10 QUESTIONS à DENIS BILLAMBOZ, L’AUTEUR de L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES

« Ma vie aurait été très différente sans ma passion pour la lecture.« 

 

20090605175410_400x400.jpgE.A. – Quand, d’où t’es venu le goût de lire ? Et de lire au-delà de la littérature française, les littératures du monde?

D.B. – Je crois que je suis né avec le goût de lire, je suis né dans une ferme où la lecture était très respectée, ma grand-mère nous apprenait les fables de la Fontaine. A sept ans, l’âge minimum requis, j’ai emprunté mon premier livre à la bibliothèque de la communale, il était bleu, c’était l’histoire d’une gamine qui plantait des fleurs sur son balcon, je crois qu’il s’intitulait : « Le jardin suspendu ». Depuis, je n’ai jamais cessé de lire, j’ai lu toute la bibliothèque de l’école et je me suis imposé comme bibliothécaire sans l’avis de l’instituteur.

Les littératures du monde m’attiraient depuis longtemps mais c’est réellement vers la quarantaine, en novembre 1986, que, lassé de la lecture des magazines, j’ai décidé de lire tous les livres importants de tous les pays du monde. Je n’y suis pas encore parvenu mais je peux dire que j’ai fait une belle moisson de lectures depuis cette date : 1617 livres de plus de 130 pays différents. Même si depuis quelques années, je laisse une place importante à la littérature francophone actuelle.

 

2) Tu as aussi beaucoup voyagé. Comment as-tu concilié la connaissance littéraire apportée par des écrivains du cru et la connaissance acquise sur le terrain ?

Je n’ai pas tellement voyagé (Guyane, Guadeloupe, Finlande, Réunion, Maurice, Irlande, Louisiane, Sri Lanka et quelques destinations européennes plus proches). Mais chaque fois que je suis dans un pays étranger, j’essaie de retrouver l’atmosphère que j’ai trouvée dans mes lectures, de comprendre le pays comme je crois l’avoir ressenti lors de mes lectures. J’essaie surtout de ne pas être un touriste qui ne gobe que ce qu’on veut bien lui montrer. J’aime regarder de l’autre côté du miroir et trouver des lieux de mémoire : la tombe de Yeats près de Sligo en Irlande, la maison où Faulkner a écrit « Monnaie de singe » à la Nouvelle Orléans, …

Un pays, je le regarde bien sûr mais j’aime surtout le respirer, voir et comprendre comment ses habitants vivent et se comportent. Je crois qu’il est encore plus enrichissant de lire des livres des pays visités au retour du voyage, on situe bien le livre dans son contexte et on comprend mieux le message de l’auteur.

 

3) Qu’y a-t-il de commun chez tous les romanciers du monde? Que recherche, que vise l’écrivain de par le monde ?

Comme j’ai étudié l’histoire à l’université, je retrouve dans toutes les littératures que j’ai abordées, les grands mythes fondateurs de l’humanité. Sous toutes les latitudes, les peuples ont cherché à comprendre et à expliquer les raisons de leur présence sur terre. Chez comme chez Vargas Llosa, j’ai trouvé des allusions mythologiques qui rappellent étrangement la mythologie grecque. Toutes les mythologies se ressemblent, les hommes ont partout les mêmes préoccupations existentielles.

 

4) Distingues-tu des littératures différentes, des spécificités suivant les langues, les régions du monde, les pays ? Quelles sont les littératures qui ont tes préférences ?

Je viens d’écrire que tous les peuples ont les mêmes préoccupations mais ils n’ont pas forcément la même façon d’exprimer leurs préoccupations existentielles. J’ai un faible pour la littérature caribéenne car les auteurs de cette région expriment leur douleur, leur colère, leur désespoir avec une forme d’humour, d’exubérance, dans des textes débordant de lumière et de soleil, de musique et de joie de vivre. Avec eux, comme dit la chanson, la misère semble moins pénible au soleil. J’aime bien aussi la littérature japonaise, je me suis habitué à la lenteur des textes, à cette façon de faire progresser les histoires par petites touches, à cette pudeur qui donne un poids très important à la moindre remarque. La littérature asiatique est lente, souvent dépouillée et je pense que c’est lié à l’écriture qui ne permet pas d’écrire vite. La patience est nécessaire à l’écrivain asiatique pour raconter une histoire. J’aime aussi beaucoup d’autres littératures : la littérature russe classique, la littérature italienne, tellement riche, la littérature espagnole post franquiste, la littérature actuelle du sud-est africain, la littérature des grands espaces américains… La liste n’est pas close.

En général, après la lecture de seulement quelques pages, je sais très vite dans quelle région du monde se situe le roman. Chaque littérature est liée à une culture et en porte les caractéristiques.

 

5) La littérature, le peuple du livre ne constitue-t-il pas un monde en soi, un monde sans frontières, faisant fi des nationalités et des origines ? Le livre idéal, avec ses traductions possible, ses multiples, dirait Adam Thirlwell, est-il amené à parler à tout le monde?

Le monde du livre est un monde étroit est pourtant c’est le livre qui fonde les principales religions, certaines nations, comme le Kalevala en Finlande ou les sagas en Islande. Tous les peuples ont un livre, ou quelques livres, de référence, le brave soldat Sveik en République tchèque par exemple. Le livre est très souvent identitaire, rassembleur autour d’un système de pensée, mais paradoxalement c’est un lien entre les individus. Personnellement, j’ai fait de très belles rencontres autour du livre, ma vie aurait été différente sans ma passion pour la lecture. Je crois qu’il ne faut pas parler du livre mais des livres car il faut en lire beaucoup afin d’épaissir suffisamment le doute qui permet de comprendre que nous ne saurons jamais tout. C’est ce doute qui fait la richesse de la pensée et ce sont les livres qui le nourrissent.

J’aime écrire sur les livres car il est difficile de rencontrer des gens avec qui on peut partager une belle conversation sur les livres. Le monde du livre est un monde encore trop fermé, trop élitiste. La littérature n’est pas suffisamment respectée dans notre enseignement qui est surtout tourné vers les sciences.

 

6) Comment est née l’idée de ce roman ? T’es-tu inspiré de modèles ? Existe-t-il d’autres romans qui ont pour vocation de rassembler tous les livres du monde ?

En écrivant ce livre j’ai pensé à certains auteurs que j’avais lus depuis peu : Jean Pierre Martinet, Pascal Mercier, Jean Potocki… tous des gens qui planaient bien trop haut pour moi.

Plus justement, je rêvais d’écrire depuis très longtemps, pas nécessairement pour publier, juste pour voir ce que j’étais capable de faire devant une feuille blanche. Je m’étais promis de le faire pour mes cinquante ans et je reportais toujours, bloqué par l’impossibilité de parler de moi et des miens, par la peur que certains se reconnaissent dans mes propos.

Et un jour, à soixante cinq ans, j’ai dit je le fais ou je ne le ferai jamais. Je venais de boucler un tour du monde par les livres sur le blog d’une amie et je me suis dit que je pourrais peut-être romancer ce travail en l’intégrant dans la vie d’un jeune retraité désolé par le monde actuel et par le manque d’investissement intellectuel ou artistique de nombreux retraités qui s’ennuient à la maison. J’ai ouvert un fichier et j’ai écrit sans modèle ni brouillon en consultant seulement la liste de mes lectures. J’ai vite été pris par mon projet mais je reconnais que je ne l’ai vraiment maîtrisé qu’à partir du milieu.

Je n’ai délibérément pas attaché assez d’importance au style car j’étais trop préoccupé par les contraintes de taille du texte, de cohérence littéraire, d’enchaînement, etc… tout ce qu’un écrivain doit maîtriser et que je découvrais.

 

7) En rêvant (à) ses lectures, ton lecteur devient écrivain. Le narrateur et rêveur de ton roman est avant tout, comme toi un grand lecteur, qui plus est, critique, chroniqueur… Le lecteur fait-il partie intégrante du livre, de la littérature ?

Ma femme me l’a dit, c’est tout toi et pourtant ce n’était pas ma volonté même si je voulais faire passer quelques idées personnelles. Je voulais surtout abattre les frontières entre l’auteur et le lecteur, entre l’auteur et son héros, entre les époques, entre les écoles. La littérature est un monde où l’on peut rencontrer Hugo attendant Godot, Oé courtiser la fille du capitaine, etc…

J’ai essayé d’abattre toutes ses frontières en conservant un lien avec des livres et des histoires que j’ai réellement lus. J’ai respecté ce que les auteurs voulaient dire en les affranchissant de toutes les contraintes que les lecteurs leur imposent.

Je l’ai déjà dit et d’autres avant moi, un livre n’existe qu’à partir du moment où il est lu et il renaît chaque fois qu’un nouveau lecteur le lit.

 

8) Pourquoi faire partir, et revenir ton tour du monde littéraire, des Caraïbes ?

Comme je l’ai dit plus haut, la littérature caribéenne m’enchante, elle est pleine de soleil et de musique, elle est riche et inventive. Je trouvais aussi que, d’un point de vue pratique, je pouvais plus facilement tracer mon itinéraire à partir de ce point, ça facilitait mon travail de démarrage dans l’écriture.

J’y suis revenu, car j’aimerais y rester, dans les livres seulement bien sûr, c’est un cocon littéraire où je me sentirais très bien. Mais, je pensais aussi me laisser la possibilité de rebondir éventuellement dans une autre expérience littéraire et je trouvais plus facile de créer à partir d’une matière qui me convient bien.

 

9) Penses-tu que la littérature est une fuite hors du monde et du temps ou bien une façon de les transformer, une évasion ou bien une réappropriation du réel ?

La littérature n’est surtout pas une fuite, elle est une porte pour entrer dans un monde beaucoup plus vaste, beaucoup plus élaboré, beaucoup plus riche que le nôtre qui se complait dans sa petite médiocrité. J’aime bien cette idée de réappropriation du réel car le monde dans lequel nous vivons est très fragmentaire de ce qu’est l’univers et la pensée de ses habitants. C’est un peu dans ce sens que j’ai écrit un passage sur le musée des lectures où on ne collectionne pas les livres mais les lectures qu’on en a faites.

Le temps est une dimension scientifique, ce n’est pas une dimension littéraire, la littérature se moque du temps. Certains auteurs l’ont bien compris et s’affranchissent facilement de cette contrainte.

 

10) Quelques romanciers ou livres par trop méconnus, parmi tes préférés et que tu souhaiterais faire découvrir…

La liste est trop longue à dresser mais je ne vais pas me défiler, je vais donner, en vrac, quelques noms d’auteurs qui m’ont séduit au cours des dernières années et qui n’ont pas le succès qu’ils méritent, ou pas encore. J’ai éliminé, comme le demande la question, les poètes et les auteurs de textes courts. Donc, voilà les noms qui me viennent à l’esprit : Catherine Ysmal, Pascale Petit, Francesco Pittau, Hwang Sok-yong (grand écrivain mais peu connu en France), Mia Couto (futur Nobel peu connu en France), Gérard Sendrey (dessinateur qui à 89 ans a écrit un opus très enrichissant), Delphine Roux, Kim Hong-ha (auteur d’un grand livre sur la mémoire), Alain Guyard, Eric Pessan (à la limite car déjà médiatisé), Oriane Jeancourt-Galignani, Antoine Buéno, Rocio Duràn-Barba, Gary Victor (auteur d’un magnifique livre à dimension mythologique, Le sang et la mer). Je m’arrête là mais je reçois régulièrement beaucoup de très bons livres (j’ai beaucoup de chance) que leurs auteurs ne m’en veulent pas, je les citerai à une autre occasion.

 

L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES – Épisode 1

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L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES de DENIS BILLAMBOZ – Dernier épisode

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FIN DE L’EPISODE PRÉCÉDENT

Sa pitié pour les plus défavorisés ne l’avait pas quittée, il était réfugié dans la forêt péruvienne, essayant d’échapper aux sbires de la junte militaire au pouvoir qui voulait prendre Irène et Francesco, des amis d’Isabel Allende qui l’avait convié à une rencontre avec les forces qui luttaient contre la domination dictatoriale. Francesco avait mis la main sur des papiers très compromettants pour le pouvoir et il s’était ainsi inscrit sur la liste des opposants qu’il fallait éliminer ou au moins assigner dans un lieu sûr, hors de portée de ceux qui fomentaient des complots pour prendre le pouvoir et établir un gouvernement plus juste et plus démocratique. Il avait longuement cheminé avec les deux jeunes gens mais il ne voulait surtout pas entraver leur fuite et les gêner dans leurs manœuvres pour échapper aux militaires, il continua donc seul, avec quelques hommes qui devaient le conduire à la rencontre de « l’homme qui parle », une espèce de démiurge qui raconte la vie et l’histoire de la forêt amazonienne.

DERNIER ÉPISODE

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Mario Vargas Llosa

C’est Mario, Mario Vargas Llosa, qui lui avait indiqué le chemin à suivre pour rencontrer ce personnage illustre au sein des tribus qui peuplaient encore cette forêt immense dont les lianes et l’exubérance végétale s’étendaient jusqu’aux confins du Pérou. Ce vieillard était le dépositaire de la mémoire de ces tribus sans avenir, menacées de disparition rapide, il racontait la forêt et son peuple comme une construction mythologique avec son panthéon peuplé de demi-dieux dont il serait lui-même le dernier des héritiers. L’écouter c’était un peu comme ouvrir un livre d’histoire ancienne et essayer de comprendre la vérité historique dissimulée entre les lignes de la mythologie élaborée patiemment par des générations qui ont fini par constituer un monde plus que virtuel avec ses dieux, ses héros, ses guerres, ses épopées… Et le vieux racontait, lui aussi, l’architecture de son monde avec toutes les croyances, les rites, les magies et autres formes de pouvoir qu’il comportait. En écoutant ce vieux démiurge, Il aurait voulu posséder, à lui seul, les moyens de sauver l’univers de cette icône des peuples de la forêt qui n’étaient déjà plus des peuples, qui n’étaient plus qu’un objet de curiosité pour les ethnologues, les aventuriers, les grands reporters et quelques touristes assez fous pour ne pas leur foutre la paix.

Pensant qu’il s’était suffisamment confondu avec tous ces empêcheurs de vivre heureux dans la forêt primaire, une vie peut-être primaire mais néanmoins paisible et sans tensions néfastes, il reprit sa route vers ce que certains appelaient la civilisation. Il aurait aimé rencontrer José Luis Arguedas mais le grand écrivain péruvien n’avait pas pu supporter la vie qu’on infligeait à ceux qui n’appartenaient pas à la caste des nantis, des riches, des héritiers, des conquistadors qui avaient dépouillé le pays au cours des siècle passés, il avait choisi de s’évader de ce monde en espérant, probablement, en trouver un meilleur …. ailleurs. Il aurait peut-être dû chercher cet autre monde dans ses rêves il n’aurait certainement pas ainsi privé l’humanité d’un grand penseur, d’une grande plume mais surtout d’un homme juste.

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Jorge Icaza 

Pour lui le moment n’était pas à la rêverie, un détour par Quito le tentait fortement, il pourrait y rencontrer Jorge Icaza qui, tout comme José Luis Arguedas, connaissait très bien les indiens et la vie abominable qu’ils étaient obligés d’accepter pour avoir partagé avec eux cette vie de misère. Il lui ferait sans doute rencontrer un « chula », l’homme de Quito, un métisse qui se comportait comme un blanc pour devenir le plus blanc possible après les belles études qui l’avaient fait gravir les échelons de l’administration jusqu’au jour où sa destinée l’avait rattrapé pour le ramener à son statut de descendant d’indien. Un sort qu’Arguedas, José Luis pas Alcides le Bolivien, n’avait pas pu accepter et qui l’avait mené sur un autre chemin, à la quête d’une autre vie, à l’écart de la route de la misère que les peuples amérindiens ne pouvaient pas, ne pouvaient plus, éviter depuis bien longtemps déjà.

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Il était ferment résolu à prendre la route de Quito, il voulait rencontrer Luis Alfonso, ce « chula » miséreux pour lui indiquer un nouveau chemin, pour le freiner dans sa dégringolade, pour qu’il ait une autre chance. L’horrible chaleur saturée d’humidité de la forêt vierge ne pesait plus maintenant sur ses épaules, ils marchaient désormais sur un plateau en altitude où l’air était plus frais et où même soufflait une brise légère qui le fit frissonner. Il voulu remonter son col sur son cou pour se protéger de ce courant d’air frisquet mais son bras ne rencontra qu’un bras inerte que, dans un premier temps, il n’identifia pas. Il était encore dans son rêve et ses compagnons ne le prenaient tout de même pas par le cou. Il se retourna et constata alors qu’il était coincé par un corps blotti contre le sien, il ne comprenait pas bien où il était, il lui fallut encore un moment pour se souvenir qu’il était chez lui et qu’il avait dormi avec sa compagne intérimaire, celle qui de temps à autre suppléait sa solitude quand elle devenait trop lourde à supporter. Et même s’il avait un peu froid car les couvertures n’avaient pas suivi leurs derniers ébats avant le sommeil, Il n’osa pas bouger de crainte de la réveiller trop rapidement. Il voulait encore jouir de ce moment privilégié où elle était ramassée contre lui comme un chaton contre sa mère.

Comme elle ne donnait aucun signe de vouloir émerger de son paisible sommeil, il ramassa lentement un coin de couverture dont il parvint à se couvrir, et à la couvrir, sans la déranger. Et il resta immobile profitant de sa douce chaleur, restant à la disposition du maître des rêves pour embarquer vers une autre destination. Le maître lui proposait quatre destinations et pour une fois, considérant son état d’éveil presque total, lui laissait le choix parmi celles-ci. Il ne voulait surtout pas aller en Colombie dans les montagnes où les militaires réguliers, les groupes paramilitaires, les narcotrafiquants et tous les irréguliers qui pouvaient traîner dans cette région, appâtés par les recettes fabuleuses générées par la poudre magique, s’étripaient entre eux et maltraitaient la population toujours soupçonnées de prendre partie pour le mauvais parti. Non, Evelio Rosero pouvait dormir tranquillement, il ne voulait surtout pas se mettre à portée des armes de ces troupes qui hantaient le moindre recoin de la montagne.

Il aurait pu aussi partir pour une grande expédition sur le chemin de l’Eldorado avec les conquistadors espagnols, sous la plume d’Arturo Ulsar Pietri, à la recherche de nouveaux gisements d’or, il convient de comprendre tombes, lieux de culte et autres sites religieux où sont amassés quantité d’objets précieux et sacrés dont on peut disposer à sa guise quand on est un conquérant qui a imposé sa loi par les armes. Mais, là non plus, il ne voulait pas aller, la route était trop longue, bien trop hasardeuse, beaucoup trop périlleuse, non il lui fallait une aventure tout en douceur comme celle qu’il vivait depuis la veille et qui gisait à ses côtés dans le profond sommeil de sa compagne du moment.

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Alvaro Mutis

Sur le quai, Alvaro Mutis semblait l’attendre, il voulait lui confier quelque chose comme à son ami Amirbar, il voulait lui raconter la vie d’El Gabiero un marin qui avait bourlingué sur toutes les mers du monde pour dépenser les quelques sous gagnés à la manœuvre avec des femmes de petite vertu qui hantent tous les ports accrochés aux rives de ces mers, ou au comptoir de n’importe quel rade qui fleurit sur le trottoir en face du quai dès qu’un point d’attache pour bateaux est fixé. Mais il avait la bouche suffisamment pâteuse des vins et alcools bus la veille, il n’avait nullement envie de partir en bordée avec des marins privés de femmes et d’alcools depuis des semaines alors qu’il avait bu la veille et qu’il avait une femme, encore tendre et douce contre son flanc, pour ne pas partir à la recherche d’une catin abonnées aux ivrognes en bordée. Non, il n’avait pas envie de rêver de ce genre de vie. Peut-être que son amie lui avait enlevé le goût des rêves, peut-être qu’avec elle il trouvait une nouvelle raison de s’installer dans le monde de la concrétude, du quotidien, de ce jourd’hui avant celui de demain et après celui d’hier ? Impossible, il ne pouvait pas se contenter d’un seul monde même s’il y allait avec la plus belle femme du monde, il lui fallait des horizons immenses, inaccessibles, pour qu’il ne se sente pas enfermé dans sa vie quotidienne. Il fallait qu’il puisse partir sur les ailes de ses rêves pour se sentir léger, allégé de toutes les contingences de la vie matérielle et des petits bobos de son âge.

Au bord de la route, il y avait une petite maison pas franchement jolie mais coquette tout de même, blottie à l’ombre d’un vaste manguier qui étendait son feuillage jusque dans les fenêtres de cette petite demeure. Sous cet arbre, une jeune fille, pas tout à fait une demoiselle mais déjà une grande fille, lisait sans conviction un livre qui ne l’intéressait pas franchement, elle semblait plutôt attendre quelqu’un ou alors tout bonnement observé les rares personnes qui passaient dans ce petit coin de Guyane, celle qui avait été sous la domination anglaise. Quand il arriva devant la maison, il la salua gentiment avec son bon sourire habituel, celui qu’il réservait aux jeunes femmes et aux filles en passe de le devenir. Elle lui rendit l’un et l’autre, ce qui le flatta beaucoup, il rencontrait rarement des jeunes filles qui lui renvoyaient son sourire. Celle-ci semblait vraiment très jeune même si sa taille fine et élancée la laissait croire plus âgée qu’elle ne l’était en réalité. Il s’approcha en espérant faire durer cet instant de gentillesse et d’amabilité car avec une fille si jeune il ne pouvait espérer plus, malgré tout il se sentait un peu ému devant cette grâce juvénile qui semblait n’être adressée qu’à lui seul.

Une odeur qu’il ne savait déterminer chatouillait ses narines, des fragrances d’un parfum subtil mais un peu éventé, des relents de literie après une nuit de sommeil, une pointe de sueur aigre, des odeurs corporelles diverses… Et quelque chose de léger, très léger, effleurait imperceptiblement sa joue. Il secoua la tête comme pour chasser un insecte importun mais la sensation persista. Il leva la main pour chasser l’intrus, en vain, il était toujours là passant et repassant sur sa joue, s’accrochant à sa barbe déjà repoussée. Il commençait à s’agiter quand elle rit franchement le tirant du sommeil dans lequel il avait finalement replongé avant de partir sous le manguier d’Oonya Kempadoo dont il ne percerait jamais le secret. Elle riait aux éclats devant son air ébaubi, ses cheveux en bataille et ses yeux hagards.

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Oonya Kempadoo

– Il a bien dormi le grand garçon !

– …

– Il a fait de jolis rêves ?

– …

– Il est parti tout loin tout loin…

– …

– … et il a rencontré une jolie fille…

– …

– … et il lui a fait du charme avec son grand sourire innocent !

– Quoi ?

– Alors, tu émerges ?

– Oui, oui, je suis réveillé !

– On ne dirait pas franchement en regardant ta mine.

– Quelle heure est-il ?

– Je ne sais pas et je ne veux pas savoir.

– J’ai dû me rendormir.

– Peut-être.

– Sûrement même, je te regardais dormir.

– Oui mais ce n’est pas à moi que tu faisais des sourires charmeurs car moi je te regardais sourire.

– Pas vrai.

– Et si !

– Ben je rêvais à toi.

– Oh le gros menteur, il était parti tout loin vers une jolie fille, une princesse peut-être ?

– Mais non ! Je ne me souviens même pas si j’ai rêvé.

– Tu mens très mal, de toute façon je sais tout, je te connais trop bien. Et rien que pour t’obliger à rester au lit avec moi, je vais te raconter mon rêve.

– Génial !

– Il état beau, c’était un poète, il me l’a dit, il voyageait sur son voilier dans la mer des Caraïbes au gré de ses fantaisies, au gré de ses amitiés, au gré de ses amours, au gré du vent. Il m’a dit qu’il habitait sur une petite île, Sainte Lucie, je crois, qu’il était très connu depuis qu’il avait obtenu un célèbre prix littéraire…

– … et qu’il s’appelait Dereck.

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– Il n’y a pas trois poètes, même pas deux, qui ont reçu un prix littéraire important sur l’île de Saint Lucie, il n’y a que Dereck Walcott.

– Ma culture n’a pas franchi l’Atlantique. Il m’a dit que nous partirions tous les deux sur son voilier et que nous naviguerions pendant des jours sur cette mer parsemées d’îles et d’îlots, ne descendant à terre que pour visiter ses amies et acheter quelques provisions. Il m’a dit que nous irions déjà à Porto Rico où il connaissait une femme impétueuse qu’il aimait beaucoup et qui écrivait des livres magnifiques…

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– Rosario, il l’a dit, pour le reste je te fais confiance. Et il a dit aussi qu’ensuite nous reprendrions la mer pour nous glisser entre la Martinique et la Guadeloupe, là où un gros caillou semblait avoir été jeté comme pour séparer ces deux îles. Il racontait que la mer était magnifique, que les poissons volants bondissaient partout autour du bateau en faisant des « plouf » en rentrant dans l’eau, que les alizés gonflaient la voile juste assez pour que la bateau glisse légèrement sur l’onde, sans roulis ni tangage. Il m’a dit que nous rencontrerions, sur ce caillou, une prisonnière, la prisonnière des Sargasses il me semble…

– … oui, Jean Rhys, c’est son vrai nom.297e613c92bbe24fbfcee14956308ff5.jpg

– .. je ne sais pas mais je sais qu’elle nous accueillerait chaleureusement dans son ancienne plantation où elle vivait toujours malgré la fermeture de sa sucrerie. Je sais aussi que nous mangerions des quantités de fruits exotiques dont certains que je ne connais même pas, dont je n’ai jamais entendu parler. Et nous boirions du rhum, du rhum blanc, du vrai rhum des Caraïbes, et que nous serions ivres d’alcool, de soleil et de musique, et que nous danserions jusqu’à ne plus pouvoir, et je crois qu’il m’aimerait, qu’il m’aimerait comme un fou, qu’il irait chercher des noix de cocos sur les palmiers … rien que pour moi.

– Quelle aventure ! (avec une pointe de jalousie mal dissimulée).kinkaid_425x320.jpg

– Mais ce n’est pas fini ! Nous irions aussi à Antigua et la Barbade, je ne sais plus sur laquelle de ces deux îles, où nous serions cette fois encore les hôtes d’une femme de lettre, Jamaïca Kincaid qui nous raconterait l’histoire de Lucy pendant que nous barboterions dans l’émeraude des eaux littorales. Et là aussi nous mangerions, nous boirions, nous danserions, nous chanterions, … jusqu’à l’épuisement et nous nous aimerions avec tous les cocotiers pour témoins.

– C’est un rêve tellement magnifique.

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   Et moi j’ai rêvé que je partirais avec toi, que nous irions là où la République dominicaine tutoie Haïti, sur la « Linera » cette fameuse ligne imaginaire qui sépare l’île en deux parties. Et là, sur la « galera », la place où les coqs se battent, où les hommes parient avant de danser avec les femmes et de boire et de boire encore, le temps d’un éclair le soleil accrocherait une étincelle de lumière dans l’ergot métallique acéré qui armerait la patte droite du coq, le temps que cette arme laboure le poitrail de l’autre gallinacé qui s’effondrerait en soubresauts chaotiques avant de s’immobiliser dans la mort réservée aux vaillants combattants…

 

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Le combat de coqs – L’attaque, de Qunce Zeng

 

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Début de l’épisode 1

Le temps d’un éclair le soleil accrocha une étincelle de lumière dans l’ergot métallique acéré armant la patte droite du coq, le temps que cet ergot laboure le poitrail de l’autre gallinacé qui s’effondra en soubresauts chaotiques avant de s’immobiliser dans la mort réservée aux vaillants combattants. Il venait de perdre encore quelques pièces de plus. Depuis qu’il était arrivé sur cette galera en compagnie de Marcio, Marcio Veloz Maggiolo, dans cette région de misère où seuls les combats de coqs, le merengue et le clerén peuvent tirer la population de la torpeur ambiante, il jouait de malchance, pariant systématiquement sur les coqs vaincus.

 

Relire le préambule par Denis Billamboz

Relire les 44 épisodes de L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES

 

HISTOIRE DE RIEN

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Le rien qui nous préoccupe tellement et qui remplit souvent discours, émissions de télévision, journaux, propos divers, conversations imposées, raisonnements, etc… méritait bien une petite chronique sur ce blog hautement intellectuel. C’est du côté des Editions Louise Bottu que j’ai trouvé matière à remplir de rien le vide de ma chronique bimensuelle. Une chronique toute légère, appropriée, je l’espère, à cette période de farniente, de détente et de repos aussi bien physique qu’intellectuel.

 

 

dictionnaire-de-trois-fois-rien-de-marc-emile-thinez.jpgDICTIONNAIRE DE TROIS FOIS RIEN

Marc-Emile THINEZ

« Algèbre … Une contrainte qui compte. Jean n’aime pas les maths, les Arabes non plus ». La première définition de ce dictionnaire est édifiante, le raccourci est fulgurant. Jean est déjà sur la sellette. Jean c’est apparemment le père de l’auteur, du moins dans cet ouvrage, c’est un cruciverbiste fidèle, il fait chaque jour la grille de l’Huma car Jean est communiste, un peu franchouillard, communiste comme d‘autres sont catholiques ou philatélistes. Il ne conteste jamais la parole du parti, l’Huma est son bréviaire. Il ne se pose pas de questions, ce n’est pas un intellectuel, il exécute et fait des mots croisés avec son fidèle dictionnaire, « Le dictionnaire est Le Livre, sa bible à lui, le mécréant ».

Marc- Emile c’est le fils, le fils doué qui sait lire très tôt les bulles de Pif le chien dans l’Huma, c’est lui plus tard qui établira ce dictionnaire des termes qui définissent le mieux son père. Ces mots dont il donne une version littéraire, lexicologique, et une illustration appliquée à l’usage que Jean en fait ou à la description de l’univers de Jean.

Ce dictionnaire est bien sûr très drôle, l’auteur joue avec les mots comme d‘autres avec les balles ne rechignant jamais à formuler calembours, aphorismes et autres jeux de mots toujours savoureux. Mais tous ces jeux avec les mots cachent mal une satire acerbe de la France profonde manipulée par les partis politiques et les leaders d’opinion, Jean est communiste mais il pourrait appartenir à n’importe quel autre parti, il se comporterait de la même manière, comme un bon vieux godillot, comme un électeur sûr et convaincu, comme un militant zélé ne contestant jamais les décisions prises par les instances supérieures. Sous cette satire acide, il y a aussi beaucoup de tendresse pour ce père qui n’a pas eu la chance de poursuivre ses études bien longtemps, il a quitté l’école à onze ans, et qui voudrait apprendre encore en faisant ses mots croisés avec son dictionnaire fétiche. Jean est le père que de nombreux enfants ont eu au siècle dernier quand il y avait encore des ouvriers et des agriculteurs qui apprenaient tout sur le tas.

Une fois encore, la preuve est faite qu’un tout petit livre peut contenir beaucoup, beaucoup de choses. Ainsi, on pourrait évoquer aussi la réflexion de l’auteur sur l’ambigüité du langage à qui on peut faire dire tout ou rien ou tout et rien. En lisant ces lignes, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ces réunions auxquelles j’ai participé et au cours desquelles on essayait d’écrire en commun une délibération, une clause, une motion, … Le déficit de langage n’est pas le propre des ouvriers de la fin du XX° siècle, elle perdure encore même chez des gens qui ont fréquenté l’université, ils sont capables de parler de tout et de rien pendant des heures sans rien décider du tout. Tout le monde ne met pas « La même application à chercher le bon mot que son prédécesseur le bon champignon ».

Un tout petit livre qui n’a l’air de rien mais qui dit tout sur le rien et le tout et sur la grande difficulté qu’il y a encore à se comprendre avec seulement des mots comme le savent bien ceux qui fréquentent assidûment les réseaux sociaux et les débats houleux qu’ils génèrent pour de simples incompréhensions.

Le livre sur le site des Editions Louise Bottu

 

72702.jpgL’AIR DE RIN

Bruno FERN (1960 – ….)

On ne peut pas s‘imaginer comme rien occupe de la place, tellement de place qu’après le dictionnaire que lui a consacré Marc-Emile Thinez aux Editions Louise Bottu, cette maison publie un nouvel opus consacré à ce fameux rien qui encombre notre vie : « L’air de rin ». En fait l’air de rin c’est surtout un fil sur lequel Bruno Fern, équilibriste du vocabulaire, a composé des variations à partir de deux vers : l’un de Mallarmé :

« Aboli bibelot d’inanité sonore »

l’autre de Guillaume d’Aquitaine :

« Ferai un vers de pur néant »

Bruno Fern propose centre-trente-deux variations du premier en application à autant de circonstances ou de contextes. « On le voit, on l’entend : de petits faits quotidiens ou moins, entre humour et mélancolie » comme l’écrit le préfacier Jean-Pierre Verheggen. Je dirai que, moi, j’ai vu beaucoup d’humour, un peu d’espièglerie et quelques petites piques bien affûtées et tout aussi bien ciblées :

« Lucide : Accomplis coquelicot ta destinée record »

« Faux-cul : Applaudit en plateau mais maudit en dehors »

« Coquet : Assorti aux rideaux le gilet du croquemort »

Et soixante six variations du vers de Guillaume d’Aquitaine, juste la moitié du précédent total :

« Ecrivain : Phraserai matières et compléments »

« En slip léopard : Feulerai par terre face au divan »

« Fan d’Apollinaire : « Fesserai l’postère en versifiant »

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Mine de rien, «L’air de rin » est tout de même le résultat d’une longue réflexion et d’un talentueux exercice de créativité accomplis par l’auteur, il n’est pas toujours évident de recréer en de multiples exemplaires ce qui existe déjà en lui donnant à chaque fois un sens, une couleur, une apparence différents mais en lui conservant sa sonorité. Un exercice de fildefériste sur le fil tendu du vocabulaire, un exercice gymnique, où il ne faut surtout pas se prendre les pieds dans le tapis, plein de pirouettes exécutées sur le praticable de la sémantique. In fine, un exercice poétique et « vocabularistique » qui montre toute l’étendue de la langue française et les multiples usages que l’on peut en faire. Je pourrais conclure avec le lieu commun actuel : Bruno Fern a étiré au maximum le champ des possibles contenus dans les vers de Mallarmé et Guillaume d ‘Aquitaine.

Le livre sur le site des Editions Louise Bottu

RIMBAUD À l’épreuve de L’ESPERLUETTE & d’autres fantaisies postmodernes

Il faut absolument être postmoderne

Rimbaud & co

 Il y a une nouvelle innocence, une nouvelle forme de candeur, une manière moderne de s’étonner que tout ne soit pas encore tout à fait moderne, complètement moderne, moderne à cent pour cent, et plus si affinités.

Philippe Muray, Exorcismes spirituels IV

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ORNIÈRES

 

À droite l’aube d’été

éveille

les feuilles & les vapeurs

& les bruits de ce coin

du parc,

et les talus de gauche

tiennent dans leur ombre

violette

les mille rapides ornières de la route humide.

Défilé de féeries.

En effet :

des chars chargés d’animaux

de bois doré, de mâts &

de toiles bariolées,

au grand galop de vingt chevaux

de cirque tachetés, & les enfants

& les hommes sur leurs bêtes les plus étonnantes ;

– vingt véhicules, bossés, pavoisés

& fleuris comme des carrosses anciens

ou de contes,

pleins d’enfants attifés

pour une pastorale suburbaine.

– Même des cercueils sous leur dais de nuit

dressant

les panaches d’ébène,

filant au trot des grandes juments

bleues & noires.

 

 

BOTTOM

 

La réalité étant trop épineuse

pour mon grand caractère, –

je me trouvai néanmoins chez Madame,

en gros oiseau gris bleu

s’essorant vers les moulures du plafond

& traînant l’aile

dans les ombres de la soirée.

Je fus, au pied du baldaquin

supportant

Ses bijoux adorés & ses chefs d’œuvre physiques,

un gros ours gencives violettes

& au poil chenu

de chagrin,

les yeux aux cristaux & aux argents

des consolés.


Tout se fit ombre & aquarium

ardent.

Au matin, –

aube de juin batailleuse, –

je courus aux champs, âne,

claironnant & brandissant

mon grief jusqu’à

ce que

les Sabines de la banlieue

vinrent

se jeter à mon poitrail.

 

 

DIMANCHE

 

Les calculs de côté,

l’inévitable descente

du ciel,

& la visite des souvenirs

& la séance des rythmes occupent

la demeure,

la tête & les monde de l’esprit.


– Un cheval détale sur le turf suburbain,

& le long des cultures & des boisements,

percé par la peste carbonique.

Une misérable femme de drame,

quelque part dans le monde,

soupire après des abandons improbables.

Les desperadoes languissent

après l’orage,

l’ivresse & les blessures. De petits

enfants étouffent

des malédictions le long des rivières. –

 

Reprenons l’étude au

bruit

de l’œuvre dévorante qui

se rassemble & remonte

dans les masses.

 

Trois textes de prose poétique tirés d’Illuminations (1873-1875)

Ornières

Bottom

Dimanche

Les seules fantaisies que je me suis autorisées sont, hormis les et remplacés par des &, des coupes dans les phrases pour leur mise en vers. Mais quand c’est du Rimbaud (notamment) ou un texte riche, se suffisant à lui-même, le texte transcende tous les mauvais traitements et rejette, pourrait-on, dire, toutes fioritures et autres effets poétiques superflus.

Quand il s’agit de prose banale comme celle de faits divers (voir les LES POÈMES DE SUD PRESSE), le même traitement, forcément ironique, théorisé par Jean Cohen dans Structure du langage poétique, apporte un semblant de poésie, rehausse illusoirement le texte.

 

Quelques sites sur Rimbaud et son oeuvre poétique

Arthur Rimbaud: site comprenant tous les textes de Rimbaud en français et en anglais.

Arthur Rimbaud, le poète: le site d’Alain Bardel avec cette citation de Char en épigraphe: « Rimbaud, le poète, cela suffit, cela est infini »

Une trentaine de textes Rimbaud sur Les Grands classiques

Un cinquantaine de textes de Rimbaud sur Poètes.com

La lettre du voyant à Paul Demeny, datée du 15 mai 1871 où il écrit notamment ceci:

Racine est le pur, le fort, le grand. — On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd’hui aussi ignoré que le premier venu auteur d’Origines. — Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans ! (…)

En Grèce, ai-je dit, vers et lyres rhytment l’Action. . Après, musique et rimes sont jeux, délassements. L’étude de ce passé charme les curieux : plusieurs s’éjouissent à renouveler ces antiquités : — c’est pour eux. (…)

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. (…)

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé ! (…)

En attendant, demandons aux poètes du nouveau, — idées et formes. 

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L’HISTOIRE DU POÈME

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Le poème est né, au bas mot (Obama?), il y a quinze milliards d’années, c’est-à-dire bien avant le Big Bang. (Mais ça, même les frères Bogdanov l’ignorent). Une théorie tend d’ailleurs à démontrer qu’il serait à l’origine de l’univers. Depuis, on s’en doute, le poème a connu mille métamorphoses et autant de péripéties, dont cette histoire (un brin subjective) rendra compte, parmi les plus récentes et les plus extraordinaires.

 

===

 

une histoire merveilleuse

 

le poème vit 

depuis toujours

une histoire merveilleuse

avec son public

 

sauf pendant

les millénaires de récession

 

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élimination

 

le poème génère

des tonnes de déchets

 

leur élimination constitue

un des problèmes majeurs 

de la littérature

 

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la queue

 

comme on fait mal au chat

en lui tirant la queue

on fait mal au poème

en lui disant à l’oreille 

des choses qu’il sait déjà

 

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escalade

 

le poème escalade les mots

par le versant des images

 

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pratique

 

le poème est pratique

pour envelopper

les débris de textes 

et les phrases à deux sous

 

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le poème nu

 

celui qui a un jour

vu le poème nu

ne cessera plus de regarder 

par la fenêtre des mots

 

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prix littéraires

 

le poète qui tue son poème

n’est pas condamné 

aux prix littéraires

 

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la condition du poème

 

chaque fois à la fin du poème

tu donneras ta langue au chat

&
le chat n’en fera qu’une bouchée

 

à condition que le poème soit bon

 

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Munster

 

le poème sent des pieds

quand le poète 

a mangé du Munster

 

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un petit poème

 

mon poème a braillé

toute la nuit

 

c’est un petit poème

 

il doit faire ses dents

 

 

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mal narré

 

ne verbalisez pas le poème 

s’il est mal narré

 

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un baiser

 

le poème

est un baiser

sur les lèvres

des mots

avec la langue

 

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coming out

 

le poème

a fait son coming out

 

il a déclaré

aimer  les pommes *

cuites

dans une émulsion

de mots doux

 

sont attendues avec impatience

les révélations du roman

sur ses préférences

légumières

 

 

* le vers était dans le fruit : pomme aime.

 

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le poème et la fraise

 

le poème

chez le dentiste

pousse de tels hurlements

que les exégètes

venus soigner

des caries verbales

les attribuent

tantôt à de l’Artaud

tantôt à du Tzara 

 

par contre

pour le zzzzzzzzzzzzzzzzz

de la fraise

tous conviennent qu’il était 

d’Isidore Isou

 

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le poème du dimanche

 

le poème à eau

résiste mieux au sel

 

le poème à clous

retient la parole blanche

 

le poème à roulettes

augmente la vitesse des mots

 

le poème du dimanche

passe à travers les fêtes

 

le poème du lundi

peut grever la semaine

 

le poème de l’après-dîner

se digère dans la nuit

 

le poème poids léger

s’envole dans le verbe

 

le poème murmuré

se porte à l’oreille

 

le poème en lecture rapide

avale les sons lents

 

le poème à poils ras

se prête aux caresses phoniques

 

le poème à bras longs

emporte tous les concours

 

le poème bivalve

s’ouvre avec un couteau à musique

 

le poème du dimanche

le poème du lundi

et celui des autres jours aussi

 

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l’espèce du poème

 

et si l’espèce du poème

disparaissait

au même titre

que le bélouga des mathématiques 

ou le chihuahua du quiz musical ?

 

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rixe

 

le .oè.e

a perdu

ses consonnes

dans la rixe qui l’opposa 

au r.m.n

 

 

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parenthèses

 

(

à l’intérieur 

des parenthèses

le poème

mène

la vie

d’un texte 

grand format

sans les inconvénients

de l’exposition

littéraire

)

 

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l’exception

 

le poème qui vit cent ans

est l’exception

 

le plus souvent

le poème est mort-né

 

(malgré les progrès 

des ateliers d’écriture)

 

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les pépins de l’espace

 

la mandarine ne ment pas

au poème

sur la nature des agrumes

 

si, la main sur la pulpe,

elle jure qu’elle dit la vérité

sur son essence astrale

il faut boire son jus

avec les pépins de l’espace

 

sans oublier

les fruits secs

au fond de la galaxie

 

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Gagarine

 

Youri Gagarine a emporté

le poème

lors de son voyage dans l’espace

 

par contre on ne sait pas

s’il l’a emporté

dans la tombe

 

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Marie-Antoinette

 

le poème

était l’ami de Marie-Antoinette

(pas l’ami Facebook, le véritable ami!)

mais elle avait dû payer de sa personne

pour gagner ses faveurs

 

lors de leur séparation

c’est le poème

qui perdit la tête

 

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coitus interruptus

 

ce n’est pas l’assassinat

de l’archiduc François Ferdinand

qui fut cause

de la Grande Guerre

mais

le coitus interruptus 

du poème

avec un alpiniste autrichien

 

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sur la neige

 

l’hiver le poème

s’écrit

sur la neige

 

et s’il reste

gravé dans la glace

du lac gelé

 

c’est pour le bonheur

des patineurs

à la gomme

 

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une souris

 

le poème électronique

accouche souvent 

d’une souris

 

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le silence du poème

 

je connais un poème

qui a vécu

une expérience de prose douloureuse

mais qui ne tient pas à en parler

 

je respecte le silence du poème

 

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l’heure de la sieste

 

à l’heure de la sieste

l’ombre du poème

figure

l’image du poète

en train de dormir

au milieu de vers vides

et de mots anisés

 

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le poème cardiaque

 

on reconnaît le poème cardiaque

à ses mots

qui font la file

au bureau de pontage

 

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tombés des nues

 

pour un poème connu

combien de poèmes anonymes

criant famine

(aux rimes pauvres, pauvres…)

 

pour un poème éveillé

combien de poèmes dans la lune

tombés des muses

(aux vers légers, légers…)

 

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 pour voir

  

le soleil du dire

irise

la peau du poème

 

on secoue

les feuilles des mots

 

pour voir 

l’invisible

 

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les poèmes de la banquise

 

les poèmes de la banquise

manquent de plus en plus

d’épaisseur

 

la preuve

 

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ce poème-ci

 

j’étais fou amoureux d’un poème

je le relisais chaque jour

je le refaisais en mieux

puis mon poème s’est cassé

avec un parfait poète inconnu

 

(c’est vrai que je lui ai pris la tête)

 

il n’était pas si fameux

me disais-je pour l’oublier

mais rien n’y faisait

alors je m’en suis tiré

 

en écrivant ce poème-ci

 

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de beaux vers 

 

couchez les mots

dans le lit du poème

pour qu’ils fassent de beaux vers!

 

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la langue 

 

le poème qui passe

la langue

aux mots d’oiseau 

est un grossier merle

 

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le poème parle

 

le poème parle

à la chèvre et au chou

à la cuiller et au chat

au chien et à la vipère

à la caillasse

et au pied de cochon

à l’airelle et à l’ortolan

à la tasse dans l’évier

à la chair frissonnante

et au feu qui gronde

au coeur du glacier

et à la queue de cerise

 

quand ça lui chante

le poème

parle aussi

pour ne rien dire

du temps qui passe

 

entre les pans de chemise

 

on a mis

au frais

dans des glaçons

les restes de mots

retrouvés

 

à la suite

de la collision frontale

survenue cette nuit

à trois heures du mat’vin

sur la quatre bandes

du bureau

d’un auteur allumé

entre un poème décapotable

et un poids lourd de l’édition

 

il ne reste rien

du roman

de 864 pages

complètement

calciné

 

le poème

 

a juste perdu

son titre

&

l’usage de la langue

 

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poème à l’esperluette

 

&

&

&

&

 

&

&

&

&

 

puis

quoi encore?

 

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poème mode d’emploi 

 

on ne met pas le poème en joue ni en bouche

on ne pend pas le poème par les pieds

on n’édente pas le poème qui mord

on n’émascule pas le poème qui dort

on ne tire pas la langue ni la queue au poème

on ne coupe pas la parole au poème 

on ne mâche pas le poème

on ne charge pas la mule du poème

on ne met pas le poème sur son derrière

on ne met pas le je au poème

on ne frappe pas le poème dans les mots

on ne cache pas la fin du poème

on ne crache pas dans la soupe du poème 

on ne dit pas pis que pendre du poème

on ne lit pas le poème tout haut

 

c’est vilain

 

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 le poème à l’élastique

 

lâché

des cimes de la poésie

le poème à l’élastique

rebondit

 

mais plus jamais 

il n’atteindra les sommets

même s’il oscillera verticalement

longtemps encore

 

avant de s’arrêter

pour du bon

 

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poèmacédoine

 

le poème peau de banane

le poème queue de cerise

le poème orange pressée

le poème mangue à l’eau

le poème kiwi ki asimines

le poème mûres mûres

le poème un peu brugnon

le poème qui fait grand fruit

celui qui fait amandes honorables

le poème qui a la pêche

le poème qui a cassis ses raisins

le poème zeste de citron

le poème tête de pomme

le poème en coing

et celui enfin en forme de poire

 

composeront un cocktail de vers 

pour tous les assoiffés

de poésie naturelle

trop souvent condamnés

au poème Danacol

 

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le poème de saison

 

ce poème est bien vert

il vient d’être écrit

 

ce poème est bien mûr

il est temps de le dire

 

ce poème est tout pourri

on vous l’avait dit

 

que c’était un fruit de saison

qu’on ne recueille qu’en septembre

 

 

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PGV

 

après le passage du poème

à grande vitesse

le roman reprend

son train de sénateur

 

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misère de la poésie

 

I

les poètes traitent mal

leur progéniture

 

il y a de par le monde

des milliers de poèmes abandonnés

 

II

on recense de plus en plus

de poèmes sans papier

 

hélas aucune régularisation

n’est en vue

 

III

depuis toujours les poèmes se combattent

il y a des morts, des éclopés, des survivants

qui se traînent et viennent mourir 

dans les livres d’histoire de la littérature

                         

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            la route  

                       

essuyer la buée sur les lettres du poème

pour bien voir la route des mots

 

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univers

 

c’était un poème

de la forme de l’univers

qui englobait

les poèmes de petite taille

 

les poèmes

de la forme d’une étoile

les poèmes

de la forme d’une comète

 

un jour il vit

un point grand comme un grain

qui lui fila entre les astres

 

c’était un poème

en forme d’espoir

 

 E.A.

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QUATRE COULEURS: TRÈFLE (as de)

jeuxtrefle.gifEn une vie, cet utltratrifoliophile convaincu  avait accumulé pas moins (ni plus) de 325 trèfles à quatre feuilles. Quand on sait qu’on trouve en moyenne un tel spécimen pour 10 000 trèfles communs, on peut estimer le temps qu’il a passé accroupi dans les prés et prairies.

Mais le trèfle ne lui avait pas porté chance mais tuile sur tuile ni les vertus théologales sur lesquelles il avait compté. Ainsi il n’avait jamais acquis chance, ni foi ni amour véritable, et il désespérait.

Jugez plutôt du bien-fondé de sa désespérance : à soixante-cinq ans, il avait perdu un œil, deux doigts de pied, trois CDD, quatre demeures et cinq épouses.

L’âge aidant, cependant, il avait acquis le sens du partage et de l’échange ou, du moins, celui de la ruse.

Ainsi, avec son lot de trèfles quadrifolioles, il acquit un trèfle à cinq feuilles, deux mains de Fatma, trois fers à cheval, quatre crottes de chien, cinq doigts croisés, six coccinelles, sept araignées du soir, huit pièces de monnaie trouées, neuf chiffres porte-chance, dix échelles à treize barreaux (un surplus de chez Brico), onze pompons de marins (et quelque privautés dont sont prodigues les mousses), douze beaux débris de verre blanc, treize brins de muguet, quatorze poignées de riz, quinze tiges de bambou, seize baisers sous le gui, dix-sept pattes de lapin, dix-huit lancers de penny dans une fontaine, dix-neuf vidéos d’étoiles filantes, vingt brisures de bréchet, vingt-et-un edelweiss, vingt-deux touchers de bois, vingt-trois visions d’arc-en-ciel, vingt-quatre talismans, vingt-cinq trèfles en chocolat fondant dans une boîte en forme de cœur.

Et depuis bientôt treize ans, il attend le bonheur.

E.A.

 

 

                     Rappelons que 325 = 1 + 2 + …. + 24 + 25 = 25 x 13 

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L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES de DENIS BILLAMBOZ – Épisode 43

 

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FIN DE L’ÉPISODE PRÉCÉDENT

Et maintenant, il était sur les rives du célèbre lac Titicaca avec ses deux amis dans « une sorte de brume bleutée qui noie le contour des choses. Le ciel, d’une clarté laiteuse, se colore de tons discrètement violacés par les rayons du soleil qui se lève, énorme et rouge, là-bas aux lointains confins de l’horizon, comme s’il surgissait du sein même de la montagne. » C’était Alcides qui laissait parler son âme de poète pour chanter ce pays qu’il aimait tellement et auquel il avait dédié quantité de lignes. Son œuvre entière aurait pu paraître comme un hommage à cet Altiplano andin accroché sous les sommets inaccessibles de la cordillère, dans le climat rigoureux des hautes montagnes. Il fallait dompter le froid et amadouer l’altitude pour pouvoir enfin profiter des merveilleux paysages que le soleil dessinait sur les sommets éternellement enneigés toisant ce plateau perché, de toute leur fière arrogance. Et dans cette plaine, ou le vert n’arrivait pas à vivre bien longtemps, laissant sa place à cette couleur indéfinie qui oscille entre le vert et le jaune, cette espèce de caca d’oie qui évoque bien ces maigres prairies fanées qui ne peuvent nourrir que des moutons, le lac, l’émeraude, le diamant, la merveille, illuminait toute la région, reflétant les rayons du soleil qui traversaient l’éther originel sans trouver le moindre obstacle sur leur chemin lumineux. Le lac, dieu des indiens qui vivaient sur ses hauts plateaux, père nourricier qui fournissait le poisson et quelques autres denrées comestibles, réserve d’eau inépuisable et fournisseur de végétaux pour divers usages allant de la construction à l’outillage aratoire.

ÉPISODE 43

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Ils étaient là depuis au moins une éternité n’osant pas bouger, à peine parler, de peur de rompre la magie dont le paysage les entourait. Il respirait juste pour ne pas étouffer, il se contentait de regarder, de sentir, de voir, de humer, de déguster ce pays que les « criollos », les colons, et les « cholos », les métisses dévoués à leur maître, avaient saccagé en quelques années seulement, décimant les populations, altérant le milieu, détruisant une culture ancestrale. Alcides raconta comment les Indiens du lac Titicaca avaient été traités, comment on les avait spoliés de leur terre qu’ils avaient dû ensuite cultiver, comme de vulgaires esclaves, pour le compte des nouveaux arrivants. Il raconta comment ces colons inventaient sans cesse de nouvelles règles pour toujours pouvoir punir, priver, déposséder et avilir les autochtones qui semblaient vaincus, résignés, mais qui jamais ne sombrèrent dans la déchéance, conservant toujours leur dignité. Oscar Cerruto raconta que lui aussi, il avait vécu sur ce plateau pendant la guerre contre la Paraguay à laquelle sa famille l’avait soustrait malgré sa forte envie d’en découdre pour la patrie, en le faisant muter sur ces hauts plateaux à l’abri du conflit. Il décrivit sa rencontre avec ce peuple fier, forgé par le rude climat qui sévit à cette altitude, généreux et digne même s’il a été martyrisé. Il ne regrettait pas d’avoir évité cette stupide guerre du Chaco même s’il aurait peut-être pu y rencontrer Augusto Cespédes qui défendait avec pugnacité un puits où il n’y avait jamais eu d’eau et où il n’y en aurait jamais non plus.

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Alcides Arguedas

Alcides Arguedas ne voulait plus quitter les bords du lac, il trouva de nouvelles aventures à rapporter pour étendre encore la durée de ce moment magique, il narra notamment la triste légende, peut-être même une histoire presque vraie, de Wata-Wara la belle indienne et de son fiancé le berger. Le maître voulait s’approprier la belle bergère qui avait promis son avenir au fidèle berger et il usa de tous les moyens à sa disposition pour corrompre la belle qui résista jusque dans la mort qu’elle préféra à l’indignité et à l’infidélité. Il y a des saintes sur l’Altiplano aussi.

Cerruto voulait encore les faire redescendre dans la plaine, à la rencontre de Cespédes, pour évoquer l’imbécilité de cette guerre sans objet qui avait opposé la Bolivie au Paraguay, laissant de nombreux morts sur les divers champs de bataille pour des motifs que personne n’avait réellement compris. Ils auraient peut-être même pu rencontrer Horacio Quiroga qui, lui, aurait été dans l’autre camp mais n’aurait, sans nul doute, pas été plus concerné qu’eux par ce conflit abscons. Mais la nuit tombait, les flambeaux brûlaient dans divers coins du plateau, sur les reliefs les plus élevés, comme au temps de la rébellion quand la flamme sacrée servait de point de rendez-vous pour les indiens soulevés contre la cruauté et l’injustice de leur maître. Alcides frissonnait encore à l’évocation de ce vaste soulèvement durement réprimé, aussi sévèrement que les soulèvements dans les mines d’argent d’Espiritu Santo où Mauricio, un ami d’Oscar, avait travaillé, milité et lutté. Et ils empruntèrent enfin le chemin de leur logis temporaire, chez un ami indien qui les accueillait le temps de leur séjour.

Rentré à la maison après s’être oxygéné et apaisé pendant une longue promenade sur les berges du fleuve, il releva ces messages et fut très heureux de lire qu’une de ces amies de cœur passait par la ville le lendemain et qu’elle espérait être hébergée chez lui pour un jour ou deux. Il était émoustillé comme un adolescent invité à l’anniversaire d’une jeune fille pour la première fois. Il entreprit donc une grande séance de nettoyage qui durerait tard dans la nuit, prépara la maison comme pour accueillir sa future épouse, mit chambrer du vin rouge, au frais du vin blanc, fit l‘inventaire du frigidaire qui était bien maigre, rédigea la liste des courses à faire pour combler les manques. Et, finalement, se coucha très tard hypothéquant ainsi la possibilité de s’embarquer dans un rêve au grand large.

Le lendemain, il n’eut pas le temps de musarder, il courut beaucoup, dans le désordre, perdant beaucoup de temps en gestes et déplacements parasites mais finalement, quand son amie arriva, tout était à peu près en ordre. La maison était suffisamment accueillante pour abriter la tendresse qu’il pensait y mettre et peut-être même un peu plus. Il n’avait rien prévu, elle non plus, ils partageraient cet instant en fonction de leur humeur et de leurs sentiments respectifs. Il n’avait jamais vécu avec cette femme, ils avaient simplement eu une relation épisodique qui ne s’était jamais réellement éteinte, qui était seulement devenue plus lâche, moins assidue, mais toujours latente, et chaque fois qu’ils en avaient l’occasion, ils passaient un moment ensemble et parfois même un jour ou deux ou simplement une nuit. Ce jour-là, elle espérait passer au moins la nuit avec lui et si possible le lendemain et peut-être même la nuit suivante mais elle ne promettait rien.

L’émotion, la tendresse, les baisers les occupèrent pendant un bon moment, le temps qu’il fallait à la bouteille de champagne pour se rafraîchir suffisamment dans la cave artificielle dont il avait équipée sa maison. Après ses premières effusions, ils trinquèrent à leurs amours passées dont quelques reliquats pourraient, peut-être, se manifester dans les temps prochains. Ils dégustèrent le plat léger mais savoureux qu’il avait préparé avec amour, évidemment, mais surtout avec la peur de le rater, un poisson cuit au four avec quelques légumes un peu plus cuits que le veut la cuisine contemporaine qui nous fait souvent manger comme des lapins. Ils mangèrent en badinant tendrement, évoquant le passé, parlant de leur actualité. Il ne lui raconta pas ses rêves mais elle savait, elle l’avait souvent surpris la tête ailleurs, ne l’écoutant même plus, embarqué dans une autre vie. Elle en avait pris son parti et le contemplait avec tendresse s’agiter, se pâmer, sourire, froncer les sourcils, faire toute sorte de grimaces qui ne laissaient aucun doute sur ses absences momentanées où il semblait avoir bien des activités.

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Après le café, suivi d’un petit cognac réservé aux grandes circonstances, ils ne résistèrent pas plus longtemps au plaisir de mettre en commun leur désir et leurs envies et se livrèrent à des ébats qui étaient certainement moins fougueux que par le passé mais peut-être plus tendres, plus sensuels et de toute façon tout aussi érotiques. Il leur fallut aussi moins de temps pour éprouver le besoin de respirer un peu. Ils restèrent cependant enlacés, n’osant plus bouger pour ne pas se séparer de l’autre qu’il n’avait pas si souvent le plaisir d’étreindre. Ni elle, ni lui, n’osa rompre cet instant de tendresse et briser le silence qui les étreignait ; il fallut un long moment avant qu’elle se rende compte que son amant à temps partiel manifestait des signes qui ne la trompaient plus depuis longtemps, il était déjà sur la voie de ses rêves. Mais elle ne voulait pas qu’il la quitte comme ça après un tel moment de bonheur, elle le secoua doucement et lui murmura à l’oreille : « tu ne vas tout de même pas me planter là comme une vieille chaussette ? » « Mais non, mais non, je ne dormais pas, je faisais seulement semblant pour voir comment tu réagirais », dit-il avec un petit sourire malicieux. « Je te connais, je te crois capable de m’abandonner n’importe où, même dans le désert sans une goutte d’eau ! » répliqua-t-elle, simulant un début de bouderie, plus comique que fâchée.

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– Bon, pour que je reste avec toi encore un long moment, une éternité peut-être, nous allons jouer à un jeu, nous allons imaginer que nous partons pour un grand voyage et nous raconterons, tour à tour, le périple que nous avons effectué chacun de notre côté. Es-tu d’accord ?

– Oui, si c’est la seule solution pour te garder avec moi un instant encore.

– Bien, quelle destination choisissons-nous ?

– Je ne sais pas ! Loin ! Loin !

– Alors au Brésil !

– Pourquoi pas !

– Je te laisse le plaisir de commencer.

– Je ne connais pas bien le Brésil, aussi je vais inventer un peu, peut-être même beaucoup !

– Ce n’est pas grave, ça n’a aucune importance, seul le récit compte.

– Mon imagination n’est pas bien grande, me laisses-tu la possibilité de m’appuyer sur les livres que j’ai lus car moi aussi, parfois, je lis un peu.

– Evidemment !

– Moi, je partirais tout droit pour Rio, pour Copacabana, pour m’allonger sur le sable blond, sous un soleil de plomb, pour revenir bronzée comme une danseuse de samba. Mais, bien sûr, j‘aurais une aventure, une aventure avec un jeune homme très brun, avec des fesses très fines moulées dans un micro maillot de bain, que j’aurais connu en jouant au volley sur la plage. Il m’aurait aimé comme Negào aimait Doralice sous la plume de Sergio Kokis et il m’aurait emmenée là où la jeunesse se réunit pour apprendre à danser la samba pour le carnaval.

– Moi, j’aurais emprunté les chemins de la douleur et de la pénitence pour me faire pardonner tous les péchés que tu m’as fait commettre. J’aurais mis mes pieds dans les traces de Carmélio qui a accompli un véritable pèlerinage dans le Sertao où il a rencontré, dans la douleur et la souffrance, au contact des pauvres et des plus démunis, l’amour de sa vie et la rédemption avec Heloneida Studart.

– Pauvre martyr !

– Oui mais dans ce Sertao de malheur où ne pousse, et encore avec parcimonie, que ce qui ne se consomme pas, où le soleil nivelle tout dans la fournaise qu’il alimente avec générosité, j’aurais rencontré Maria Moura sur le chemin d’un riche à détrousser pour nourrir les pauvres. Je serais même devenu une sorte de Robin des Bois du Sertao, le Mario des épineux, qui essaie de rééquilibrer les deux plateaux de la balance pour que les pauvres ne sombrent pas encore plus bas. Et Rachel de Queiroz m’aurait décrit comme un héros enveloppé dans son poncho et caché sous son grand chapeau.

– Laisse-moi rire ! J’aurais été Capitou, la fille aux yeux de ressac, que le petit Bentinho n’a jamais pu oublier et qu’il a même fini par épouser grâce à l’intervention du grand José Maria Machado de Assis.

– Amour toujours, amour encore, moi j’aurais plutôt porté secours à ces miséreux, sans terre et sans ressource, qui ont planté leurs planches et leurs tôles à la périphérie d’une grande ville en espérant pouvoir récupérer ses restes pour ne pas mourir de faim. J’aurais combattu aux côtés des pâtres de la nuit, aux côté de Jorge Amado, pour défendre le droit à la vie de ces âmes errantes qui n’étaient déjà plus des êtres.

– Le héros du Sertao, le Roi Pelé des miséreux, mais tu ne sais même pas jouer avec un ballon sans te tordre les chevilles ! Moi, j’aurais été la digne héritière de mon oncle le jaguar, j’aurais dévoré tous les plus beaux gars de la plage et de la ville, j’aurais croqué Negào, Bom Crioulo et son éphèbe, Bentinho et tous les joueurs de ballon du Brésil, même les remplaçants ! J’aurais été une tigresse crainte et respectée et tu m’aurais adorée !

– Mais je t’adore tigresse et il y a longtemps que tu m’as dévoré !

– Tu m’aurais accompagnée au repas de la mort, avec Luis Fernando Verissimo, où sont dégustés les meilleurs plats du monde au risque d’en mourir, et mourir de plaisir pour mes seuls beaux yeux ?

– Tu m’as dévoré, tu veux m’empoisonner, je ne suis déjà plus mais je veux encore t’aimer…

– Le reste de ses paroles mourut dans la tendresse du doux baiser qu’elle lui donna et Morphée les emporta dans l’étreinte sensuelle qui les enlaçait, vers le monde des songes où peut-être ils rêveraient la même histoire mais, plus certainement, où lui seul partirait encore vers des horizons inconnus où elle n’avait jamais mis les pieds ni même une infime partie de son imagination.

Sa pitié pour les plus défavorisés ne l’avait pas quittée, il était réfugié dans la forêt péruvienne, essayant d’échapper aux sbires de la junte militaire au pouvoir qui voulait prendre Irène et Francesco, des amis d’Isabel Allende qui l’avait convié à une rencontre avec les forces qui luttaient contre la domination dictatoriale. Francesco avait mis la main sur des papiers très compromettants pour le pouvoir et il s’était ainsi inscrit sur la liste des opposants qu’il fallait éliminer ou au moins assigner dans un lieu sûr, hors de portée de ceux qui fomentaient des complots pour prendre le pouvoir et établir un gouvernement plus juste et plus démocratique. Il avait longuement cheminé avec les deux jeunes gens mais il ne voulait surtout pas entraver leur fuite et les gêner dans leurs manœuvres pour échapper aux militaires, il continua donc seul, avec quelques hommes qui devaient le conduire à la rencontre de « l’homme qui parle », une espèce de démiurge qui raconte la vie et l’histoire de la forêt amazonienne.

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Jorge Amado (1912-2001)

 

QUELQUES LIENS UTILES pour prolonger la lecture

Lire en Bolivie et au Paraguay par Denis Billamboz

Le puits d’Augusto Céspedès par Denis Billamboz

Sur L’Atliplano bolivien par Denis Billamboz

 

QUATRE COULEURS: PIQUE (valet de)

Valet%20de%20Pique%20copie.jpgAprès une courte sieste, armé de sa pique, ce picador à la retraite montait sur son baudet, caparaçonné comme pour une feria,  et s’en allait piquer au flanc de jeunes paysannes se reposant à l’ombre d’une botte de foin en se racontant des histoires de filles. 

Connaissant son passé, pour l’amuser, en réponse, elles se couvraient le front d’une espèce de bandana paré de deux cornes de ruminant et faisaient mine, à grand renfort de rire, de lui opposer une résistance.

Le picador tombait régulièrement de sa monture qui aussitôt se voyait occupée par une jeune femme. La pique émoussée du vieillard ne leur faisait point mal ; même, elles aimaient que la pointe, appelée puya, leur appuyât la peau des fesses ou des hanches en ces débuts d’après-midi caniculaires du juillet catalan. L’homme ne quittait jamais la place avant d’avoir fait perler une goutte de sang, une seule, sur la chair bistre d’une des paysannes, qu’elles lui laissaient ensuite goulument lécher. D’avoir senti le goût ferrugineux sur ses papilles gustatives le mettait en joie pour le reste de la journée.

Après avoir taquiné de la sorte quelques campagnardes et s’être rappelé d’autres joutes, le vieux picador poussait jusqu’au village pour aller boire une clara avec Javier, le valet d’épées, toujours accompagné de ses accessoires (cape, muleta, montera, verduga, épée), et aujourd’hui inconsolable depuis l’émasculation dix ans plus tôt de son maître, l’illustre matador Manuel Montez, par de pétulantes opposantes à la corrida armée de lames mauresques fraîchement rémoulées.     

  • E.A.

 

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Picasso, Picador et taureau, 1963

 

NAGEUR DE RIVIÈRE de JIM HARRISON

images?q=tbn:ANd9GcRU2j4zdhlpY05aYKlLOxmbthHSX-wd-Qn5-bt1Jy3UhYqQtBvfjGD9gQpar Philippe LEUCKX

 

 

 

 

 

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Le romancier et nouvelliste américain, né en 1937 dans le Michigan, décédé ce 26 mars 2016, accorde à son état natal, à la nature et aux êtres proches d’elle un intérêt constant, auquel ne déroge pas l’un des derniers volumes de nouvelles : la nouvelle éponyme, précédée de « Au pays du sans-pareil ».

Les deux longues nouvelles portent de subtiles correspondances de terre, d’eau et de rites. La proximité des êtres et de leur humus natal crée ici une merveilleuse entente avec le lecteur, toujours épris de grands espaces et de terres nouvelles à explorer, qu’elles fussent de sol ou d’eau.

Revenu sans enthousiasme au pays pour s’occuper, le temps d’un voyage de sa sœur Margaret en Europe, de sa vieille mère, surnommée « Coochie », Clive, peintre autrefois, devenu historien d’art et expert d’œuvres, prend progressivement conscience que quelque chose de nouveau va l’étreindre pour de bon. Coupé de sa femme, de sa fille Sabrina – pour une peccadille -, il sent que le séjour dans la ferme familiale va lui redonner un souffle qu’il croyait tout à fait éteint ; il se remet à peindre ; il retrouve ses proches ; il renoue avec l’amour de sa jeunesse, Laurette… La vie reprend des couleurs, dans tous les sens du terme.

La seconde nouvelle emprunte au Pays du sans-pareil tout à la fois son cadre, l’esprit volontiers indépendant de son protagoniste et l’intime relation familiale dont les personnages de Harrison ne peuvent se passer. Le jeune nageur du titre, dix-sept ans au compteur de la vie, brille de tous les feux de la jeunesse, du physique sportif et de beauté pour les belles qui l’entourent. Thad fait preuve d’une autorité, d’une maturité et d’une autonomie rares à cet âge. Les tient-il d’une famille hautement responsable, d’une nature qui le pousse à se dépasser, de sa nature foncière ? Toujours est-il qu’auprès d’Emily, fille d’un milliardaire, ou de Laurie, dont le père est une brute épaisse, l’athlète passe pour un être exceptionnel qu’on s’arrache. L’entourage (Dent, Colombe…), la nature et cette rivière aux « bébés aquatiques » (d’où un mystère prenant que la fin n’émousse pas) engagent notre héros sur les voies difficiles, mouvementées et dramatiques de l’existence.

Dans les deux proses, Harrison sans cesse interroge d’autres livres, réussissant l’exploit de donner, grâce à ces mises en abyme, une authentification à ces récits, tous deux à la fin ouverte, gages pour le lecteur d’un autre espace à vivre. Clive lisait « Le rêve du cartographe », « Peindre c’est aimer à nouveau », « La poétique de l’espace » ; Thad « Les fleuves de la terre », vrai livre de chevet pour ce jeune explorateur des eaux du monde.

Dans les deux versants de ce livre, revigorant, l’amour, la sensualité, le corps occupent nombre de pages et c’est roboratif à souhait. L’on sent pointer, au fil des textes, une certaine mélancolie dans le chef d’un écrivain versé vers le grand âge – 77 ans au moment de l’écriture de ce livre. Un très beau livre.

Jim HARRISON, Nageur de rivière, Flammarion, 2014, 272p., 19,90€. Traduction excellente de l’américain par Brice Matthieussent

Le livre sur le site des Éditions Flammarion

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Cinq livres de Jim Harrison à (re)lire

Jim Harrison, souvenir d’un homme des bois

 

QUATRE COULEURS: CARREAU (dame de)

6_9ae08.jpgCette dame aimait tant les carreaux que pour les laver elle usait de sa peau nue. Préalablement recouverte d’un mélange d’eau tiède et de vinaigre blanc avec un soupçon d’ammoniac et un demi-oignon (selon le conseil de sa grand-mère laveuse de vitraux dans une église), sa peau en chacun de ses pores au contact du verre lui procurait tous les types de sensations qui si nous étions amateurs de bons mots nous ferait dire qu’ils la laissaient, après un temps d’intenses émotions associées, sur le carreau.

Epuisée mais comblée. Pour un paquet d’heures au moins.

Puis, pour le séchage, sa peau au grain finement serré valait tous les chiffons microfibres du monde.

Mais si une face des carreaux étaient bien nickel, tel un miroir purgé de ses images, vous comprendrez que l’autre présentait de vilaines traces (de buée, de doigts, de salive mais pas que) quand je vous aurai dit que les fenêtres de son domicile donnaient toutes sur un lieu public très fréquenté.

E.A.

 

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