
FIN DE L’ÉPISODE 3
Au final, un catalogue, une compilation de descriptions et de réflexions érudites qui laisse l’intrigue dans l’impasse et égare le lecteur. Une lecture qui lui laisserait certainement un goût d’inachevé mais il devait attendre la fin du livre pour émettre un quelconque jugement sur cette œuvre. Il craignait cependant que, comme souvent hélas, l’auteur ait voulu trop en faire et que le livre finalement perde de son acuité, de sa clarté, de sa justesse et qu’il ne raconte qu’une histoire verbeuse qui ne générerait pas une réflexion bien profonde. Il posa donc ce livre en pensant le terminer plus tard. Il se laissa un instant aller à la rêverie dans la douce quiétude de son logis.
ÉPISODE 4
Et, maintenant, il allait tourner au coin de la Main pour prendre la Catherine, là ou un joueur de « ruine-babines » s’escrimait sur son instrument, espérant attirer l’attention des badauds pour leur soutirer une piécette qui, en s’additionnant à d’autres déjà reçues ou à gagnées, pourrait lui permettre de boire une bière dans un des cafés du coin. C’était un habitué de la manche, un véritable professionnel, Il remarqua vite ce promeneur à l’air rêveur et candide qui ferait certainement un bon pourvoyeur de fonds s’il savait l’aborder. Il souffla donc un peu plus fort dans son harmonica et quand le badaud parvint à sa hauteur, il lui fit un sourire assez grand pour ne pas être triste mais assez contrit pour apitoyer son homme, le promeneur tourna la tête vers ce musicien des rues et tomba vite dans les rets de ce sourire bien rodé.
– Une petite pièce pour manger, mon prince !
– Pour boire plutôt !
– Mon prince me juge bien mal !
– Je connais la musique !
– Peut-être, mais pas la mienne !
– Oh, elles sont toutes semblables !
– Pas sûr !
– Bon, je ne suis pas très pressé, je te paie un sandwich et une bière au café d’en face, d’accord ?
– Pourquoi pas ! On y va !
– Allons-y alors !
Ils traversèrent la rue, s’installèrent à une table près de la vitre et, s’épiant, restèrent un instant silencieux. Ce silence fut bientôt rompu par un serveur s’avançant vers eux pour prendre leur commande. Lui bu sa bière tranquillement pendant que le musicien mastiquait énergiquement son en-cas comme s’il n’avait pas mangé depuis plusieurs jours, espérant toujours faire croire à son hôte qu’il avait réellement faim et qu’ainsi il pourrait peut-être en tirer un petit supplément en forme d’une petite pièce de monnaie ou d’un verre d’alcool pour lui apporter quelques calories bien utiles pour lutter contre la froidure qui s’installe, à cette saison, à la tombée du jour. Mais, le subterfuge n’atteignait pas on partenaire de circonstance, toujours aussi peu loquace, gardant les yeux rivés sur le bâtiment en face de la place qui abritait le conservatoire. Pour le tirer de cette espèce de langueur et le ramener à des choses plus concrètes, un autre verre par exemple, le musicien ouvrit la discussion en lui demandant s’il connaissait ce bâtiment ?
– Non !
– C’est le conservatoire !
– Ah bon ! Bel édifice !
– Je pourrais vous raconter une histoire à propos de ce bâtiment, mais peut-être que je vous ennuie,
– Mais non !
– Je vais donc vous la raconter,
– Si tu veux, une autre bière ?
– Pour vous accompagner, mon prince (la manœuvre avait réussi mais il fallait savoir avoir le triomphe modeste),
– Trop aimable !
– C’était un soir d’hiver, un soir où il faut bien boire quelques verres pour ne pas geler sur le bord du trottoir, et ce soir-là il faisait particulièrement froid, il fallait donc un peu plus d’alcool pour avoir une chance de résister dans l’atmosphère ambiant. J’avais donc bu quelques bières et quelques autres verres sans doute, j’avais dû m’assoupir sur la table d’un café celui-ci peut-être ou un autre, je ne sais plus très bien. Je me souviens seulement du rêve qui m’entraina là-bas, dans ce bâtiment que vous regardiez, il y a un instant, avec tant d’attention et qui me laissa un bon moment perplexe quand je me réveillai. J’avais fait un voyage dans ses entrailles en passant par une porte qui n’existe pas, je la connais cependant comme ma main cette place, eh bien, il y avait une porte que je n’avais jamais vue et cette porte n’était pas totalement fermée, elle semblait m’attendre pour que je la pousse, ce que je fis. Devant moi, un grand trou noir béait mais en grattant une allumette, je constatai qu’il y avait un escalier qui descendait dans les sous-sols du conservatoire, probablement, j’osai, je descendis à pas de loup et bientôt me retrouvai devant une autre porte qui semblait, elle aussi, attendre qu’on la pousse doucement et une nouvelle fois j’osai.
Une musique venait de derrière cette porte, ou de plus loin peut-être, quand elle fut assez ouverte, une lumière sombre, aussi sombre que celle qui s’efforce de ne pas éclairer la piste de danse dans les bars à musique où les jeunes vont se défouler, tamisait l’ambiance de ce qui pouvait être une salle de café ou peut-être un cabaret. J’attendis un instant, le temps que mes yeux s’accoutument à cette pénombre, et bientôt je distinguai des ombres, des formes, des femmes, des hommes, des comédiennes, des comédiens en costume de scène qui semblaient m’attendre. Ils m’invitèrent à entrer et à m’installer à une table où un serveur en costume théâtral me proposa une consommation de mon choix. Eu égard à mon état, il n’était plus nécessaire de prendre une quelconque précaution, je commandai donc une bière qu’on m’apporta bien fraîche.
La troupe me regarda boire et se rapprocha de moi jusqu’à me toucher, ils formèrent bientôt, autour moi, un grand cercle de costumes comme on peut en voir dans certains films d’époque. Je ne sais plus qui commença, une comtesse peut-être, ou alors un shérif, mais peu importe, ils voulaient tous la même chose, ils voulaient tous que je joue un bout de rôle, un morceau de musique, ou peut-être autre chose encore, avec eux, individuellement, pour qu’ils puissent après cette dernière exhibition accéder au paradis des comédiens. J’étais très intrigué et je craignais d’être à mon tour ensorcelé et de, par exemple, prendre la place de celui qui accéderait au paradis, ou d’accompagner au paradis mon partenaire d’un soir. Je me sentais pris au piège, j’avais mal à la tête et le barman me secouait pour me réveiller car le café devait fermer ses portes pour la nuit. Il me fallut un bon moment pour comprendre où j’étais et admettre que j’avais simplement rêvé.
Drôle d’histoire, mon prince !
– Quoi ?
– Eh bien, ce rêve !
– Oui certainement, il n’écoutait plus depuis longtemps, il fixait le conservatoire, là où le joueur de « ruine-babines » avait vu une porte, Michel Tremblay était appuyé, là, avec aux lèvres un sourire mi narquois, mi moqueur.
Il frissonna, il n’avait plus très chaud, il s’était assoupi, il était l’heure qu’il prenne son café et sa petite gentiane. Il en avait bien besoin pour revenir dans son monde, reprendre contact avec la réalité avant de rejoindre son lit où d‘autres rêves pourraient bien l’attendre. Mais il n’était pas très pressé, il ne fallait mélanger tous les rêves et garder au moins un pied dans la réalité. La neige qui tombait maintenant doucement, blanchissait la nuit, arrondissant les contours des maisons et autres formes qui encombraient son paysage. Il aimait ces nuits de neige douce qu’il pouvait admirer de sa fenêtre dans la chaleur de son foyer après que son café l’avait réchauffé et que la gentiane l’avait revigoré. Avant de s’endormir dans son lit douillet, il espérait finir son livre de Robertson Davies dont il avait déjà bien avancé la lecture.
Malgré une chute un peu inattendue, ce livre ne le surprenait finalement pas trop et n’entrerait certainement pas dans le classement de ses meilleures lectures de l’année. Il fallait une autre chance à cet auteur pour espérer entrer dans son panthéon littéraire. De toute façon, ce n’est pas lui qui l’accompagnerait ce soir au pays de ses rêves, il se concentrerait sur autre chose et peut-être sur un fantasme qu’il avait depuis longtemps : écrire, écrire un vrai livre pour dire ce qu’il avait en lui, pour raconter ce qu’il n’avait jamais pu dire car il ne savait pas parler avec les autres, les mots ne sortaient pas aisément de sa bouche pour donner forme à ce qu’il avait sur le cœur, sur l’estomac ou tout simplement en tête.
Il avait envie de raconter une belle histoire pas triste, pas trop gaie non plus, juste une histoire qui apporte un peu de réconfort à tous ceux qui lisent pour meubler une absence quelconque, une histoire qui remonte le moral, qui renforce la foi en la vie. Il marchait dans une neige épaisse et froide, une neige qui marque le début de l’hiver, celle qui n’est pas encore salle d’un usage trop intensif. Il aimait cette neige qui portait encore la fraîcheur des lourds nuages dont elle venait et qui n’avait pas encore fait connaissance avec le sel et les autres artifices que les hommes déploient pour la chasser loin de leurs maisons et de leurs routes. Il se laissait aller à cette fraîche quiétude, quand une main qu’il n’avait pas vu venir, s’appuya sur son épaule et qu’une voix qu’il connaissait bien lui parvint à travers la brume de son rêve. C’était Gunnars Gunnarsson qui le rattrapait et lui souhaitait une bonne journée :

Gunnars Gunnarsson
– Comment vas-tu ?
– Bien !
– On dirait que tu es un peu ailleurs ?
– Oui ! Non ! Enfin, si peut-être un peu !
– Quelque chose qui ne va pas ?
– Non, je pensais simplement, mon esprit vagabondait, comme souvent.
– Et où étais-tu ?
– Je ne sais pas très bien mais dans la neige, ça c’est sûr !
– Pour skier ?
– Non, pas franchement !
– Alors pourquoi faire ?
– C’est cette vieille envie d’écrire qui me revenait, mais comme toujours dans ce fantasme, il y a un trou : je voudrais écrire, mais je ne sais pas quoi écrire. Tu comprends ?
– Oui, à peu près.
– Bah, c’est une vieille envie qui restera sur le rayon des choses que je n’aurai pas su faire avec celles que je n’ai pas pu faire. On ne vit qu’un morceau de toutes les vies qu’on pourrait vivre comme essaie de nous le faire comprendre Pascal Mercier avec son histoire de train dans la nuit.
– Ca serait dommage de ne pas essayer, mets-toi devant ton clavier et tape, il en sortira toujours quelque chose que tu n’es pas obligé de garder.
– Oui, mais que raconter qui n’a pas déjà été rabâché des dizaines, voire des centaines de fois ?
– Tu parlais de neige, il y a un instant, tu as déjà le cadre de ton récit !
– Ce n’est pas très original, ni très significatif comme point de départ.
– J’aurais une idée, n’aurais-tu pas envie d’écrire un conte, un conte de Noël puisque l’hiver commence ?
– L’idée est tout à fait intéressante mais pas très originale non plus.
– On n’écrit plus de contes de Noël, on endort toujours les enfants avec les mêmes légendes depuis des lustres.
– Tu as sans doute raison, j’y réfléchirai.
– Fais un petit effort et l’inspiration viendra !
– Oui ! Peut-être !
Ils poursuivaient leur route en silence quand ils rencontrèrent le berger du haut du village, il rentrait avec quelques brebis qui s’étaient égarées dans la montagne, il avait dû les secourir avec son vieux bélier et son chien pour les regrouper et les ramener vers la chaleur de leur bergerie pour s’abriter des rigueurs du terrible hiver islandais. Après avoir salué le berger, ils se séparèrent et se dirigèrent chacun en direction de son habitation respective. Quand il eut rejoint la sienne, l’heure était venue de prendre un petit casse-croûte avec un café bien chaud pour retrouver un peu de la chaleur qu’il avait abandonnée lors de sa promenade vespérale dans les rues froides de son petit village au pied de la montagne. Tout en mastiquant une belle rondelle de saucisse du pays avec un peu de beurre sur du pain de seigle, il réfléchit à ce que son ami lui avait dit : il pensa à ce berger avec son chien et son bélier comme à un berger d’une crèche polaire avec un chien en guise d’âne et un bélier en guise de bœuf. Petit à petit son idée prenait forme, son conte de Noël se dessinait avec ce berger et ses compagnons partis à la recherche des brebis égarées pour les sauver de l’hiver impitoyable. Il imaginait bien maintenant cette expédition dans la montagne, dans des conditions climatiques très difficiles l’homme avançait péniblement précédé de son bélier qui faisait la trace et suivi de son fidèle chien. Le vent glacial lui griffait le visage mais rien ne pourrait le faire douter de sa mission, il ne pouvait pas laisser ses brebis trop jeunes pour procréer mais assez adultes pour prendre quelque liberté avec le troupeau. Ce conte qu’il allait écrire, ne devait pas être triste comme trop d’histoires islandaises, il devait, même au risque d’apparaître comme un peu trop moraliste, inspirer un peu d’espoir à tous ceux qui le liraient, surtout s’ils le lisaient pendant la période de Noël. Il s’agita un peu dans son sommeil mais il était maintenant décidé, il écrirait ce comte qui serait bien sûr publié dans le journal local. Il voyait déjà le titre au-dessus d’une photo d’un berger portant une jeune brebis sur ses épaules pendant qu’un chien mordillait les pattes d’un bélier à l’air têtu. Il entendait déjà les commentaires des lecteurs ….