La violente métaphore du titre qui nous happe, après l’avoir fait de son auteur – poète belge, né en Sicile en 1946, arrivé en Belgique en 1957, auteur de sept recueils poétiques depuis 1973…- , est à coup sûr l’emblème d’une poésie lyrique, riche d’images, qui attaque en force cette érosion terrible par le temps de toutes les forces vives, jusqu’à éreinter les souvenirs et les figures parentales.
Et pourtant, derrière les coups de poing, de colère, que de douceur aussi, et de tendresse, dans ces vers groupés, enchâssés, comme tenus en laisses par la bonté du poète ! Distiques, tercets, quatrains, quintils, sizains, quitte à voir toutes ces formes rassemblées dans certaines pages (30/31..) !
Quatre sections ordonnent le livre copieux (Rackets du temps / Simuler-Dissimuler / Joue contre jour / Instants géniteurs).
De « l’affolante solitude de Maman » à « une passante…dans la lumière », le poète dresse le portrait de nombre de visages, brossés à renfort d’images, de métaphores et d’adjectifs qui puissent en laisser tomber quelque incidente.
Le temps, ce grand dévoreur, ne laisse rien en paix. Il érode lui-même ces images jaunies, ces coups de lumière sur des espaces et des périodes enf(o)uis.
Mais l’écriture veille, l’écriture résiste :
Comment traverser l’émouvante ligne
qui distingue tout ce qui nous sépare
Le chant que l’exil instille dans les textes est d’une vérité vibrante ; un « autre regard» s’est imposé à l’enfant, à celui qui signe, longtemps après, ces poèmes désenchantés et tout à la fois porteurs d’espérances.
Peut-être que les chemins blessés
les ont perdus !
Le père, la mère : hautes figures tutélaires, à la fois cernés dans leur « solitude », et dotés « du vin libre des mystères et du pain dur » ; la misère est passée par là, résiduelle dans ces poèmes d’aujourd’hui.
La langue signifiante porte trace des origines blessées : « briques malades », fenêtre d’où émigrent / graines d’îles à corriger la surface de la mer » et je pourrais souligner la lecture incessante des espaces insulaires : belle Sicile d’hier , traces de toute une vie où « les valises sont prêtes la maison soldée / ici plus rien ne m’appartient », ou « Toute vie possible est restée derrière la fenêtre ». Déchirants fragments d’un départ et sources, beaucoup plus tard, d’une renaissance, au bleu de l’écriture, au clavier : « naissance dans l’autre », dit le poète justement, puisqu’il s’agit de trouver des raisons d’espérer, dans ces champs de l’exil.
Parfois, la réminiscence prend peau proustienne :
J’ai appris à lire
entre machine à coudre lettres interdites
et enclume résistant à tous les coups
de promesses abritées dans la déchirure des lèvres
des livres jamais lus
On comprend dès lors que Au bout des doigts déchirés / foisonnent les frissons de l’enfance / Les fleurs du secret…
L’écriture allitérante assure à ces textes puisés au puits de l’enfance de n’être pas seulement des poinçons du passé mais surtout un chant fluide, apaisant, retissant sans cesse pour nous lecteurs d’anciens usages du temps, quand aujourd’hui résonnent au ventre, au cœur du
poète « le temps / dans le pays qui se disloque » ou « les dernières limites de l’indicible ».
Et puis, « tant de doutes habitent les lèvres » et « tout près de la main s’abat la fête des doigts fêlés » : langue nue s’il en est, déchirante.
Un beau livre de mémoire.
RACKETS DU TEMPS de RIO DI MARIA(L’Arbre à paroles, 2014, 128p., 12€.)
N’en déplaise à « tous les trouble-fête, tous les « agélastes » et autres « caphards », « cagots » et « malagots » de profession » (Rabelais), la littérature n’est pas seulement tragédie, comédie, histoire et autres récits pontifiants et trop sérieux, ce n’est pas le taulier du site qui me contredira, elle est aussi plaisir, rigolade et même un brin perversité, comme dirait Maigros : « Pas oublier l’picole ! Et l’cul ! Sans l’cul, y a… », on le saura jamais, il ne l’a pas dit. En attendant, moi j’ai pioché chez Cactus inébranlable ces deux textes qui ne vous laisseront pas de marbre ou alors je suis très inquiet pour votre santé biliaire. Ne boudez pas votre plaisir, laissez-vous emporter par cette bande de flibustiers des lettres et des mœurs.
LA SAGA MAIGROS
Éric DEJAEGER (1958 – ….)
Jarnidieu ! Quelle épopée ! Cette saga des temps modernes qui raconte la geste de l’inspecteur Maigros, flic à Charleroi plus par défauts que par qualités (« engager là où les cons sont facilement acceptés : la police »), et de son escouade de pochtrons qui s’évertuent de ne rien résoudre, se contentant seulement de ramasser un peu de monnaie en pactisant habilement, chaque fois que c’est possible, avec tous les malfaisants qui hantent la ville. L’arrivée d’une nouvelle commissaire divisionnaire carrossée comme Claudia Schiffer, rousse et baraquée comme un deuxième ligne du XV du Trèfle, pochtronne comme un bataillon de sapeur polonais, aussi prude que la majorité de la population des bouges de Pigalle et dotée d’un tarin fleuri des stigmates générés pas ses abus de boisson, va donner une nouvelle dimension à cette épopée « rabelo-bérurénne ».
A travers cent chapitres bien formatés, comme les cent épisodes de la publication numérique qui a servi de base à ce roman, « Lauteur » raconte la geste paillarde et gaillarde de ce commissariat carolorégien qui a établi son PC opérationnel au « Lolotes’s bar » ainsi baptisé en l’honneur de l’antédiluvienne patronne et de ses bons et loyaux services rendus à la police locale. La méthode Maigros a fait ses preuves, elle est étudiée, l’inspection peut conclure : « si je comprends bien, dans votre service, c’est le tabac qui vous permet de fonctionner au mieux … – Ca et l’picole. Pas oublier l’picole ! Et l’cul ! Sans l’cul, y a… » (« Lauteur » ne dit pas la suite).
Il n’est pas nécessaire de lire plus de quelques pages pour comprendre que « Lauteur » n’a pas écrit ce roman en hommage aux vertus de la police locale, ça sent le règlement de compte et l’intolérance congénitale à plein nez. Cette saga s’inscrit plutôt dans la droite ligne des œuvres des grands maîtres que furent François Rabelais, Frédéric Dard et Jean Marc Reiser, Maigros nargue le pouvoir comme Gargantua ou Pantagruel, Baffre et picole comme Bérurier et est aussi cradingue que le Gros Dégueulasse de Reiser. Mais même si ses bougres sont alcolos, dragueurs comme des « verrats en rut (verruts) », cradingues, fourbes et corrompus jusqu’au trognon, ils n’en dégagent pas moins une certaine tendresse, ils symbolisent la classe la plus délaissée, par l’argent et la culture, de la population d’une ville qui a pris la crise du charbon en plein dans la tronche. On sent bien que, malgré tout ça, « Lauteur » aime viscéralement son pays et ses habitants même si ce ne sont que des provinciaux attardés, snobés par les gens de la capitale.
J’ai plongé dans cette saga, comme je m’immergeais jadis dans San Antonio ou Harakiri, je me suis bidonné comme « Lauteur » a dû se tordre en écrivant certains épisodes sur l’écran blanc de ses
nuits blanches mais bien sûr tout le monde n’aimera pas, certains trouveront ça gras, sale, pornographique, libidineux, scandaleux, pervers, etc… Je ne vais pas vous infliger toute la liste des adjectifs qu’ils seraient capables d’accorder à ce texte, je me contenterai de pratiquer comme Rabelais « tellement désireux,…, de sauvegarder l’harmonie et la bienveillante complicité des « buveurs » qu’il a parallèlement exclu tous les trouble-fête, tous les « agelastes » et autres « caphards », « cagots » et « malagots » de profession ». Ainsi entre gens de bonne société nous pourrons rire et ripailler jusqu’à plus soif !
ASSORTIMENT DE CRUDITÉS
Collectif belgo-français
Jean Philippe Querton maître éditeur mais aussi maître queux réputé a réuni une pléiade d’écrivains belges et français, tous plus polissons de la plume les uns que les autres, pour préparer ce bel assortiment de crudités. Il a mis quelques feuilles de salade, de Larouge, mais aussi de la Roquet, des Bourgeois de sapins, une belle tranche d’Allard, un Buisson de crevettes et un Stas d’autres trucs tous plus succulents les uns que les autres, avec un grand Siaudeau car tremper la plume donne soif paraît-il. Il en résulte un met goûteux à souhait, c’est coquin, libertin, salace, dégueulasse, gaillard, paillard, gouailleur, ripailleur, poétique, romantique, touchant, émouvant, vulgaire quand il le faut, trivial juste pour que ce soit crédible mais jamais grossier. Le tout largement assaisonné d’une bonne dose d’humour blanc et noir et même de couleur, d’un zeste de dérision, d’une pincée de cruauté et d’une pointe de finesse, séduit le lecteur le moins gourmand et ne lui laisse que l’envie d’en redemander une ration supplémentaire.
Il faut féliciter tous ceux qui se sont réunis autour du piano pour concocter ce mets délicat, ils n’ont jamais été pudibonds, seulement un peu pudiques même s’ils n’ont jamais hésité à appeler une chatte une chatte ou un cul un cul. Avec eux, on est en bonne compagnie, entre adultes vaccinés qui savent se tenir à table sans jamais biaiser, sans rougir ni même rosir.
Je laisserai ma conclusion à l’une des participantes, Hélène Dessavray, « l’amour est littérature, le sexe est poésie ». Et, comme elle, « j’aime les textes qui vont droit au but, je ne lis pas les avertissements au lecteur et je déteste les préfaces ». Il y a parfois de belles surprises bien crues pas recuites comme on nous en sert trop souvent.
Bernard Maris, économiste reconnu, universitaire, écrivain, essayiste, journaliste, a été assassiné le 7 janvier avec plusieurs de ses amis de Charlie Hebdo. Il a été une personnalité marquante de la pensée économique contemporaine ; ses choix iconoclastes l’ont conduit à pourfendre inlassablement l’économie standard et à dénoncer ses impostures.
Acteur et penseur de son temps, dans une société soumise à des évolutions très puissantes depuis les années 1980 et à une crise sans précédent depuis le milieu de la dernière décennie, il s’est attaché, sans relâche à participer à la tâche indispensable de l’examen des idées, des institutions, des pratiques, des discours. Son esprit critique s’accompagnait toujours de propositions fortes. »
La suite de l’article Bernard Maris, un humaniste, un penseur critique de l’idéologie dominante sur Le Monde.fr
« Si quelques économistes ont grâce à ses yeux (Keynes, Sapir, Stiglitz, Méda, Krugman, ou encore Sen), Maris était plus qu’exaspéré par l’obsession des économistes pour le quantifiable et par leur fascination pour les équations. Il écrivait : «les équations lestent la raison raisonnante», et fulminait contre ces économistes-physiciens (Walras, Jevons, Pareto, Edgeworth, Fisher) qui ont donné naissance à l’économie classique en proposant une économie «positive» faite de «lois» et d’équilibres naturels. Bernard Maris oppose trois arguments majeurs à l’utilisation des mathématiques en économie : d’abord, l’économie est dominée par des phénomènes subjectifs, psychologiques, politiques et anthropologiques qui n’ont pas la permanence des phénomènes naturels ; ensuite, les mathématiques formalisent un discours logique dont le contenu, sous couvert de complexité et de technicité, est trop souvent un délire total ou une simple tautologie ; enfin, l’abus de mathématiques inutilement difficiles permet aux économistes de clôturer leur champ, de faire plus sérieux, et d’affirmer leur supériorité sur les «littéraires». «Qui n’a pas compris le côté ludique de l’économie mathématique n’a rien compris à l’économie», a écrit Maris. «Comme les échecs, l’économie «théorique» ne sert à rien, sinon à jouer». Ou encore, moins léger : «Le réel est sale. Il sent le bidonville et la souffrance. La pauvreté, pour tout dire. Les équations permettent de se boucher le nez». Tant pis si nous autres avons parfois besoin d’écrire quelques équations quand on cherche à comprendre où on veut et peut aller… Après tout, est-il légitime que les équations occupent une place énorme et captent notre attention au point d’en perdre le sens de la question elle-même ? Bernard Maris nous oblige donc à une grande discipline dans l’utilisation du formalisme, pour le meilleur ! »
L’intégralité de l’article d’Elise Huilery: Petite promenade dans la pensée vivifiante de Bernard Maris est sur le site de Libération.fr
Bernard Maris il y a quelques mois au micro de Jean Cornil au sujet de la laïcité, Freud, Keynes, la Première Guerre Mondiale, Houellebecq, les djihadistes…
Une interview datant de trois mois dans laquelle Bernard Maris présente Houellebecq économiste (Flammarion) en précisant que « faire de Houellebecq un économiste, c’est aussi honteux que d’assimiler Balzac à un psycho-comportementaliste. »
Depuis quelques jours, un fanatique du craquelin n’ayant pas supporté l’image de son pain préféré en vitrine de plusieurs commerces s’en prend à des pâtisseries. De nombreux éclairs et religieuses ont été écrasés. Une fournée de cramiques a été explosée, un Mont-Blanc s’est affaissé. En sortant d’un négoce, l’exalté s’en est pris à un homme avec une baguette et lui a fait une tronche de cake. L’unité de la baguette est définitivement rompue. Une chaîne de supermarchés a demandé en urgence l’appui de l’armée pour surveiller l’entrée de ses magasins. Le photographe de ces clichés discutables s’est mis à photographier des femmes nues avec des grosses miches dont les photos génèrent, elles, beaucoup plus de likes sur Facebook.
Les bouffeurs de cramique sont sur les dents. Les fabricants ont publié un communiqué: Jamais il n’a été question d’inclure des pépites de sucre dans la pâte du cramique, nous n’avons rien à voir avec ces regrettables incidents.
Le président des boulangers du royaume a déclaré que la responsabilité de ce qui s’était passé était collective: Chacun doit se remettre en cause et bouffer des croissants ou de la brioche.
L’origine de ces maux, a écrit l’éditorialiste du Journal du Pain, remonte à l’origine du blé. Un romancier célèbre a prétendu que la cause de ces drames découlait de la naissance du feu. Un quidam, ni écrivain ni journaliste, au risque de se prendre des beignets, a affirmé haut et fort que c’était la faute au Big Bang. Les milieux proches des Amis du Big Bang sont en émoi. On craint des détournements au profit du Big Crunch, des atteintes à la théorie de l’Atome primitif. Grichka et Igor Bogdanov ont menacé d’apparaître sous leur vrai visage (ce qui ne pourrait pas être pire, il faut en convenir).
Plus grave, un journal populiste a préconisé à sa une que les détenus devraient être définitivement interdits de profiteroles. Aussitôt des associations de défense des droits d’ingurgiter n’importe quoi ont distribué des biscuits militaires aux visiteurs de prison.
L’image d’un cramique légendée Je suis cramique est en train de se répandre sur les réseaux de mie. Des puristes de la langue ont fait observer qu’il manquait l’article et que le relâchement des mœurs auquel on assiste de nos jours est dû à un retour nauséabond à la latinisation du français.
Les spectateurs du Meilleur pâtissier sont dans tous leurs états, à tel point qu’ils ont cessé de regarder Cyril Lignac, ce colporteur de recettes haineuses. Ils grignotent plutôt des madeleines en réécoutant Joe Dassin chanter Les Petits Pains au Chocolat. Une grande marche boulangère est prévue pour dimanche prochain. J’ai personnellement arrêté de mâchouiller des oreilles de porc en écoutant mon chanteur mort préféré pour me prémunir des attentats dans ce secteur alimentaire sensible.
Sous ce titre léger, comme l’écriture de son auteur, se voient rassemblés des poèmes de résidences (celle d’Amay et d’autres lieux), liés aux voyages (le Tibet et ailleurs) et aux impressions qu’ils laissent, traces et lieux.
Sensible aux atmosphères, garant des gens qu’il croise, le poète a le don de recueillir la poudre du réel, « la grammaire des brodeuses », à coup d’encre « sympathique », lui qui « lèche la paroi comme pour prendre langue ».
Il tutoie le silence, « se souvient », qu’il « neige sur Bruxelles », qu’il suive « cette rive imprononçable », il sait qu’un « vent oublié soudain revient vers moi et me demande :
qui dira/ où poussent les théiers sauvages ? »
Empruntant le style des notes de voyage, l’auteur délivre à la fois la brièveté des vues et la vérité des paysages perçus, sans lourdeur, sans effets d’écriture :
Rien de bien visible dans l’air. Il semble que tous les plis ont été défaits.
…
Apprendre aux mains à dormir, au regard à projeter son ombre, à la bouche à parler dans un trou d’eau.
…
Je touche plus près que le plus près
et plisse les yeux pour donner à la vue un autre usage.
Sans doute percevra-t-on dans ces beaux textes une vertu ethnographique, celle de saisir au-delà des apparences « des formes en résonance », « ces gestes entendus », « calligrammes de vent ».
Dominique SORRENTE, Il y a de l’innocence dans l’air, L’arbre à paroles, coll. Résidences, 2014, 118p., 10€.
Des dénis et des délires, des convictions religieuses, politiques érigées en dogmes idéolologiques, religieux (je crois ceci/cela, donc je pense que), c’est ce qu’on aura beaucoup lu ces derniers jours sur Le Réseau social. Des petites constructions mentales, branlantes, indécentes vu les circonstances, pour abriter ses obsessions…
Entre (s)cène (biblique et de crime – les 12 premières personnes assassinées comme des porcs sur les lieux de Charlie Hebdo) et obscène – de certaines réactions, s’est posé le problème du voir et du non-voir. Le non-voir attaché à la figure du Prophète comme prétexte de toutes les exactions commises au nom d’une religion. Le vouloir-voir jamais rassasié des tenants des théories du complot. Montrez-moi ces visages que je ne saurais voir masqués, montrez-moil’invisible, l’incroyable, le tréfonds de mon âme obscure. Le noir des terroristes et le noir des policiers du Raid et du GIGN confondus par certains que l’horreur de l’uniforme a transformé en épouvantails de leurs fantasmes.
L’obscène aussi de ceux qui subrepticement ont laissé entendre et laissent encore entendre queCharlie Hebdoavaient stigmatisé une religion plutôt qu’une autre (alors que l’histoire du journal libertaire prouve le contraire, sauf qu’il y avait urgence en la matière et qu’on ne l’a pas assez compris, assez soutenu) et, donc, qu’ils auraient mérité le sort qui a été réservé à ses membres, dont une femme, psychanalyste et écrivaine.
CHARLIE (et le large courant de sympathie qu’il a généré, déjà en proie ce 11 janvier à des interrogations d’un sous-genre shakespearien: être ou ne pas être Charlie?) a révélé les CHARLOTS de la pensée.
Éric Allard, 11 janvier 2015
LES 17 VICTIMES DES TERRORISTES
Jean CABUT, dit CABU: 1938- 7 janvier 2015 (75 ans)
Stéphane CHARBONNIER, dit CHARB: 1967- 7 janvier 2015 (46 ans)
Georges WOLINSKI: 1932 – 7 janvier 2015 (81 ans)
Bernard VERLHAC, dit TIGNOUS: 1957- 7 janvier 2015 (57 ans)
« On était tout seuls depuis un petit moment. Depuis la troisième affaire liée à Mahomet. Toutes ces histoires ont créé tellement de fantasmes sur la dangerosité de l’athéisme de Charlie, son islamophobie. On était juste de joyeux incroyants. Tous ceux qui sont morts étaient de joyeux incroyants. Et là, ils sont nulle part. Comme tout le monde. » LUZ
Des clowns sans frontières ont été assassinés pour des dessins
(dans cette vidéo: Charb, Cabu, Wolinski et Tignous)
Pour qu’à chaque mars je brille de toutes mes feuilles,
Je ne suis pas non plus la beauté d’un massif
Suscitant des Oh et des Ah et grimée de couleurs vives,
Ignorant que bientôt je perdrai mes pétales.
Comparés à moi, un arbre est immortel
Et une fleur assez petite, mais plus saisissante,
Et il me manque la longévité de l’un, l’audace de l’autre.
Ce soir, dans la lumière infinitésimale des étoiles,
Les arbres et les fleurs ont répandu leur fraîche odeur.
Je marche parmi eux, mais aucun d’eux n’y prête attention.
Parfois je pense que lorsque je suis endormie
Je dois leur ressembler à la perfection —
Pensées devenues vagues..
Ce sera plus naturel pour moi, de reposer.
Alors le ciel et moi converseront à coeur ouvert,
Et je serai utile quand je reposerai définitivement:
Alors peut-être les arbres pourront-ils me toucher, et les fleurs m’accorder du temps.
ARBRES D’HIVER
Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement
Posé sur son buvard de brume
Chaque arbre est un dessin d’herbier –
Mémoires accroissant cercle à cercle
Une série d’alliances.
Plus de clabaudages et d’avortements,
Plus vrais que des femmes,
Ils sont de semaison si simple!
Frôlant les souffles déliés
Mais plongeant profond dans l’histoire –
Et longés d’ailes, ouverts à l’au-delà. En cela pareils à Léda.
Ô mère des feuillages, mère de la douceur
Qui sont ces vierges de pitié?
Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.
ARIEL
Un moment de stase dans l’obscurité. Puis l’irréel écoulement bleu Des rochers, des horizons.
Lionne de Dieu, Nous ne faisons plus qu’un, Pivot de talons, de genoux ! ? Le sillon
S’ouvre et va, frère De l’arc brun de cette nuque Que je ne peux saisir,
Yeux nègres Les mûres jettent leurs obscurs Hameçons ?
Gorgées de doux sang noir ? Leurs ombres. C’est autre chose
Qui m’entraîne fendre l’air ? Cuisses, chevelure ; Jaillit de mes talons.
Lumineuse Godiva, je me dépouille ? Mains mortes, mortelle austérité.
Je deviens L’écume des blés, un miroitement des vagues. Le cri de l’enfant
Se fond dans le mur. Et je Suis la flèche,
La rosée suicidaire accordée Comme un seul qui se lance et qui fonce Sur cet œil
Rouge, le chaudron de l’aurore.
DAME LAZARE
Je l’ai encore refait
un an parmi dix
j’y suis arrivée –
comme un miracle ambulant, ma peau
brillante comme un abat-jour de nazi
mon pied droit
un presse-papiers
mon linge juif,
sans caractère, magnifique
serviette enlevée
o mon ennemi,
est-ce que je fais si peur ?
le nez, les orbites des yeux, toute la denture ?
le souffle aigre
s’évaporera en un seul jour.
Bientôt, bientôt la chair
le trou de la tombe sera mon chez moi sur moi
et m’aura mangée
Et je suis une femme tout sourire
je n’ai que trente ans.
Mourir
Est un art, comme tout le reste.
Je le fais vraiment très bien.
Je le fais si bien que cela ressemble à l’enfer
je le fais si bien que cela semble réel
j’imagine que vous puissiez dire elle a un appel.
C’est suffisamment facile de le faire dans une cellule
C’est suffisamment facile de le faire et de rester sur place.
C’est le théâtral
retour en scène dans le vaste jour
à la même place, avec le même visage, le même cri
amusé et brutal :
« Un miracle ! »
Cela me met K.O.
Il y a une plainte
pour mes cicatrices béantes, il y a une plainte
pour l’audition de mon cœur –
cela ira au bout.
et il y a une plainte, une très importante plainte
pour un mot ou un contact
Ou une goutte de sang
ou une parcelle de mes cheveux sur mes vêtements.
Et oui, et oui, Herr Doktor,
et oui, seigneur ennemi.
Je suis ton opus,
je suis ton objet précieux
le bébé en or pur
qui hurle en fondant en un cri perçant
je me tourne et je brûle.
Ne crois donc pas que je sous-estime ta grande préoccupation.
Cendre, cendre –
tu as fouiné et remué.
Chair, os, il n’y a rien ici –
un gâteau de savon
un anneau de mariage,
un plombage en or.
Seigneur Dieu, seigneur Lucifer
fais gaffe
fais gaffe.
Jaillissant de mes cendres
je m’élève avec mes cheveux rouges
et je bouffe les hommes comme l’air.
LES DANSES NOCTURNES
Un sourire est tombé dans l’herbe Irrattrapable
Et tes danses nocturnes où iront-elles se perdre. Dans les mathématiques ?
De tels bonds, des spirales si pures — Cela doit voyager
Pour toujours de par le monde, je ne resterai donc pas totalement privée de beauté, il y a ce don
De ton petit souffle, l’odeur d’herbe Mouillée de ton sommeil, les lys , les lys.
Leur chair ne tolère aucun contact. Plis glacés d’amour-propre, l’arum,
Le tigre occupé de sa parure — Robe mouchetée, déploiement de pétales brûlants,
Tes comètes Ont un tel espace à traverser,
Tant de froid et d’oubli. Alors les gestes se défond —
Humains et chauds et leur éclat Saigne et s’émiette
A travers les noires amnésies du ciel. Pourquoi me donne-t-on
Ces lampes, ces planètes Qui tombent comme des bénédictions, des flocons —
Paillettes blanches, alvéoles Sur mes yeux, ma bouche, mes cheveux —
Qui me touchent puis disparaissent à tout jamais. Nulle part.
MOUTONS DANS LA BRUME
Les collines descendent dans la blancheur Les gens comme des étoiles Me regardent attristés : je les déçois.
Le train laisse une trace de son souffle. O lent Cheval couleur de rouille,
Sabots, tintement désolé– Tout le matin depuis ce Matin sombre,
Fleur ignorée. Mes os renferment un silence, , les champs font Au loin mon coeur fondre.
Ils menacent de meconduire à un ciel Sans étoiles ni père, ,une eau noire.
COQUELICOTS EN JUILLET
Petits coquelicots, petites flammes d’enfer, Vous ne faites pas mal ?
Vous tremblez. je ne sais pas vous toucher. Je mets les mains dans les flammes. Rien ne brûle.
Et cela m’épuise de vous regarder Trembler comme ça, rouge vifs et froissés comme une bouche.
Une bouche que l’on vient d’ensanglanter. Oh! petites jupes sanglantes !
Il y a des vapeurs que je ne peux toucher. Où est votre opium, où sont vos capsules ecoeurantes ?
Si je pouvais saigner, ou dormir!– Si ma bouche pouvait épouser une blessure pareille !
ou vos sucs distiller pour moi, dans cette capsule de verre, Une stupeur, un apaisement.
Mais pas de couleur. Pas de couleur.
LETTRE EN NOVEMBRE
Mon amour, le monde Tourne, le monde se colore. Le réverbère Déchire sa lumière à travers les cosses Du cytise ébourrifé à neuf heures du matin. C’est l’Arctique,
Ce petit cercle noir, Ses herbes fauves et soyeuses — des cheveux de bébé. L’air devient vert, un vert Très doux et délicieux. Sa tendresse me réconforte comme un bon édredon.
Je suis ivre, bien au chaud. Je suis peut-être énorme, Si bêtement heureuse Dans mes bottes en caoutchouc, A patauger dans ce rouge si beau, à l’écraser.
Je suis ici chez moi Deux fois par jour J’arpente ma terre, je flaire Le houx barbare, Son fer viride et pur,
Et le mur des vieux cadavres Je les aime. Je les aime comme l’histoire. Puis les pommes d’or, Imagine —
Imagine mes soixante-dix arbres Dans une épaisse et funèbre soupe grise Occupés à retenir leurs balles d’or éclatant, Leur million De feuilles métalliques haletantes.
Ô amour, ô célibat. Je suis seule avec moi, Trempée jusqu’à la taille. L’or irremplaçable Saigne et s’assombrit, gorge des Thermopyles.
LES ANNÉES
Elles entrent comme des animaux venus de l’espace Cosmique du,houx aux feuilles épineuses Qui ne sont pas les pensées du yogi en moi Mais du vert et de l’obscur si purs Qu’elles gèlent et se figent.
Ô Dieu, je ne suis pas comme toi Dans le vide de ta nuit Où se collent les étoiles, stupides confettis. L’éternité m’ennuie, je n’en ai jamais voulu.
Ce que j’aime de toute mon âme c’est Le piston en action — A en mourir. Et les sabots des chevaux, Leur écume sans pitié.
Et toi, grande Stase — Qu’y a-t-il de si ,grand dans tout ça ! Est-ce un tigre cette année , ce qui rugit à la porte ? C’est un Christus L’atroce
Mors-de-Dieu en lui Qui se languit de voler, d’en finir ? Les baies sanglantes sont elles-mêmes, parfaitement immobiles. Les sabots n’attendent pas. Au lointain bleu les pistons sifflent.
PAPA (12 octobre 1962)
Ne fais pas, ne fais pas, plus jamais, chaussures noires dans lesquelles j’ai vécu comme un pied pendant trente ans, pauvre et blanche, osant à peine respirer ou éternuer.
Papa, j’ai dû te tuer. Tu es mort avant que j’en ai eu le temps — Lourd comme marbre, un sac débordant de Dieu, grand comme un phoque de Frisco
et une tête dans l’étrange Atlantique où se déverse grain vert ou bleu dans les eaux hors du si beau bateau Nauset au se déverse grain vert ou bleu J’ai souvent prié pour te retrouver Ach, du.
Dans la langue allemande, dans la ville polonaise nivelé à ras par les rouleaux des guerres, guerres, guerres. Mais le nom de la ville est commun. Mon ami polonais
Me dit qu’il y en a une douzaine ou deux. Aussi je ne pourrais jamais raconter où tu avais mis les pieds, tes racines. Jamais je ne pus te parler. La langue était coincée dans ma mâchoire.
Cela coince dans le piège des fils de la barbe. Ich, ich, ich, ich, je peux difficilement parler. Je pensais que tout Allemand était toi et la langue obscène.
Une locomotive,une locomotive me déportant comme un juif Un juif de Dachau, Auschwitz, Belsen. Je commence à parler comme un juif. Je pense que je devrais bien être un juif.
La neige du Tyrol, la bière légère de Vienne ne sont ni pures ni vraies. avec mes ancêtres tziganes et ma chance bizarre et mon sac de contrefaçon et mon sac de contrefaçon je dois être un morceau de juif.
Toujours je t’ai vénéré avec ta Luftwaffe, ton charabia et ta moustache si soignée et tes yeux d’aryen, d’un bleu d’acier Panzer-man, panzer-man, O toi—
Pas Dieu mais une croix gammée si noire qu’aucun ciel ne pouvait glapir au travers Chaque femme adore un fasciste, la botte sur le visage, la brute le cœur de brute comme une brute comme toi.
Tu es devant le tableau noir, papa dans cette image que je garde de toi, une crevasse au menton au lieu de ton pied Mais pas besoin du diable pour cela, non pas moins que cet homme noir qui
déchire en deux mon joli cœur rouge J’avais dix ans quand ils t’ont mis en terre. À vingt ans j’ai tenté de mourir et de revenir en ar
rière, en arrière, en arrière vers toi. je pensais que les os le permettraient enfin.
Mais ils m’ont chassé du sac et ils m’ont coincé en moi-même avec de la glue. Alors j’ai su que faire. J’ai fait un modèle de toi un homme en noir avec l’apparence de Meinkampf
Et l’amour de la torture et de la baise et je me suis dit je le dois, je le dois Ainsi papa, je suis enfin au-delà. le téléphone noir est hors des racines, les voix ne peuvent plus se faufiler au travers.
Si j’avais tué un homme, j’en aurai tué deux Le vampire qui dit qu’il est toi et buvait toute l’année mon sang. Sept ans, si tu veux vraiment savoir. Papa tu peux te recoucher maintenant
Il y a un pieu dans ton cœur noir et gras et les gens du village ne t’ont jamais aimé Ils dansent sur toi et te piétinent . Toujours ils ont su que c’était toi. Papa, papa, toi salaud je suis passé au travers.
Pour découvrir la Sylvia PLATH nouvelliste, quelques très belles nouvelles dans la collection Folio 2€
« Elizabeth Minton et son frère Henry, tous deux retraités, vivent une existence faite de rites et de répétition, dans la grande demeure familiale, au bord de l’océan. Henry est pragmatique et égoïste, tandis qu’Elizabeth, irrationnelle et rêveuse, métamorphose son quotidien par la force de son imagination. Cela suffira-t-il à lui procurer le vivifiant sentiment de libération auquel elle aspire ? Entre désespoir lancinant et humour féroce, Sylvia Plath explore avec une justesse qui fait mouche les faux-semblants des relations humaines. »
Une interview datant de 1962
La lune et le cyprès
Cette lumière est celle de l’esprit, froide et planétaire, Et bleue. Les arbres de l’esprit sont noirs. L’herbe murmure son humilité, dépose son fardeau de peine Sur mes pieds comme si j’étais Dieu. Une brume capiteuse s’est installée en ce lieu Qu’une rangée de pierres tombales sépare de ma maison. Je ne vois pas du tout où cela peut mener.
La lune n’offre aucune issue, c’est un visage morne D’une blancheur d’os effroyable. Elle traîne derrière elle l’océan comme un crime obscur ; elle est calme, Trou béant de désespoir total. J’habite ici. Deux fois tous les dimanches les cloches ébranlent le ciel − Huit langues puissantes annoncent la Résurrection. À la fin, seul vibre le son grave de leur renommée.
Le cyprès se dresse alors, gothique. Aux yeux levés sur lui, il désigne la lune. La lune est ma mère. Elle n’a pas la patience de Marie. Son vêtement bleu laisse échapper chauves-souris et hiboux. Je voudrais tellement pouvoir croire à la tendresse − Au visage de cette effigie, adouci par la lueur des cierges, Qui poserait sur moi son regard bienveillant.
Je suis tombée de trop haut. Des nuages fleurissent, Mystiques et bleus, à la face des étoiles. Dans l’église les saints doivent être tout bleus, A frôler les blancs glacés de leurs pieds délicats, Et leurs mains et leur visage tout engourdis de sainteté. La lune ne voit rien de tout cela. Elle est chauve, elle est cruelle. Et le message du cyprès n’est que ténèbres – ténèbres et silence.
inAriel, trad. Valérie Rouzeau, Gallimard, 2009, p. 59 et 60