par Denis BILLAMBOZ
L’été 2017 n’a, jusqu’à maintenant, pas été avare de calories, aussi pour vous apporter un peu de fraîcheur, j’ai choisi de vous proposer une belle ration de poésie à lire à l’ombre d’un gros arbre pas trop loin d’une nappe d’eau avec, à portée de la main, une boisson bien fraîche. Je suis convaincu que les recueils de Cécile Guivarch, Éric Dejaeger et Jean Marc Flahaut vous désaltéreront et vous réjouiront.
SANS ABUELO PETITE
Cécile GUIVARCH
Les Carnets du Dessert de Lune
« Cécile Guivarch,…, sonde encore une fois la mémoire familiale. Entre les questions sur sa langue, ses langues, elle évoque un secret de famille… » Dans un court recueil de poésie constitué d’une partie en vers, en général sur la page de gauche, et d’une partie en prose, en regard sur la page de droite, elle évoque l’histoire de sa famille, l’histoire tue à jamais, l’histoire qui lui colle aux doigts depuis l’âge de neuf ans, l’histoire qu’elle réussit enfin à mettre en poésie. « J’écris ce début depuis mes neuf ans mais il me glissait des doigts. Le voilà qui me revient aujourd’hui. J’ai toujours neuf ans. Ma Maman a un peu vieilli. Mers enfants ne me croient pas mais j’ai neuf ans. »
En vers, elle raconte le grand-père, celui qu’elle n’a pas connu, celui qui a fui vers une île participer à une autre révolution après l’échec de sa guerre en Espagne.
« La rivière a emporté les lettres
Elles ont nagé en suivant ton bateau.
Tu as fui sans vraiment fuir. »
En prose, elle évoque le pays où elle vit, le pays dont sa mère a difficilement apprivoisé la langue, où sa grand-mère n’a jamais oublié le grand-père exilé. « Mon grand-père n’est pas mon grand-père. Le vrai je ne le connais pas. N’est jamais revenu. Ne reviendra jamais. Enfermé sur une île.»
Elle raconte le pays où elle vit, le pays qu’elle a quitté, où elle semble retourner pour les vacances, le mélange des langues : « Mes cousins parlent galicien. Je leur réponds en français. En espagnol. Une barrière de langue. Nous ne vivons pas sur la même bande de terre. Mais nous sommes de la même lignée », sa double culture, ses racines mélangées et pas forcément bien connues, son appartenance à plusieurs nation et peut-être à aucune, seulement à une famille à géométrie complexe. « L’espagnol est langue de mes ancêtres, celle qui nourrit mon sang. Pourtant j’y suis étrangère. »

C’est une belle histoire personnelle mise en mots avec beaucoup de finesse et de talent, seul l’essentiel est dit est pourtant ce texte court peut inspirer une longue réflexion sur la famille, la nation, l’exil, l’intégration, la multiculture, …., « La frontière est une ligne invisible. D’un côté la France de l’autre l’Espagne. Et ce n’est plus la même langue. »
C’est aussi, en filigrane, l’évocation de la guerre d’Espagne et de ses conséquences ravageuses, désastreuses pour de nombreuses familles
« Même les oiseaux se taisaient.
Les uns, les bouches pleines de terre,
disparaissaient dans de grandes fosses.
Les autres ne pouvaient pas rester. »
Et surtout un très beau texte, très bien construit, qui dégage beaucoup d’émotion sous la plume de cette femme qui aura toujours neuf ans, l’âge auquel elle a appris que son grand-père chéri n’était pas le grand-père que sa grand-mère avait toujours aimé. « J’ai neuf ans je me demande comment on peu vivre avec une branche en moins dans son arbre. »
Le livre sur le site des Carnets du Dessert de Lune
STREETS (Loufoqueries citadines)
Éric DEJAEGER
Gros Textes
Dans ce recueil, Éric Dejaeger nous invite à parcourir les rues d’une ville imaginaire, quatre-vingt-dix-neuf rues qu’il décrit chacune à travers un poème qui donne le sens du nom de chacune d’elle. Il nous convie à traverser sa ville comme on traverse sa vie, en rencontrant mille aléas. Le poète, même s’il a mis un peu d’eau dans son vitriol, conserve un regard perçant sur tout ce qui l’entoure car :
Dans la Rue
des Etoiles Filantes
Il ne faut pas marcher
le nez en l’air…
Et si on ne marche pas le nez en l’air, on peut faire de drôles de rencontres, on peut même se rencontrer soi-même.
On a constamment
l’impression
d’avancer
à la rencontre
de soi-même…
Les réflexions du poète sont souvent drôles, parfois surréalistes, souvent très pertinentes, quelquefois sarcastiques mais toujours très justes. Et dans certains poèmes, il laisse même sourdre un certain sarcasme à propos des philosophes et ses poètes qui ne font pas toujours honneur à leur art.
La rue des Philosophes
est l’une des moins
fréquentées
mais des plus
encombrées.
La Rue du Poète Classique
est perpendiculaire
en son milieu avec
la rue du Poète libéré.
Un petit clin d’œil au surréalisme dont Eric est, comme chacun le sait, l’un des grands prêtres.
La Rue du Surréalisme
commence quelque part
& finit
On ne sait où.
Un signe de complicité aux épicuriens
La Rue de la Soif
est plus courte
de la ville
mais elle paraît
excessivement longue
à certains.
Et un bon coup de pied aux fesses des politiciens qui embrouillent trop souvent la vie des poètes et des philosophes.
Il est assez dangereux
de s’aventurer
dans la Rue des Politiciens :
il faut éviter
les coups de langues de bois
les jets de pot-de-vin
les rafales de fausses promesses
& autres armes
De destruction massive
De la démocratie.
Un recueil drôle, inventif, impertinent, même si l’auteur y fait preuve de moins de virulence que dans des textes précédents, tout est plus doux, plus insidieux peut-être ? Une rupture ? Plus certainement un écart temporaire, un détour, une pause rafraîchissante… au final un bon moment de lecture en harmonie avec les douces journées de printemps qui ont accueilli cette publication.
Le livre sur le site de Gros Textes
BAD WRITER
Jean Marc FLAHAUT
Les Carnets du Dessert de Lune
Dans ce petit recueil de poésie narrative, construit de vers très libres, extrêmement concentrés, chaque mot ayant son utilité, sa signification, son poids, sa musique, Jean Marc Flahaut exprime un doute très profond. Il doute de lui et de son art, il doute de la poésie, il doute de la capacité des lecteurs à comprendre la poésie, il doute même d’être capable de faire comprendre au lecteur la nécessité de la poésie, son sens profond, son utilité. Il doute de l’art, de son art, de la capacité des autres à comprendre l’art.
Ce doute le laisse oscillant en une incertitude schizophrénique entre celui qui écrit et celui qui range les papiers, entre le poète et le tâcheron :
« Il y a
deux hommes en moi
l’un écrit
l’autre pas il lit – il classe – il range il trie »
Mais ce doute l’entraîne aussi dans une forme de paranoïa sclérosante, l’empêchant de proposer ces textes par crainte de la cohorte de tous les refus.
« peur du libraire
qui refuse de vendre mes livres
peur de l’éditeur qui refuse de prendre mon manuscrit
peur du lecteur
qui ne lira jamais aucun de mes poèmes
peur… »
Auteur convaincu de son talent, il est aussi persuadé du bienfondé des critiques négatives de ses détracteurs, nourrissant ainsi sa vision schizophrénique de son moi écrivain.
« …
il pense
…
qu’il est à la fois
le tueur et la cible
l’antidote et le poison
… »
Il reste alors avec ses doutes et ses frustrations, espérant toujours le livre qui changera tout, le regard des autres et l’estime de soi.
« ce livre
que je voudrais écrire
et tous ceux que j’ai écrits
pour m’en approcher »
Mais je suis convaincu que Jean Marc Flahaut est persuadé qu’il a du talent et qu’il affecte de douter de lui et de son art pour faire comprendre qu’on ne le juge pas à l’aune de ses qualités.
« c’est fou
ça n’a l’air de rien
mais ça dit tout »
Le narrateur réalise un véritable exercice d’autodérision instillant un doute sur son art pour, au contraire, démonter qu’il est bourré de talent et que ses textes méritent toute la considération des lecteurs et des éditeurs. Ils sont déjà nombreux à le lire et à l’apprécier à l’aune de son talent réel et je ne suis certainement pas le premier à être convaincu qu’il n’est surtout pas un « Bad Writer » !
Le livre sur le site des Carnets du Dessert de Lune