par Denis BILLAMBOZ
La rentrée littéraire de janvier est bien espiègle. Elle nous propose des « Contes espagnols » de Lorenzo Cecchi, chez Cactus inébranlable, des contes qui sont surtout de très bonnes nouvelles qui raviront les amateurs du genre et de la littérature percutante. Elle nous propose aussi, chez Espace Nord, la réédition du magnifique roman de Pascal de Duve, « Izo » qui est peut-être, lui, par contre un très beau conte. Mais peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse et avec ces deux livres vous l’aurez, j’en suis sûr… l’ivresse des mots et de leur musique.
CONTES ESPAGNOLS
Lorenzo CECCHI
Cactus inébranlable
Lorenzo Cecchi nous offre neuf contes, apparemment le compte est bon même si l’éditeur tend un petit piège au lecteur inattentif, mais l’important reste que ces contes soient bons et ils le sont. A priori, sans connaître l’auteur, il semblerait que le narrateur soit très proche de lui et qu’il décrive dans ses contes des moments d’émotion particuliers qu’il aurait vécus avec des Hispaniques, notamment des Espagnols et surtout des Espagnoles, côtoyés à Bruxelles ou en Espagne. Il faut souligner pourtant une exception à cette généralité, la neuvième et dernière nouvelle n’a rien à voir avec les autres même si elle concerne bien une belle Ibérique, elle ne concerne pas le narrateur, elle raconte l’horrible vengeance, au XVII° siècle, d’un triste noble italien incapable de satisfaire sa femme et fou de rage quand il apprend qu’elle le trompe. J’ai apprécié toutes les nouvelles du recueil, Cecchi a l’art de la narration, il sait raconter et son regard sur les gens, leur comportement, leurs sentiments, leurs émotions, leurs motivations est très perçant. Il voit juste, à travers les quelques faits divers qu’il raconte, c’est un peu la diaspora ibérique qu’il met en scène avec ses petites tracasseries, ses aventures et mésaventures. Ces contes sont peut-être plus des nouvelles que des contes sauf peut-être ce fameux neuvième et dernier conte qui évoque un fait qui pourrait être historique, l’est peut-être, ou n’est finalement qu’un conte, peu importe l’histoire est aussi abominable que le texte est bien troussé. J’ai dégusté ces vieux mots oubliés qui sonnent si joliment aux oreilles des amateurs d’histoire dont je suis.
L’auteur a peut-être connu cette Conchita qu’il prenait pour une Espagnole qu’elle n’était pas ou cette Frida qui, elle, était bien espagnole alors qu’il la croyait suédoise. Je suis presque sûr qu’il a effectivement vendu sa première marchandise à un émigré hispanique ayant pris en pitié sa grande maladresse commerciale. Par contre, je doute qu’il ait été l’heureux bénéficiaire de la fureur sexuelle de la belle mexicaine qui s’est vengée de la tromperie de son mari avec le premier venu. Ainsi le lecteur, pourra laisser courir son imagination pour essayer de comprendre ce qui vient directement de l’imagination de l’auteur ou ce qu’il a puisé dans carrière professionnelle et dans sa vie d’immigré du sud de l’Europe. La querelle entre le narrateur italien et son voisin espagnol, plus macho l’un que l’autre, sent le vécu plus que l’histoire du gars qui écrit à son meilleur ami, juste avant de se suicider, qu’il part heureux de savoir qu’il n’a jamais couché avec aucune des femmes qu’il a eues.
Même si on respire une certaine pointe de mélancolie dans ces textes, j’y ai personnellement surtout trouvé beaucoup de vie, d’envie de vivre, d’espièglerie et même de dérision dans les moments les moins favorables de l’existence. Un recueil à mettre sur son chevet pour lire un ou deux textes les soirs de blues. Je ne voudrais surtout pas oublier les illustrations chatoyantes de Jean–Marie Molle, son rouge notamment qui, à lui seul, dégage une véritable fureur de vivre.
Le livre sur le site du Cactus Inébranlable
IZO
Pascal DE DUVE
Espace Nord
« Espace Nord » a, pour célébrer le cinquantième anniversaire de la mort du peintre René Magritte, décidé de rééditer « Izo » le célèbre roman publié par Pascal de Duve en 1989. Izo, le personnage éponyme de ce roman, avec sa redingote noire, son chapeau noir et ses gros souliers noirs, semble directement « plu » de « Golconde » la tableau de Magritte que l’éditeur a placé sur la couverture de cette réédition, conférant ainsi une nouvelle dimension à cette toile en inventant pour l’un des personnages, celui ayant eu la chance de choir directement sur une chaise du Jardin du Luxembourg à Paris et non comme les autres de se diluer dans le sable et les pelouses de ce jardin, un bout de vie éphémère prolongeant ainsi l’histoire racontée sur la toile.
Le narrateur se promenant un jour d’orage dans les Jardins du Luxembourg aperçoit alors que le ciel déverse des torrents d’eau, un homme affalé sur une des chaises qui meublent ce jardin, un homme coiffé d’un anachronique chapeau melon noir et vêtu d’une tout aussi anachronique redingote noire. Il le secoue, le secourt et l’emmène chez lui pour le réconforter. Il s’attache au sort de cet étonnant personnage et s’occupe de lui procurer le gîte et le couvert. L’homme ne parle pas et ne prononce que quelques mots inintelligibles, l’auteur retient un énigmatique « Isobretenikkhoudojnika », il décide de l’appeler ainsi mais en simplifiant cet imprononçable patronyme en un beaucoup plus pratique « Izo ».
Izo se révèle vite être un être très doué, surdoué, doté d’une mémoire fantastique et d’un esprit d’analyse et de déduction particulièrement impressionnant, il découvre tout, il semble ne rien connaître, il paraît venu d’ailleurs, son esprit est vierge comme celui d’un nourrisson ouvrant les yeux pour la première fois. Il se passionne pour des choses futiles, même insignifiantes, ou pour des choses beaucoup plus complexes, élaborées, matérielles ou intellectuelles comme le métro qu’il considère comme un autre monde, ou les langues étrangères qui lui permettent de nouer conversation avec n’importe qui dans les rues de Paris ou par téléphone au hasard des numéros qu’il compose de manière de tout à fait aléatoire.
Izo, c’est une page blanche sur le bureau de l’écrivain, il n’a aucun sens des valeurs, rien ne l’a encore pollué, il a une merveilleuse faculté d’émerveillement qui le fait s’extasier devant la moindre babiole comme devant une définition très complexe pêchée dans l’une des encyclopédies qu’il ingurgite comme d’autres des verres de bière, sauf que lui retient ce qu’il absorbe. Son impressionnante culture, acquise en quelques semaines, sa faconde, son innocence, sa fraîcheur, son enthousiasme lui facilitent les contacts avec les personnes qu’il rencontre et avec lesquelles ils nouent des liens d’amitiés. Il devient vite un habitué des cafés les plus prestigieux de la capitale où il connait les personnels et quelques habitués ayant une certaine notoriété. Il devient ainsi quelqu’un de connu sans en avoir la moindre idée. Il conserve sa fraîcheur et son innocence jusqu’à ce qu’il comprenne que la vie n’est pas linéaire, qu’elle évolue et donc qu’elle va vers un aboutissement qu’il voudrait comprendre. Commence alors pour lui une recherche de ce que pourrait être cet aboutissement et sa signification, à travers les religions : le catholicisme, le protestantisme, l’islam et même le communisme pensé comme une forme de religion lui aussi. Mais, pour la première fois ses étonnantes facultés buttent sur une énigme qu’il ne saisit pas.
Je retiendrai de ce texte outre bien sûr la grande maîtrise littéraire de l’auteur, la richesse de son vocabulaire, la fluidité et l’élégance de son style, quelques belles assonances, la qualité picturale de ses descriptions, tout est en couleur, surtout la capacité d’émerveillement du héros. Izo est un être irréel, venu d’ailleurs, enfant légitime de l’imaginaire matérialisé sur terre, découvrant un monde rempli de choses merveilleuses que nous nous ne voyons pas ou plus. On dirait que Pascal de Duve cherche à nous délester de toutes les scories que l’histoire a accumulées sur nos épaules et dans nos têtes pour que nous redécouvrions un monde simple, candide, joyeux, sans aucune prétention, sans appât du gain, sans recherche du pouvoir, juste un monde où les gens vivraient en bonne intelligence. Cet émerveillement devant ce monde possible me suffirait mais l’auteur nous entraîne sur un autre chemin, il nous démontre que ce monde n’est qu’éphémère et qu’il faut penser à ce qu’il y aura après et quand on pense à ce qui vient après la vie on créée la religion même si cet après n’a pas un ou des dieux, c’est déjà une pensée religieuse. Et, pour Izo, les religions conduisent à une impasse, alors faudra-t-il suivre l’auteur sur le chemin de la philosophie pour trouver les réponses aux fameuses questions qui obsèdent tous les êtres pendants ? J’aimerais, pour ma part, rester avec Izo sur le chemin merveilleux de l’innocence et de la découverte en jouant la politique de l’autruche.
« Izo » c’est plus qu’une lecture, c’est une réflexion philosophique, mais c’est aussi une ouverture à l’émerveillement. « Mon apparition c’est le monde, je veux dire l’existence, cette chose magnifique à la quelle on ne pense jamais, et que je viens de découvrir. » Voilà tout est dit, l’auteur de ces quelques mots plein d’espoir pouvait s’envoler quelques années plus tard, jeune, trop jeune, beaucoup trop jeune, vers le monde d’Izo où il a certainement trouvé son après.
Le livre sur le site d’Espace Nord