Traité de savoir-écrire à l’usage de ceux qui doutent
Les textes de ce livre parlent d’écriture en train de se faire, d’une communication tissée entre deux êtres qui s’aiment et se servent des mots comme de caresses. (« Mots après mots, nous nous caressons. »)
On n’évite rarement, entre amis, entre amants, cette jalousie qui porte sur les productions artistiques, ce déni face, en l’occurrence, à l’écrit d’autrui qui traduit une part de son invisibilité. Il n’est pas question de ça ici.
« J’ignorais, avant que cela ne m’arrive, que l’on puisse être autant attaché au manuscrit de la femme que l’on aime. »
Et de donner une possible explication à ce sentiment:
« Je crois qu’il était lié au plaisir de lire enfin la prose de tes gestes et paroles. »
Le premier texte qui naît, qui lève sous nos yeux, à la faveur d’un printemps, est dirigé vers l’autre, dans une attention de tout instant à autrui qui aboutira, plus tard dans l’année, au texte voulu, rêvé, comme fabriqué ensemble, tel un enfant de papier.
« Il faut que tu écrives toi aussi un livre sur tout ce que tu me dis… »
Double mouvement de l’écriture qui protège (« en écrivant on se sent moins piétiné ») et fragilise quand « on sait que l’on va être lu ». Mais on écrit pour « faire de ses émotions des totems à toute épreuve. », pour se rendre moins vulnérable.Même si la partie n’est jamais finie, toujours à recommencer…
Phrase après phrase, un premier texte avance (« À petits pas, nous avançons »), en soutien de la progression de l’autre, comme si la réussite totale ne pouvait être que mutuelle, conjointe.
« J’essaie de te redonner du courage en m’emboîtant dans ton désespoir. »
Il faut plusieurs fois tomber à deux pour arriver à bon port dans une embarcation commune.
Traité de savoir-écrire à l’usage de ceux qui doutent, de ceux qui luttent contre le doute, ce livre peut se lire comme un poème en prose, un journal d’écriture, un art poétique.
Le narrateur incite sa compagne à ne pas se poser la question du style, « cette obsession bien française » qui peut rebuter le débutant, mais à poursuivre dans sa voie avec le seul but de l’honnêteté en point de mire.
Ce livre au format carré fait se répondre sur des doubles pages texte et image. Des angles droits pour fixer le cadre où vont se rejoindre dans l’espace du texte mouvements intérieurs et agressions extérieures. Thierry Radière écrit de longues phrases qu’on imagine soumises au tumulte du monde. Elles vont jusqu’au bout de leur respiration contre vents et matières.
J’ai fait l’expérience. Après lecture linéaire de l’ouvrage, je suis revenu picorer phrases (à gauche) et image (à droite). Les possibilités de combinaison et de réflexion sont infinies. Ils sont rares, les ouvrages de ce genre, à ménager de tels parcours entre rigueur et escapade.
Les photos, parlons-en, en noir et blanc de rivages prises sur différentes côtes européennes par Marc Decros sont magnifiques. Elles font, mais subtilement, écho au texte en regard. Mais qu’on les voie avant, pendant ou après la lecture des textes, elles les creusent dans le sens de la rêverie. Elles présentent souvent, dans une nature sauvage, un élément signalant un passage ou une présence vivante, mais non identifiable. Le photographe n’attente pas à l’intimité des personnes qu’il photographie. Comme si les images nous rappelaient, ce qui n’est jamais absent du récit qu’on est en train de lire, à la permanence des choses de la nature dont se nourrit le couple d’écrivains à l’œuvre.
« Ecrire, et tu le sens déjà, c’est se rapprocher d’autrui dans une autre dimension que celle où vivre ne suffit pas. »
C’est en ces termes que s’achève ce recueil singulier au titre convenant parfaitement aux deux formes d’expression rassemblées ici, pour un voyage intérieur qui emporte le lecteur dans son périple d’images et de phrases.
Vers la fin, le narrateur note à l’intention de sa compagne: « Tu as écrit un texte atypique et c’est dans ce genre que tu excelles. »
Et on pense que ce qu’on vient de lire, comme les autres écrits de Thierry Radière, est justement cela : atypique. Sans référence aux influences subies, forcément nombreuses, tellement l’auteur a malaxé la langue avec son intérieur pour produire une matière unique. Celle qui fait la marque des écrivains honnêtes au style propre.
Éric Allard
———————————
Thierry Radière sur la page des éditions Jacques Flament (copier/coller le lien):