AU PIANO !

L’écrivain au piano.

Si certains écrivains ne peuvent écrire qu’en compagnie d’une guitare électrique, un coupe-ongles mécanique ou un ancien tampon hygiénique de Britney Spears (les écrivains sont bizarres) ou encore un verre (déformant) dans le nerf optique, cet écrivain ne pouvait écrire qu’au piano.

Un critique célèbre avait écrit tout un ouvrage pour en donner les raisons,  peu convaincantes, à vrai dire, pour les allergiques de l’essai littéraire (il y en a !). Il avait ainsi affirmé que sa nuit de l’effroi s’était produite sur un clavier mais, quelques semaines plus tard, la mère de l’écrivain, la veille de sa mort, infirma cette version et déclara polaroïd (d’époque) à l’appui que son fils avait été conçu sur une moto (au repos – on n’est pas au rodéo quand même !). Le critique se fendit d’un article dans lequel il affirmait que cela ne discréditait pas sa théorie car il se pouvait très bien que le o final (les critiques sont bizarres) avait pu servir de lien psychanalytique et que le bruit de l’engin n’était pas sans rappeler certains arpèges pianistiques.
La réalité était qu’à chaque nouveau livre son éditeur devait lui acheter un Steinway neuf sur lequel il tapotait autant qu’il scribouillait.

Quand il se rendait comme tout écrivain qui se respecte (un peu trop) à l’hôtel (pendant longtemps l’hôtel, rappelons-le aux jeunes auteurs qui ont bénéficié de subsides publics, a été la première résidence d’écriture des écrivains en mal d’inspiration) pour écrire mieux, il réclamait aux porteurs qu’on lui montât son instrument préféré. Ou à défaut une épinette.

Quand il reçut le Goncourt du meilleur écrivain au piano, les mauvaises oreilles dirent qu’il était le seul en lice, Bernard Pivot tweeta énergiquement que non et Pierre Assouline blogua dans le même sens pendant qu’Anne Lowenthäl et Marcel Sel se disputaient sur l’étymologie du mot blog), il reçut la presse devant son instrument de travail et les chassa hélas, avant qu’ils eussent eu le temps de poser la moindre question, en martelant le piano sans maître tel un Pollini fortifié aux anabémolisants avec des partitions de Stockhausen.

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Le peintre au piano

Le peintre au piano peint d’une main cependant qu’il joue de l’autre. Devant un piano customisé et une palette couverte de verres de couleurs qui n’est pas sans rappeler le pianocktail de Colin sans les liqueurs fortes.

Suivant le rythme de son inspiration, il s’accompagne à l’instrument ou au pinceau, il pédale ou il bien brosse. Devant un public situé à bonne distance pour entendre les nuances sans être aspergé de couleurs. Préférentiellement dans une piscine vidée de son eau chlorée ou une raffinerie désucrée. Voire une vieille forge commune expurgée de son marteau et de son enclume. Un atelier en forme de trompette. Un musée aux allures de violon avec des cordes trempées dans le suif.

Son œuvre bifide une fois terminée, entre bariolage sonore et musique en pots, ne ressemble à rien… de vraiment connu. C’est ce qui fait son prix, son originalité, son sel acoustique, son cumin optique. Pas moins que l’usager des réseaux du silence ou que moi qui retiens un cri, là, pour ne pas jouir devant vous, le peintre aime être aimé pour ce qu’il sait taire ou bien voiler.

Les auditeurs-spectateurs sont perplexes voire amusés, sauf les aficionados de ses débuts, celui des crayons de couleurs et du clavier miniature, qui trouvent, eux, qu’il progresse avantageusement et même qu’il n’a jamais si bien joué-peint depuis l’explosion de l’orchestre de chambre d’écoute qui l’accompagnait depuis son premiers pas dans la boîte à musique.

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Le piano (1955), Nicolas de Staël, huile sur toile, 160×220

À signaler à ce propos, le beau livre que lui a consacré Stéphane Lambert: NICOLAS DE STAËL, LE VERTIGE ET LA FOI chez Arléa-Poche (192 pages, 9€)

« Nicolas de Staël incarne comme nul autre la fracture entre le besoin de création et le tourment d’exister.
Stéphane Lambert donne la parole à Nicolas de Staël lors d’une nuit d’intense bouillonnement intérieur, qui le vit revenir, au volant de sa voiture, de Paris à Antibes où il devait se suicider une semaine plus tard après avoir réalisé sa dernière oeuvre, Le Concert.
Puis face à ce même tableau, au musée Picasso d’Antibes, il revient sur la vie du peintre, sa fièvre visionnaire et sa solitude, qui donnent à l’oeuvre son vigoureux mystère et à l’artiste sa tragique fragilité. »

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Le livre sur le site de l’éditeur

L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES de DENIS BILLAMBOZ – Épisode 4

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FIN DE L’ÉPISODE 3

Au final, un catalogue, une compilation de descriptions et de réflexions érudites qui laisse l’intrigue dans l’impasse et égare le lecteur. Une lecture qui lui laisserait certainement un goût d’inachevé mais il devait attendre la fin du livre pour émettre un quelconque jugement sur cette œuvre. Il craignait cependant que, comme souvent hélas, l’auteur ait voulu trop en faire et que le livre finalement perde de son acuité, de sa clarté, de sa justesse et qu’il ne raconte qu’une histoire verbeuse qui ne générerait pas une réflexion bien profonde. Il posa donc ce livre en pensant le terminer plus tard. Il se laissa un instant aller à la rêverie dans la douce quiétude de son logis.

ÉPISODE 4

Et, maintenant, il allait tourner au coin de la Main pour prendre la Catherine, là ou un joueur de « ruine-babines » s’escrimait sur son instrument, espérant attirer l’attention des badauds pour leur soutirer une piécette qui, en s’additionnant à d’autres déjà reçues ou à gagnées, pourrait lui permettre de boire une bière dans un des cafés du coin. C’était un habitué de la manche, un véritable professionnel, Il remarqua vite ce promeneur à l’air rêveur et candide qui ferait certainement un bon pourvoyeur de fonds s’il savait l’aborder. Il souffla donc un peu plus fort dans son harmonica et quand le badaud parvint à sa hauteur, il lui fit un sourire assez grand pour ne pas être triste mais assez contrit pour apitoyer son homme, le promeneur tourna la tête vers ce musicien des rues et tomba vite dans les rets de ce sourire bien rodé.

– Une petite pièce pour manger, mon prince !

– Pour boire plutôt !

– Mon prince me juge bien mal !

– Je connais la musique !

– Peut-être, mais pas la mienne !

– Oh, elles sont toutes semblables !

– Pas sûr !

– Bon, je ne suis pas très pressé, je te paie un sandwich et une bière au café d’en face, d’accord ?

– Pourquoi pas ! On y va !

– Allons-y alors !

Ils traversèrent la rue, s’installèrent à une table près de la vitre et, s’épiant, restèrent un instant silencieux. Ce silence fut bientôt rompu par un serveur s’avançant vers eux pour prendre leur commande. Lui bu sa bière tranquillement pendant que le musicien mastiquait énergiquement son en-cas comme s’il n’avait pas mangé depuis plusieurs jours, espérant toujours faire croire à son hôte qu’il avait réellement faim et qu’ainsi il pourrait peut-être en tirer un petit supplément en forme d’une petite pièce de monnaie ou d’un verre d’alcool pour lui apporter quelques calories bien utiles pour lutter contre la froidure qui s’installe, à cette saison, à la tombée du jour. Mais, le subterfuge n’atteignait pas on partenaire de circonstance, toujours aussi peu loquace, gardant les yeux rivés sur le bâtiment en face de la place qui abritait le conservatoire. Pour le tirer de cette espèce de langueur et le ramener à des choses plus concrètes, un autre verre par exemple, le musicien ouvrit la discussion en lui demandant s’il connaissait ce bâtiment ?

– Non !

– C’est le conservatoire !

– Ah bon ! Bel édifice !

– Je pourrais vous raconter une histoire à propos de ce bâtiment, mais peut-être que je vous ennuie,

– Mais non !

– Je vais donc vous la raconter,

 – Si tu veux, une autre bière ?

– Pour vous accompagner, mon prince (la manœuvre avait réussi mais il fallait savoir avoir le triomphe modeste),

– Trop aimable !

– C’était un soir d’hiver, un soir où il faut bien boire quelques verres pour ne pas geler sur le bord du trottoir, et ce soir-là il faisait particulièrement froid, il fallait donc un peu plus d’alcool pour avoir une chance de résister dans l’atmosphère ambiant. J’avais donc bu quelques bières et quelques autres verres sans doute, j’avais dû m’assoupir sur la table d’un café celui-ci peut-être ou un autre, je ne sais plus très bien. Je me souviens seulement du rêve qui m’entraina là-bas, dans ce bâtiment que vous regardiez, il y a un instant, avec tant d’attention et qui me laissa un bon moment perplexe quand je me réveillai. J’avais fait un voyage dans ses entrailles en passant par une porte qui n’existe pas, je la connais cependant comme ma main cette place, eh bien, il y avait une porte que je n’avais jamais vue et cette porte n’était pas totalement fermée, elle semblait m’attendre pour que je la pousse, ce que je fis. Devant moi, un grand trou noir béait mais en grattant une allumette, je constatai qu’il y avait un escalier qui descendait dans les sous-sols du conservatoire, probablement, j’osai, je descendis à pas de loup et bientôt me retrouvai devant une autre porte qui semblait, elle aussi, attendre qu’on la pousse doucement et une nouvelle fois j’osai.

Une musique venait de derrière cette porte, ou de plus loin peut-être, quand elle fut assez ouverte, une lumière sombre, aussi sombre que celle qui s’efforce de ne pas éclairer la piste de danse dans les bars à musique où les jeunes vont se défouler, tamisait l’ambiance de ce qui pouvait être une salle de café ou peut-être un cabaret. J’attendis un instant, le temps que mes yeux s’accoutument à cette pénombre, et bientôt je distinguai des ombres, des formes, des femmes, des hommes, des comédiennes, des comédiens en costume de scène qui semblaient m’attendre. Ils m’invitèrent à entrer et à m’installer à une table où un serveur en costume théâtral me proposa une consommation de mon choix. Eu égard à mon état, il n’était plus nécessaire de prendre une quelconque précaution, je commandai donc une bière qu’on m’apporta bien fraîche.

La troupe me regarda boire et se rapprocha de moi jusqu’à me toucher, ils formèrent bientôt, autour moi, un grand cercle de costumes comme on peut en voir dans certains films d’époque. Je ne sais plus qui commença, une comtesse peut-être, ou alors un shérif, mais peu importe, ils voulaient tous la même chose, ils voulaient tous que je joue un bout de rôle, un morceau de musique, ou peut-être autre chose encore, avec eux, individuellement, pour qu’ils puissent après cette dernière exhibition accéder au paradis des comédiens. J’étais très intrigué et je craignais d’être à mon tour ensorcelé et de, par exemple, prendre la place de celui qui accéderait au paradis, ou d’accompagner au paradis mon partenaire d’un soir. Je me sentais pris au piège, j’avais mal à la tête et le barman me secouait pour me réveiller car le café devait fermer ses portes pour la nuit. Il me fallut un bon moment pour comprendre où j’étais et admettre que j’avais simplement rêvé.

Drôle d’histoire, mon prince !

– Quoi ?

– Eh bien, ce rêve !

– Oui certainement, il n’écoutait plus depuis longtemps, il fixait le conservatoire, là où le joueur de « ruine-babines » avait vu une porte, Michel Tremblay était appuyé, là, avec aux lèvres un sourire mi narquois, mi moqueur.

Il frissonna, il n’avait plus très chaud, il s’était assoupi, il était l’heure qu’il prenne son café et sa petite gentiane. Il en avait bien besoin pour revenir dans son monde, reprendre contact avec la réalité avant de rejoindre son lit où d‘autres rêves pourraient bien l’attendre. Mais il n’était pas très pressé, il ne fallait mélanger tous les rêves et garder au moins un pied dans la réalité. La neige qui tombait maintenant doucement, blanchissait la nuit, arrondissant les contours des maisons et autres formes qui encombraient son paysage. Il aimait ces nuits de neige douce qu’il pouvait admirer de sa fenêtre dans la chaleur de son foyer après que son café l’avait réchauffé et que la gentiane l’avait revigoré. Avant de s’endormir dans son lit douillet, il espérait finir son livre de Robertson Davies dont il avait déjà bien avancé la lecture.

Malgré une chute un peu inattendue, ce livre ne le surprenait finalement pas trop et n’entrerait certainement pas dans le classement de ses meilleures lectures de l’année. Il fallait une autre chance à cet auteur pour espérer entrer dans son panthéon littéraire. De toute façon, ce n’est pas lui qui l’accompagnerait ce soir au pays de ses rêves, il se concentrerait sur autre chose et peut-être sur un fantasme qu’il avait depuis longtemps : écrire, écrire un vrai livre pour dire ce qu’il avait en lui, pour raconter ce qu’il n’avait jamais pu dire car il ne savait pas parler avec les autres, les mots ne sortaient pas aisément de sa bouche pour donner forme à ce qu’il avait sur le cœur, sur l’estomac ou tout simplement en tête.

Il avait envie de raconter une belle histoire pas triste, pas trop gaie non plus, juste une histoire qui apporte un peu de réconfort à tous ceux qui lisent pour meubler une absence quelconque, une histoire qui remonte le moral, qui renforce la foi en la vie. Il marchait dans une neige épaisse et froide, une neige qui marque le début de l’hiver, celle qui n’est pas encore salle d’un usage trop intensif. Il aimait cette neige qui portait encore la fraîcheur des lourds nuages dont elle venait et qui n’avait pas encore fait connaissance avec le sel et les autres artifices que les hommes déploient pour la chasser loin de leurs maisons et de leurs routes. Il se laissait aller à cette fraîche quiétude, quand une main qu’il n’avait pas vu venir, s’appuya sur son épaule et qu’une voix qu’il connaissait bien lui parvint à travers la brume de son rêve. C’était Gunnars Gunnarsson qui le rattrapait et lui souhaitait une bonne journée :

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Gunnars Gunnarsson

– Comment vas-tu ?

– Bien !

– On dirait que tu es un peu ailleurs ?

– Oui ! Non ! Enfin, si peut-être un peu !

– Quelque chose qui ne va pas ?

– Non, je pensais simplement, mon esprit vagabondait, comme souvent.

– Et où étais-tu ?

– Je ne sais pas très bien mais dans la neige, ça c’est sûr !

– Pour skier ?

– Non, pas franchement !

– Alors pourquoi faire ?

– C’est cette vieille envie d’écrire qui me revenait, mais comme toujours dans ce fantasme, il y a un trou : je voudrais écrire, mais je ne sais pas quoi écrire. Tu comprends ?

– Oui, à peu près.

– Bah, c’est une vieille envie qui restera sur le rayon des choses que je n’aurai pas su faire avec celles que je n’ai pas pu faire. On ne vit qu’un morceau de toutes les vies qu’on pourrait vivre comme essaie de nous le faire comprendre Pascal Mercier avec son histoire de train dans la nuit.

– Ca serait dommage de ne pas essayer, mets-toi devant ton clavier et tape, il en sortira toujours quelque chose que tu n’es pas obligé de garder.

– Oui, mais que raconter qui n’a pas déjà été rabâché des dizaines, voire des centaines de fois ?

– Tu parlais de neige, il y a un instant, tu as déjà le cadre de ton récit !

– Ce n’est pas très original, ni très significatif comme point de départ.

– J’aurais une idée, n’aurais-tu pas envie d’écrire un conte, un conte de Noël puisque l’hiver commence ?

– L’idée est tout à fait intéressante mais pas très originale non plus.

– On n’écrit plus de contes de Noël, on endort toujours les enfants avec les mêmes légendes depuis des lustres.

– Tu as sans doute raison, j’y réfléchirai.

– Fais un petit effort et l’inspiration viendra !

– Oui ! Peut-être !

Ils poursuivaient leur route en silence quand ils rencontrèrent le berger du haut du village, il rentrait avec quelques brebis qui s’étaient égarées dans la montagne, il avait dû les secourir avec son vieux bélier et son chien pour les regrouper et les ramener vers la chaleur de leur bergerie pour s’abriter des rigueurs du terrible hiver islandais. Après avoir salué le berger, ils se séparèrent et se dirigèrent chacun en direction de son habitation respective. Quand il eut rejoint la sienne, l’heure était venue de prendre un petit casse-croûte avec un café bien chaud pour retrouver un peu de la chaleur qu’il avait abandonnée lors de sa promenade vespérale dans les rues froides de son petit village au pied de la montagne. Tout en mastiquant une belle rondelle de saucisse du pays avec un peu de beurre sur du pain de seigle, il réfléchit à ce que son ami lui avait dit : il pensa à ce berger avec son chien et son bélier comme à un berger d’une crèche polaire avec un chien en guise d’âne et un bélier en guise de bœuf. Petit à petit son idée prenait forme, son conte de Noël se dessinait avec ce berger et ses compagnons partis à la recherche des brebis égarées pour les sauver de l’hiver impitoyable. Il imaginait bien maintenant cette expédition dans la montagne, dans des conditions climatiques très difficiles l’homme avançait péniblement précédé de son bélier qui faisait la trace et suivi de son fidèle chien. Le vent glacial lui griffait le visage mais rien ne pourrait le faire douter de sa mission, il ne pouvait pas laisser ses brebis trop jeunes pour procréer mais assez adultes pour prendre quelque liberté avec le troupeau. Ce conte qu’il allait écrire, ne devait pas être triste comme trop d’histoires islandaises, il devait, même au risque d’apparaître comme un peu trop moraliste, inspirer un peu d’espoir à tous ceux qui le liraient, surtout s’ils le lisaient pendant la période de Noël. Il s’agita un peu dans son sommeil mais il était maintenant décidé, il écrirait ce comte qui serait bien sûr publié dans le journal local. Il voyait déjà le titre au-dessus d’une photo d’un berger portant une jeune brebis sur ses épaules pendant qu’un chien mordillait les pattes d’un bélier à l’air têtu. Il entendait déjà les commentaires des lecteurs ….

MEMOIRE D’ARMÉNIE

88957_300.jpgpar DENIS BILLAMBOZ

2015 marque le centième anniversaire de la tentative de l’éradication des Arméniens par les Turcs. Pour apporter ma très maigre contribution à la mémoire de ce peuple massacré, j’ai voulu réunir ces deux textes. Un essai de Michel Marian expliquant comment la mémoire de ce génocide a été effacée et comment de nombreuses opportunités de rendre justice à tous ces innocents exterminés ont été gâchées. Et un témoignage impressionnant de Nikita Dastakian qui, à près de cent ans (il est né en 1897, son livre a été édité en 1998, je ne connais la date de son décès, s’il est décédé), a rédigé sa traversée du XX° siècle en parcourant tous les lieux de douleur et de violence dont l’Arménie au moment du massacre. La vie d’un Arménien chassé de son pays, condamné à toujours fuir.

 

9782226253842g.jpgLE GÉNOCIDE ARMENIEN : De la mémoire outragée à la mémoire partagée.

Michel MARIAN (1952 – ….)

J’écris ce commentaire le 24 avril 2015, en forme d’hommage aux six cents notables arJ’méniens assassinés à Constantinople le 24 avril 1915 (devenue date officielle de la commémoration du génocide arménien) et aux centaines de milliers de victimes massacrées lors de l’anéantissement de ce peuple commencé bien avant cette date, les premières exactions notoires remontant selon les sources au moins à 1894. Michel Marian, philosophe aux racines arméniennes, se penche sur ce dramatique épisode historique non pas pour en rappeler les causes et les origines mais avant tout pour en évoquer la mémoire outragée et la mémoire partagée selon le sous-titre de son ouvrage : « De la mémoire outragée à la mémoire partagée ».

Lors de la grande débâcle de la première guerre mondiale, les Ottomans puis les Turcs ont vite compris qu’ils perdraient leurs territoires balkaniques et moyen-orientaux et qu’ils devaient sanctuariser un territoire inaliénable en expliquant que leur peuple était l’enfant légitime du peuple Hitite occupant déjà ce sol à l’époque de Ramsès II. Nantis de cette légitimité historique, ils se sont alors employés vigoureusement, violemment, avec une brutalité ignoble et sauvage à déchristianiser l’espace turc actuel en massacrant notamment les représentants de la communauté arménienne.

Mais ce qui intéresse surtout l’auteur c’est la façon dont ce génocide – il faut employer ce terme utilisé pour la première fois de façon officielle par l’Etat uruguayen en 1965, prononcé récemment par le Pape et admis officiellement hier par la République d’Allemagne – a été minimisé, édulcoré, étouffé pour être ramené par les Turcs à un événement de conquête territoriale suite à un combat entre deux peuples opposés. Les exactions sont admises mais seulement comme étant largement partagées. Michel Marian analyse avec finesse et précision tout ce qui a pesé sur cette triste page d’histoire, tous les artifices déployés, toute la mauvaise volonté des divers pouvoirs turcs et le peu de soutien dont la nation arménienne de la diaspora comme de la République soviétique et enfin de l’Arménie libre a pu bénéficier.

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 Michel Marian

Il explore toutes les opportunités manquées pour que ce génocide soit reconnu une bonne fois pour toute et que le travail de réconciliation puisse commencer pour le plus grand bien des Arméniens d’Arménie ou de la diaspora et des Turcs eux-mêmes enfermés dans un déni intenable depuis un siècle. Les opportunités ont été nombreuses, le traité de Sèvres, en 1920, était une très bonne base pour construire un rapprochement entre les deux peuples mais il a vite été dénoncé, l’espoir est revenu avec le procès de Nuremberg stigmatisant la destruction programmée d’un peuple entier, puis avec la création du terme génocide, en 1948, pour dénommer la shoah, et d’autres occasions encore toutes bafouées. A chaque fois les arguments politiques, religieux, géopolitiques, juridiques, économiques, psychologiques, égotiques et même sémantiques (pour certains le terme génocide ne peut désigner que la seule shoah) ont fait capoter toutes les opportunités de sortir cette abominable page de notre histoire de l’oubli ignoble dans lequel elle croupit depuis un siècle.

Michel Marian reste cependant optimiste, il croit que le long combat du peuple arménien et la pugnacité de ses représentants, seront récompensés et que dans un avenir à moyen terme ce génocide sera enfin reconnu par tous y compris les Turcs. J’ai, pour ma part, l’impression que, depuis quelques jours, l’histoire s’accélère, le pape et l’Allemagne pourraient être suivis par d‘autres encore, ce qui mettrait la Turquie dans une situation encore plus difficile à tenir. Il serait temps que le monde lave définitivement cette page bien sale de notre histoire et rende la reconnaissance due à ces malheureuses victimes d’un conflit qui les concernait bien peu.

«Le mur légendaire de la relation arméno-turque, même s’il est destiné en 2015 à trouver de nouvelles illustrations, a subi de sérieuses brèches ces dernières années… On peut donc parier que l’on entre dans l’époque de la solution ».

 

5120BT5RYVL._SX334_BO1,204,203,200_.jpgIL VENAIT DE LA VILLE NOIRE

Nikita DASTAKIAN (1897 – ?)

À plus de 90 ans Nikita Dastakian entreprend de raconter sa vie qui n’est plus une vie mais une véritable odyssée à travers tout un siècle, le XX°, de Bakou à Saint-Pétersbourg, des steppes de Sibérie à Paris en passant par l’Iran et la Roumanie ; une odyssée à travers les guerres, les révolutions, les émeutes, les massacres, les déportations, toutes les grandes épreuves qui affligèrent ce siècle de grandeur et de misères qui supporta des horreurs inconnues à jusqu’à cette époque.

Arménien qui n’a pratiquement jamais connu l’Arménie, né d’une famille implantée au Karabakh, en provenance de Perse, il a passé son enfance à Bakou, la Ville Noire, à l’époque où celle-ci était le premier centre de production pétrolière du monde. Après dix années d’études à Saint-Pétersbourg, il est envoyé sur le front, en Bucovine, dans une armée en débandade, gangrénée par les pacifistes qui veulent sympathiser avec l’ennemi. Retour à Bakou où, après le massacre des Arméniens en 1905, les Tatares veulent recommencer leurs exploits qu’ils finissent par accomplir avec la bénédiction de l’armée turque qui leur accorde trois jours pour massacrer le maximum d’Arméniens. Dastakian participe, comme officier, à la lutte contre l’armée turque avec les moyens dérisoires qu’on lui confie, et réussit à passer en Iran avant de tomber aux mains des ennemis. Réfugié en Iran, il côtoie les Anglais avec lesquels il travaille et qu’il retrouve en Roumanie où il se réfugie après la russification de l’Azerbaïdjan pour échapper aux Rouges qui veulent l’emprisonner. Il coule quelques années paisibles, joyeuses, plutôt ludiques quand la Roumanie était encore neutre et que les espions de tous bords y grouillaient, les poches bourrés des monnaies les plus diverses. Après l’invasion de la Roumanie, les Russes l’expédient à Moscou où il commence la deuxième partie de sa vie, et de son livre, qui concerne sa détention dans les camps des steppes de Sibérie et sa réclusion au Kazakhstan. Il confie que la vie qu’il mena dans ces camps ressemble en tous points à celle qu’Ivan Denissovitch a connue au goulag sous la plume d’Alexandre Soljenitsyne.

Nikita Dastakian a une excellente mémoire, il « témoigne. Mais ses souvenirs n’ont rien d’un réquisitoire. Etranger à toute idéologie, dénué de fanatisme, il relate simplement les faits, juge les hommes et les situations avec bon sens. C’est un témoin honnête que l’historien prend rarement en défaut », affirme le préfacier. Il évoque les nombreuses familles arméniennes vivant à Bakou ou ailleurs, des quantités d’amis rencontrés tout au long de ses aventure, diplomates, hommes d’affaires, détenus, réfugiés, déportés, gens du peuple mais surtout des intellectuels, des personnalités, des officiers, tous attirés par sa grande culture et sa pratique de nombreuses langues. Il a côtoyé aussi bien des Rouges que des Blancs, des Arméniens que des Tatares, des Allemands que des Anglais,…, il a même travaillé avec l’administration du camp tout en gardant une excellente réputation auprès des détenus. Mais tout ça, c’est lui qui le dit.

Ce texte est un excellent témoignage sur les massacres des Arméniens, les prémices de la Révolution d’octobre, le rôle important que les juifs y jouèrent et, après ceux de Chalamov et de Soljenitsyne, un document de premier ordre sur les procès bidons, les accusations truquées, l’arbitraire stalinien, l’internement «préventif », la rééducation, l’élimination des populations indésirables, l’éradication des peuples gênants, la liquidation des forces des opposants potentiels. Et aussi un aperçu de la méthode soviétique aussi efficace et stupide que peut l’être une administration absurde qui fait pour faire mais rien pour atteindre un objectif clair et précis. Le seul but à atteindre étant de remplir des objectifs virtuels par des statistiques truquées. Un regard sur l’envers du décor, sur la face cachée des grands événements qui ont endeuillé l’Europe tout au long du XX° siècle.

 

EN SAVOIR PLUS

PHOTOGRAPHIES sur le génocide arménien de 1915 (sur le site du Comité de Défense de la Cause Arménienne)

PHOTOGRAPHIES sur le génocide arménien (sur le site du Nouvel Obs)

Avec notamment un témoignage de Léa Salamé

L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES de DENIS BILLAMBOZ – Épisode 3

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FIN DE L’ÉPISODE 2

Il voulait quitter très vite ce pays et monter plus au nord mais avant, il devait prendre un thé pour évacuer les bribes du rêve précédent qui souillaient encore son cerveau embué et mal réveillé. Il décida donc de préparer un Darjeeling, un thé un peu plus tonique, qui réveille bien et qui lui donnerait envie de prendre l’air avant que le froid ne devienne trop vif, à la tombée du jour. Le thé fit l’effet escompté, il enfila son vieux manteau, si confortable, et coiffa le chapeau qu’il ne quittait presque plus quand il sortait de sa maison. Il aimait par-dessus tout ce moment magique avant que la neige se décide à tomber, quand le ciel paraissait vouloir s’encanailler avec la terre, que s’installe un équilibre précaire ou tout semble suspendu pour un instant d’éternité. Il aspira à plein poumon cet instant d’extase…

 

ÉPISODE 3

Le vieux bateau à roues à aubes remontait la rivière au rythme lent de sa machinerie poussive tentant d’accompagner le vieux noir qui, à l’avant, jouait de son banjo en chantant « Old man river » presqu’aussi bien que l’aurait fait le Genius, Ray Charles, le roi de ce Sud cruel et luxuriant, fascinant et envoûtant. Quittant le navire, on pouvait suivre un sentier entre les plantations de coton où les cueilleurs s’acharnaient à ne pas perdre leur pauvre vie au son d’un long lamento gémissant la douleur de ces femmes et de ces hommes n’ayant pour tout patrimoine et pour toute espérance que cette musique et ces chants. Harriet était là au bout cette parcelle, elle l’attendait, elle voulait lui montrer la tombe du vieux Tom, trop bon pour se rebeller, assez saint pour se sacrifier, assez fort pour croire en un autre avenir. Alors, Harriet lui expliqua qu’un blanc était toujours un blanc mais que tous les blancs n’était pas identiques, certains étaient pires que les autres. Tout n’est pas si manichéen, Catherine Carmier n’a certainement pas eu le même sort que « La maitresse » de Valerie Martin ou que «L’esclave libre » de Robert Penn-Warren. Mais, même s’il y a des nuances importantes dans la noirceur de cette page d’histoire, le noir restera toujours du noir dans le vieux sud comme à Chicago, là où le South Side butte sur le West Side, là où Iceberg Slim et Richard Wright l’attendaient tranquillement en sirotant une bière tiède dans un bar antédiluvien où les moquettes avaient été rouges et les ors moins ternes.

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Richard Wright

Richard voulait parler de Bigger qui avait été exécuté peu de temps auparavant après le meurtre de la fille de ses employeurs, il ne voulait pas chercher à nier sa culpabilité, il voulait simplement expliquer toute la mécanique de la ségrégation, de l’humiliation, de l’injustice, de l’exploitation qui faisait de ces jeunes, pas franchement mauvais, des délinquants par fatalité. Et, Iceberg aurait bien voulu se faire accompagner de Mana Black Widow mais celle-ci n’aimait pas trop fréquenter des gens qu’elle ne connaissait pas, elle avait appris à se méfier, à vivre cacher pour vivre tout simplement, heureuse c’était bien autre chose dans ce quartier. Longuement Richard expliqua comment les noirs survivaient dans ces immeubles miteux, insalubres, jamais entretenus, pour un loyer bien trop élevé qui engraissait des blancs qui les obligeaient à résider là, dans ces ghettos, et pas ailleurs ; constituant ainsi une véritable rente de situation avec cette population condamnée, de par sa couleur, à payer des loyers comme d ‘autres paient rançons à des racketteurs.

– Et, personne ne dit rien ?

– Se plaindre à qui ?

– A la justice !

– C’est celle des blancs !

– A la police !

– Ce sont aussi des blancs et quand il y a des noirs, ils sont pires que les blancs.

– Iceberg qu’en penses-tu ?

– La même chose mon gars !

– Comment sortir de cette vie de médiocrité dans le ghetto ?

– La drogue, dit Iceberg, si tu ne crains pas de mourir jeune !

– Et quelques autres combines tout aussi dangereuses ajouta Richard.

– L’impasse ?

– Absolument !

– Peut-être un jour…

– Mais pas demain !

Ils vidèrent leur verre, restèrent silencieux comme écrasés par le mur qui bouchait l’horizon de ces jeunes sans avenir mais attirés par la façade d’en face que le soleil dorait de ses derniers rayons…

Le soir descendait, l’air était soudainement plus frais, la neige avait cessé de tomber, il faisait maintenant trop froid pour baguenauder de par les sentiers campagnards. Il prit donc le chemin du retour, évitant de passer devant les maisons voisines, il n’avait pas envie de gâcher son rêve en parlant de choses bassement triviales avec ses voisins. Inutile de dire qu’il faisait froid, il le sentait bien et les autres aussi. Inutile de prévoir qu’il neigerait demain, il serait bien assez tôt de s’en préoccuper le moment venu. Il rentra donc chez lui en coupant à travers son petit verger envahi par une légère couche de neige qui masquait les anfractuosités du terrain mais il avait pris soin de mettre des chaussures adéquates pour éviter les pièges que la neige pouvait réserver. Il était encore tôt, trop tôt pour préparer son léger repas du soir, il décida donc de regarder la télévision pour faire passer un petit bout de temps mais après avoir zappé un jeu débile, une publicité stupide et un chanteur essoufflé, il décida qu’il était préférable d‘écouter un peu de musique. Il se conforma alors au rituel qu’il avait instauré depuis de longues années, l’hiver il écoutait plutôt de la musique baroque et le soir plutôt de la musique de chambre ou des solistes ou des petites formations, trios, quatuors, etc… Donc, en cette soirée déjà hivernale, il écouterait un Concerto Brandebourgeois de Jean Sébastien Bach, celui où il y a de la trompette, il avait oublié le numéro, il fallait qu’il vérifie. Il réfléchit un instant et pensa qu’il devait s’agir du N° 2 mais il n’en était pas sûr, il avait une édition de ces concertos enregistrée par Ton Koopman avec l’Orchestre baroque d’Amsterdam, un bon enregistrement.

Cette musique dégageait une impression de paix et de quiétude toute religieuse mais une religiosité triomphante, sûre de son dogme et de sa foi…

Comme cette femme qui conduisait le bus tombé dans le ravin, elle savait ce dont elle était responsable mais elle ne voulait pas assumer ce qui ne lui incombait pas. Elle savait qu’elle allait devoir lutter pied à pied car le malheur aiguise toujours les rancœurs, les appétits, les jalousies larvées, et Russel Banks la guiderait dans ce difficile voyage vers de « Beaux lendemains ». Mais, Russel Banks voulait l’entraîner, lui, en Afrique, et plus précisément au Libéria, pour y mesurer l’horreur et la détresse qui accablaient ce pays dédié à la liberté. Il refusa, luttant avec sa mémoire pour effacer les images qu’il avait construites en lisant « American Darling », des images d’enfants assassinant, des images d’enfants assassinés. Non, il ne voulait plus voir ça, c’était trop, il s’agita, changea de position et son rêve repris forme. Il était maintenant dans une grosse voiture américaine conduite par Jack Kerouac qui lui proposait de faire le voyage transaméricain par la fameuse et mythique route 66 mais cette route était bien longue et parfaitement ennuyeuse lorsqu’on atteignait les grandes plaines du Far West, aussi monotone qu’une soirée mondaine. Il accepta cependant de l’accompagner jusqu’à la prochaine taverne qu’ils rencontreraient dans cette région où Paradise, un soir comme celui-ci, avait fait halte dans un bar miteux où un noir soufflait divinement dans sa vieille trompette bosselée, « souffle gars », « souffle », s’était-il écrié pour qu’il n’arrête pas cette musique envoûtante, qu’il ne tue pas ce moment de magie. Il n’y avait pas de bluesman dans le motel où ils passèrent une nuit de cohabitation avec les cafards. Et, comme Moriarty ou Paradise, il confia son sort à la route, son rêve à sa mémoire, et se retrouva à San Francisco avec Maupin qui lui proposa de l’herbe bleue qui procure des rêves roses. Il refusa, il ne voulait pas prendre le risque d’altérer ses rêves, il voulait garder les couleurs telles qu’elles avaient surgi de ses lectures pour se lover dans les dédales de sa mémoire.

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Armistead Maupin 

Maupin le présenta à la petite communauté qui partageait l’immeuble avec lui, Barbary Lane, une petite troupe pleine d’amitié, où cohabitaient tous les sexes adeptes de bien des pratiques sexuelles qui n’excluaient cependant pas de réels sentiments amoureux. Il aurait bien prolongé son séjour dans ce petit refuge idyllique, cet ilot de bonheur dans un monde brutal et sans âme, mais il voulait effectuer un large détour pour visiter l’Amérique originelle, celle qui est restée presque en l’état dans lequel elle a été chapardée aux indiens. Tom Savage l’attendait dans les collines du Montana, dans un ranch rustique où deux frères forts et virils élevaient du bétail et cultivaient la terre. Quand il arriva, un petit troupeau avait été rassemblé, l’hiver approchait et il fallait alléger le cheptel pour pouvoir passer l’hiver avec la réserve de fourrage engrangée pendant l’été. On lui proposa un beau cheval bai qu’il enfourcha avec la grâce et la souplesse de John Wayne dans la Chevauchée fantastique et ils prirent la direction de la ville en passant par la vallée toute rouillée des vents et gelées de l’automne. La splendeur de ces paysages reteint longtemps son attention, il aperçut la ville toute proche sans s’être rendu compte que le temps avait coulé bien vite de son sablier. Ce n’était en fait qu’une bourgade organisée autour d’une vaste place où l’on pouvait parquer du bétail dans d’étroits enclos où les acheteurs évaluaient leur proie avant de marchander longuement et durement avec les éleveurs pendant que les gardiens de troupeau transformaient leurs gages en verres de bière ou de bourbon. Les deux frères cédèrent leur bétail pour une somme qu’ils jugèrent insuffisante mais qui devait être tout de même assez honnête car ils offrirent une tournée générale quand ils retrouvèrent leurs boys au saloon. Les verres s’ajoutèrent aux verres, le bourbon succéda à la bière, les langues s’animèrent, les bras s’agitèrent, quelques châtaignes furent distribuées mais rien n’excéda ce qui constitue la geste ordinaire d’une soirée de marché aux bestiaux dans le tréfonds de l’Amérique, à la limite de la civilisation, là où les coups ont plus de poids que les mots. Il avait cependant remarqué que les deux frères ne se côtoyaient pas, ils trônaient, face à face, chacun à un bout du bar et se lançaient des regards qui ne comportaient pas que de l’amour fraternel. Apparemment, l’alcool nourrissait un contentieux naissant entre ces deux gaillards comme un biberon gave un bébé goulu. Cependant le plus jeune manifestait une certaine agitation qui semblait venir d’ailleurs, d’un autre membre du groupe, ses yeux brillaient, se fixaient par instant sur un point bien précis qu’il n’arrivait pas à identifier de là où il était. Ses joues étaient devenues plus rouges, comme celles d’un puceau qui ose aborder une jeune fille pour la première fois en espérant découvrir un monde dont il ne connait que l’apparence créée par son imagination.

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Tom Savage

Il suffirait certainement de bien peu de chose pour que la situation devienne brutalement plus tendue, peut-être même explosive, l’aîné sentit le danger et décida de rentrer au ranch, le cadet ne regardait plus son frère, il semblait fasciné, ses yeux suivaient un jeune vacher fraîchement arrivé sur la ferme – d’après ce qu’il avait entendu dire – son souffle était un brin plus précipité et ses gestes étaient devenus plus lents. Les autres interrompirent leur conversation, le regardèrent intrigués et le fier éleveur réalisa soudain qu’il était la cible de tous les regards, il respira un grand coup et commanda une nouvelle tournée pour détourner l’attention et recréer l’ambiance d’où il s’était évadé.

Miaouh ! Miaouh ! Son jeune chaton commençait à avoir faim, il s’était assoupi en écoutant le CD qu’il avait mis sur la platine et il était maintenant temps de réchauffer la soupe qu’il gardait au réfrigérateur pendant quelques jours pour ne pas éplucher des légumes tous les soirs. Il monta le chauffage d’un cran, la température ambiante avait baissé sensiblement et le demi sommeil l’avait un peu engourdi, il avait besoin de quelques calories supplémentaires pour reprendre un peu plus de vigueur. Pendant que la soupe chauffait, il trouva quelques restes à proposer à son chat qu’il n’avait pas habitué à se nourrir avec des croquettes et autres stupidités inventées par des marchands d’illusions qui parvenaient à faire croire aux consommateurs trop candides que les chats avaient besoin d’une nourriture spécifique, différente de celle des humains, alors que depuis des millénaires ils se nourrissent comme leurs compagnons humains ou à peu près si on peut considérer qu’une souris est différente d’un lapin autrement que par les proportions. Le goût est peut-être différent mais les marchands de croquettes ne doivent pas très bien connaître le goût des chats, ni celui des souris d’ailleurs. Inutile de s’énerver davantage pour une question aussi stupide, il était temps d’avaler cette soupe de légumes avec une cuillerée de crème. Un morceau de comté et une pomme suffiraient largement pour compléter cet encas du soir qui ne perturberait pas son sommeil et le laisserait dans une totale quiétude pour faire un long rêve plein d‘images, de musique et d’odeurs.

L’heure n’était pas encore venue de rejoindre son lit, il n’avait pas encore bu son café qu’il accompagnait d’une petite goutte de gentiane versée dans la tasse vide mais encore chaude du café qu’elle avait contenu, un vrai petit bonheur, une assurance contre l’indigestion et bien d’autres maux. Il fit défiler les programmes de télévision mais s’arrêta bien vite : deux politiciens, aussi hypocrites l’un que l’autre, s’efforçaient de se faire croire qu’ils avaient encore une chance de triompher aux prochaines élections en promettant tout un tas de mesures qu’ils savaient parfaitement inapplicables, ils refusaient d’admettre que le XX° siècle était en train de mourir définitivement et qu’une nouvelle page de l’histoire de l’humanité commençait à s’écrire ; deux équipes de foot faisaient de gros efforts pour laisser le ballon à l’adversaire en se contentant de l’empêcher d’approcher de son propre but ; une émission qu’on qualifie de téléréalité parce que les autres ne sont peut-être que de la télévirtuelle ? Inutile d’aller plus loin, tout cela était d’une telle puérilité et d’une telle niaiserie qu’il était préférable d’éteindre le récepteur et de prendre un bon livre dans la pile qui bientôt dominerait son lit s’il n’y mettait pas un peu d’ordre. Il devait choisir un nouveau livre car il avait terminé, le jour même, la lecture d’un joli opuscule d’un Nigerian qu’il avait découvert à cette occasion, Chris Abani.

Il choisit de lire un livre de Robertson Davies, un auteur canadien qu’il avait coché depuis longtemps sur la longue liste qu’il alimentait au fil de ses lectures et recherches, une liste qui souffrait de plus en plus du mal inverse de celui du tonneau des Danaïdes, c’est-à-dire, une liste qui se remplissait beaucoup plus vite qu’elle se vidait. Il eut un petit pincement au creux de l’estomac en constatant que son âge avançait inexorablement et qu’il ne pourrait pas honorer une bonne partie des auteurs constituant cette liste qu’il mettait tant d’application à compléter. La vie n’est qu’un passage et un jour elle s’achève au bout de son chemin, telle est la règle du jeu. Il n’y a pas de tristesse dans ce jeu sauf si les événements anticipent sur les espérances et que la mort gagne trop facilement son duel avec la vie. Il s’ébroua comme si ce geste pouvait chasser ses idées sombres, il ouvrit le livre qu’il avait choisi. Après quelques pages de lecture, il comprit rapidement qu’il s’agissait d’une histoire qui se passait dans une université canadienne où trois universitaires devaient régler la succession d’un de leurs amis, richissime collectionneur, décédé brutalement.

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Robertson Davies

L’auteur confie la narration de ce récit à deux des protagonistes de l‘intrigue, l’un des exécuteurs testamentaires, l’ecclésiastique érudit et honnête et la jeune et belle assistante de l’un des deux autres exécuteurs qui n’est pas seulement très belle mais aussi intelligente, ce qui agitent dangereusement les hormones des protagonistes. La découverte d’un manuscrit jusques là inconnu, provoque de vives tensions entre les exécuteurs testamentaires qui veulent, chacun, se réserver la priorité de l’étude du document et la gloire qu’ils pourraient certainement en tirer. Le récit fait vivre toutes les luttes sournoises qui agitent l’institution, créant drames et tragédies, mais va s’égarer régulièrement dans la description de divers tableaux qui n’appartiennent pas à l’intrigue initiale.

Avec une certaine habilité, Davies convie ainsi ces personnages à nous faire découvrir un aspect particulier de leurs connaissances ou de leur art, la mère tzigane raconte la lutherie traditionnelle de son peuple, le moine évoque le monachisme ou les sceptiques, un chercheur parle de ses recherches incongrues sur les excréments humains, etc … Au final, un catalogue, une compilation de descriptions et de réflexions érudites qui laisse l’intrigue dans l’impasse et égare le lecteur. Une lecture qui lui laisserait certainement un goût d’inachevé mais il devait attendre la fin du livre pour émettre un quelconque jugement sur cette œuvre. Il craignait cependant que, comme souvent hélas, l’auteur ait voulu trop en faire et que le livre finalement perde de son acuité, de sa clarté, de sa justesse et qu’il ne raconte qu’une histoire verbeuse qui ne générerait pas une réflexion bien profonde. Il posa donc ce livre en pensant le terminer plus tard. Il se laissa un instant aller à la rêverie dans la douce quiétude de son logis.

DEUX LECTURES D’OCTOBRE

leuckx-photo.jpgpar PHILIPPE LEUCKX

 

 

 

 

 

 

CVT_Autour-du-Monde_3359.jpegAUTOUR DU MONDE de LAURENT MAUVIGNIER

A sa manière désormais bien huilée – raconter par la polyphonie des destins difficiles voire tragiques -, Laurent Mauvignier relate « Autour du monde » (Minuit), par strates romanesques avec personnages issus de diverses nationalités de la planète, dans les journées terribles de mars 2011, quand le tsunami a ravagé le Japon. L’amour, les rencontres hasardeuses ou les retrouvailles sulfureuses d’être désaccordés avec le monde, la quête de justice et de liberté dans un univers de réseaux qui nous font voisins, témoins de toutes les fibrillations, les petites vignettes photographiques qui nous insèrent dans cette histoire, quotidienne, proche, lointaine, toute tissée des affres, des angoisses et des peurs : c’est une somme de thèmes et de points de vue sur l’aujourd’hui moribond, déglingué. Le roman foisonnant, à son habitude, n’atteint peut-être pas la pureté de l’avant-dernier « Des hommes », mais, par sa complexité, ses allers et retours du monde au monde, le livre est d’une belle empathie pour nous enjoindre à ne pas rester passifs devant cette terre malmenée, aux enjeux parfois si mal dégrossis.mauvignier2.jpg

 

« Mais le soir de ce jour où la photographie est prise, bien sûr, personne ne sait ce qui arrivera dans les quarante prochaines années, et encore moins après. » (p.201)

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51W95e980SL._SX309_BO1,204,203,200_.jpgAUSTERLITZ de W.G. SEBALD 

Le dernier roman de W.G. Sebald (1944-2001) « Austerlitz » (Actes Sud, Babel) est une prose parfois difficile, sans cesse passionnante, sur quelques voix qui disent l’histoire. Le narrateur et Austerlitz croisent leur histoire et leurs discours pour éveiller le lecteur à la conscience tragique : le destin d’un enfant ballotté par l’histoire, recueilli après son exil, venu de Prague, en plein conflit mondial. Le recours à des photos authentiques prises par le romancier ajoute au récit son poids d’authentique présence. Terezin, la terrible forteresse, la force du passé, la recherche constante pour un adulte de l’enfant des origines qu’il fut, font de ce livre un témoignage (fictionnel) de premier ordre sur cette période nazie. Les très longues phrases, les incises narratives (Austerlitz dit), la lente description des choses naturelles (insectes et autres) et des lieux, tout invite à une exploration décisive, disons existentielle. Très lancinante comme une mémoire qui fore, ou un insecte qui creuse sa galerie.AVT_W-G-Sebald_2389.jpeg

 

«Quand nous arrivâmes à Marienbad , par une route bordée de collines boisées qui ne cessait de descendre, il faisait déjà nuit, et je me souviens, dit Austerlitz, avoir été pris d’une légère inquiétude… » (p.244)

STÉPHANE PAUWELS SUCCÈDE À FRÉDERIC CAUDERLIER AU POSTE DE PORTE-PAROLE DE CHARLES MICHEL

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Frédéric Cauderlier s’en veut terriblement depuis sa grosse bourde de la semaine passée, il se tape sur les doigts sans arrêt, se ronge les ongles jusqu’au sang. On craint qu’il ne s’automutile, non pour complaire au président Erdogan mais pour ne plus pouvoir utiliser sa télécommande). Il reste figé pendant des heures devant les programmes de Plug RTL en cherchant une raison d’aimer la chaîne (et son titre) depuis qu’on lui a promis la place de directeur en échange d’une démission rapide. Il a fait savoir à Cyril Hanouna qu’il pourrait poser toutes les questions qu’il souhaite sur l’état de la presse belge.

Stéphane Pauwels a immédiatement été contacté pour reprendre la fonction de porte-parole. Olivier Chastel a souligné les qualités de subtilité et d’ancrage populaire du génial commentateur. Ses facultés d’écoute à l’égard des malheurs des célébrités ont aussi été avancées : Ce choix s’imposait. Charles Michel a déjà connu des orages de la vie et son ciel s’obscurcit à nouveau… Pauwels  pourra ainsi apporter écoute et soutien au Premier.

Nul doute, en effet, que Stéphane Pauwels influencera favorablement les décisions de  notre coach national dans sa politique nationale et surtout internationale.
  

 

La vidéo de 7 à la Une opposant (entre autres) Frédéric Cauderlier à Tristan Godaert de la RTBF

L’article de Marcel SEL relatif à cet épisode sur son blog

L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES de Denis BILLAMBOZ – ÉPISODE 2

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Fin de l’épisode 1

Il avait décidé de commencer son voyage planétaire dans les Caraïbes car c’est un endroit béni des dieux, le climat y est chaud, trop peut-être pour les touristes à la peau pâle, mais pas excessivement pour les indigènes, le ciel y est magnifique et la nuit magique, la musique est partout, les filles y sont belles et, dans ces conditions, la littérature ne peut y être que pleine d’enchantement. Dans la queue de ce supermarché de la banlieue d’une petite ville de province, il avait laissé vagabonder son esprit jusqu’aux confins de ces îles… jusqu’à ce que la mégère agacée le ramène brutalement dans sa triste banlieue.

Épisode 2

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Maintenant, il avait repris la route pour regagner son domicile en passant peut-être par la bibliothèque pour prendre quelques livres mais ce n’était pas une très bonne idée, la pile en attente de lecture, près de son lit, était déjà tellement haute qu’il était certainement préférable de rentrer directement à la maison. Mais, comme midi approchait, la circulation se densifiait, le trafic épaississait comme une sauce trop réduite et…

La musique endiablée attirait comme une colonie de fourmis dans ses espadrilles, il avait envie de danser, de s’éclater. Les rythmes afro-cubains déchaînés, le soleil époustouflant, les odeurs saturées des fleurs ayant dépassé leur maturité, lui faisaient tourner la tête, il était à Caracol Beach, une station balnéaire, lieu de plaisance des jeunes Cubains de la bourgeoisie dorée, même à Cuba il y a des bourgeois friqués qui dépensent leur argent juste pour s’amuser un peu plus que les autres et même parfois un peu trop pour que ça reste raisonnable. Il aperçut Eliseo Alberto qui le reconnut et l’invita à boire un peu de rhum, il accepta avec un grand plaisir.

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Eliseo Alberto

Accoudés au bar de l’hôtel, ils dissertèrent sur la situation locale, évoquèrent cette jeunesse un peu déjantée quand elle est riche et complètement paumée quand elle est pauvre. Pour avoir un avis plus précis, ils décidèrent de rendre visite à Karla Suarez qui connaissait bien le problème pour avoir fréquenté quasiment tous les lieux où les jeunes en mal de frissons et d’émotions essayaient de noyer leur solitude et leur ennui dans la musique et les plaisirs artificiels. Ils la rencontrèrent chez une jeune fille dont elle avait l’intention de raconter la vie, une vie partie en dérapage incontrôlée dans une famille en voie de décomposition où chacun chante sa chanson sans jamais pouvoir la faire entendre aux autres. Le père chante en russe, la mère en argentin – le tango ne se chante pas en espagnol mais bien en argentin -, la tante écoute Mozart et chacun se réfugie dans sa musique, dans son monde. Et la fille, impuissante devant l’explosion de cette famille polyglotte, fréquente des amis qui se nourrissent à des sources plus sulfureuses : l’alcool, la drogue, la débauche mais ne trouvent, dans ces artifices de la vie, aucune raison de croire en leur avenir. La cocaïne n’a pas séduit l’héroïne, la vie n’est qu’un aléa, un hasard, une circonstance particulière, tout est éphémère, futile et inutile.

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Karla Suarez

– Quel désespoir !

– Non seulement du réalisme !

– Ah bon !

– Le néant est une raison plus que suffisante pour ne pas désespérer !

– Alors pourquoi ?

– Parce qu’il faut bien jouer le jeu qui nous est assigné par le hasard,

– Et ce jeu elle va le jouer comment ?

– Elle trouvera bien une bonne raison de ne pas le jouer.

– C’est trop absurde !

– Peut-être ?

Et nos compagnons quittèrent Karla et son nihilisme, un peu déroutés mais pas totalement surpris, dans les Caraïbes tout peut arriver tant qu’il y a de la musique et de l’alcool ! Eliseo comprenait cette jeune fille coincée dans une famille qui se délite encore plus vite que la société cubaine dont les membres n’ont qu’une idée en tête : quitter le navire avant qu’il ne sombre. Il les voyait, ces jeunes, chaque jour espérer de moins en moins, croire de moins en moins, abandonner leurs ambitions et leurs envies, partir à la dérive, fuir vers l’étranger ou s’évader dans d’autres mondes encore plus étranges.

Pour ne pas sombrer dans le désespoir ambiant, ils se dirigèrent vers un café où devait se produire un vieux chanteur : Compay Secundo qui avait longtemps végété à l’ombre des ténors locaux mais qui, vers la fin de sa vie, connaissait un succès étonnant…

Tuut ! Tuut ! Tuut !

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Compay Segundo

 

Il sursauta sur son siège, il était toujours dans sa voiture, à l’arrêt, le feu était passé au vert depuis un certain temps et les automobilistes pressés s’impatientaient en maugréant au volant. Ils s’évertuaient, les pauvres, à gagner des fractions de temps en dépensant une énergie folle alors qu’il suffit de prendre ce temps qui de toute façon est gratuit et à la portée de chacun. Haussant les épaules, avec un petit rictus de mépris et un brin de malice, il embraya lentement et démarra tout aussi lentement pour rentrer chez lui et préparer son repas. Il vivait seul car personne n’aurait pu supporter son exigence et une certaine forme de misanthropie qu’il avait développée à force de constater ce qu’il considérait comme un manque de capacité de la part de ses semblables. Il pensait que la plus grande partie de l’humanité se complaisait dans la facilité, manquait d’ambition et ne cherchait pas à donner un sens plus noble à sa vie.

Il avait envie de manger de la purée, une vraie purée comme celle que sa mère lui cuisinait. Il s’installa donc à la table de sa petite cuisine et commença à éplucher ses pommes de terre. Il aimait ce moment où il avait l’impression de faire quelque chose de concret qui lui apporterait un petit plaisir, où il était en contact avec les produits de la terre, où il marchait sur les traces de son enfance dans la campagne aérée d’une légère brise automnale…

Brusquement le vent se leva mais il faisait toujours aussi chaud, les nuages grimpèrent dans le ciel, l’orage s’abattrait bientôt sur la montagne. Les guérilleros se réfugièrent dans une petite caverne qui se trouvait à proximité, ils avaient l’habitude de la fréquenter pour dissimuler leur marchandise ou entreposer quelques vivres bien utiles certains jours, quand les mercenaires les traquaient. Il avait réussi par l’entremise d’un écrivain rencontré dans un rade louche de Salvador, Horacio Castellanos Moya, à convaincre le chef de cette petite troupe de l’emmener dans la montagne avec ses hommes. La négociation avait duré une bonne partie de la nuit, il avait dû dépenser une petite fortune en alcool local pour que le guérillero finisse par céder.

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Horacio Castellanos Moya

Il n’avait pas très bien compris pour qui ces hommes en armes se battaient, ni pour quelle cause, mais il avait envie d’en savoir plus et de goûter un peu aux délices de l’aventure et au pincement du danger au creux de l’estomac. L’orage avait éclaté, violent, hurlant, tonnant, balayant la cime de la montagne d’un vent d’apocalypse qui laissait ces soldats officieux de marbre, ils connaissaient la montagne et les caprices du climat, seule la patience pouvait leur apporter un quelconque réconfort. Et, finalement, cette halte imposée était la bienvenue après une longue marche par des sentiers arides et ardus connus d’eux seuls.

Au milieu de la troupe, il avait remarqué un homme particulièrement costaud, les épaules et la taille d’un deuxième ligne gallois, le charme de Johnny Weissmuller et la détermination d’un Gi en patrouille dans la jungle vietnamienne. Tout en lui respirait la force, la tranquillité, le calme, la détermination, l’insouciance, un soldat sans scrupule pas forcément cruel mais déterminé et froid qui saurait exécuter les missions les moins nobles sans le moindre état d’âme. Ses compagnons d’armes l’avaient surnommé Robocop comme le héros indestructible d’une série américaine. Il se demandait ce qu’un tel individu, pas foncièrement mauvais, pouvait bien faire dans une telle troupe, il avait questionné son ami Horacio :

– Horacio, pourquoi des gars comme lui font-ils une guerre qui n’en est pas une contre des ennemis qui n’en sont pas et pour une cause qu’ils ne connaissent même pas ?

– Mon ami, Ces hommes ne peuvent plus gagner leur vie ailleurs,

– Pourquoi donc ?

– Dans ce pays il faut appartenir à un camp pour avoir un travail, un emploi, une tâche, une mission, de quoi vivre quoi !

– Et quels sont ces camps ?

– Les mercenaires à la solde d’un nabab local, les guérilleros à la solde d’une révolution quelconque dont personne ne connait le véritable chef, les soldats réguliers qui sont peut-être les moins réguliers, les trafiquants qui ne savent même pas ce qu’ils trafiquent ni pour le compte de qui ils le trafiquent. Et d’autres qui ne songent qu’à protéger le petit empire qu’ils se sont bâti dans la région, et peut-être d’autres camps que je ne connais même pas…

– Joli merdier ! Et que deviennent ces hommes quand ils abandonnent les armes ?

– Ils les reprennent pour le compte d’un autre bien souvent…

– … et parfois contre leurs anciens compagnons d’armes ?

– … c’est possible !

– Pas facile de vivre en paix dans ces pays !

– Tu l’as dit, l’ami !

– Ces pays qui pourraient connaître paix et bonheur sont trop tentants et trop faibles pour résister aux manigances des grandes puissances et des trafiquants souvent tout aussi puissants.

L’orage s’était endormi, le vent s’était essoufflé et le tonnerre avait usé sa voix infernale en vains hurlements. La troupe repris sa marche, longeant la ligne de crête, accélérant la cadence après cette pause réparatrice. Bientôt, ils entendirent le plop, plop, caractéristique des pales d’un hélicoptère qui brassaient plus de vapeur d’eau que d’air. Les gars levèrent la tête, parurent soulagés, et accélérèrent la cadence, la pause de l’engin devait être la plus courte possible, il fallait éviter l’intervention de toutes autres forces ou la curiosité de quiconque pouvait roder dans la montagne. Ils débouchèrent bientôt sur une petite plaine suffisante pour accueillir l’hélicoptère. L’engin se posa prestement et les gars déchargèrent vivement quelques caisses parfaitement anonymes qui ne pouvaient cependant, dans ces contrées, cacher leur usage. Les guérilleros ne savaient pas pour quelle cause il se battait mais, lui, il avait bien compris pourquoi ceux qui les dirigeaient les employaient. Il était évident qu’il venait d’assister à une livraison de drogue dont le produit de la vente ne servirait pas nécessairement à financer la révolution. C’est une hypothèse qu’il ne fallait surtout pas avancer en cette compagnie…

Sa main racla le fond de son panier, il n’y avait plus de pommes de terre, sa séance d’épluchage était terminée, il allait passer à sa séance préférée de la journée : la cuisine. Bien qu’il fût seul, il consacrait toujours un bon moment à ses repas car il était un peu épicurien et aimait bien manger, des produits qu’il achetait aux producteurs régionaux de préférence et dans la mesure du possible évidemment. Il prenait toujours un réel plaisir à faire mijoter ses repas en flairant avec gourmandises les fragrances qui s’évadaient de ses casseroles. Et, là, il n’était pas question de se laisser aller au rêve, la chose était trop importante, il ne fallait pas prendre le risque de se tromper dans l’assaisonnement, confondre curcuma et paprika par exemple. Il se concentra donc totalement sur sa tâche culinaire oubliant pour quelque temps ses amis réfugiés chacun dans son livre. A force de classer, lister, organiser ses lectures, il avait acquis une grande facilité pour retrouver ses livres sur la surface du globe et orienter ses rêveries littéraires vers des œuvres et des pays qu’il choisissait presque implicitement. Ainsi, il savait que s’il avait quitté une histoire en Amérique centrale pour se rendre au Mexique, il pouvait passer par le Guatemala où il rencontrerait peut-être Jaime Diaz Rozzotto, un Guatémaltèque exilé en Franche-Comté qui pourrait être de passage dans sa région d’origine. Quand il eut terminé son repas : une paupiette de veau doucement mijotée avec la purée qu’il avait préparée, un joli morceau de morbier, ce fromage du Haut-Jura avec sa trace noire caractéristique qui le partage longitudinalement en deux parties égales et deux oranges, une pour les vitamines C, l’autre pour la gourmandise tout simplement, il se dirigea vers son fauteuil préféré.

Il prendrait son thé après la petite sieste qu’il comptait bien s’accorder tout en reprenant son voyage imaginaire, là où il l’avait laissé, il ne savait plus très bien où. Mais sitôt dans son fauteuil. Les images affluèrent, il était toujours sous un soleil écrasant tout signe d’existence, aplatissant jusqu’à la moindre velléité de vie. Il était assis sur l’escalier à demi ruiné d’une vieille baraque dans une banlieue sordide, d’une petite ville sordide, au plus profond du Mexique là où n’arrivent que le malheur et la misère. Il espérait rencontrer Carlos Fuentès mais on lui avait dit que celui-ci était déjà parti et qu’il recherchait toujours son vieux gringo dont il voulait écrire l’aventure. Il s’arrêta donc dans la première localité trouvée sur son chemin, il y fit la connaissance de Guillermo Fadanelli, il lui raconta les histoires les plus atroces qu’il n’avait jamais entendues et comme il ne pouvait pas croire de telles choses, Guillermo lui proposa de l’accompagner dans ce quartier galeux où seul le soleil apportait de la chaleur. Mais, celle-là, il n’en manquait pas.

Ils rencontrèrent des mères de famille qui leur dirent comment leurs enfants étaient traités par des pervers sadiques que rien ne rebutaient, même pas la nécrophilie. Il ne pouvait pas en supporter plus, il s’agita, se réveilla, non, il ne voulait pas faire ce type de rêve, trop de violence, d’horreur, de cynisme. Il voulait quitter très vite ce pays et monter plus au nord mais avant, il devait prendre un thé pour évacuer les bribes du rêve précédent qui souillaient encore son cerveau embué et mal réveillé. Il décida donc de préparer un Darjeeling, un thé un peu plus tonique, qui réveille bien et qui lui donnerait envie de prendre l’air avant que le froid ne devienne trop vif, à la tombée du jour. Le thé fit l’effet escompté, il enfila son vieux manteau, si confortable, et coiffa le chapeau qu’il ne quittait presque plus quand il sortait de sa maison. Il aimait par-dessus tout ce moment magique avant que la neige se décide à tomber, quand le ciel paraissait vouloir s’encanailler avec la terre, que s’installe un équilibre précaire ou tout semble suspendu pour un instant d’éternité. Il aspira à plein poumon cet instant d’extase…

CHOISIR SON SEXE

par Denis BILLAMBOZ

Les grands débats actuels autour de l’homosexualité et de la théorie des genres ne sont pas sans incidence sur la littérature, de nombreux auteurs abordent ce sujet de façon plus ou moins directe. Alexandra Bitouzet met en scène une jeune femme qui refuse sa féminité car elle pense qu’elle est trop réductrice de sa personnalité et de son être. Elle voudrait être un homme pour ne pas subir l’infériorité, selon elle, imposée au femme. Kathleen Winter va encore plus loin dans le débat en évoquant l’hermaphrodisme et la difficulté de devoir faire un choix alors qu’il n’y a pas forcément nécessité d’en faire un. Un sujet qui passionne les foules et génère bien des polémiques.

 

215618_aj_m_3509.jpegLA FOLIE QUE C’EST D’ÉCRIRE

Alexandra BITOUZET (1980 – ….)

À l’occasion d’un long voyage en train, je me suis laissé entortiller dans les lacs de la folie qu’Alexandra a tressés dans ce texte; pour en sortir, j’ai essayé de distinguer ce qui pourrait appartenir à l’auteure, Alexandra, de ce qui pourrait provenir de la narratrice Esther. Evidemment cette démarche est extrêmement subjective mais, comme le proclame Marcos Malavia (je le répète souvent, chaque fois que ça m’arrange), chaque lecteur invente un livre différent, alors pourquoi me gêner. Il y a trop de souffrance, trop de violence, trop de mauvaise fois dans ce livre pour une seule personne.

Alexandra a inventé Esther, une jeune fille qui devient trop vite mère, par hasard, sans envie réelle, sans motivation particulière. Elle n’arrive pas à mener concomitamment cette vie de mère, sa vie d’épouse de moins en moins amoureuse et de moins en moins aimée et considérée, sa vie d’employée par nécessité alimentaire et sa vie d’écrivain qu’elle veut absolument devenir par besoin intellectuel et psychologique, par ego, pour démontrer ce dont elle est capable. Elle s’enfonce dans une spirale névrotique mortifère. « J’avais l’impression que pour être femme et mère et salariée et écrivain, il m’aurait fallu des journées de trente-cinq heures ».

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Je n’ai aucune connaissance en pathologie neurologique, j’ai attribué la folie à Esther, une folie qui n’a pas grand-chose à voir avec celle que j’ai lue récemment dans les lignes de Sylvia Plath, plutôt une forme de paranoïa issue d’une enfance trop douloureuse : son père battait sa mère sans qu’elle se rebelle même quand les coups sont devenus particulièrement cruels. Ainsi Esther serait porteuse de la phobie des hommes par transfert de la haine qu’elle vouait à son père, à l’ensemble de la gente masculine. Alexandra apporterait, elle, la version féministe militante. Je ne pense pas qu’une profonde paranoïa s’accommode bien d’une forme de militantisme quelconque et d’un féminisme assez conventionnel.

La relation à l’homme pour l’une, Esther, peut-être, se transforme en une forme de rejet de son propre sexe, elle n’accepte pas d’être une femme car les femmes sont vouées à échouer. « Mais le pire de tout, ça n’était pas ce dégoût que les mâles m’inspiraient, le pire c’était cette répugnance que je m’infligeais à moi-même». « Frustrée d’être à tout jamais une femme. Une femme et rien d‘autre ». Alors que l’auteure, elle, serait plutôt militante de la cause des femmes. Mais tout cela n’est peut-être pas si simple, les deux femmes se confondent parfois en évoquant le genre et ses incidences sur la création littéraire et la vie en général. « Ce que vous appelez féminisme n’est ni plus ni moins que de la paranoïa. La fenêtre entre les deux est ténue… » Elle sait Alexandra ce qu’on pourrait penser de son texte et que tout ça est bien complexe et plonge certainement ses racines dans quelque chose qui n’appartient pas à ce récit.

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Le besoin d’écrire d’Esther est un besoin vital qui relève de la nécessité de faire sortir ce qu’elle ne peut pas dire, d’évacuer ce qui l’étouffe, alors qu’Alexandra serait plus porteuse d’un besoin de reconnaissance, de réussite, de notoriété. « Mon roman, une fois publié, allait faire de moi quelque chose ou quelqu’un d’autre que cette mère, cette épouse ou cette secrétaire ». Dans le texte, deux notions s’affrontent : la notion d’écriture qui relève du besoin de dire qui appartient plus à Esther et celle de littérature qui relève plus de l’envie de notoriété. L’écriture peut avoir une version thérapeutique que la littérature n’a pas, la littérature est un art et en aucun cas une thérapie, elle est la fille du talent alors que l’écriture peut-être celle de la douleur et de la souffrance. « La littérature est comme le ventre d’une mère », lieu de naissance et de création.

Il restera toujours ce texte que j’ai lu presque d’une seule traite et que, même si j’ai eu envie parfois de le jeter tant le récit est violent, tout au long de mon voyage, je n’ai jamais pu le poser, le thème n’y est pas pour rien mais je pense que l’écriture y est encore pour davantage. Alexandra a l’art d’enfermer le lecteur dans ses mots sans jamais le laisser s’évader, elle le ligote littéralement, le conservant à la merci des mots qu’elle partage avec son héroïne.

Voilà comment je pourrais décrire la folie d’écrire, le livre que j’ai inventé après la lecture du texte d’Alexandra Bitouzet. Mais, tout cela n’a aucune importance puisque l’auteure, ou simplement l’héroïne, a décrété que les hommes n’y comprendraient rien.

Le livre sur le site des Cactus Inébranlable Editions

 

CVT_Annabel_1832.gifANNABEL

Kathleen WINTER (1960 – ….)

Début mars 1968, à Croydon Harbour, une petite ville du Labrador, Jacinta accouche d’un bébé hermaphrodite, son mari, un trappeur solitaire et rustre, décide que l’enfant sera un garçon et le chirurgien fait ce qu’il peut pour que cet enfant soit un fils « crédible ». Selon le vœu de son père, il s’appellera Wayne mais un second prénom y sera accolé, celui d’Annabel, la fille de Thomasina, l’amie de Jacinta, noyée dans un lac. Le père élève l’enfant pour qu’il devienne un homme viril mais sa nature profonde révèle une sensibilité plutôt féminine, l’enfant préfère jouer avec sa petite voisine qu’avec les garçons qui fréquentent la même école que lui. Le père supporte mal cette situation et le conflit s’instaure progressivement entre le rustre trappeur et son épouse venue de l’île plus civilisée de Terre Neuve. La puberté met vite un terme à ce conflit en révélant la part féminine du jeune homme qui devient alors réellement ambivalent sexuellement. Un long chemin de croix commence pour lui, son apparence ambiguë complique sérieusement sa vie, il ne sait plus, lui-même, qui il est réellement, il doit subir le mépris et même la violence des autres. Cependant deux anges gardiens veillent sur lui : Thomasina sa première institutrice, présente lors de sa naissance, et son amie d’enfance.

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A priori ce roman possédait certains arguments pour me séduire, il parle d’un sujet que je pense ne pas avoir déjà rencontré dans mes lectures : l’hermaphrodisme, et l’action se déroule dans le Grand Nord où mes lectures d’adolescence m’ont souvent transporté avec grand bonheur. Hélas, il m’a déçu, j’en attendais peut-être trop, je ne sais pas. C’est long, c’est lent, c’est long, c’est lent, c’est bavard… A mon sens, ce texte requérait plus d’intensité émotionnelle et plus de finesse psychologique pour évoquer l’ambivalence sexuelle du héros et l’ambigüité permanente qui en découle. L’auteure s’est trop égarée dans des descriptions pointilleuses et minutieuses d’éléments nullement indispensables au récit. A mon avis, elle ne possède pas très bien son sujet, les passages sur la médecine paraissent parfois improbables et même invraisemblables et elle ne sait pas faire souffler le vent des grands espaces dans les pages de son texte comme le faisait London et beaucoup d‘autres. Elle n’a pas su nous enfermer au cœur de l’indécision, de l’incompréhension, de la quête de l’identité sexuelle du héros. Elle nous a mieux fait comprendre la difficulté d’accepter, l’impossibilité de dire et les ravages du silence

Un livre qui tombe en plein milieu du débat sur la définition de l’identité sexuelle et sur les conséquences qui en découlent. Peut-être aussi une position prise par l’auteure à propos de la théorie du genre : nous sommes tous plus ou moins ambivalents sexuellement et nous avons tous notre place dans la société quelque soit notre part de féminité et de masculinité.

LES FRÈRES BOGDANOV EN VOIE DE DISPARITION…

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Est-ce à dire que l’espèce des Bogdanoff est en voie de disparition? Non (pas encore), mais les Frères habitués des écrans ont disparu depuis l’annonce avant-hier du Prix Nobel de Physique attribué à Takaaki Kajita et Arthur B. Mc Donald pour leurs travaux sur le neutrino qu’ils estimaient devoir leur revenir pour leur interprétation scientifique de la constante cosmologique d’Einstein et leur théorie de l’instanton.

Après l’annonce, Igor aurait déclaré à Grichka: « Leurs travaux sont aussi légers que la particule sur laquelle ils ont travaillé alors que nous développons dans nos thèses des énergies cérébrales autrement considérables. » 

Selon des sources quantiques sûres, ils se dirigeraient de plus en plus vite vers le Big Bang pour apporter à l’Espace-temps la preuve de leur théorie. On ne sait toujours pas si Cyril Hanouna, introuvable lui aussi, au grand désespoir de Vincent Bolloré, est du voyage.

Igor et Grichka n’avaient peut-être pas tort au début de l’été quand ils ont lancé la rumeur qu’ils participeraient à Danse avec les StarsA moins que ce nouvel épisode de leur énigmatique existence ne soit une façon d’attirer l’attention sur leur prochain film consacré aux origines de l’univers et de la transformation faciale.