FOLKEUSES d’aujourd’hui & de demain (2): LAURA MARLING

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Laura Béatrice MARLING est née en 1990 dans le comté de Hampshire en Grande-Bretagne. Son cinquième album, Short movie, vient de sortir.

Elle n’a qu’un quart de siècle et pourtant, déjà, le relief de celles qui ont traversé moult épreuves. Laura Marling est aussi douée que complexe… Mais on se souvient aussi de formidables compositions folk, qui l’avaient placée en descendante légitime de Judee Sill (allez réécouter les merveilles que sont ses anciens titres Ghosts ouFailure…). La musique de Laura Marling lui ressemble, tantôt si lumineuse et authentique quelle fait passer toutes ses contemporaines pour des beatniks en toc, tantôt raide…

Short Movie, son (déjà) cinquième album, s’ouvre sur une chanson nickdrakienne jusque dans la couleur de ses guitares sans la voix féminine, ce titre pourrait être le sien. De False Hope à Don’t Let Me Bring You down ou Gurdjieff’s Daughter, optant ensuite pour une enveloppe plus électrique, Laura Marling dévoile une facette plus rugueuse, moins hippie – aurait-elle, même, pris Chrissie Hynde pour modèle ?

Si l’Anglaise a évolué, c’est parce quelle a bien failli ne jamais sortir de nouveau disque. Installée à Los Angeles depuis deux ans, Laura Marling a interrompu sa carrière de musicienne pendant plusieurs mois, ne trouvant plus de sens à sa démarche. Ce Short Movie qui a finalement suivi confirme que ceût été une vraie perte pour le paysage folk, désormais au sens large, contemporain.

Johanna Seban (Les Inrocks)

 

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Précoce. L’épithète allait comme un gant à Laura ­Marling, prodige du folk britannique révélée à 16 ans. Et lui va toujours aussi bien, huit ans plus tard, à l’heure où paraît son cinquième album, Short Movie, impressionnant de fraîcheur mais aussi de maturité. Un parcours sans faute, d’une constance digne de PJ Harvey, évoluant disque après disque, ne suivant que son instinct de musicienne exigeante et de parolière analytique.

Depuis les carnets de bord de ses déceptions sentimentales d’adolescente, la jeune femme, plus solide que sa frêle silhouette au teint diaphane le suggère, a acquis avec l’âge la distance pour s’observer afin de ne pas tomber dans la redite ou, pire, sombrer. Elle est apparue, donc, en 2007, égérie des deux formations marquantes du mouvement « nu folk » qui balaya l’Angleterre, Noah and the Whale et Mumford & Sons

(…)

Admiratrice de Joni Mitchell, mais plus encore de Ryan Adams (« son Heartbreakerne cesse de me bouleverser »), Laura Marling a « fait le tour des chansons sur les garçons », pour creuser une passionnante veine plus existentielle. Si ses textes introspectifs inspirés des préceptes de Jodorowsky ou de Gurdjieff (« chercher sa vérité en entretenant le mystère et la magie de l’existence ») servent toujours un chant mélodieux aux échos parfois de Chrissie Hynde, Marling les projette à présent avec l’appui de l’électricité.

« La guitare électrique a plus de force, remplit mieux l’espace et produit des surprises, des sons incontrôlés. Elle me force à chanter avec plus de présence, à jouer avec ma voix. » Ecueil pour tant de folkeux acoustiques, la mue permet à Marling de gagner en intensité, en authenticité. « Apprendre à se comprendre soi-même est indispensable… à condition de ne pas basculer dans l’autocomplaisance. » Pour l’heure, on en est loin.

Hugo Cassavetti (Télérama)

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Le site officiel de LAURA MARLING

LE TFE dans LA LITTERATURE: de Confucius à Fernand Raynaud

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Nous étions à l’Etude, quand le Proviseur entra suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son TFE.

Gustave Flaubert / Incipit de Madame Bovary

Le monde repose sur trois choses : l’étude, le TFE, la charité du professeur.

Siméon le Juste

Le travail de fin d’études pense. La paresse de fin d’études songe. 

Jules Renard, Journal

Le TFE, c’est la santé… Mais à quoi sert alors la médecine du TFE.
Pierre Dac

Le TFE est la plaie des classes qui boivent.

Oscar Wilde

Le TFE est pour les hommes un trésor.

Esope

Remets à demain ton repas, mais pas ton TFE.
Proverbe kurde

Jours de TFE, seuls jours où j’ai vécu.

Alfred de Musset

Je ne crois pas au génie, seulement au dur TFE. 

Michel Petrucciani

Le TFE est la prière des esclaves, la prière est le TFE des hommes libres.

Léon Bloy

Je n’aime pas le TFE mais j’aime ce qui est dans le TFE l’occasion de se découvrir soi-même.

Joseph Conrad / Au cœur des ténèbres

Le propre du TFE, c’est d’être forcé.

Alain / Préliminaires à la mythologie

C’est dans le TFE d’une vie que réside la véritable séduction

Picasso

Le talent sans TFE n’est qu’une sale manie.

Anonyme

Sachez vous éloigner car, lorsque vous reviendrez à votre TFE, votre jugement sera plus sûr.

Leonard de Vinci

Faire la moitié du TFE, le reste se fera tout seul.

Jean Cocteau

Tout ce que nous sommes est l’aboutissement d’un TFE séculaire.

Ernest Renan

Le génie commence les beaux ouvrages, mais le TFE seul les achève.

Joseph Joubert

Seul le TFE peut nous consoler d’être nés.

Miguel de Unamuno / Le sentiment tragique de la vie

C’est par le TFE que l’homme se transforme.

Louis Aragon / Article dans l’humanité

Si le TFE était une si magnifique chose, les riches en auraient gardé plus pour eux.

Bruce Grocott

Aime le TFE et hais le pouvoir et ne te fais pas connaître aux dirigeants.

Anonyme

Le TFE éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin.

Voltaire/ Candide ou l’optimisme

Le TFE , une malédiction que l’étudiant a tranformée en volupté.

Emil Cioran / Sur les cimes du désespoir

Le TFE n’est pas la vie. TFER sans cesse rend fou.

Charles De Gaulle / Les Chênes qu’on abat

L’étudiant qui veut réussir son TFE doit commencer par aiguiser ses matières.

Confucius / Entretiens

T.F.E., T .F.E, p’têt’ qu’y pensent qu’à téléfoner dans l’enseignement.

Fernand Raynaud

 

 

Vils Remerciements à Mademoiselle Evene pour ces citations empruntées à son T.F.E. en cours sur le T.F.E.

UN AMOUR DE PETITE VOITURE

41rIST9Oy%2BL._SY300_.jpgLa petite voiture rouge de la dame… Elle n’est plus de première jeunesse mais elle blinque, elle rutile comme au premier jour. Elle doit passer au car wash régulièrement. Elle n’est pas haute, son toit est à hauteur d’estomac, il faut s’abaisser très fort pour pénétrer en elle. Elle est ponctuée de blanc : des lignes blanches, des calandres blanches, ses rétroviseurs sont blancs. Son toit est en partie blanc. Au fond, n’est-elle pas plus blanche que rouge ? Mais l’intérieur est rouge, d’un rouge grenat accueillant. Il faudrait entamer une étude géométrique, mettre des spécialistes de la peinture auto sur le coup. Elle est garée là, tout près, quand je veux, le peux la voir, il suffit que j’écarte le rideau. Elle donne envie de la toucher, de passer la main sur toute l’étendue de sa carrosserie, sur son capot et sur ses vitres douces. On a envie de la prendre dans ses bras ; à une certaine distance, c’est possible, c’est même vraisemblable. Mais ce qui est vraisemblable est-il vraiment possible ? Pourquoi la prendre dans ses bras? Dans mes bras, je la porterais où, pour en faire quoi ? Tout à l’heure, la dame viendra la reprendre et l’emportera. Je resterai avec le souvenir de son véhicule devant chez moi. Je porterai une rose rouge ou des petits cailloux blancs le soir en souvenir de sa chère présence. En attendant le lendemain matin. 

Un jour, si je lui demande, est-ce que la dame me prendra de même dans sa petite voiture rouge (et blanche) pour que je dorme près de sa voiture? Dans le garage, il y aura bien une petite place pour moi… 

CHRONIQUES

leuckx-photo.jpgpar Philippe LEUCKX

 

 

 

9782253003380-T.jpg?itok=9CF1IrdLHugo HORIOT, L’EMPEREUR, C’EST MOI, Livre de poche n°33660,

Paru en 2013, à l’Iconoclaste, ce récit autobiographique qui rend compte des aléas d’un parcours d’autiste, vécu dans la chair, dans la difficulté, dans l’engagement et dans la résistance peu commune d’un enfant, devenu aujourd’hui artiste, comédien et écrivain, est aujourd’hui disponible en poche.

Julien Hugo Horiot a senti combien l’état d’autiste a libéré en lui, au-delà des souffrances, des rejets, des blessures, du déni par les autres, une gamme de possibilités, une volonté inouïe pour en sortir et créer. Julien a donné vie à Hugo, et ce ne fut pas aisé. Julien a dû céder la partie, consentir à une autre éclosion de soi.Capture-d%E2%80%99%C3%A9cran-2013-04-07-%C3%A0-10.22.171.png

L’enfant d’hier, célébré – le mot n’est pas trop fort – par le livre admirable de sa mère, Françoise Lefèvre, « Le petit prince cannibale » (Actes Sud, 1990, Goncourt des Lycéens), a volé de ses propres ailes, s’est débarrassé de tous ses liens contraignants pour oser. Les épisodes qui relaient cette métamorphose sont émouvants et consignent, presque comme une injonction à toujours se battre pour progresser, une exceptionnelle énergie vitale qui a poussé Julien à endosser la peau d’Hugo.

Trente ans après les faits, Françoise Lefèvre clôture ce beau livre, en rendant hommage à « L’enfant des abîmes » qu’elle a mené au plus loin, en dépit de tout.

Est-il besoin de dire que c’est un livre essentiel ? 

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5124eYefWPL._SY344_BO1,204,203,200_.jpgLe remarquable « LIVRE DES CHRONIQUES» (BIEN SÛR QUE TU TE SOUVIENS DE MOI) d’Antonio LOBO ANTUNES (Points n°1131), restitue un Lisbonne des années d’enfance et d’adolescence de l’auteur, dans le quartier périphérique de Benfica, et des séquences plus récentes où l’homme mûr se souvient, vit le poids du temps. L’humour dévastateur et l’hyperréalisme des situations et des notations donnent à l’ensemble un parfum miamer minostalgique d’une densité exemplaire. Les qualités stylistiques visuelles de l’écrivain portugais sont telles que les scènes vivent sous nos yeux et que les personnages, étonnants, décalés, pittoresques ou ordinaires, peuplent ces fragments de vie, avec le poids des réalités vécues.

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Lobo Antunes n’a pas son pareil pour moquer des usages, relayer les dimanches de « gêne, d’inquiétude », de « malaise », et, parfois, l’évocation de ce qui est définitivement perdu – un décor ravagé ou absent, une part du paysage d’enfance – ranime en nous une indéfectible mélancolie. Là, le narrateur atteint des sommets et rappelle qu’écrire est aussi manière de ressusciter – en dépit du temps, en dépit du ton adopté, et malgré toutes les pesantes contraintes – un passé enfoui, encore plein de gens et de choses, qu’on a aimés.

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9782930607535.gifRéédité par Les Carnets du Dessert de Lune en 2014, « CHRONIQUES DES FAITS » du regretté et excellent Pierre AUTIN-GRENIER, était paru en février 1992 à L’Arbre (dirigé alors par Jean Le Mauve).

Illustré de quelques vignettes très inventives et très colorées de Georges Rubel, le recueil a pour but aussi d’assurer la « chronique » même fantastique de faits, de « restaurer la mémoire » des choses, dans un esprit et dans un style qui ne sont pas, au fond, si éloignés d’un André Hardellet, quand il magnifie par l’inventivité le réel le plus ordinaire. Autin-Grenier réussit à nous plonger dans des énigmes ordinaires, liées à des situations toutes simples, mais qui génèrent incertitudes, flottements, doutes. L’auteur magnifie lui aussi la vie, rameute « le devoir d’oser ». La poésie est partout : dans ce journal « imprimé sur du papier jauni par le temps », dans les interrogations incessantes qui nous poussent à ne pas accepter la vie comme telle.CVRSGgXS8ShYgAjY05LNBzl72eJkfbmt4t8yenImKBVvK0kTmF0xjctABnaLJIm9

« La brèche dans les broussailles s’était élargie » et l’aventure, comme chez Hergé, comme chez Pirotte et Dhôtel, entre autres, peut commencer, au coin de la rue, au coin de la page.

 

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corbusier.pngChroniques poétiques aussi chez JeanMarie CORBUSIER qui, au Taillis Pré, propose un nouvel ensemble poétique, « LA LAMPE D’HIVER ».J-M%20%20Cobusier.JPG?itok=WQNu0EDm

Ici, le vers se fait bref, les mots calculés au cordeau ou ramassés en distiques veulent suggérer des constats, des éclats, des fragments, et parfois, il faut peu pour suggérer l’image :

Au fond du mur

la pierre rayonne

On attend serré

que la chaleur monte

on va d’un mot à l’autre

Le poète, à la tâche, sait que « la lumière saigne », que son écriture accompagne « biffures », « griffures/rapides » et qu’écrire ne « rompt » pas « le nœud du jour ».

LE VIOLON PISSE SUR SON POWÈTE d’Eric DEJAEGER

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Powètes, aux abris !

LE VIOLON PISSE SUR SON POWETE rassemble 50 irréflexions inédites sur le thème de la powésie et de ses powètes.

La couverture, Le poète écorché, est signée André Stas.

C’est aux Carnets du Dessert de Lune. Prix : 6 €.

On peut le commander en librairie, via le site des Carnets du Dessert de Lune  ou, pour un exemplaire dédicacé, en contactant Éric via son blog.

Ce recueil est aussi un petit clin d’œil posthume à Pierre Autin-Grenier.

Cinq extraits son à lire sur le blog d’Éric Dejaeger ici.

 

DIVAGATIONS de Denis BILLAMBOZ

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Elle s’endormit sur la plage

Elle s’était trompée

Elle avait mis ses lunettes de sommeil

A la place de ses lunettes de soleil

 

 

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Il avait des activités louches

Variées

Avariées

 

 

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Jean Jouvenel des Ursins

N’était pas Cadurcin

Ni amateur d’oursins

Mais l’homme saint

Qui réhabilita la pucelle

Moralité :

Parfois il vaut mieux avoir affaires

Aux Ursins

Qu’au bon Dieu

 

 

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Il décida de se payer un bon restau

Il y avait :

De la quiche

Des bécassines

De la dinde

Et des tranches de cake 

Mais seulement dans la salle !

 

 

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Le maître presse sa soumise

« Allez, allez,

C’est l’heure de pâtir ! »

 

 

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Pharaon le voua aux gémomies

 

 

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Maire de Pau

II a été élu de peu

Un vrai coup de pot

 

 

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Un vieux résistant racontait

Que le Maréchal Pétrain

Avait roulé les Français dans la farine

 

 

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Cardiaque, il avait subi

Une grève du cœur

 

 

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Il avait enregistré

« Etoile des neiges »

Chez Savoie de son maître

 

 

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Les énarques désorganisent le pays

Autour de pôles d’incompétence

 

 

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Il avait juste les moyens

De se payer

Un vin d’appellation d’origine incontrôlée

 

 

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Loue appartement

A part

Appartenant

Apparemment

A un tenant à part

 

 

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Son chameau blatère

Alors que lui déblatère

…Sottement

 

 

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Il l’embrasse

Comme le soleil

Embrase le soir

 

 

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Après une bagarre acharnée

A coups de pied dans le cul

L’un consulta le podologue

L’autre le proctologue

 

 

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Elle était la fille

De la mouche du coche

Qui avait fréquenté

La couche du moche

Un lourd héritage

 

 

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Un avion à rédaction

Ecrit dans le ciel

Une histoire linéaire

 

 

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Royal chirurgien

Il eut le grand honneur

D’admirer

Les Boyaux de la Couronne

 

 

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Je ne supporte plus mon dermatologue

Chaque fois que je le vois

J’ai des boutons

Et je dois le consulter

 

 

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Un proctologue et un médecin légiste

Examinaient attentivement

Un trou de balle

Mais pas le même

 

 

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On pêche le loup dans la Manche

Le bar en Méditerranée

Et les loubards dans certains quartiers

 

 

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Il a accompli un pèlerinage

Au Mont Saint Missel

 

 

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Les Américains ont conservé

Pendant longtemps

Le cinéma noir et blanc :

Une salle pour les Noirs

Une salle pour les Blancs

 

 

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Ce soir c’est ripaille

Paille pour mon cheval

Paëlla pour moi !

 

 

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Certains égyptologues prétendent

Que le pharaon Toutankharton

N’était qu’un pharaon de papier

 

 

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Son popaul people

Ne voulait fréquenter

Que des aristos chats

 

 

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Pour développer son trafic

En Afrique

Un aigrefin embaucha

Un homme de pagne

 

 

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Timide il a quitté sa gangue

Pour entrer dans un gang

 

 

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Un acrobate voulait apprendre

Les arts du cirque

Trop fainéant

Il a fini

Lézard du cirque

 

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LA CHASSE AUX DÉMONS

88957_300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Le démon, cet ignoble être imaginaire que personne ne sait décrire mais qui ronge sans pitié tellement de nos contemporains, s’est très souvent réfugié dans des œuvres littéraires les plus diverses. Et, pour vous en apporter la preuve, je vous propose dans cette chronique deux livres où il s’est subrepticement glissé pour en devenir quasiment le sujet central. J’ai ainsi choisi un livre magnifique, une pure fiction, d’Éric Pessan que je considère comme un des grands auteurs actuels de la littérature française, et un ouvrage très différent, plus proche de la biographie que de la fiction, un livre sur Winston Churchill qui laisse une large place à la lutte que le héros britannique a livré à ses démons intérieurs aussi bien qu’au démon du nazisme.

 

Pessan.jpgLE DÉMON AVANCE TOUJOURS EN LIGNE DROITE

Éric PESSAN (1970 – ….)

Poursuivi par les démons qui ont emmené son grand-père et son père, l’un soi-disant à Buchenwald, l’autre plus certainement à Lisbonne qu’il arpente comme le héros de Pascal Mercier dans «Train de nuit pour Lisbonne », le narrateur essaie de chasser ces démons en retrouvant les traces de ses géniteurs, en reconstruisant leur histoire, sa généalogie, pour à son tour avoir un passé à transmettre à un enfant que sa compagne lui réclame très fort. « Avoir un enfant pour ne plus être tenté de remonter à contre-courant, vers des sources souterraines et hostiles ». Mais il ne veut pas d’un enfant comme celui qu’il a été, l’image du traître, le reproche permanent, l’insulte personnalisée, le péché incarné. «Ma mère me crie que je l’empêche de vivre et qu’il n’avait rien trouvé de mieux que de lui laisser un enfant pour l’emmerder jusqu’à la fin de ses jours, un enfant qui l’entrave, l’enchaîne, la comprime, l’écrase, respire, la tue à petit feu, un enfant qu’elle aurait dû jeter par la fenêtre ».

Les démons sont terrés au creux de la magie et de la religion arrangée par sa grand-mère et sa mère, deux femmes qui ont réinventé ces deux hommes dont il ne connait que ce qu’elles ont bien voulu lui en dire. Il était celui qui allait devenir l’homme, celui qui trahit, celui qui s’enfuit laissant la femme seule avec sa misère. «Je ne savais pas jusqu’à quand mon statut d’enfant me protégerait de la haine, je ne savais pas si mon statut de fils me serait suffisant pour enrayer la malédiction qui ferait de moi un homme ».

Il lui faut donc séparer le vrai du faux, le réel de l’irréel, le vécu du fantasmé, … une quête de la vérité entre la certitude et le doute, entre le possible et le plausible.pessan-eric.jpg

Il recherche ses racines pour se comprendre lui-même, pour savoir d’où viennent ses démons, comment il en a hérité et comment il pourrait les chasser. Il tente de reconstituer l’histoire qu’il n’a pas connue, qu’il n’arrive pas à découvrir, se perdant dans son texte comme dans les rues de Lisbonne. Il doit échapper à l’image du père qu’on lui a imposée et qu’on lui promet d’adopter.

« Tout le portrait de son père. La phrase me calmait aussitôt. Je ne voulais pas être comme son père, surtout pas. Je redoutais de le devenir malgré ma volonté, de ne pas pouvoir échapper à une fatalité profondément enfouie ; d’être la marionnette d’un caractère qui, inéluctablement, prendrait un jour le dessus. Je menais un combat contre moi-même ».

Ses recherches recoupent immuablement les pas d’un clochard qui hante, comme un fil rouge, cette histoire et relie les divers lieux où l’intrigue se déroule : Bordeaux, Weimar, Lisbonne, le clochard est le démon, le clochard est le père, le clochard est ce qu’il devient, le clochard est le destin auquel il ne peut échapper. Car ce livre est celui du destin, celui qui nous est imposé par nos pères, façonné par nos mères, celui qu’on ne peut fuir, celui qui dicte notre devenir, celui sur lequel butte notre libre-arbitre. On ne peut pas décider, on ne peut que subir. « On m’a prédit que j’hériterais de tous les travers de mon père, dès ma plus petite enfance, dès que j’avais une mauvaise appréciation sur un bulletin de notes, dès que je relevais la tête ». «Je faisais toujours tout pour ne pas devenir comme cet homme-là, pour me composer un portrait différent ». « Vivre était un combat contre une part de ma personnalité ».

Le héros, écrivain débutant, peut-être l’auteur par certains côtés, se fond progressivement dans son personnage comme un double prémonitoire, un « Doppelgänger » annonciateur de mort. Tout semble possible dans ce roman où le héros, le narrateur, l’auteur et certains autres personnages évoluant dans divers mondes, semblent se fondre dans un univers plus large que le nôtre et peut-être plus réel, plus crédible. Une façon d’ouvrir notre mode de pensée, de voir plus large de ne pas rester coincé dans l’univers que nous croyons connaître.

« J‘invente des scènes creuses et vides de sens. Je m’enkyste dans d’improbables souvenirs ».

Avec « Muette » j’avais découvert le talent littéraire et la maîtrise de l’écriture d’Eric Pessan, dans ce nouveau texte, j’ai eu la confirmation de ce talent et de cette maîtrise mais j’ai aussi trouvé une nouvelle facette de son art : il adopte un processus littéraire novateur, il plante des « mots-jalons » qui caractérisent un moment de l’histoire du héros, de son passé ou de son présent, pour, à partir de ces mots ou expressions, explorer un espace temporel ou spatial, virtuel ou factuel, reconstruire le chemin qui l’a conduit là où il est arrivé, tracer une nouvelle route qu’il dessine dans le récit qu’il écrit.

« Je trimbale partout les bribes de mon texte en devenir, le vaste monde n’est plus que l’antichambre de mes phrases ».

Un livre qui enchantera les amoureux des belles lettres et qui restera certainement dans la littérature.

 

ferney-churchill.jpg« TU SERAS UN RATÉ, MON FILS! »

CHURCHILL ET SON PÈRE

Frédéric FERNEY (1951 – ….)

Ce livre n’est pas, comme on pourrait le croire a priori, une biographie de Winston Churchill, c’est un récit qui cherche à démontrer comment un descendant raté d’une grande famille aristocratique britannique est devenu le sauveur d’Albion, comment le fils incapable de Lord Randolph Churchill, descendant des Ducs de Marlborough, est devenu une légende, le « Vieux Lion », le pire ennemi d’Adolf Hitler. L’auteur est très clair sur ses intentions et prend soin d’informer le lecteur : « Si j’avais tout lu, je n’aurais rien su et rien écrit ; je n’aurais pas osé empiéter sur sa légende et marcher dans son rêve. Je n’excuse pas sa violence ni tous les coups tordus qu’on lui prête. Je ne le défends pas, il est indéfendable ; je l’écoute, je m’efforce d’entrer dans son âme. Je ne suis pas son avocat, je suis son scribe. »

Ce texte montre comment Hitler a fabriqué le héros légendaire qui, sans cette guerre providentielle, serait probablement resté un raté bourré de complexes et de frustration, « un raté mondain comme le lui prédisait son père », en réveillant en lui le monstre qui somnolait depuis sa prime jeunesse. Enfant mal aimé par une mère peu attentive et très volage – qui pourtant essaie toujours de le faire pistonner par ses relations galantes – et un père sévère et toujours absent, il ne travaille pas à l’école où il excelle dans ce qui l’intéresse et méprise tout ce qui ne l’intéresse pas. Il voyage, écrit, fait la guerre en espérant se couvrir de gloire, il veut devenir célèbre pour faire de la politique mais surtout pour prouver à son père qu’il n’est pas le raté qu’il prétend avoir engendré. La guerre lui a beaucoup appris, il a compris les grands enjeux du siècle qui commence, il est un visionnaire, il écrit : « Les guerres des rois jadis étaient cruelles et magnifiques ; les guerres des peuples seront plus cruelles encore, et sordides ». Goujat, hâbleur, iconoclaste, c’est un arriviste, un opportuniste, il cherche la moindre parcelle de gloire pour construire sa vie publique. « Ses numéros de briseurs d’assiette, ses provocations et ses enfantillages traduisent un besoin éperdu d’exister qu’il satisfait sans modération ».c62ad8_e67f4e818fceb84bd642052191fafed8.jpg

Les héritiers de Braudel verront dans ce texte la preuve qu’un héros comme Churchill n’est pas né de rien, qu’il n’a pas surgi au bon moment du fond d’un abîme quelconque, qu’il est le fruit de tout ce que la civilisation anglaise a accumulé depuis des siècles pour vivre, se développer et rayonner sur une île pas toujours très accueillante. Mais force est de constater que, même si on adhère à ce point de vue, il faut bien reconnaître que le « Vieux Lion » a apporté un supplément d’âme, de détermination, de combativité à la fonction qu’il lui a été confiée et qu’il s’est imposé comme une mission divine. Ce récit montre aussi que la petite histoire, celle des individus, peut parfois tutoyer, bousculer, la grande, celle des peuples.

Il fallait tout le talent de conteur de l’auteur pour faire vivre ce personnage hors normes, hors dimensions, « Un dévoreur inassouvi, jamais rassasié. Un fumeur, un buveur, un joueur. Un lutteur maniaco-dépressif. Un politicien intuitif, impétueux et roué mais rétif aux courbes et aux chiffres. Un alcoolique mondain. Un travailleur infatigable. » Et le transformer en un héros légendaire sans jamais sombrer dans une quelconque complaisance, sans écouter les sirènes ou les détracteurs, seulement en le regardant vivre l’énorme complexe qu’il a toujours éprouvé à l’endroit de son père et transcender ses angoisses, « son chien noir » à travers l’action : sous les balles qui ne l’ont jamais inquiété, dans les débats politiques qu’il affectionnait. Winston Churchill a trouvé en Hitler le démon extérieur qu’il fallait détruire pour démolir ses démons intimes, devenir un digne fils de Lord Randolph Spencer-Churchill et enfin tuer le père en le surpassant.

« Randolph croyait en son destin – Winston aussi -, il n’avait pas le sens de l’histoire – Winston si ! »

FOLKEUSES d’aujourd’hui et de demain (1/4): JESSICA PRATT

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Jessica Pratt est une auteure-compositrice californienne née en 1987. Elle a sorti deux albums dont On your own love again en 2015.

« Est-ce parce que ses collines du Laurel Canyon y accueillirent le siècle dernier la papesse Joni Mitchell quon trouve aussi à Los Angeles la chanteuse Jessica Pratt? Même jeunesse que Laura Marling elle a 27 ans et même don pour ressusciter une tradition seventies. Son deuxième album, On Your Own Love Again, aligne neuf comptines surannées qui parlent couramment la langue de Crosby, Stills & Nash son Game That I Play n’aurait pas détonné en face B de Guinnevere, sa Strange Melody va même jusqu’à piquer les chœurs typiques du trio.

Avec aussi Vashti Bunyan comme marraine, mademoiselle Pratt a agencé un disque qui s’écoute au coin du feu, et ne conserve rien du troisième millénaire. Que Joanna Newsom et Flo Morrissey se méfient : le podium de princesse folk est déjà bien occupé. »

Johanna Seban (Les Inrocks)


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Jessica PRATT

LÀ-HAUT, LÀ-BAS

9804873033_97767be698_b_d.jpgCette chevelure qui mesure la moitié d’une femme. Halée par une main invisible sur un chemin de rêve (là, qu’y ferais-tu ?). Qui la recouvre à demi sans avoir besoin d’autre chose, d’autre robe. Des jambes qu’on imagine dans le prolongement, comme une langue bifide et luisante à une gorge prise.

Et dans ce renversement d’image, les dents adorables des orteils à la perpendiculaire de la surface de chair qui fait arrogamment face au regardeur ou délicieusement se retourne sur deux moitiés de lune maintenues en équilibre et en beauté par une ligne d’ombre absolue (là, qu’y ferais-tu ?). Aux ongles teints qui attirent l’attention malgré eux comme des touches de couleurs dans un ciel de traîne (là, qu’y ferais-tu ?). Hâlée, oui, comme cette peau pimentée de grains de  beauté. Avec une bouche si large qu’elle découpe le visage à l’horizontale, le blesse et le magnifie (là, qu’y ferais-tu ?). Une épaule découverte où glisse la bretelle fine d’un soutien-gorge cachant une poitrine suave à n’en pas douter (là, qu’y ferais-tu ?). Au verso d’une longue plage de peau descendant vers la mer.

Des yeux baignant dans une aube calme, comme ayant rassemblé le brun des grains dans leurs prunelles, le beau brun des bronzages de mots au soleil des pages ensoleillées. Pour un prêt à tempérament à un taux scandaleusement bas résille dans une banque d’images inviolables (là, qui ferais-tu ?). Un front semblable à un champ de blé impressionniste s’étendant de la ligne d’horizon du regard jusqu’à la frange d’épis de cheveux en bataille qui s’ébattent comme des chiennes avides d’une main caressante et floue. Des cils et des sourcils bien taillés comme des haies minuscules, légèrement courbées, suivant l’inclinaison des phares et des fards (là, qui ferais-tu ?).
Paysage à la fois serein et en attente de tourment, de tournants. Lignes courbes, en mal d’envol, terrassées dans le ciment d’une chair absorbante et nue. Et rien n’a encore été dit de ces endroits monstrueux et paradisiaques à la fois, aux confins de zones sourdes aux appels de même que sous-exposées aux regards autres que ceux des aigles et des chouettes. Ces hauts volumes comme ces failles profondes… (là qu’y ferais-tu ?).

  – Je rêverais en craignant les réveils, les sonneries amères du réel. Je crèverais toutes les couches de nuages de l’instant pour accéder à l’astre d’un printemps éternel et radieux, et si haut dans le ciel. J’inclurais la lune dans les ronds des lassos de l’oeil et des triangles de peau humide comme des voiles de caravelle. J’avancerais tel un égaré sans me soucier des ornières de boue vers une source de sable mouillé à souhait. Je dévalerais la pente des plaisirs. J’engrangerais des sensations et des senteurs, des sentiments pour mille ans puis je m’évanouirais, je disparaîtrais dans la cendre de mes feux pâles, dans le ventre de ma terre pour me souvenir à jamais de ces minutes volées à la course des planètes (mais là qu’y ferais-tu ?)

  – Je tomberais indéfiniment. Encore et toujours vers un temps d’avant la naissance du désir, assurément.

 

La photo est de Stephen D. Colloun, 1955