pour l’artiste. Equipé comme il se doit de cornes de brume, de sifflets, d’échasses et de tambours du Bronx. On ne pourrait l’arrêter dans son expansio qu’en remettant violemment en cause, avec tout le mépris qu’elle mérite, la culture sacro-sainte dont il se réclame, et l’art dont il confisque abusivement la définition. Mais cela ne se fera pas. personne n’osera. Personne, même n’y pense. (Festivus festivus)

« Le sport n’est qu’un des pires moments à passer parmi d’autres. Je n’en sais pas grand-chose, sinon que je l’abomine allègrement. Tous les sports en vrac, et depuis toujours, du foot au saut à l’élastique et de la planche à voile aux courses automobiles. C’est une sorte de répugnance instinctive, chez moi, qui remonte à loin. Il y a peu de choses dont je me détourne depuis longtemps et avec une telle assiduité. « Sportif » a été très tôt pour moi une espèce d’insulte. Une journée de lycée qui commençait par la gymnastique ne pouvait pas se terminier bien. » (Désaccord parfait)

Fabrice Luchini lit Tombeau pour une touriste innocente de Muray

Le doute est devenu une maladie (L’empire du bien)

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Philippe MURAY (1945-2006)

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