Les éclaboussures
tombé dans l’œil
un regard se noie
sur les cils
des gens voient
sans pouvoir agir
des éclaboussures
d’images

Prés prairies
Prés prairies sans fond
de la mémoire
soleil cher au fossoyeur
bardanes
pâquerettes
coquelicots
anémones
pissenlits
mangés par la racine
vos fleurs m’exaspèrent
je bois jusqu’à la piqûre
le jus d’ortie
de vos rodomontades

Les mots
Les mots m’échappent
J’ai beau leur courir après
Leur offrir monts et merveilles
Rimes mâles ou femelles
Les mots m’échappent
Sans doute m’attendent-ils
Dans un trou de souris
Dans un trou de serrure
Pour me faire la peau
Me grignoter les os
Pour me rendre la mort impossible
Pour me pendre à un croc de libraire

Les pierres de l’enfance
Ma mère avant de dormir
dépose sous l’oreiller
les pierres de mon enfance
ce sont les mêmes qui décorent sa cour
et l’entrée de la mer
ce sont les mêmes qui parlent aux mains
et aux rivières
tout en tendant l’oreille
vers le porte-voix du passé
je me repose sur elles
pour encore vieillir

Ce n’est pas vrai
ce n’est pas vrai que les souvenirs nous construisent
il est des murs à détruire bien plus édifiants
qu’une enceinte de mots
qu’un précipice de sons
donnant sur une symphonie vide
nous ne sommes pas faits que d’essence de phrases
il nous arrive d’être pierre d’espace
mur d’absence
fenêtre ouverte sur la déraison
ouvrage multiple dans les doigts d’un ange
nous allons au-devant de fumées
qui nous cachent un feu de cendres
mais derrière l’écran une main se tend
que nous n’espérons pas et que nous oublierons
par manque de mots pour retenir
dans l’océan d’ombres où meurent les jambes
l’action de marcher de parler de s’étendre
le rêve de caresser le plus grand nombre ;
un bateau de lumière épelle
une à une les lettres de notre être
s’il fait silence je meurs nu sur cette page
je marque d’un point
l’absence de droite infinie

Les poumons de la terre
né de l’étouffement
de la nuit
le souffle de l’aube
a grandi tout le jour
éclairant les poumons
de la terre
jusqu’à l’expir
tant que je t’étranglais
de joie
et que j’allongeais mon repas
vers ta faim
tu pouvais prendre
comme je voulais
ton plaisir

En chemin
à l’appel du poème
les mots se lèvent
et se dirigent là où
ils ont entendu du bruit
parfois ils se perdent en chemin
et ne retrouvent pas la route du dictionnaire
alors ils font là où ils sont
un semblant d’histoire
ou un poème

Le platane et l’olivier
Le platane plane
sur une feuille d’olivier
Quand la flamme prend
à la racine des jours
c’est le fruit qui flambe
dans le souvenir
Propulsant l’arbre volant
dans un passé non identifié
De mémoire de forêt
aucune aurore jamais
Aucun nuit n’a été recueillie
dans un seul panier de rêve

La neige
La neige qui tombe
À gros flocons
Racle les images
De ta mémoire
Tu revois ton enfance
A la faveur du blanc
Tu revois tes rêves courant
Sur le miroir de la nuit
Toi seul pressens leur chute
Au petit matin
Sur le lac gelé
D’un souvenir

Le mécanisme de la sucette
Régulièrement
Sans souci du qu’en sucera-t-on
Je suce ma mère
Le souvenir de la jeunesse de ma mère
Qui à force prend la forme
D’une femme à croquer
À débiter en morceaux de charme
Lors d’un festin aux allures de dépeçage
Quand j’ai tout avalé
Jusqu’aux dents de sagesse
Je lave toutes les traces de sang
Pour que mère ne me dispute pas
Malgré toutes ces précautions
Qui devraient pourtant m’honorer
Me valoir quelques compliments
Ma mère me fait la tête
Elle me reproche de l’avoir oubliée
D’avoir troqué sa mémoire
Contre une forme aléatoire et passablement juvénile
En bon fils j’approuve chacun de ses dires
Je suce et resuce à nouveau
Comme si je n’avais pas bouffé à ma guise

Les langues étrangères
Les langues étrangères
Pour quoi faire?
Se lamente mon père
Dans la terre
Pour parler avec les limaces
Et les vers et tous les animalcules
Les os voisins et minéraux divers
Les corbeaux qui ont du baratin
Mais je sens bien
Que je ne suis pas convaincant
(Moi qui vous parle
Je n’en ai retenu aucune)
Papa ne répond pas
Sinon par le silence
Et je m’en vais sans rien dire
Par le fond de l’allée

avant d’écrire
arrose ta prose
et vérifie tes vers
on n’est jamais
assez prudent
avant d’écrire
soupèse le nuage d’écrire
et s’il est trop vague
laisse-le au ciel
prends un peu de terre
pour tes tourments
pour tes poèmes
avant d’écrire
prends l’air
et rends le vent
glissant
comme la plume
E.A.