2018, NOUVELLE ANNÉE LITTÉRAIRE : UNE PLACE POUR LA POÉSIE

 arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

 

 

 

 

 

9782842639310.jpgAU NORD DE MOGADOR

William CLIFF

Le Dilettante

Un homme plus très jeune, presque vieux, ayant aimé, aimant encore, les hommes, les hommes jeunes, les garçons juste pubères, évoque ses émois, ses attirances, ses désirs, ses étreintes, les émotions qu’il a eues tout au long du voyage que fut sa vie entre la Belgique, la France, les Amérique du nord et du sud et ailleurs encore, en des poésies voluptueuses, jamais vulgaires, toujours joliment rythmées.

« et aujourd’hui hanté par ce souvenir j’ai

Tenté de le rimer pour en faire un poème ».

Ses amours appartiennent à un autre temps, elles sont passées, mais elles agitent toujours la mémoire et les hormones du vieil homme, nostalgique sans vraiment jamais regretter.

« C’est bête de s’aimer et de tant se comprendre

en sachant bien pourtant qu’il faudra se déprendre ».

Il se souvient encore des amours passées, des amours fugaces, des amours désirées et non obtenues, des amours entrevues, échappées, des étreintes passagères, des étreintes virtuelles, de toutes ces situations qui lui ont fait monter la volupté en tête et l’ont toujours obligé à partir, à aller voir plus loin parce qu’on ne peut pas tutoyer l’inaccessible.

« Je dus m’éloigner parce que la vie est telle

qu’on ne peut pas toucher aux êtres de lumière ».

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Conscient d’avoir caressé les anges, le vieil homme se penche sur son passé pour s’interroger sur ses moments de glorieuse faiblesse.

« Je suis un faible qui s’adonne à la misère

au lieu d’avoir un ange à aimer comme un frère, »

Conscient qu’il n’est plus temps pour lui de songer à une autre vie.

« « N’est-il déjà pas trop tard » se dit-il

« déjà trop tard pour refaire sa vie ? » »

Conscient qu’il devrait privilégier l’amour sincère et désintéressé, meilleur ami contre la solitude souvent compagne complice de la vieillesse, aux étreintes passagères et fougueuses des jeunes gens qu’il a souvent courtisés.

« Mais ce que je préférerais par-dessus tout,

c’est ta simple présence dont les dieux jaloux

me priveront toujours d’avoir la jouissance ».

Un magnifique recueil de poésie d’un érotisme raffiné, d’une sensualité exacerbée, une ode à la beauté des corps, à la délicatesse des sentiments et des sensations, un texte charnel, d’une chair délicate et suave, des vers beaux comme l’amour d’un éphèbe.

 

Le livre sur le site du Dilettante

WILLIAM CLIFF sur le site du Dilettante

 

JOUR DE GRÈVE

en-greve.jpgARRÊTONS TOUT ! Le travail, le syndicalisme, le Sans Domicile Fixe, le réfugié fiscal, la politique et la connerie, la psychanalyse et le stand-up, la presse d’opinion et les compresses, l’expulsion de étranger et l’éclosion du nouveau-né, les frais de succession et les grands froids, l’économie locale et le marché mondial, la vente de larmes aux fabricants de collyres, l’agriculture intensive et la poussée des cheveux, la tombée du soir et la montée des eaux, les casseurs de burnes et les briseurs de rêve, les noceurs et les bosseurs, les faiseurs de trouble et les faiseuses d’ange, les tests à l’effort et les fautes de main, le massacre des baleines et le veganisme universel, les crimes d’honneur et les griffes sur les carreaux, la poésie rimée et les courants littéraires, le coussin péteur et le bugle d’interieur, le plein emploi et les aides à l’embauche, les boissons pétillantes et l’alcool de prune, la réforme des pensions et les mariages forcés, le temps dans les montres et le sang dans les veines, le rouge et le noir, le gris-gris du quotidien et les ventes d’ânes, le vent sur les plaines et l’argent sur les comptes, la liberté d’expression et la récolte du blé, la haine de l’autre et l’amour du prochain, le cycle de l’eau et la fonte des glaces, le port du voile et la chasse à courre, les concours de miss et le mystère de la foi, les seins siliconés et les contours des yeux, les bourses à l’écriture et la course aux prix, les écrivains en classe et les maîtres étalons, les cônes de cirque et les accidents de la circulation, les soifs de sphères et les faims de pure forme, le Sidaction et les maladies orphelines, la teinture sur ongles et les tatoueurs de sirènes, les parenthèses hantées et les tortures coutumières, le culte de la maternité et les grand-mères débranchées, les couches culottes et la malbouffe, les défilés de lingerie fine et les exercices spirituels, les émissions  de CO2 et les chefs étoilés, l’alun bashing et  l’haleine de book des livres-chanteurs, la guerre des nerfs et le cirque médiatique, le système marchand et les roulements à billes, les roues à aubes et le rouge au front, le passage des saisons et le repassage des petites culottes sales, l’écoute de soi et l’épilation à la cire, les peines de coeur et les maux de foie, le transformisme et la transpiration, le peeling et le peaking, le sucre et la reconstruction d’hymen, le crêpage de chignons et la culture du chicon, la pilule et les statines, le hoquet et les règles, le nez qui coule et la respiration artificielle, le mal de dent et les râles de plaisir, les fuites urinaires et la pluie sur les toiles, la toux et les sirops, le cuir et la bougie, l’ail et l’olive, le thym et le thon, la plume et le poil, le trique et le troc, le stupre et le fiel, la beuh et la weed, les faux-cils et le gros sel, la pipe dans les maisons de retraite et l’onanisme à l’école, les prêts à tempérament et les prix à la consommation, l’art nègre et les expositions de ceintures, les têtes couronnées et les cervelles vides, l’autoflagellation et les toasts à la gelée royale, les prises de bec entre rapaces diurnes et les yeux doux d’hiboux, la mise à l’index des taux de pénétration et l’ouverture entre les orteils, les grandes surfaces et les pertes de poids, les caissières topless et les vendeuses de sextoys, l’allant des Lolitas et les nombrils la boutonnière, la langue de boeuf et les joues de porc, les rabat-joies et les boute-en-train, les traits-tirets et les lignes à haute tension, la littérature jeunesse et le Viagra, la roulette russe et le char d’assaut, le chant choral et la chicorée, l’ondinisme et les peaux de banane, l’écriture automatique et le Diesel, le partage des taches à la naissance et la mise en commun des transports amoureux, le nettoyage des pierres tombales et le chauffage des caveaux, les Anthony Delon et les David Halliday, les Thomas Chedid et les Matthieu Dutronc, les Michel Cyrulnik et les Boris Onfray, les Deed Floyd et les Pink Purple, les Lady Madonna et les Radio Gaga, les Amélie Pancol et les Katherine Nothomb, les Angotlâtres et les Minimoix, les pro-Poutine et les anti-Trump, les opticiens optimistes et les aveugles antisceptiques, les billets d’humeur et les notes de lecture, les tickets to ride et la ride du lion, les mots fléchés et les romans à tiroirs, les nombres ronds et les cercles académiques, les cancers du côlon et les crises de goutte, les captures d’écran et les saisies sur salaire, l’analyse des rêves et la numérologie, les plans de secteur et les points de suspension, les phrases à rallonge et cette énumération… ARRÊTONS-NOUS avant la f 

 

LE LIVRE DES LIVRES PERDUS de GIORGIO VAN STRATEN (Actes Sud)

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À la recherche des livres perdus

Giorgio Van Straten, né à Florence en 1955, est directeur de l’Institut de culture italienne de New York, spécialiste de la musique mais aussi romancier.  Il a entrepris, aidé parfois d’amis écrivains,  d’écrire ce bref et stimulant ouvrage publié en France par Actes Sud qui rapporte huit histoires de livres perdus, par la volonté ou non de leur auteur.

Et non des moindres puisqu’il s’agit de Sylvia Plath, Walter Benjamin, Malcolm Lowry, Nicolas Gogol, Bruno Schulz, Ernest Hemingway, George Byron ou bien Romano Bilenchi. Ce dernier est sans conteste le moins connu des huit même s’il est, pour l’auteur qui l’a fréquenté, un des plus grands écrivains italiens du XXème siècle. C’est aussi, parmi les livres dont il parle, le seul qu’il ait lu avant que l’ épouse de l’écrivain ne fasse, plus tard, disparaître le manuscrit dont Van Straten regrette amèrement de ne pas l’avoir photocopié au moment de sa lecture.

Les Mémoires de Byron ont vraisemblablement été brûlés par l’éditeur du poète en mai 1824 après sa mort parce qu’ils révélaient probablement son homosexualité.

Hemingway, fin 1922, perd ses premiers essais narratifs se trouvant dans valise déposée sur le filet  porte-bagages d’un train cependant que la femme qui le rejoint à Paris quitte momentanément le compartiment pour s’acheter une bouteille d’eau d’Evian.

Le livre perdu par Bruno Schulz s’intitulait Le Messie, un graphic novel avant la lettre, car le roman était illustré par Schulz. Il fut caché certainement par l’auteur en août 1941 dans un lieu si sûr qu’il n’a toujours pas été retrouvé.

Nicolas Gogol, qui était un perfectionniste autant qu’un esprit tourmenté en proie à des crises mystiques, avait entrepris d’écrire sa Divine Comédie. Après le premier tome figurant l’Enfer devait suivre un second volume racontant la rédemption de Tchitchikov. Par méprise ou non, Gogol brûle tous les feuillets une nuit de février 1852. « C’est le premier des nombreux bûchers qui constellent l’histoire de la littérature russe entre le XIX ème et le XXème siècle : Dostoiëvski (avec la première partie de L’idiot), Pasternak, Boulgakov, Anna Akhmatova  » note à propos de cet épisode, rapporté Van Straten, Serena Vitale, une spécialiste de la Russie.

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Giorgio Van Straten

 

Un autre ouvrage adoptant la structure de la Divine Comédie est le fait de Malcolm Lowry. Il est intitulé In Ballast to the White Sea (son Paradis, devant faire suite à Au-dessus du volcan) et partira en fumée en 1944 dans l’incendie d’une cabane où l’écrivain alcoolique vivait avec sa seconde femme.

À Portbou, entre l’Espagne et la France, lors de la nuit du 26 au 27 septembre 1940,  Walter Benjamin se donne la mort. Il a emporté jusque là, fuyant les Nazis, un lourd bagage qu’on ne retrouvera jamais et qui comportait sans doute des manuscrits.

Enfin, Sylvia Plath, qui choisira aussi de se donner la mort un matin de février 1963, laisse de même des écrits (un roman commencé et des pages d’un journal intime) qu’on n’a jamais lus et qui furent sans doute éliminés par son mari, Ted Hughes, qui ne tenait pas à ce que leurs enfants les lisent un jour…

Et, à la fin du voyage entrepris pour rendre hommage à ces livres perdus, l’auteur écrit :

J’ai compris que les livres perdus ont quelque chose que tous les autres n’ont pas : ils nous laissent à nous qui ne les avons pas lus, la possibilité de les imaginer, de les raconter, de les réinventer.

En racontant leur histoire, en tentant de les approcher au plus près, de deviner leur contenu, pour qu’on ne les oublie pas, ne les retrouve-t-on pas, à la façon du temps proustien, écrit en substance Giorgio Van Straten en guise de conclusion à ce livre bien réel qu’on a sous les yeux et entre les mains. 

Éric Allard

Le livre sur le site d’Actes Sud

 

2018, NOUVELLE ANNÉE LITTÉRAIRE : ÉNIGME HISTORIQUE

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ 

La Belgique aurait-elle trouvé son Umberto Eco, son Charles Robert Maturin, son William Wilkie Collins, …. ? Je ne sais, mais ce que je sais c’est que ce roman peut prendre aisément place sur les rayons des bibliothèques auprès de « Le pendule de Foucault », de « Melmoth ou L’homme errant », ou encore de « La dame en blanc » ou d’autres livres de ces auteurs ou d’auteurs semblables, sans dénaturer le rayon où il sera inséré.

 

sam_ph_31252_cover1.jpgLUMIÈRE DANS LES TÉNÈBRES

Philippe REMY-WILKIN

SAMSA Editions

Il y a bien longtemps que je n’avais pas croisé, au creux d’un paragraphe, le comte de Saint-Germain, ou Cagliostro, ou sous d’autres noms d’emprunt ce personnage qui erre dans l’espace et le temps sans jamais vieillir. Philippe Remy-Wilkin le fait revivre, non il ne meurt jamais, le fait vivre tout simplement dans son épais roman sous le nom du comte de Smaragda. Il en fait l’un des principaux protagonistes de l’étonnante affaire qu’il met en scène, une histoire qui commence par une disparition bien mystérieuse dans une chambre close. Les éléments essentiels du roman gothique sont déjà présents : la chambre close, la disparition mystérieuse, l’occultisme, un personnage de légende échappant aux lois de la nature…

« … nous avons appris avec consternation la disparition du baron d’Alladières… Il était aux environs de 23 heures, cette nuit (13 juillet 1865), quand la police bruxelloise a été mandée au numéro… de la chaussée de Waterloo, à Uccle… Les gardiens de la paix discutaient dans le hall avec leur hôtesse quand d’horribles hurlements ont jailli depuis le premier étage, … Tous se sont précipités. La plus jeune fille du baron… se trouvait devant la porte de son père, prostrée à même le sol… la porte était fermée et le silence seul a répondu aux appels angoissés… A l’intérieur, tout parait en l’état habituel, mais de d’Alladières nulle race. Le silence absolu.

….

Que s’est-il donc passé derrière le mur du castel ? Où sont passés le criminel et sa victime ?…. ».

Cet extrait de L’Indépendance belge, du 14 juillet 1865, expose l’essentiel de l’énigme que l’auteur va développer tout au long de son vaste roman qui met en scène outre le baron d’Alladières, son épouse, ses enfants, ses amis, héros de l’indépendance belge, ses ennemis de diverses origines, et toute une théorie de personnages plus louches les uns que les autres, tous aussi mystérieux les uns que les autres. On rencontre parmi eux l’incontournable comte de Saint-Germain sous diverses identités comme de coutume, Baudelaire lui-même, des personnages historiques, des personnages de légende, des personnages mythiques, … toute une troupe que l’auteur dirige avec la maestria d’un général napoléonien sur le champ de bataille. Il est bien difficile d’en dire plus sur l’enquête menée, dans un premier temps, par le Vidocq belge de l’époque et le Rouletabille de service, sans risquer de dévoiler le fil de l’intrigue fort complexe élaborée par l’auteur. Les personnages sont nombreux, pas toujours définis, souvent grimés, changeant d’apparence et d’identité, apparaissant, disparaissant, réapparaissant, il faut être très vigilant pour essayer de comprendre qui est qui car, de plus, comme le dit la voyante instrumentalisée tout est inversé.

« Quand l’esprit galope à rebours, pour assembler les pièces du puzzle ?

La chambre close

Le baron d’Alladières, un personnage si fascinant. Jan Venegoor of Hesselinck. Le comte Smaragda et Hugo Kacelenbogen, le Mélomane. Charles Baudelaire et Gérard de Valnère. Vivien et Aymon de Sainte-Marie. Disparitions et apparitions. Le fantôme. Le baron. Dans le cimetière. Rajeuni. »

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Philippe Remy-Wilkin

 

Avec ce long roman gothique, Philippe Remy-Wilkin s’inscrit dans une longue lignée d’auteurs qui ont fait la fortune du roman d’énigme, plus ou moins ésotérique, plus ou moins noir, plus ou moins historique, plus ou moins légendaire. Ma lecture m’a rappelé celles de certains écrivains, cités ou non par l’auteur, qui avaient une part de familiarité avec ce texte. J’ai pensé en commençant au plus ancien d’entre eux, Charles Robert Maturin et son Melmoth, l’homme errant, puis à William Wilkie Collins, à Joseph Sheridan Le Fanu, à Victor Hugo, à Ponson du Terrail et d’autres encore pour terminer par Umberto Eco et Le pendule de Foucault. Il en fait intervenir certains par le truchement de Baudelaire : de Quincey, Poe, Dickens… Ce livre pourra donc être rangé sur le rayon des grandes énigmes occultes qui ont excité et titillent encore des milliers de lecteurs. Les grands romans noirs de notre époque puisent directement leurs racines dans ce riche terreau.

L’auteur fait dire à l’un de ses personnages :

« L’on tend désormais à préférer les ténèbres à la lumière, et c’est le règne de la gothic novel, Sade et la sexualité, les vampires et l’horreur, Vidocq et le crime. On quitte les salons pour fouiller dans les poubelles ou les bas-fonds de l’âme. Et ce n’est pas dégoûtant, c’est passionnant, neuf, vivifiant. Adieu perruques et poudres, artifices et mensonges. »

La grande force et l’habilité de Philippe Remy-Wilkin a surtout été de mêler, sans jamais s’emmêler, des personnages et des événements issus directement de l’histoire, celle de la naissance de la Belgique notamment, des légendes dont celle du Hollandais volant dont il raconte longuement la naissance au son du Vaisseau fantôme de Wagner qu’il fait intervenir dans le récit, des extraits de la tradition ésotérique rosicrucienne et d‘autres notamment celle de Cagliostro, le comte de Saint-Germain ou de Smaragda pour la circonstance, des personnages traditionnels et des événements des folklores et des croyances belges et hollandais. Un roman qui serait presque une somme de tout ce qui a été écrit dans ce domaine depuis au moins deux siècles, qui est une excellente source pour se remettre en mémoire toute cette littérature mais aussi l’histoire de la Belgique que certains, comme moi, connaissent certainement bien mal. Et, comme ce livre est très agréable à lire, les pages tournent vite, car il y a au moins un mystère par chapitre, c’est un excellent moment de lecture fort instructive.

Et pour clore mon propos, je voudrais reproduire cette citation pleine de sagesse que l’auteur a mis dans la bouche de l’un des protagonistes :

« Recherche la beauté, qu’elle soit fille de la Nature ou de l’Artifice. Ne te contente pas d’être. L’animal est, quand l’homme devient ».

 

sam_ph_31252_cover1.jpgLe livre sur le site de SAMSA Editions

Le livre sur Amazon

Pour en savoir plus sur le roman sur le site de Philippe Remy-Wilkin

 

Philippe REMY-WILKIN sera ce dimanche 25 février en dédicaces de 11 h à 12 h 30 à à la Foire du Livre de Bruxelles 

Mardi 27 février 2018, il sera devant le micro de Gérard Adam en compagnie de Jean-Pol Hecq et Evelyne Heuffel (à 19h, à l’Espace Art Gallery) pour parler des rapports histoire/Histoire. 

 

2018, NOUVELLE ANNÉE LITTÉRAIRE : HISTOIRE EN IMAGES

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Après celle de Miles, de Kerouac et de Bowie, Yves Budin raconte l’épopée fulgurante de l’étoile noire qui illumina, l’espace d’une décennie, le ciel et les salles d’exposition de Manhattan. A grands coups de son gros marqueurs noirs, il réinvente l’ambiance des quartiers sombres de la Grosse Pomme, là où Basquiat passa en quelques années des graffitis muraux aux toiles pour milliardaires.

 

s189964094775898902_p849_i1_w2244.jpegVISIONS OF BASQUIAT

Yves BUDIN

Les Carnets du Dessert de Lune

« 1979. New York …. J’ai bientôt vingt ans…. Je glisse dans tes rues, dans tes veines…». Jean-Michel Basquiat s’est embrouillé avec Al Diaz, « SAMO IS DEAD » fleurit sur les murs de SoHo, ses aphorismes n’ornent plus les murs de Lower Manhattan, il vend des cartes postales dans downtown Manhattan, Andy Warhol lui en achète une. Yves Budin commence la biographie de l’artiste à partir de cette date, il a saisi son marqueur noir, le plus gros, un gros marqueur noir pour dessiner la vie fulgurante de Basquiat dans la ville noire, « New York est une truie qui a des pertes… », des pertes noires, « New York est une ruine, une déchirure qui suinte la pisse et l’héroïne ».

Après Visions of Miles, Visions de Kerouac, Visions of Bowie, Budin a décidé de visiter Basquiat, Jean-Michel Basquiat le fils d’un Haïtien et d’une Portoricaine qui, en un temps record, est passé du statut de zonard tagueur dans Manhattan à celui de monstre sacré de l’art contemporain, ses toiles atteignent des prix extraordinaires. Budin raconte en une soixantaine de planches la vie christique de cet artiste météorique qui a traversé New York, Manhattan, le Pop Art, les eighties, le marché de l’art comme une fusée interstellaire.

Yves Budin raconte ce parcours météorique en noir, un deux ou trois dessins par planches, du noir, du noir partout pour planter le décor, la ville qui a vu naître le héros, le héros comme un christ noir, comme la mort noire qui hante la ville et les salles des ventes. Des dessins noirs frappés d’une touche rouge comme une plaie qui saigne, qui saigne comme la souffrance de l’artiste. Et brusquement, une deux ou trois peut-être planches en couleur pour évoquer, certainement, l’œuvre de Basquiat. Et, un fil noir, pour fil rouge, des légendes aussi fulgurantes que la carrière de l’artiste : « La truie couine … Le cœur pompe et le sang n’est pas sain… », « Fractures, lésions internes, ablation de la rate … », « Il faut se transformer, se créer, s’inventer » …

Je ne vais pas vous raconter la vie de Basquiat vue par Budin, il faut la voir, la découvrir, la sentir, la ressentir dans les dessins, dans le texte. C’est une BD, plus qu’une BD, un coup de poing, un uppercut à la Cassius Clay, un document collector, l’expression d’une douleur, d’une souffrance, la trace noire laissée par un môme décédé à vingt-sept ans, la queue d’une comète noire ayant déchiré le ciel de Manhattan pendant une petite décennie, le temps de devenir une légende.

J’ai découvert Budin en 2016 dans l’évocation de Kerouac, aujourd’hui je découvre la légende de Jean-Michel Basquiat sous les traces de ses gros marqueurs noirs. Merci Yves pour cette évocation qui en appelle d’autres, d’autres légendes qui ont illuminé le ciel de notre jeunesse, de notre adolescence, de notre vie quand elle était plus jeune…. Jimmy, Janet, Curt, James et bien d‘autres dorment bien trop paisiblement au paradis des légendes.

 

yb1.jpgLES CARNETS DU DESSERT DE LUNE à la FOIRE DU LIVRE DE BRUXELLES

VISIONS OF BASQUIAT sur le site des Carnets du Dessert de Lune

YVES BUDIN [ci contre] sur le site des Carnets du Dessert de Lune

Un site francophone consacré à Jean-Michel BASQUIAT

 

2018, NOUVELLE ANNÉE LITTÉRAIRE : OBSCÉNITÉ LITTÉRAIRE

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par Denis BILLAMBOZ

Selon l’éditeur, ce texte est le plus obscène que Jacques Abeille a écrit, car sous le pseudonyme de Léo Barthe, c’est bien JACQUES ABEILLE qui se tapit, l’éditeur ne le cache même pas. Avec ce texte, l’auteur démontre qu’on peut aborder tous les sujets en littérature, ou presque, quand on a du talent et du doigté, et qu’on ne donne pas systématiquement ni dans la provocation, ni dans la basse vulgarité et pas plus dans l’étalage sordide des sentiments et des moeurs.

005282760.jpgL’ANIMAL DE COMPAGNIE

Léo BARTHE

La Musardine

Henriette et son mari sont aussi amoureux qu’au premier jour, ils ont une grande connivence surtout dans leurs ébats sexuels. Mais un jour, tout change, leurs amis, Georgette et Edmond, leur confient la garde de leur chien pendant un séjour loin de leur maison. Le chien se montre alors très affectueux et quitte difficilement les jupes d’Henriette qui éprouve des sensations qu’elle a oubliées depuis longtemps, des sensations qu’elle a connues quand, jeune adolescente, elle cherchait, avec ses petites amies, des réponses à leurs questions sur leur éveil sexuel en jouant avec un chien. Entre la femme et le chien, une véritable relation se noue, une relation qui se dénoue quand les amis rentrent de leur voyage. Mais Henriette n’a pas perdu le désir allumé par le passage du chien à la maison.

Georgette découvre vite qu’une relation particulière s’est nouée entre son amie et son chien, elle ne s’en offusque pas, elle préfère reprendre cette relation à son profit pour assouvir les fantasmes qui la hantent depuis longtemps. Georgette et Edmond se lancent alors à la recherche de leurs désirs inavoués profondément enfouis au fond de leur être, sous le regard de leurs amis. Cet épisode prend fin avec le départ définitif des propriétaires du chien au grand dam d’Henriette qui finalement décèle dans sa sexualité l’inclinaison qui lui permet d’obtenir l’extase sexuelle et l’épanouissement personnel.

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Jacques Abeille

L’auteur de ce texte sulfureux n’est autre que de Jacques Abeille qui signe pour la circonstance sous le pseudonyme de Léo Barthe. Ce livre choquera bien évidemment ceux qui se cantonnent dans une morale relativement stricte et conventionnelle mais pourra intéresser d’autres lecteurs à l’esprit très ouvert. Ce livre est à la fois obscène et très littéraire, Jacques Abeille use d’une langue très dépouillée même s’il ne rechigne pas à l’emploi de séries de trois adjectifs ou de trois termes pour décrire certaines choses ou impressions. Sa prose est très pure, ses mots sont d’une grande justesse, choisis avec grand soin, il démontre ainsi qu’on peut dire des choses tout à fait immorales avec la plus grande élégance. On le savait au moins depuis la lecture de Jean Genet.

Dépassant les considérations littéraires, on remarque que Léo Barthe ne se fourvoie jamais dans une vile pornographie, il raconte, il décrit, toujours très élégamment, les pulsions sexuelles qu’une femme éprouve, des pulsions qu’elle va chercher aux creux de son enfance et même au plus profond de la condition humaine. Une vraie leçon de tolérance à l’endroit de ceux qui trouvent leur plaisir dans des pratiques différentes, un message de liberté pour tous les autres qui feraient bien de ne pas contraindre leurs envies et de ne pas se fier à l’avis des autres. Mais, comme l’écrit le narrateur : « La liberté est une provocation » Alors, les préjugés et les condamnations que ces autres profèrent vivront encore longtemps !

L’oeuvre érotique de Jacques Abeille, alias Léo Barthe, sur le blog de La Musardine

 

LA FONTE DES GLACES de JOËL BAQUÉ

1389712.jpgManchots empereurs et chasseurs d’icebergs

Né en Afrique d’une mère carcassonnaise et d’un père comptable qui mourra écrasé par un éléphant qu’il voulait prendre en photo, Louis est un charcutier à la retraite qui vit chichement dans le souvenir de son épouse trop tôt disparue.  Un jour, il découvre sur une brocante un manchot empereur empaillé pour lequel il a un coup de cœur.  Cela va changer le cours de son existence. Il en achète bientôt onze autres qui, installés dans son grenier, vont former sa Dream Team près de laquelle il trouvera régulièrement refuge. Jusqu’au moment où le désir se fera pressant de rencontrer, dans leur milieu de vie, de vrais manchots empereurs. Pour ce faire, Louis quittera son pavillon toulonnais pour Ushuaia et découvrira avec l’aide d’un guide inuit une manchotière mais aussi le goût de vieux biscuits soviétiques qui joueront bientôt un rôle essentiel…
C’est la première étape du périple car, ensuite, il va embarquera pour le Nord canadien avec une journaliste à bord d’un chalutier appartenant à des chasseurs d’icebergs.
La suite apportera son lot de surprises qui contribueront à faire de Louis un héros de la cause écologique.

Hélas, le projet initial du retraité toulonnais de s’opposer au réchauffement climatique provoquant à terme la disparition de ses chers manchots empereurs se fondra dans l’entreprise commerciale dont il va être la dupe.

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Joël Baqué 

 

Le roman peine un peu à démarrer (cela tient sans doute aussi à  la façon d’écrire de Baqué qui confie dans un interview écrire sans plan préétabli et au fil de la plume) car Louis ne fait la rencontre motivant son engagement écologique qu’après une cinquantaine de pages et, même si les passages les plus jubilatoires sont ceux où Louis, aidé d’un homme d’affaires peu scrupuleux, atteint la gloire, jamais Louis ne redressera la barre de l’aventure qui lui échappe. Enfin, sans s’être jamais rebellé contre la situation, il finira par endormir paisiblement au milieu de sa Dream Team, faisant retour dans le rêve qu’il a nourri comme si, face à la machine infernale du capitalisme qui tire profit de toute velléité d’aller à contre-courant, d’inverser la marche du processus, l’humanité ne pouvait plus se bercer que d’utopie. 

Derrière la farce se profile, mais en demi-teinte, sur le mode de la loufoquerie, une critique cruelle mais jouissive de l’entreprise commerciale d’exploitation de la planète sans précédent à l’œuvre qui nous  pousse, à l’apathie, signe avant-coureur, sans doute, d’un endormissement généralisé de nos facultés d’agir.  

Éric Allard 

 

Le livre sur le site des Éditions P.O.L
Les ouvrages de JOËL BAQUÉ chez P.O.L

 

Joël Baqué parle de son roman


 

JOURNAL 2016 de THIERRY RADIÈRE (Ed. Jacques Flament)

Ljournal2016radie%CC%80re.jpg’année d’un écrivain

À la demande de Jacques Flament, Thierry Radière s’est plié, l’année 2016, à l’exercice du Journal. C’est l’année de la mort de Delpech, de Prince, de Butor, celle de l’attribution du Prix Nobel de littérature à Bob Dylan, celle de la lutte sociale contre la loi EL Khomri…  Ses notations sur les faits rapportés  sont surtout prétexte à des considérations personnelles et littéraires. Un Journal que je me suis vite surpris à lire comme une fiction, celle d’un enseignant, par ailleurs auteur, père, mari et homme attentif à son épouse, à ses enfants et amis écrivains. Jusqu’à attendre la dernière notation qui clôt la chronique de l’année comme elle l’a commencé par une considération d’ordre pratique portant sur les kakis accrochés aux branches du plaqueminier comme s’il fallait marquer le retour du même par une balise ouverte sur la nature, sur l’extérieur… 
Car on comprend que l’auteur a besoin de repères familiaux, amicaux, d’une relation enracinée dans le réel pour permettre à la fois de libérer son imaginaire et d’apprivoiser sa sauvagerie intérieure.

Thierry nous fait pénétrer sans effraction (ce n’est pas le genre de la maison) dans son univers familial mais aussi de son travail d’enseignant (avec des remarques fort pertinentes sur le métier et le milieu professionnel dans lequel il évolue) et son processus créatif d’écrivain, tout entier organisé autour de son amour de la littérature, entre écriture quotidienne et partage de lectures avec ses amis éditeurs, auteurs ou poètes, qu’il aime à citer à mesure qu’il reçoit de leurs nouvelles: Queiros, Roquet, Tissot, Rochat, Blondel, Vinau, Bergounioux, G. Lucas, Belleveaux, Emery, Perrine, Bonat-Luciani, Prigent, Goiri, Boudou, Prioul… Car, écrit-il, l’écriture d’un Journal a sans doute aussi cette fonction-là, entre autres, de mettre en relation des lecteurs et des références.

De temps à autre, il examine un concept à sa manière, il le sonde jusqu’à l’os et il en ressort des pages typiquement radieriennes qui rappellent ses nouvelles et ses poèmes. Il revient, un jour, sur l’écriture de Copies, où j’apprends qu’il s’agissait d’une œuvre de fiction alors que j’avais lu le texte comme un journal de correction d’un enseignant qui découvre par ailleurs l’amour.  Ainsi Thierry slalome, depuis ses premiers écrits publiés, entre fiction et réalité d’une façon tout à fait singulière où l’ancrage dans le quotidien est aussi fort que son imagination est échevelée, imprévisible. Y compris sa poésie dont il nous livre régulièrement depuis longtemps des extraits sur sa page Facebook. Au fil des pages de ce journal, il nous livre aussi deux nouvelles inédites : La canicule et La nuit.

Le 21 novembre, à un salon du livre, le député PS local (du parti du président Hollande à l’initiative de la loi El Khomri, à laquelle Thierry est hostile), Hubert Fourages achète sa plaquette Vos discours ne passent plus  (Microbe, 2015) qu’il a cité dans son discours inaugural. C’est une énigme pour moi, note Thierry. Ce texte est un recueil anarchiste… Le monde des gens qui nous gouvernent est décidément un univers que j’ai du mal à saisir.

Le 3 août, il note : « Avec le Journal, le moindre mensonge est tout de suite décelable. » Juste notation car, à moins qu’il s’agisse d’un journal fictif où l’écrivain voudrait afficher une image trompeuse, l’écriture d’un journal pousse le diariste à se confronter à soi-même sans faux-semblant et dans un souci de sincérité. Il se livre au lecteur tel qu’il se reconnaît au jour le jour ; c’est en cela que l’exercice est risqué mais exaltant.

Voici un livre qu’il faut lire pour découvrir Thierry Radière ou pour parfaire la connaissance qu’on aurait déjà de ses divers ouvrages, et en attendant le prochain. Pour approcher un peu mieux l’homme et l’auteur, savoir de quoi sa vie journalière est faite, de quoi se nourrit son imaginaire d’écrivain…

Éric Allard 

 

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« Il y a toujours comme un bruit de rêve dans les casseroles secouées de ma cuisine intérieure. » (2 janvier)

« Les enseignants ont souvent oublié les adolescents qu’ils furent. La fonction les a modifiés et ils attendent de leurs ouailles des prouesses qu’ils n’étaient peut-être pas capables de produire à leur âge. » (15 janvier)

« La publication est une drogue : plus on publie, plus on veut l’être. » (19 janvier)

« Rares sont les libraires offrant à leurs clients des petits livres qui sortent des sentiers battus. C’est cette littérature-là que Facebook m’a permis de découvrir. Je défends toujours ce réseau social quand il est attaqué. Qu’on choisisse de ne pas avoir de compte facebook parce qu’on n’a rien à y partager et qu’on ne veut pas passer sa vie sur un écran est un argument recevable et compréhensible. En revanche, prétendre que facebook est une perte de temps – si on a des créations à partager  et d’autres à aller voir – est totalement aberrant. » (6 mars)

« … en général, les profs de français ne lisent pas, j’avais oublié, et encore moins des poèmes.  »  (10 mars)

« Je me disais que vivre, c’était peut-être meubler son vide à longueur de temps,  que sans ce réflexe de décor intérieur, je finirais par m’appauvrir et à être de plus en plus envahi par l’inaction et la paralysie des sens. » (11 mars)

« Les coquilles ont la vie dure, elles s’accrochent toujours à un endroit qu’on pensait pourtant vierge de toute imperfection. » (6 avril)

 « La rentrée scolaire commençait ce jour-là : en mille neuf cent soixante-trois. Mémère ne s’est pas trompée : je suis né à minuit quarante-cinq , à quelques minutes près et je n’ai fait que cela depuis que je suis né, aller à l’école. » (16 septembre)

« Je trouve mon équilibre pressé entre prose et poésie. Je distille le jus de cette pression abstraite entre images figuratives et phrases intempestives. Entre instantanés et longs métrages. Entre pointillés figés et tracés  sinueux. Ainsi brinquebalé d’une pulsion à l’autre, je rejoins peu à peu mon obsession de toujours : trouver une certaine forme d’équilibre et m’en contenter afin de me sentir bien intérieurement. » (20 novembre)

 

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LIENS

 

Le livre sur le site des Éditions Jacques Flament

THIERRY RADIÈRE sur le site de La Maison des écrivains et de la littérature

Sans botox ni silicone, le blog de THiERRY RADIÈRE

 

LE MILIEU ÉDITORIAL FRANCO-BELGE ET LA COLLABORATION

 philippe-rw-c3a0-brighton-gb-nov-09-photo-gisc3a8le-wilkin.jpgpar Philippe REMY-WILKIN

Brouillards de guerre est un très beau titre pour un roman… qui n’en est pas un. Quoiqu’il en épouse souvent l’allure. Mais. L’auteur, un essayiste, nous offre un mélange de genres. Des trames biographiques, romanesques, se faufilent à travers des chroniques. Paris et Bruxelles sous l’Occupation, entre 1942 et 1945. Mais oyez, oyez, lecteurs ! Le voyage sera sidérant !

 

 

sam_ph_31450_cover1.jpgCinq cents pages ! Un événement en soi, quand nos auteurs ou éditeurs rechignent à dépasser les deux cents. Une ambition rare a donc précédé l’œuvre, une immense collecte d’informations y est chevillée. Mais « l’Esprit souffle où il veut », aurait dit Jésus. Quand Barrès lui rétorquait, à deux mille ans de distance : « Il est des lieux où souffle l’Esprit ». Eh bien, disons-le haut et clair, ce livre est l’un de ces lieux, un souffle traverse ces pages, les animant comme les voiles d’une caravelle tournée vers le Nouveau Monde.

Les premières lignes, fluides, nous projettent dans un roman historique :

« La jeune femme descendit du tram devant le théâtre du Parc, face au Palais de la Nation qui abritait le Parlement et le Sénat, et se dirigea vers le coin de la rue Royale et de la rue des Colonies. Un grand drapeau à croix gammée flottait légèrement en cette douce matinée de printemps devant la façade du bâtiment rendu inutile par la défaite et l’Occupation. »

On vit de plain-pied la rencontre entre une créatrice mue par l’ambition et son éditeur, toutes les émotions et pulsions qui affleurent :

« Elle croisa les jambes et posa son sac sur ses genoux. Colin transpirait un peu à la vue de cette belle et fraîche jeune romancière. Bien qu’il la connût depuis quelques années déjà, elle lui faisait toujours autant d’effet. (..) Elle se sentait si reconnaissante qu’elle était prête à toutes les concessions face à ce gros mâle concupiscent (…) De quoi parlait-il ? Sa bouche grasse luisait. Il avait fait rouler l’expression sur sa langue, comme une plaisanterie salace parce qu’elle était une femme… « La première fois »… C’est tentant de faire le rapprochement… Ils ne pensent qu’à ça, se dit-elle. Ils n’y peuvent rien. C’est glandulaire. Glissons. »

On songe un instant à l’actualité, aux affaires Weinstein et Spacey, l’arrivisme et la prédation, etc. Mais nous ne sommes pas dans un roman, ou alors un roman arcbouté au Réel ?, la jeune beauté n’est pas une créature chimérique ou quelque obscure écrivaillionne, non, c’est l’une des plus grandes plumes de notre Histoire littéraire, Dominique Rolin*, adaptée au cinéma, mystérieuse compagne des décennies durant du (trop ?) célèbre Philippe Sollers. Face à l’éditeur de son premier roman, Paul Colin, un collaborateur de la pire espèce, malveillant, antisémite.

Le portrait de Rolin, en quelques pages, est fracassant. Une égocentrique uniquement préoccupée par sa réalisation personnelle, qui se fiche de la politique (et donc du sort des autres) comme d’une guigne, ne voit ses interlocuteurs que dans leur rapport à elle et à son œuvre.

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Maxime Benoît-Jannin

Une biographie sans fard de l’autrice (osons ce mot féministe !) de L’Infini chez soi ? Non, la scène s’élargit rapidement, les acteurs défilent. Rolin voyage vers Paris et y oublie son mari dans les bras de l’éditeur parisien d’origine belge Robert Denoël, mais voilà qu’apparaissent des célébrités du temps ou futures, le récit explose en sillons multiples, la polyphonie s’installe, c’est une ère entière qui ressuscite. Nous pénétrons dans les atermoiements d’Elsa Triolet et Louis Aragon, sortons au café avec Sartre et Beauvoir, surprenons la première rencontre de celui-ci avec Albert Camus, écoutons atterrés les propos antisémites de Céline et Rebatet, les échanges sur la littérature entre Paul Valéry, Gaston Gallimard et Denoël, observons à la loupe Cocteau et Eluard, Max Jacob et Jean Genet… dans des rues, des soirées hantées par des silhouettes en uniforme vert de gris.

Comment décrire la submersion qui nous engloutit délicieusement ? Des biographies se croisent et se décroisent, se superposent parfois (les amours axiales de Rolin et Denoël, Valéry et Jeanne Loviton, Denoël et Loviton) mais explosées par l’irruption du Temps : articles de presse, recensions de spectacles, de procès, etc.

Benoît-Jeannin tient du démiurge, il y a une tentation proustienne à l’œuvre, un fil glisse du sillage de Rolin (quel beau film eût écrit un Truffaut à partir des premières scènes !) pour embobiner un univers, une époque. Qui jaillit sous nos yeux hallucinés tel un Titanic remontant des profondeurs océanes pour retrouver sa trépidation.

Il y a un bémol. Parfois, aspiré par une trame narrative, on est pressé de lire la suite mais l’auteur privilégie la reconstitution panoramique et nous voilà séparé du roman par la chronique pure et dure. Qui intéressera davantage le féru d’Histoire que le lecteur d’histoires. Ainsi, accompagnant Paul Valéry aux concerts de la Pléiade, on en découvre le programme :

« Emmanuel Chabrier, Trois valses romantiques (Jean Françaix et Soulima Stravinski).

Michel Ciry, Madame de Soubise (paroles d’Alfred de Vigny), (Paul Derenne et Francis Poulenc).

Erik Satie, Trois morceaux en forme de Poire (Simone Filliard et Francis Poulenc).

Etc. »

Oui, parfois, reprenant son souffle, on s’interroge. Que lit-on ? Un roman, des romans, des biographies, des chroniques, une étude historique, des micro-essais, des nouvelles ? Et il y a tout cela. Mille manières d’aborder le thème central : la reconstitution d’un monde perdu, peuplé de fantômes et d’ambiguïtés sur la nature humaine, mais une reconstitution d’une essence supérieure, où le Vrai se révèle sans maquillage. Comme si l’ouvrage de Benoît-Jeannin accrochait ses lecteurs à une caméra et un micro pour les projeter via une machine à remonter le temps au cœur des événements.

Si l’on intègre la profusion du contrepoint, l’entreprise est globalement passionnante. Car l’immense puzzle vaut à la fois par sa vision d’ensemble et l’enseignement qu’elle délivre mais, tout autant, par l’appétit suscité par une infinité de ses pièces/fragments narratifs, qui transportent intrinsèquement et indépendamment du Tout. On sera donc happé par des épisodes de la Résistance (l’assassinat de Paul Colin, les prouesses de notre aviateur Jean de Sélys Longchamps, l’attaque d’un train destinée à sauver un convoi de Juifs, etc.), des énigmes policières qui incendient justice et médias, les affres des vies privées de célébrités monumentalisées par l’Ecole ou l’Histoire soudain incarnées, mais on sera déstabilisé par la teneur des textes publiés par les autorités, les journaux, la plongée au cœur de la collaboration, qu’elle soit abyssale ou en méandres sournois, pusillanimes. On est surtout sans cesse surpris par l’auteur et ses mille angles d’attaque. Ainsi, à la page 154, un texte rédigé par un journaliste de province, un hommage courageux à l’une des victimes des arrestations arbitraires :

« Harry Baur vient de mourir ; mais le cinéma, qu’il a marqué de sa puissante personnalité, lui assure une longue survie.

Il y a quelques années, j’ai pu observer Harry Baur au cours d’une répétition. Congestionné, couvert de sueur, il attaquait d’intangibles difficultés, se donnait corps et âme, sans réserve, sans prudence pour sa personne, sans ménagement pour sa santé : toute intelligence, toute sensibilité à découvert (…) J’ai vu Harry Baur porter seul le poids d’une pièce, élever celle-ci au-dessus du sujet, créer autour du texte son œuvre à lui et, par son jeu, rejoindre la vie dans ce qu’elle a de plus secret. Je l’ai vu gravir avec acharnement le dur chemin de la perfection. »

Micro-essai, somme toute, sur l’Art, ode à l’investissement du véritable artiste, qui atteint une dimension métaphysique.

La suite ? Un déferlement d’informations, de réflexions et d’émotions. Où l’on mesure comme rarement l’impact de l’antisémitisme vichyste, des compromissions opportunistes, des fanatismes idéologiques. Et je doute qu’on puisse encore lire Céline (et même son Voyage) ou Rebatet (j’adorais son Histoire de la Musique) comme si de rien n’était… Un kaléidoscope, où le didactique est rarement pesant, où les sensations fugaces d’une force centrifuge s’évanouissent devant la perception du projet créateur, une puissance centripète servie par une écriture belle et limpide. On lit plusieurs livres à la fois mais ceux-ci sont les instruments d’un même orchestre, au service d’une composition unique.

In fine, on se surprend à applaudir l’auteur et son éditeur (Christian Lutz) qui ont osé aller à contre-courant des normes et des habitudes pour nous offrir un ouvrage épatant, époustouflant, l’une des rares productions de ces derniers mois qui doivent impérativement trouver niche dans toute bibliothèque humaniste. 

Ph. R.-W.

 

* Dominique Rolin était l’autrice (je persiste, féministe !) préférée de mon épouse vers ses vingt ans et sa lecture me marqua.

 

sam_ph_31450_cover1.jpgMaxime Benoît-Jeannin

Brouillards de guerre

Editions Samsa, roman, 2017

500 pages

 

Sur l’auteur et son œuvre, un complément d’information à lire sur le site de l’éditeur SAMSA

 

AU CREUX DU SILENCE de MARCEL PELTIER (Éd. du Cygne)

DS4C8fdW0AY6rgi.jpgLA VIE BRÈVE

Depuis près de vingt ans, Marcel Peltier écrit des haïkus et s’interroge à leur sujet, ne se contentant pas de la forme fixe établie, remettant en cause les classiques vers de 5/7/5 pieds supposés être dits dans un souffle.

En prenant appui sur les travaux oulipiens de Roubaud ou Le Lionnais, et dans le sillage des quanta(s) de Guillevic,  il réduit ici encore la forme brève, cherchant, sur le mode de l’essai et de l’erreur, en mathématicien qu’il est, la formule qui mêle le minimum de mots avec le maximum d’efficacité, tout en demeurant dans l’esprit zen présidant à l’écriture de haïku : notation sur le vif qui privilégie la sensation sur l’intellect.

En six mots, parfois moins, rarement plus, suivant la contrainte qu’il s’est fixée, il délivre des instants volés à son quotidien.

Attentif aux sons, aux contrastes visuels, aux perceptions minuscules qui trahissent un état d’âme plus qu’elles ne l’expriment, c’est le non-dit, l’oiseau de la sensation que traque Marcel Peltier dans ces exercices journaliers (la pratique du haïku procède du journal, extime, on dirait ici, en citant Tournier), ce qui transparaît du caché, sans souci de psychologie.

On ne peut s’empêcher de penser à l’aphorisme wittgensteinien : Ce dont on ne peut (bien) parler, il faut le taire.  Dans le rendu du sujet, rien ne doit transparaître de l’inconscient de l’observateur pour que la flèche des mots atteigne le coeur de cible.marcel_peltier.jpg

Même si on peut penser qu’à travers ses nano-poèmes, Marcel Peltier dit, en creux, des choses de lui mais non identifiable de prime abord. Il ne s’agit pas de rendre compte d’une personnalité dont on sait qu’elle est fluctuante, de l’ordre d’une caractérisation sociale, mais juste de glaner un geste, une position, de surprendre une expression faciale, un tropisme. Ou bien encore de donner des yeux aux choses inanimées…

Le haïku est l’instrument de la surprise, de l’étonnement, de l’éphémère. Tel un photographe de l’indicible, Marcel Peltier capte des instants de vie, saisit des petits riens qui font sens le temps d’un surgissement (ou d’une éclipse).  

Des haïkus desquels ne sont pas exclus, loin de là, l’érotisme, l’humour, l’esprit caustique, la satire sociale, l’émotion voire le tragique d’une existence, la trace d’un deuil… Le propos n’est jamais de poser un jugement sur les faits observés, tout au plus d’émettre un soupçon empathique, une proposition face à l’éventail des possibles.

De la sorte, Marcel Peltier est toujours en équilibre sur le fil du silence. C’est de là, du silence, de cette faille, qu’il épie sans espionner les reflets du monde nouménal qui marquent à la façon d’une trace fugitive le miroir des jours pour dessiner une image avec une rare et précieuse économie de mots. Car la vie est brève et l’écriture sans fin.

Éric Allard 

 

AU CREUX DU SILENCE sur le site des ÉDITIONS DU CYGNE

DÉCANTATION DU TEMPS de MARCEL PELTIER aux ÉDITIONS du CYGNE

L’ATELIER PELTIER, mon article sur le travail de Marcel Peltier (sur Ecrits-vains)

 

EXTRAITS

 

Crépuscule,

Les choses se cachent

   Sans un bruit.

 

 

Envol,

rendez-vous

Manqué.

 

*

 

Du chocolat sur

 ses lèvres.

 

 *

 

Une chape de silence,

vieilles photos

 

 *

 

La pénombre,

frôlement légers

Des tissus

 

*

Rosée,

mes chaussures

Lavées.

 

*

Table d’hôte,

les invités sont

Les mésanges.