par DENIS BILLAMBOZ
Pour inciter le printemps à manifester un peu plus de vigueur, je lui ai adressé quelques poésies publiées depuis moins d’un an. Je doute que ma manœuvre obtienne un quelconque résultat mais c’est toujours bien agréable de lire un peu de poésie. Dans cette chronique, j’ai rassemblé des textes forts différents : Fanny Chiarello et Hervé Bougel, tous deux édités aux Carnets du Dessert de Lune, Tom Buron qui publie chez Maelström et enfin Jean Portante, le premier Luxembourgeois qui prend place sur mes listes. Une longue chronique, un petit marathon de poésie !
PAS DE CÔTÉ
Fanny CHIARELLO
Les Carnets du Dessert de Lune
La poétesse a la délicatesse d’informer le lecteur que son recueil écrit en vers très libres, sans ponctuation, ni rime, ni majuscule, sans effets particuliers, des vers qui fusent et scintillent, raconte une histoire d’amour, la relation passionnelle qu’elle a connue l’espace d’un peu plus d’une demi année. « Ce recueil est le journal d’une relation vécue de juin 2006 à février 2007 ». Cette version est celle de l’auteure, écrite après qu’une version à deux voix ait été rédigée par les deux protagonistes sans que je sache si elle a été publiée.
Même si ce n’est pas le premier recueil de Fanny Chiarello que je déguste, pour appréhender cette aventure sentimentale, dans toute son intensité, dans toute sa brièveté, dans toute sa plénitude, j’ai lu avec attention la préface d’Isabelle Bonnat-Luciani dont j’ai déjà eu l’occasion d’apprécier le talent et l’expertise en matière de poésie amoureuse libre et même débridée. Elle donne de très bons indices pour mieux connaître la poétesse : « Chez Fanny Chiarello, tout est affaire de maintenant, d’autant que le pire est toujours certain ».
Maintenant, c’est la passion que l’auteure a connu pour une femme qu’elle appelle toujours vous comme pour laisser croire qu’il y aurait une distance entre elle et cette autre, une différence d’âge, de classe sociale, … ? Ou autre chose encore.
« nos corps salés se joignent sur la
serviette où se dessinent
des continents nouveaux et parmi
eux nos corps dérivent aussi »
Une passion pain d’épice, pour évoquer cette autre métisse, une passion ferroviaire car si l’auteure habite du côté de Loos, comme ses mots l’indiquent, l’autre habite à l’autre bout de la France, dans le Sud, vers Montpellier. Et les mots et les vers se baladent entre les gares, les TGV, les trains moins prestigieux, les rendez-vous à Paris, à Lyon, ….
« je prends des trains pour aller découvrir
qui vous êtes quand vous ordonnez
le monde autour de vous »
Mais la distance distend la passion, étire les sentiments, et la poétesse comprend que l’amour qu’elle vit ne sera qu’éphémère. Chacune est trop attachée, trop identifiée à son territoire, trop marquée par son milieu pour l’abandonner et rejoindre l’autre.
« alors je dois comprendre que nous ne vivrons pas
sous les mêmes ciels nos vieilles années
je dois comprendre que vous appartenez à ce territoire
Tout autant que j’appartiens au mien …. »
Comme l’a si bien dit Isabelle Bonnat-Luciani, cet amour est un amour de maintenant, pas un amour de demain, de plus tard, de quand on sera vieux, c’est un amour à consommer sur place, les voyages, les trains l’usent trop vite. Fanny c’est une fille d‘aujourd’hui, elle consomme au jour le jour même si elle souffrira très fort au moment de la rupture. C’est un cœur débordant de sensibilité jusqu’au bout de sa plume, une sensibilité qu’elle déverse sur la feuille en des jets spontanés, comme des mots qu’on crache dans la frénésie de l’amour, de la douleur ou de la colère.
Lire Fanny Chiarello, c’est croire que l’amour peut surgir n’importe quand, n’importe où, disparaître aussi vite mais renaître ailleurs tout aussi site. Ce n’est surtout pas attendre éternellement l’aventure qui sera la bonne. Ou le moment qui sera le bon pour dévorer ce recueil.
Le livre sur le site de l’éditeur
LES CONTINENTS
Hervé BOUGEL
Les Carnets du Dessert de Lune
Ce recueil de dix-sept poèmes comme autant de voyages en train à travers la France et la Belgique mais surtout à travers la mémoire de l’auteur comme le suggère le rédacteur de l’avant-propos, Jean-Louis Jacquier-Roux, : « il voyage plus à son aise dans ses rêves, dans ses souvenirs et dans le vif de ses pensées qu’au gré de la réalité banale d’un Paris-Lyon à quinze euros… », évoque pour moi une célèbre comptine que nous chantions à nos enfants quand ils étaient tout petits. Les vers d’Hervé Bougel ne comportent que quelques pieds : trois, quatre, cinq, six, rarement plus, ils rythment les poèmes comme les « cliqueticlac » scandaient la comptine qui est remontée à ma mémoire :
Cliqueticlac
« J’ai parcouru
Les continents
Ce train avance
Dans un clair obscur
Dépassé
Outrepassé
…. »
Cliqueticlac
Ainsi, en l’espace d’une année, du 20 juillet au 24 juillet de l’année suivante, je suppose car rien ne l’indique, le poète a parcouru de long en large, en travers, en grande vitesse, en petite vitesse au gré des trains qu’il pouvait emprunter, la France profonde et la Belgique tout aussi provinciale, la campagne aux noms chantants qui donnaient un peu de musique à nos cours de géographie. Son voyage commence à Najac/Laguépie et le ramène à cette même gare après avoir visité Namur et Charleroi, Voiron et Grenoble et bien d‘autres gares au nom fleuris. Le poète se régale de ses noms qui chantent, donnant de la couleur à son voyage.
« Je désire traverser
La province
La belle jaune
Meuse
A jamais
Endormeuse
Puis
Namen
Ottignies
Et Gembloux
… »
Où il peut saluer un autre poète :
« Sur les doutes
Et les espérances
De William
Cliff l’ancien
Jeune homme
Traînant
… »
Mais le voyage ce n’est pas que les gares, c’est aussi les paysages qui défilent, les passagers qui se pressent, un spectacle permanent qui s’offre au regard.
« Je ne vois plus
Ni le ciel
Ni l’avenir
Maisons de terre
Tordues
Tours de Pise/pisé
Ici au long
Des voies
La vie est si vite
Epuisée
… »
Ainsi, au rythme d’une comptine, le poète nous fait visiter les dix-sept continents de son recueil, comme autant d’expéditions ferroviaires, laissant défiler les images, sans que nous ne bougions même le plus petit de nos orteils.
Le livre sur le site de l’éditeur
NOSTALJUKEBOX
Tom BURON
Maelström
Si ma mémoire ne me trahit pas, elle en a l’âge, je me souviens que, dans Sur la route, Jack Kerouac raconte une rencontre, dans un bar miteux aux confins de la frontière mexicaine, entre son héros et un joueur de trompette qui l’enchante. Il l’encourage de la voix en lui criant « souffle ! souffle ! … » J’ai eu un peu l’impression de revivre cette scène en lisant le second texte qui compose ce recueil et qui est dédicacé au saxophoniste argentin récemment décédé Leandro Barbieri mais l’incitation criée par l’auteur est beaucoup plus virulente :
« RajoRAJORAJORajoRajoRajo !
comme un chat des Andes en transe parcouru par le souffle grain déchirant des âmes amérindiennes free jazz colons hispaniques blackmen fabuleux… »
Mais avant cet hommage au saxophoniste argentin, figure dans ce recueil un beaucoup plus long texte que le préfacier, Jack Hirschman, considère comme un poème qui se « structure autour d’un refrain – non pas un refrain de deux lignes, mais une séquence entière – qui se présente en contrepoint d’une série de couplets ».
Dans ces couplets, Tom Buron exprime ses états d’âme comme un jazzman adepte du free jazz le plus fou jette ses sonorités dans des rips les plus effrénés. Ces textes sont désespérés comme un blues primitif qui chante la condition à laquelle l’esclave n’échappera pas mais aussi la nostalgie de toute une époque, celle de l’apothéose du jazz, quand les quarante-cinq tours garnissaient les jukebox de tous les bars.
Selon Hirschman, Tom Buron est un « poète qui plus est qui assimile le jazz à la poésie, Buron représente la contemporanéité de demain… » Pour lui donc, demain se vivrait aujourd’hui ou jamais, « No futur’ comme certains disaient à une époque peut-être pas révolue. On ne sait ! Alors écoutons une fois encore le refrain de ce poème présenté comme un chant par l’auteur :
« Nostaljukebox
Fumant de fulgurances,
Allons jaser sur les variations
Nostaljukebox ».
Enchaînons en écoutant la musique des vers de Buron, des vers aussi débridés, aussi libres et sonores que, selon le préfacier, le jazz d’Amiri Baraka. Ce recueil s’écoute comme il se lit, avec le cœur et avec les tripes.
Le livre sur le site de l’éditeur
LA TRISTESSE COSMIQUE
Jean PORTANTE
Editions Phi
« Voici le livre de la réorientation de l’écriture », dit le poète, de la réorientation de son écriture, dans un « avant-dire » en forme d’avant-propos, il situe ce recueil dans le temps est dans son œuvre. Il vient après un long travail destiné à dire des choses du nord avec des respirations du sud. Jean Portante a des racines italiennes qui l’ont abondamment inspiré dans son œuvre jusqu’à ce que la terre tremble dans sa région d’origine. Il dit que ce tremblement de terre de l’Aquila a fait trembler son écriture. « La Tristesse cosmique est le premier livre de poèmes de l’après-vertige », de l’après tremblement, de l’après catastrophe. Il va chercher chez Jack London le titre de son dernier recueil, à ce jour, pour bien montrer cette rupture avec l’habituelle orientation nord-sud, Italie-Luxembourg, qu’il donne à son œuvre. Il précise cette nouvelle orientation en inscrivant la citation de Jack London en exergue à ce recueil : « La tristesse cosmique qui de tout temps a été l’héritage de l’homme ».
Et cette tristesse cosmique, il va la chercher dans la nature, dans les éléments, dans « Le vent et la rose » où le vent souffle dans presque que chaque poème pour chasser les pensées nostalgiques et apporter sur ses ailes des sensations et des émotions nouvelles, comme des réorientations qui pourraient infléchir la vie de l’auteur. « L’oiseau migrateur » est lui aussi un vecteur de sensations nouvelles comme le « Semeur d’étoiles » ou les « Etoiles filantes » et le « Nageur d’ombre ». Tous ces vecteurs cosmiques sont les titres des chapitres de ce recueil.
Et, tout l’art du poète est d’établir une corrélation entre les éléments qu’il interroge et les mots qu’il disperse sur la feuille.
« …
et les mots plus secrets que les fruits
glissent leur haleine dans la pluie
bavardes les gouttes qui tombent
comme si un mangeur de silence les comptait. »
Ces mots constituent son seul viatique pour affronter le temps et repousser la mort, celle qui a été si gourmande à L’Aquila et qu’il veut oublier.
« car vois-tu lors qu’on remonte vers la nuit
On lève le regard pour recompter les étoiles
C’est ainsi que vient la tristesse et si là-haut
Rien ne bouge à quoi aura servi de mourir si tôt. »
J’ai lu ce recueil plein d’une douce musique aux couleurs d’une mélodie italienne, rempli de sagesse et de paix, comme une profession de foi, comme une ode adressée à dame nature pour solliciter son appui pour vivre un changement, aborder une nouvelle vie, et oublier d’anciennes craintes, d’anciens traumatismes vécus dans un autre temps et dans une autre direction.
Le livre sur le site de l’éditeur