LE COUP DE PROJO D’EDI-PHIL RW SUR LE MONDE DES LETTRES BELGES (mars 2018, 2/2)

LE COUP DE PROJO d’EDI-PHIL RW sur LE MONDE DES LETTRES BELGES 

(mars 2018, 2/2)

 

image.pngDans ce deuxième volet, il est question des livres d’Éric Allard, Unimuse et Françoise Lison-Leroy.

 

Éloignons-nous légèrement de l’actualité immédiate pour évoquer des livres parus en 2017.

 

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cover-minute-d-insolence.jpg?fx=r_550_550Eric Allard. Un petit recueil (88 pages en format réduit, quasi ludique) paru chez Cactus Inébranlable éditions avec un joli titre : Les écrivains nuisent gravement à la littérature. On ne va pas passer la brosse à reluire au leader de ce blog (que je vois comme une plateforme culturelle et créative), qui nous fait en sus le plaisir et l’honneur de nous citer en page de garde… mais tout de même ! L’objet est esthétique, le travail éditorial de qualité, on ne distingue pas ces coquilles qui pullulent chez d’autres, la mise en page est agréable.

Quant au contenu… Il est à l’image de son auteur. C’est-à-dire ? Le talent est omniprésent, dans l’écriture ou l’inventivité, mais il faut le débusquer derrière le facétieux, cette impression qu’il ne faut pas se prendre au sérieux mais

contrepointer le réel ou le détourner par le biais de l’humour, en amenuiser la gravité ou les travers : « Les jurés du Prix du Meilleur 100e roman ont peu de livres à lire. »

Des aphorismes, surtout, impertinents et drôles. Mais pas que. Entrecoupés de « texticules » variés. Le tout au service d’une mise à jour de l’univers éditorial, traqué dans ses noirceurs ou ses mesquineries, ses échecs : « Devant le passage à niveau des Lettres, je regarde passer le train des écrivains. » ou (plus amer mais très réaliste) « Cet auteur très prolifique publie un gros volume sobrement intitulé : BIBLIOGRAPHIE. A paraître, du même, le très attendu : FUTURES PARUTIONS. »

Mais pas que. L’auteur navigue au gré des vents (de son inspiration) sur l’océan du milieu en s’abandonnant à des pauses plus enjouées voire lyriques : « Cette écrivaine qui rêve d’être toute entière (de la bouche au pubis) transformée en mots me rend livre de ses lèvres et de sa peau page. » ou « J’aime les poétesses toutes lues qui m’offrent un dernier vers. ». La pudeur laisse même filtrer à l’occasion une envolée humaniste (désabusée par l’observation clinique ?) : « J’ai rêvé d’un écrivain en place qui accepterait en première partie de ses livres des nouvelles de jeunes auteurs et qui, en cas de prix, partagerait avec lui… »

A déguster en gourmet, quelques pages à la fois, comme un vieux Porto. En laissant pointer la deuxième vague des saveurs, son esquisse philosophique ou éthique.

 

Cartographies picardes. Une publication d’Unimuse, qui regroupe vingt-et-un auteurs de Wallonie picarde. On y retrouve avec plaisir des textes des pointures de la région de Tournai : Colette Nys-Mazure et Françoise Lison-Leroy, Michel Voiturier et Marie-Clotilde Roose, Colette Cambier, etc. On regrettera l’absence d’une Régine Van Damme. Mais, comme moi, elle a beau être du pays, elle n’appartient pas à la famille Unimuse sans doute, qui se réunit une fois par mois autour de Marianne Kirsch, elle est plutôt romancière aussi, quand la plupart des auteurs, ici, sont poètes. Le principe ? Une plume (ou un clavier ?) évoque un coin du Tournaisis. J’ai apprécié me balader dans mes terres de racines en compagnie de mes pairs, particulièrement aimé le texte de Michèle Vilet, que je ne connais pas du tout (quoique le nom me rappelle celui de mon directeur d’école primaire, à Béclers). On notera qu’un petit village comme Blandain peut s’enorgueillir de posséder deux grandes dames des lettres francophones de Belgique : Françoise Lison-Leroy et Marie-Clotilde Roose. A la place du bourgmestre, je songerais à rebaptiser deux rues et à honorer la Beauté et l’Esprit. Mais les lois belges n’y mettent-elles pas

obstacle en imposant un délai de cinquante ans entre la mort d’une personnalité et l’attribution de son nom à un espace public ?

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On recule encore un peu, pour relire un opuscule datant de 2015, et terminer cet article en beauté.

 

9782856681978.jpgFrançoise Lison-Leroy, Le silence a grandi. Un recueil paru chez Rougerie, primé à Paris. Une couverture dépouillée, blanche, une mise en page sobre mais efficace, un texte par page, resserré, appliquant quasi les principes du Yin et du Yang, le rapport contrasté du noir et du blanc, du vide et du plein, de l’absence et du sens. Dédié à un poète décédé en 2008, Paul André.

Je ne lis pas souvent de poésie et n’en suis pas expert. Mais je lis beaucoup et vis dans l’Art du matin au plongeon abyssal dans la nuit, ce qui compense un peu et autorise un avis, en toute humilité.

Mon ressenti ? Je n’ai pas tout compris, mais est-ce nécessaire ? Un peu comme en religion ou dans ce qui touche au sacré, il y a une sensation délicieuse à se sentir dépassé, amenuisé face au Mystère. Qui vous prend par la main pour vous redresser ensuite, vous porter vers les nues et le dépassement, l’élévation, vous envoler.

Alors que tant d’auteurs en quête d’identité se réfugient dans la poésie ou la nouvelle par manque de temps, de souffle ou de talent, y enfouissant/dissimulant les limites de leur langue ou de leur imagination, il est de vrais poètes et nouvellistes, qui portent à bout de bras le Graal transmis par des Baudelaire, des Villiers, qui ont ce talent de décaper la phrase et le mot, de réinventer la langue, le sens, l’émotion avec intensité, densité. Françoise Lison-Leroy est de cette eau-là, on est fasciné/happé, dès les premiers mots, par la Beauté, inouïe : « Vous êtes le prince enfui qui n’a lieu pour personne. »

Tout est du même acabit, ciselé et perforant : « Le silence a grandi. Vous en ouvrez la porte, désormais, comme on plonge en un saut dans une galaxie. »

J’adore certains passages. Comme celui-ci, dont j’eusse apprécié qu’il me fût adressé : « Vous étiez cet enfant grave et songeur, tendu vers l’improbable. On vous disait céleste, arrogant. On vous guettait aux abords des nuages. Vous interrogiez les cailloux, les fourmis ailées, la flaque aux merles tapageurs. Et le cœur piquant de la renoncule. »

Plus loin, magnifique encore : « Vous édentiez les barreaux, piégés entre l’azur et vous. On ne vous connaissait pas de geôlier. »

Ou : « Vous étiez ce champ libre qu’une averse féconde, ce creuset voué aux partitions. », « Vous trouviez dans les livres ce qui ne se dit pas. Les mots du torrent oublié. », « Comme vous, demeurer en chantier. (…) Ce qui s’achève est

mort. », « Et nous, cueilleurs de lunes et d’équinoxes, nous reprendrons nos filets haut perchés. »

Un recueil et une autrice à lire d’urgence ! Pour s’arracher aux contingences, se confronter à la Grâce, à l’Essence.

 

Le blog de Philippe REMY- WILKIN 

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