LA ROBE DE LA MARÉE

10 PHRASES SEULES

 

Le fou d’écriture rêve d’être une ombre pour épouser l’eau.

De cette union naissent les livres.

Edmond Jabès

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1.

En construisant son œuvre labyrinthique comme un secret d’alcôve, cet architecte du sens a égaré le mystère de fabrication.  

 

2.

En piquant l’aiguille dans le nerf optique de l’air, l’homme à tête de verre a sauvé les apparences.

 

3.

En retournant les grandes lèvres du ciel sur les gencives de la nuit, le décrocheur d’étoiles a découvert le langage du rêve.

 

4.

En appelant l’Être suprême à se dresser contre la mer, le moine plieur à chiffonné la robe de la marée.

 

5.

En répandant son ivoire sur la porcelaine du monde, l’éléphant de la montagne a accouché d’une souris blanche aveugle.

 

6.

En mettant son grain de sable dans le livre de l’oubli, le mémorialiste du songe a perdu le fil de l’intrigue.

 

7.

En faisant naître un sourire sur le visage de la Vierge, l’archange Gabriel ne savait pas quel prodige il avait conçu.

 

8.

En travaillant à la maîtrise du feu avec des étoiles neuves, ce fabricant de nébuleuses perdit l’usage de ses flammes.  

 

9.

En poussant la fille des lumières à repeindre la nuit en aube, la mère des ténèbres vit assez pour recoudre un bouton d’étoile.

 

10. 

En découvrant un brin de givre sur le cou d’un cygne, le soleil fondit l’or des épées pour en faire des cristaux de neige. 

 

LA ROUTE DES CENDRES de CLAUDE DONNAY (Éditions M.E.O.)

route-cendres-1c.jpgL’homme rompu

À bientôt quarante ans, David Guesdon franchit la barrière de bois de son domicile sans se retourner. Mais, contrairement aux autres jours, il ne se rend pas à la gare de Bobigny pour aller au boulot; il enjambe les rails pour se diriger vers la Nationale et faire du stop. Mais que fuit David qui prend comme avatar William Jack, formé des  prénoms des écrivains emblématiques de la Beat generation? Et qu’emporte-t-il dans son sac qui lui casse le dos ?

En se dirigeant vers le Nord, un peu à la façon du McCandless d’Into the wild (vers le blanc, le froid, l’effacement, le recouvrement du passé?) à pied, en voiture et même en péniche, jusqu’aux Pays Bas en traversant la Belgique, il va faire des rencontres remarquables (surtout des femmes, ces « inconnues au regard qui encensent ta journée ») qui seront autant de stations dans sa fuite en avant et sa marche du souvenir. Car il se remémore Séréna, la femme qu’il a laissée et sans doute assassinée après cinq ans de vie commune, en des fragments qui composent un portrait attachant d’une femme insaisissable qui se sentait mal aimée. En la racontant, il dévoile aussi bien des pans de son enfance auprès d’une mère qui lui a toujours préféré son frère et l’a programmé à devenir un handicapé du cœur, un fuyard de ses propres sentiments…

Autant William Jack est avide de moments de vive émotion sensorielle « où l’on se sent vraiment vivant », autant on le sent incapable de se donner entièrement et exclusivement à un être, délaissant en permanence le sujet de son affection pour une quête impossible, préférant la perfection du rêve à l’imparfait du réel. David Guesdon possède une mentalité de voyeur même si celle-ci n’exclut pas des plongées dans la pure sensualité mais des immersions ponctuelles qui ne modifient pas en profondeur sa structure mentale et affective.donnay-web-paysage.jpg

« William Jack ne s’aime pas, mais le plus grave, il le sait maintenant, c’est qu’il ne peut aimer vraiment. Cette faille, ce vertige, ce vide qui sourd de lui, Séréna l’a perçu avec sa sensibilité de femme rompue à toutes les fragilités, à toutes les délicatesses.  » Plus loin, on lit que « Séréna en avait pris conscience très tôt et ce que William Jack prenait pour une froideur de son être n’était qu’une protection contre le sentiment que William Jack ne pourrait véritablement l’aimer. »

Jan et Dries, un couple de Hollandais qui l’embarquent sur leur péniche descendant vers Rotterdam, représentent  pour l’homme rompu, le vagabond céleste qu’est David/William, le couple rêvé, rassurant, qui respire la complicité amoureuse.

Un roman juste et beau (à l’image du titre et du final) écrit dans une langue fluide qui fait le partage entre le récit et des moments de pure poésie. Le genre du road-trip, parfaitement maîtrisé, est le prétexte à relater une cavale, reflet d’une fuite intérieure, mais aussi à raconter un amour impossible et qui puise dans la conscience de cette impossibilité sa grandeur. La route des cendres est aussi bien (parmi d’autres interprétations) un roman sur la lumière qui éblouit sans nourrir et l’attente de l’ombre, sur l’impossible enracinement et la vanité du voyage, sur la difficulté à vivre ici et maintenant en regard du bleu rêvé du ciel et de l’amour des femmes…   

Éric Allard

Le livre sur le site des Editions M.E.O

Le blog de Claude Donnay et de Bleu d’Encre

Claude Donnay sur Matélé pour présenter son roman

POUR COMMENCER 2017: LE CONTE EST BON

 arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

La rentrée littéraire de janvier est bien espiègle. Elle nous propose des « Contes espagnols » de Lorenzo Cecchi, chez Cactus inébranlable, des contes qui sont surtout de très bonnes nouvelles qui raviront les amateurs du genre et de la littérature percutante. Elle nous propose aussi, chez Espace Nord, la réédition du magnifique roman de Pascal de Duve, « Izo » qui est peut-être, lui, par contre un très beau conte. Mais peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse et avec ces deux livres vous l’aurez, j’en suis sûr… l’ivresse des mots et de leur musique.

 

couverture-contes-espagnols-1.jpg?fx=r_550_550CONTES ESPAGNOLS

Lorenzo CECCHI

Cactus inébranlable

Lorenzo Cecchi nous offre neuf contes, apparemment le compte est bon même si l’éditeur tend un petit piège au lecteur inattentif, mais l’important reste que ces contes soient bons et ils le sont. A priori, sans connaître l’auteur, il semblerait que le narrateur soit très proche de lui et qu’il décrive dans ses contes des moments d’émotion particuliers qu’il aurait vécus avec des Hispaniques, notamment des Espagnols et surtout des Espagnoles, côtoyés à Bruxelles ou en Espagne. Il faut souligner pourtant une exception à cette généralité, la neuvième et dernière nouvelle n’a rien à voir avec les autres même si elle concerne bien une belle Ibérique, elle ne concerne pas le narrateur, elle raconte l’horrible vengeance, au XVII° siècle, d’un triste noble italien incapable de satisfaire sa femme et fou de rage quand il apprend qu’elle le trompe. J’ai apprécié toutes les nouvelles du recueil, Cecchi a l’art de la narration, il sait raconter et son regard sur les gens, leur comportement, leurs sentiments, leurs émotions, leurs motivations est très perçant. Il voit juste, à travers les quelques faits divers qu’il raconte, c’est un peu la diaspora ibérique qu’il met en scène avec ses petites tracasseries, ses aventures et mésaventures. Ces contes sont peut-être plus des nouvelles que des contes sauf peut-être ce fameux neuvième et dernier conte qui évoque un fait qui pourrait être historique, l’est peut-être, ou n’est finalement qu’un conte, peu importe l’histoire est aussi abominable que le texte est bien troussé. J’ai dégusté ces vieux mots oubliés qui sonnent si joliment aux oreilles des amateurs d’histoire dont je suis.

L’auteur a peut-être connu cette Conchita qu’il prenait pour une Espagnole qu’elle n’était pas ou cette Frida qui, elle, était bien espagnole alors qu’il la croyait suédoise. Je suis presque sûr qu’il a effectivement vendu sa première marchandise à un émigré hispanique ayant pris en pitié sa grande maladresse commerciale. Par contre, je doute qu’il ait été l’heureux bénéficiaire de la fureur sexuelle de la belle mexicaine qui s’est vengée de la tromperie de son mari avec le premier venu. Ainsi le lecteur, pourra laisser courir son imagination pour essayer de comprendre ce qui vient directement de l’imagination de l’auteur ou ce qu’il a puisé dans carrière professionnelle et dans sa vie d’immigré du sud de l’Europe. La querelle entre le narrateur italien et son voisin espagnol, plus macho l’un que l’autre, sent le vécu plus que l’histoire du gars qui écrit à son meilleur ami, juste avant de se suicider, qu’il part heureux de savoir qu’il n’a jamais couché avec aucune des femmes qu’il a eues.

Même si on respire une certaine pointe de mélancolie dans ces textes, j’y ai personnellement surtout trouvé beaucoup de vie, d’envie de vivre, d’espièglerie et même de dérision dans les moments les moins favorables de l’existence. Un recueil à mettre sur son chevet pour lire un ou deux textes les soirs de blues. Je ne voudrais surtout pas oublier les illustrations chatoyantes de Jean–Marie Molle, son rouge notamment qui, à lui seul, dégage une véritable fureur de vivre.

Le livre sur le site du Cactus Inébranlable

 


350_L230.jpgIZO

Pascal DE DUVE

Espace Nord

« Espace Nord » a, pour célébrer le cinquantième anniversaire de la mort du peintre René Magritte, décidé de rééditer « Izo » le célèbre roman publié par Pascal de Duve en 1989. Izo, le personnage éponyme de ce roman, avec sa redingote noire, son chapeau noir et ses gros souliers noirs, semble directement « plu » de « Golconde » la tableau de Magritte que l’éditeur a placé sur la couverture de cette réédition, conférant ainsi une nouvelle dimension à cette toile en inventant pour l’un des personnages, celui ayant eu la chance de choir directement sur une chaise du Jardin du Luxembourg à Paris et non comme les autres de se diluer dans le sable et les pelouses de ce jardin, un bout de vie éphémère prolongeant ainsi l’histoire racontée sur la toile.

Le narrateur se promenant un jour d’orage dans les Jardins du Luxembourg aperçoit alors que le ciel déverse des torrents d’eau, un homme affalé sur une des chaises qui meublent ce jardin, un homme coiffé d’un anachronique chapeau melon noir et vêtu d’une tout aussi anachronique redingote noire. Il le secoue, le secourt et l’emmène chez lui pour le réconforter. Il s’attache au sort de cet étonnant personnage et s’occupe de lui procurer le gîte et le couvert. L’homme ne parle pas et ne prononce que quelques mots inintelligibles, l’auteur retient un énigmatique « Isobretenikkhoudojnika », il décide de l’appeler ainsi mais en simplifiant cet imprononçable patronyme en un beaucoup plus pratique « Izo ».

Izo se révèle vite être un être très doué, surdoué, doté d’une mémoire fantastique et d’un esprit d’analyse et de déduction particulièrement impressionnant, il découvre tout, il semble ne rien connaître, il paraît venu d’ailleurs, son esprit est vierge comme celui d’un nourrisson ouvrant les yeux pour la première fois. Il se passionne pour des choses futiles, même insignifiantes, ou pour des choses beaucoup plus complexes, élaborées, matérielles ou intellectuelles comme le métro qu’il considère comme un autre monde, ou les langues étrangères qui lui permettent de nouer conversation avec n’importe qui dans les rues de Paris ou par téléphone au hasard des numéros qu’il compose de manière de tout à fait aléatoire.

Izo, c’est une page blanche sur le bureau de l’écrivain, il n’a aucun sens des valeurs, rien ne l’a encore pollué, il a une merveilleuse faculté d’émerveillement qui le fait s’extasier devant la moindre babiole comme devant une définition très complexe pêchée dans l’une des encyclopédies qu’il ingurgite comme d’autres des verres de bière, sauf que lui retient ce qu’il absorbe. Son impressionnante culture, acquise en quelques semaines, sa faconde, son innocence, sa fraîcheur, son enthousiasme lui facilitent les contacts avec les personnes qu’il rencontre et avec lesquelles ils nouent des liens d’amitiés. Il devient vite un habitué des cafés les plus prestigieux de la capitale où il connait les personnels et quelques habitués ayant une certaine notoriété. Il devient ainsi quelqu’un de connu sans en avoir la moindre idée. Il conserve sa fraîcheur et son innocence jusqu’à ce qu’il comprenne que la vie n’est pas linéaire, qu’elle évolue et donc qu’elle va vers un aboutissement qu’il voudrait comprendre. Commence alors pour lui une recherche de ce que pourrait être cet aboutissement et sa signification, à travers les religions : le catholicisme, le protestantisme, l’islam et même le communisme pensé comme une forme de religion lui aussi. Mais, pour la première fois ses étonnantes facultés buttent sur une énigme qu’il ne saisit pas.

Je retiendrai de ce texte outre bien sûr la grande maîtrise littéraire de l’auteur, la richesse de son vocabulaire, la fluidité et l’élégance de son style, quelques belles assonances, la qualité picturale de ses descriptions, tout est en couleur, surtout la capacité d’émerveillement du héros. Izo est un être irréel, venu d’ailleurs, enfant légitime de l’imaginaire matérialisé sur terre, découvrant un monde rempli de choses merveilleuses que nous nous ne voyons pas ou plus. On dirait que Pascal de Duve cherche à nous délester de toutes les scories que l’histoire a accumulées sur nos épaules et dans nos têtes pour que nous redécouvrions un monde simple, candide, joyeux, sans aucune prétention, sans appât du gain, sans recherche du pouvoir, juste un monde où les gens vivraient en bonne intelligence. Cet émerveillement devant ce monde possible me suffirait mais l’auteur nous entraîne sur un autre chemin, il nous démontre que ce monde n’est qu’éphémère et qu’il faut penser à ce qu’il y aura après et quand on pense à ce qui vient après la vie on créée la religion même si cet après n’a pas un ou des dieux, c’est déjà une pensée religieuse. Et, pour Izo, les religions conduisent à une impasse, alors faudra-t-il suivre l’auteur sur le chemin de la philosophie pour trouver les réponses aux fameuses questions qui obsèdent tous les êtres pendants ? J’aimerais, pour ma part, rester avec Izo sur le chemin merveilleux de l’innocence et de la découverte en jouant la politique de l’autruche.

« Izo » c’est plus qu’une lecture, c’est une réflexion philosophique, mais c’est aussi une ouverture à l’émerveillement. « Mon apparition c’est le monde, je veux dire l’existence, cette chose magnifique à la quelle on ne pense jamais, et que je viens de découvrir. » Voilà tout est dit, l’auteur de ces quelques mots plein d’espoir pouvait s’envoler quelques années plus tard, jeune, trop jeune, beaucoup trop jeune, vers le monde d’Izo où il a certainement trouvé son après.

Le livre sur le site d’Espace Nord

PAUL FURLAN:  » JE NE SAVAIS PAS QUE J’AVAIS DÉMISSIONNÉ. « 

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Ce vendredi 27 janvier, comme les autres jours de la semaine depuis juillet 2009, date de sa première entrée en fonction en tant que ministre, Paul Furlan s’est rendu à l’Elysette sans passer par la Maison communale de Thuin dont le personnel alarmé, ne le voyant pas, a cru à une démission en cascade voire à une dissolution pure et simple du PS dans le marasme de la Gauche européenne.  

Au 25/27 rue du Mazy, à Namur, Paul Furlan a salué Jean-Claude, Maxime, Paul… tous sont restés cois de le croiser aujourd’hui. Il s’est ensuite dirigé vers son cabinet pour s’étonner de la présence d’une nouvelle secrétaire, une Rocherfortoise bon teint, qui a demandé qui elle devait annoncer à Pierre-Yves Dermagne. Paul a souri, il a cru à une plaisanterie, à une maladresse de débutante… Il aurait même ajouté avec sa bonhomie habituelle: C’est la St Elio aujourd’hui  ou quoi? Car le grand St Elio, c’est connu, met parfois son noeud papillon à l’envers et le parti sens dessus dessous.

– Paul Furlan, c’est moi le ministre des Pouvoirs Pouvoirs locaux, de la Ville, du Logement, de l’Energie et… des Intercommunales florissantes uniquement pour ses dirigeants et administrateurs. Ministre, a-t-il répété, l’anagramme d’InterimS.

La secrétaire lui a alors fait doucement comprendre qu’il n’était plus ministre suite à sa démission de la veille. Elle lui a montré un article de journal attestant de ses dires. Paul Furlan a fait des grands yeux, il a bredouillé quelques paroles inaudibles avant d’énoncer clairement, comme se réveillant d’un mauvais songe : « Je ne savais plus que j’avais démissionné. » 

Aux dernières nouvelles, il ne serait pas encore arrivé à Thuin.

Il se murmure qu’il serait parti vers le Sud-Est, loin des grandes villes corrompues, en direction de la Famenne, là où se trouve la réserve de forces vives et immaculées du Socialisme en route vers le rose paradis de Éthique.

 

GRANDE OURSE de ROMAIN VERGER

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003630036.jpgRomain Verger nous conte ici de bien étranges histoires. D’une part, celle d’Arcas , homme préhistorique qui se retrouve seul, abandonné, sa famille, sa tribu, ont disparu. Il essaie de survivre, niché dans sa grotte, se nourrissant des quelques réserves encore existantes… Et puis un jour, il ne reste plus rien, rien qu’un ventre qui appelle, une faim qui l’affaiblit. Autour de lui, un univers de glace et de neige, rien à manger, pas âme qui vive… De dépit, il s’en va, se dit que marcher lui fera le plus grand bien, part vers l’inconnu…
Puis arrive l’histoire de Mâchefer, homme de notre temps, anorexique, qui réduit jour après jour ses portions de calories et s’en fait un point d’honneur. Vie triste d’un gardien de Musée, qui partage un pavillon coupé en deux avec Ana, la propriétaire, étrange bonne femme, il poursuit son chemin sans plaisir, attendant patiemment le point de non retour, que sa maladie gagne, qu’il ne lui reste que la peau et les os…

Ces deux êtres, à des dizaines de milliers d’années, vont connaître un drôle de destin. Les maux qui les rongent, la faim et la solitude pour Arcas, la volonté de ne plus manger et, aussi, une certaine solitude pour Mâchefer, montrent des similitudes fortes. Comme si Mâchefer descendait de la lignée d’Arcas, comme si ces deux hommes se fondaient l’un en l’autre, et souhaitaient ne laisser derrière eux qu’un petit amas presque insignifiant… Mais la vie est toute autre, et les êtres qui croiseront leurs vies respectives, afin de les sauver, leur feront perdre pied, la folie n’est pas loin, l’irréel, le fantastique prennent le pas sur la raison de ces deux hommes perdus.rv-012-72.jpg

L’écriture de M. Verger est très fine, précise et éloquente, le jeu du rêve et de la réalité très troublant, les descriptions parfois peu ragoutantes ajoutent une part de lourdeur, quelque chose qu’on a du mal à digérer, comme une bouillie trop épaisse, et ramènent ces deux hommes à un état primaire, dans leurs états d’âme, dans leurs pulsions, dans leurs priorités…
Un sentiment d’oppression grandissant au fil des pages, le même ressenti lors de la lecture de « Zones sensibles » du même auteur.

Le livre sur le site de Quidam Editeur

 

LE DILETTANTE OUVRE SON CATALOGUE 2017

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Avec deux ouvrages sortis le 18 janvier 2017, Le Dilettante a ouvert son catalogue pour cette nouvelle année littéraire. Bill D’Isère propose un roman reconstituant le fameux enlèvement d’un transport de fonds dans la région lyonnaise en 2011 en s’intéressant principalement à la personnalité et au parcours de celui qui aurait pu être l’auteur de cet impressionnant détournement. Hélène Couturier quant à elle évoque la condition des femmes toujours amoureuses de leur mari qui cherchent un peu de fantaisie ailleurs.

 

9782842638894FS.gifTEDDY LE KOSOVAR

Bill D’ISÈRE

Le Dilettante

Lire c’est s’exposer à d’étranges coïncidences. Ainsi, devant effectué un voyage en train assez long, je m’étais muni d’un livre assez copieux, un livre qui relate le vol d’un véhicule de transport de fonds dans la région lyonnaise en 2010, et, en rentrant chez moi, j’apprends que ce jour même, un autre véhicule de la même société transportant cette fois de l’or industriel a été braqué près de Lyon lui aussi. Etonnant non ? J’étais coincé entre l’actualité qui tournait, ce jour, autour du vol de l’or et ma lecture qui me ramenait à la disparition d’un véhicule rempli de billets de banques.

Bill d’Isère qui n’est pas Bill mais est bien d’Isère, réinvente à sa façon l’affaire du vol de ce véhicule de transport de fonds commis par un employé de la société délestée « un beau jour d’automne 2010 ». La victime ayant purgé sa peine, nous devons éviter d’évoquer tout ce qui pourrait permettre de la reconnaître. Bill consacre peu de pages au déroulement des faits qui sont bien connus maintenant et qu’il est facile de retrouver à travers des livres, films et sites Internet… le sujet a fait couler beaucoup d’encre et de salive et généré une petite montagne d’octets sur les fameux réseaux dits sociaux. Bill concentre principalement son texte sur la personnalité et la parcours de ce jeune homme issu de l’immigration qui, un jour sans raisons apparentes, bascule dans la délinquance, grande par le montant du forfait, plutôt banale par les moyens mis en œuvre.288.jpg

La première préoccupation de l’auteur a été de transformer son héros en le dotant d’une nouvelle identité, d’un arbre généalogique plus exotique et d’une jeunesse chaotique. Ainsi, le voleur devient Mirosh pour sa mère, Michel pour l’état civil français et Teddy pour la presse et le grand public. Il serait le fruit de l’escapade de sa mère à Cuba. Elle vivait dans l’Albanie très fermée d’Hojda, elle eut la chance de pouvoir participer à un transport présidentiel à Cuba où la douceur des îles, les flèches du soleil, le sang chaud des autochtones l’invitèrent à laisser une large place à la gaudriole. Elle revint donc de Cuba avec une petite graine bien plantée au plus profond de son être. Elle comprit que son avenir en Albanie était très compromis, elle imagina alors un stratagème audacieux pour fuir le pays dans un conteneur de chemises. Arrivée en France, elle fut accueillie comme réfugiée et bientôt mère d’un joyeux bambin qu’elle éleva du mieux qu’elle put jusqu’à ce qu’elle rencontre un nouveau conjoint qui voulait faire le bonheur du gamin contre sa volonté. Commence alors un long cheminement qui conduit directement le môme aux premiers larcins, au chantier de rééducation puis à mille petits boulots tous moins lucratifs les uns que les autres, qu’il dégote surtout grâce tout ce qu’il a appris quand il fréquentait l’école des gitans en quête de quoi vivoter.

Et puis il trouve enfin un job stable, payé régulièrement : convoyeur de fonds, il travaille consciencieusement jusqu’au jour où définitivement saturé par le comportement des patrons, des riches, de ceux qui ceux qui donnent les ordres et les punitions, il décide de se venger de toutes les humiliations subies en se barrant avec le camion plein de beaux billets de banque. La suite vous la connaissez, le grain de sable qui fait capoter le plan le plus efficace tellement il est simple, la reddition, le jugement, l’appel, la taule sans remise de peine ou presque, la libération mais pas la liberté car dehors les flics le traquent sans cesse, ils veulent trouver les quelques millions qui manquent dans le camion et qu’ils croient qu’il a planqués. Mais Bill, il ne tombe pas dans le piège de la reconstitution, il invente une fin grandiose au nez et à la barbe de tous les flics de France.

Bill d’Isère a repeint cette histoire très médiatisée aux couleurs de Frédéric Dard dans une ambiance à la Guyard, j’ai pensé à son roman : « Soudure » où les malfrats, comme ceux de Bill sont surtout des victimes du système (le fameux système qui ronge tout le monde et que tous les politiciens veulent changer avant chaque élection) qui profite uniquement à ceux qui possèdent déjà trop pour être tranquilles comme les policiers qui auraient bien pu étouffer les quelques millions qui se sont évaporés avant que la camion soit officiellement retrouvé mais ça c’est Bill qui nous le glisse en douce, entre les lignes, nous on ne sait rien.

Le livre sur le site du Dilettante 

 

9782842638795.jpgIL ÉTAIT COMBIEN DE FOIS

Hélène COUTURIER

Le Dilettante

« Combien de fois tu m’as trompé ? » La question est brutale, elle cingle comme un coup de fouet, Mathilde ne l’attendait pas, elle n’a même pas l’intention d’y répondre mais Jo s’acharne, revient à la charge, alors elle ment, comme elle l’a toujours fait, avant de comprendre que son mari essaie de lui faire endosser la responsabilité de leur séparation qu’il va lui annoncer. Elle n’avait pas envie de cette rupture, elle avait trouvé un équilibre entre son mari et ses amants, elle était même restée fidèle pendant huit ans avant de trouver sa vie un peu monotone se lassant de la rigueur de son mari alors qu’elle aime la fête, la nuit, les rencontres imprévues, les émotions fortes.

Jo veut des comptes qu’elle ne peut même pas lui fournir, elle ne compte pas, elle pourrait tout juste lui raconter ses errances dans les calle barcelonaises, dans le quartier des pakis, des dealers et des prostituées. Et, ce soir, pour éviter de lui répondre, elle part pour une nouvelle odyssée dans ce quartier de la marge où réside son fournisseur, où elle pourrait trouver un homme pour finir la nuit.Couturier.jpg

Le plume d’Hélène Couturier court aussi vite que les escarpins de son héroïne sur l’asphalte de Barcelone quand elle part en bordée dans les quartiers interlopes à la recherche de stimulants aptes à lui fournir l’énergie et l’excitation nécessaires pour faire la fête jusqu’au bout de la nuit. Mais ce soir, son odyssée n’est qu’une vaine errance, elle réalise alors que son mari lui manque, qu’elle s’en passera difficilement, qu’elle n’est plus la belle jeune femme qu’elle a été, que son potentiel de séduction a diminué et qu’il diminuera encore sérieusement dans les années à venir. Jo voulait des comptes, elle n’avait qu’un conte à lui offrir.

Ce conte c’est l’histoire de bien des femmes de cinquante ans qui ont été de belles filles, de belles jeunes femmes, des épouses qui ont séduit des hommes élégants, plein de charme, qui ont élevé un ou deux enfants et qui, vers la quarantaine, s’ennuie auprès d’un mari qui essaie de faire carrière et

qui commence à lorgner vers des femmes plus jeunes. Alors maintenant que le sexe ne conduit que très rarement à la procréation, il peut offrir divers plaisirs avec d’autres hommes, pas forcément toujours les mêmes, pas forcément des amants attitrés, seulement des hommes charmants, attentifs, attentionnés qui n’ont nullement envie de s’attacher à une femme, mais seulement envie de passer de bons moments avec des femmes indépendantes, autonomes, sensuelles, cultivées et très peu encombrantes Des femmes juste pour le plaisir qui cherchent des hommes juste pour le plaisir.

Ces femmes ne veulent pas pour autant laisser leur amour en déshérence, elles veulent juste séparer le plaisir sexuel de leur vie sentimentale, elles aiment leur homme et leur famille, elles aiment leur job et la vie qu’elle mène, elles voudraient juste que leur homme ne les enferme pas dans le sempiternel dilemme :

« Trop de morale pas de sexe

Trop de sexe pas de morale ».

Un livre qui intéressera bien des femmes mais aussi des hommes, tous ceux qui cherchent à faire la part du sexe dans la vie et dans l’amour et surtout ce que le sexe peut apporter pour sortir de la monotonie qui s’installe progressivement dans presque tous les couples.

Le livre sur le site du Dilettante

L’AUTEUR IDÉAL et autres histoires d’écrivains

La littérature est une planète habitable.
Éric Chevillard

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L’ AUTEUR IDÉAL

Cet éditeur rêvait une fois encore de l’auteur idéal : beau et bon, aimable, humble et doué de tout le talent nécessaire pour remporter un grand prix d’automne quand son rêve devint réalité… L’écrivain était là, bien réel, l’éditeur pouvait le toucher partout et même lire dans ses pensées qu’il rêvait une fois encore de l’auteur idéal…

 

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LES HÉTÉRONYMES

Cet écrivain avait tellement d’hétéronymes qu’il ne savait plus qui était qui et qu’il lui arrivait même, en interview, parlant au nom d’un d’entre eux, de pourfendre l’œuvre d’un autre.

 

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UNE BIBLIOGRAPHIE NAUSÉABONDE

Son premier roman, La Corbeille, passa inaperçu. La Poubelle fit un four ; La Décharge se révéla un échec cuisant, L’incinérateur, un feu de paille. Heureusement son chef d’œuvre, Déchet Vide Ordure, qui eût enflammé la critique mais brûlé n’importe quel éditeur, est resté inédit.

 

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UN BARON DES LETTRES

Cet écrivain qui ne croyait pas à la littérature parvint malgré lui au sommet de la pyramide littéraire et se mit alors aimer le pouvoir des mots. Aujourd’hui qu’il est un baron des Lettres reconnu, secondé par une armée de sectateurs et de conseillers fort payés, il est devenu indétrônable. Même mort depuis longtemps, ses affidés nient la triste réalité et, pour prolonger son souvenir, publient leurs plus beaux livres sous son  nom.

 

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LA SERIAL LISEUSE

Cette lectrice préférait le corps des écrivains à leurs livres tant qu’ils étaient vivants. Elle tenait à connaître leur goût, éprouver leur texture, sonder leur profondeur. Après leur mort, qu’elle provoquait, elle lisait autrement leurs ouvrages. Car elle voulait les lire de son vivant à elle. Même si, de la sorte, elle abrégeait leur œuvre mais aussi (à toute chose malheur est bon) leurs dispersion en commentaires oiseux sur les réseaux sociaux.

 

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L’ÉCRIVAIN BIDON

C’est le propre de l’écrivain bidon de faire beaucoup de bruit avant que ses livres-poubelles ne soient enlevés par les éboueurs de la critique.

 

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LES LIVRES PARLENT

Un jour, les livres se mirent à parler, à se dire. Ce furent d’abord quelques murmures dans telle librairie de province, dans telle bibliothèque de village, sur tel rayonnage de particulier. Mais la rumeur se propagea : telle une épidémie, elle se répandit à tous les lieux enfermant des livres auxquels on ne put plus accéder qu’avec des écouteurs branchés sur du stoner rock ou muni de protections auditives puissantes. De nombreux libraires et bibliothécaires ainsi que des lecteurs imprudents qui ne s’étaient pas prémunis perdirent l’ouïe. D’autre part, ils peuvent maintenant se rendre aux lectures publiques sans crainte d’être indisposés par la mauvaise diction, l’accent épouvantable de tel premier prix de conservatoire autoproclamé de la lecture à haute voix qu’un brave traducteur en langue des signes rompu aux borborygmes du mal disant convertit en langage nettement plus compréhensible.

  

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SANS NOUVELLES

Cet écrivain mégalomane dont le monde littéraire était sans nouvelles depuis sa précédente publication il y a six mois vient de faire une spéculaire réapparition en couverture d’une autopublication de la rentrée littéraire.

 

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ATTENTION, DANGER !

Ce libraire prenait soin de délimiter le rayon poésie de sa boutique par des panneaux de danger. Plusieurs fois des lecteurs imprudents avaient été pris d’effroi en constatant l’endroit où ils avaient malencontreusement abouti et leur prise en charge avaient nécessité les soins d’un psychologue spécialisé dans les traumas littéraires. 

 

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L’OGRE DES LIBRAIRIES

Dans les librairies de ce pays, les livres vinrent à manquer. On constatait la disparition de rayonnages entiers, parfois même de toute une section. Plus trace soudain des livres de cuisine, des manuels de bien-être, de littérature marclévyesque, de thrillers danbrowniens, de romans feel good, de carnets luisants de mots léchés, d’ouvrages de pataphysique pour les nuls, de recueils de poésie du routard ou de volumes de maths financières. Une enquête initiée par le Fonds des Lettres mais surtout un système de caméras surveillance infaillible conclut à l’existence d’un dévoreur de livres.

Ce bâfreur restait introuvable malgré une faim gargantuesque qui décimait des librairies entières, plongeant les boutiques de livres papier au bord du dépôt de bilan.

C’est par hasard, bien des années après la disparition de toute librairie, qu’on retrouva l’ogre, haut et gros comme un Atomium, recouvert d’un manteau de miroirs pour passer inaperçu, explosé par un éclatement stomacal, étendu sur l’esplanade de la Bibliothèque Nationale, d’où par ses monstrueux orifices s’échappait un sang d’encre qui rejoignait par les rues de la ville un fleuve de phrases immondes où des cadavres puants de lecteurs dérivaient depuis des années…

 

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UNE OFFRE SUPÉRIEURE À LA DEMANDE

Les auteurs sont devenus plus nombreux que les lecteurs, si bien que nombre d’auteurs n’écrivent pour personne. Et les éditeurs, plus fréquents que les auteurs, de sorte que de nombreux éditeurs ne publient aucun auteur… Le lecteur est devenu si rare que des salons lui sont consacrés. Auteurs et éditeurs s’y pressent dans l’espoir de comprendre l’étrange phénomène qui les a mis sur la paille.

 

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JOURNAL D’UN INTOLÉRANT LITTÉRAIRE

Dans Journal d’un intolérant littéraire, cet allergique à Proust, Gracq, Simon, Borgès, Dostoïevski et quelques autres écrivains prises de tête propose un programme de lecture sans génie, un régime light à base de Bourdeaut, Barbery, E.L. James, Delatour, Jardin et autres auteurs de polar qui provoquent une agréable lecture sans aigreurs d’estomac ni migraine et n’altèrent en rien votre habituelle vision des choses.

 

 

E.A.

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BOUDDHA et autres textes mous

LES MOIGNONS (VII)

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Bouddha

Le Bouddha est un homme-tronc comme les autres. Il a fait le deuil de ses membres, de tout mouvement associé, de préhension comme de déplacement. Il a intégré la notion de mouvement: il roule pour lui-même. On ne verra jamais un Bouddha tracer vers le marchand de journaux, vers son bureau ou le club de fitness. Ayant atteint l’éveil en semblant n’avoir pas dormi mille nuits d’affilée, il semble enraciné dans sa position de lotus jusqu’à la fin des temples. Il sommeille assis, il rêve éveillé. S’il s’élève, ce n’est pas de plus de quelques centimètres du sol. Le Bouddha dort et parle en dormant. Il raconte ses rêves et ses rêves font loi. C’est une sorte d’analyste froid, qui note et empoche. Parfois il jette ses membres à qui en veut. Il rit sous cape en voyant ses adeptes essayer de les saisir au vol, prendre toutes les postures de la lévitation.

Le Bouddha est un homme-tronc comme les autres. Il soigne, il polit ses moignons. Et qu’on ne vienne surtout pas l’empoigner !

 

 

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Les maîtres

Le maître des horloges ne maîtrise pas tous les temps. Le maître des clés s’est fait tromper par une serrure. Le maître des ambassades n’a pas prise sur le pays entier. Le maître du suspense se lasse des intrigues. Le maître des bains ne supporte pas les jacuzzis. Le maître des rires ne supporte pas qu’on s’esclaffe. Le maître des enterrements mourra un jour. Le maître des emportements s’est laissé embarquer par le courant. Le maître des accents porte un chapeau. Le maître des identités ne sait plus qui est qui, qui il est, qui quoi qu’est-ce. Le maître des fentes ne connaît pas toutes ses failles. Le maître des peines d’amour souffre d’infidélité chronique. Le maître des textes n’aime pas celui-ci (qui l’en blâmerait?). Le maître de la conduite sans points n’a pas de suspension.

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Les mers

Il collectionne les mers, il en a des centaines. Des roses, des vertes, des mal peintes, des bien dessinées. Des rondes, des en cube, des très froides, des toutes chaudes, des qui descendent les montagnes, des qui montent au ciel. Des normales qui font des vagues et de l’écume, des spéciales qui font du lait et des légumes comme vaches ou jardins. Des quelconques en forme d’œuf ou de poire, des plus curieuses en forme de coquilles ou d’autos tamponneuses. Des qui piquent ou qui sonnent, des qui font des peluches ou la fine bouche. Des effacées, des extravagantes, des un peu sottes, des carrément givrées. Des grosses, des fines, des puantes, des parfumées. Mais celle qu’il préférait, c’est sa mer noire aux reflets nacrés, celle qu’il prend au petit déjeuner avec des brassées de pain complet léger et des sucres comme des banquises fondant au soleil.

 

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La motte

Quand je pars en exploration dans une motte de beurre, j’en ai pour ma journée. Une motte de beurre, on n’en a jamais fait le tour; il reste toujours quelque chose à découvrir: une pente à descendre, un versant à escalader, un boyau à découvrir, un grain de sel à détailler, une mollesse qui ne ressemble à aucune autre mollesse, un jaune très jaune, un filet zébré tirant étrangement vers le blanc de la crème de lait baratté qui a sa source dans la vache et le fermier qui la  trait avec toute la poigne de l’homme avide de prendre son plaisir là où il s’en trouve. Point à la ligne et retour à la ferme.

 

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Rêver dur

Je fais des rêves durs qui font mal à mes nuits. Je dois avoir un problème de transfert onirique. Je devrais changer mon système d’interprétation des songes. Au matin, j’ai des douleurs de crâne, je peine à réaliser que c’est le jour. Je marche sur des fantasmes.  Je piétine des chimères. J’écrase un ou l’autre cauchemar. J’irréalise, je m’illusionne, j’imagine des rêves mous aux claires formes qui glisseraient de la nuit au jour comme une ombre chère. Je pleure, je crie, je suis malheureux comme une pierre mais rien n’y fait. Je fais toujours des rêves durs comme un calcul sur la tombe d’un aérolithe. Comme un moellon sur la stèle d’un galet. Comme une épave de paquebot sur le cénotaphe d’une baleine.

 

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BLEU DE BLEU de JEAN MOGIN

 

Quand j’ai besoin de bleu,

Quand j’ai besoin, de bleu, de bleu,

De bleu de mer et d’outre-mer,

De bleu de ciel et d’outre-ciel,

De bleu marin, de bleu céleste ;

 

Quand j’ai besoin profond,

Quand j’ai besoin altier,

Quand j’ai besoin d’envol,

Quand j’ai besoin de nage,

Et de plonger en ciel,

Et de voler sous l’eau ;

 

Quand j’ai besoin de bleu

Pour l’âme et le visage,

Pour tout le corps laver,

Pour ondoyer le cœur ;

 

Quand j’ai besoin de bleu

Pour mon éternité,

Pour déborder ma vie,

Pour aller au-delà

Rassurer ma terreur

Pour savoir qu’au-delà

Tout reprend de plus belle ;

 

Quand j’ai besoin de bleu,

L’hiver,

Quand j’ai besoin de bleu,

La nuit

J’ai recours à tes yeux.

 

 

Jean MOGIN (1921-1986)

La Belle Alliance (1963)

 

QUELQUES CHANSONS BLEUES…





























LE BLEU KLEIN 

LE BLEU AU CINÉMA


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L’EXAMEN

image.jpgLe jour de l’examen était arrivé et le professeur était fébrile. C’était un jour d’examen exceptionnel, un de ces jours qui comptent dans une vie.

Le professeur se tenait à l’entrée de l’amphithéâtre pour accueillir les étudiants. Pour chacun, il avait un mot, une attention. Pour chacun, il savait exactement ce qu’il devait leur dire pour les mettre en confiance, leur donner toutes les chances de réussir leur épreuve. Quand les deux cents étudiants furent installés, leur smartphone fermé, leur matériel sorti précautionneusement de leur étui ou de leur valisette, il alla s’installer au milieu de l’estrade, un peu à côté du pupitre où se tenait le micro et son portable. Il n’était pas nécessaire, cette fois, de parler et, d’une certaine façon, ça l’apaisait: il avait trop souvent jargonné.

Chaque étudiant savait précisément ce qu’il avait à faire et le fit comme il l’avait répété pendant la période de blocus. Le professeur suivait scrupuleusement leur petit cérémonial personnel pour conjurer le stress; quand il observait un geste mal exécuté, un manquement qui pouvait leur être préjudiciable, il le leur signalait d’un regard appuyé, ou d’un raclement de gorge suggestif. L’étudiant comprenait son erreur et se corrigeait.

Quand le professeur jugea que plus aucun doute ne subsistait sur le résultat de l’examen – c’était un homme avisé et nanti d’une longue expérience -, il donna l’ordre de départ du concours.

Les deux cent balles de calibre 9 mm atteignirent toutes sans exception sa tête. C’était la meilleure session de sa vie professionnelle, une épreuve de prestige au final éblouissant qu’il avait eu raison de proposer; la seule aussi qu’il n’aurait pas besoin de corriger.