DEUX NOUVEAUTÉS DES CARNETS DU DESSERT DE LUNE, par Philippe Leuckx

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Philippe LEUCKX

DANS L’ODEUR DES LIVRES ET LE PARFUM DU PAPIER D’ARMÉNIE, des Entretiens avec JEAN-PIERRE CANON, libraire de « La Borgne Agasse » 

Serge Meurant, poète, et Frédérique Bianchi se sont entretenus avec ce libraire-bouquiniste vraiment pas comme les autres, à l’expérience quasi mythique. N’a-t-il pas correspondu avec Henry Poulaille, préfacé Neel Doff, conservé dans ses caves nombre de correspondances d’écrivains, reçu poètes et romanciers à son enseigne, Pirotte, Dhôtel… ?

Le petit volume de 48 pages, au-delà des photos (e.a.d’André Dhôtel), est édité dans une très belle typographie (American Typewriter) qui donne à la lecture ce surcroît d’intérêt et d’esthétique.

On plonge dans ces entretiens comme on fouille dans les caisses de livres à la quête du volume rare, ou précieux, ou introuvable ailleurs.

L’Agasse, du wallon, est une pie et, l’auteur ne le précise pas, aussi un morceau de terrain agricole mal hersé (laisser des agasses).

La boutique, chère à Perec, la boutique d’envol des mots, la boutique pourvoyeuse de merveilles (de Twain à Pirotte, en passant par la littérature prolétarienne – fer de lance de la bouquinerie, qui en est à sa quatrième adresse bruxelloise) recèle des trésors.

Le livret le rappelle, avec une dose de fraîcheur, d’histoire littéraire et de convivialité. Car notre libraire est un hôte évident.

Feuilleter les premières pages du livre

Bouquinerie La Borgne Agasse

***

LA QUINCAILLE DES JOURS de FRANCESCO PITTAU paraît dans une belle collection presque carrée, Pleine Lune, postfacée par l’écrivain Gil Jouanard.

99 poèmes sont proposés à la lecture, textes brefs, très simples, jouant des sens (le tactile et le visuel réservant nombre de vers).

L’été, la méridienne, l’observation de fourmis et de mouches, le lever, l’empan des choses banales et quotidiennes : voilà ce dont l’auteur fait son marché pour le meilleur (la poésie affleure : « le jour te va comme un gant ») ou pour le répétitif (que d’anaphores) ou la simple banalité (« Je me suis levé/ réveillé par le soleil/ la sieste est terminée » ou « c’est un peu toi/ c’est un peu moi/ c’est un peu nous » ou « Ton odeur / de lilas/ me suit/ où que j’aille »). L’auteur céderait-il à la parodie ?

En tout cas, ces petits textes, dont la simplicité flirte parfois avec la facilité, voire le cliché (« flamme dansante de la bougie » ou « couché dans l’herbe/ je regarde passer les nuages » ou « champs accablés par la chaleur ») selon moi tournent court assez souvent, ils manquent du mordant que l’auteur privilégie ailleurs, sauf quand un haïku plus dense montre sa cruauté : « J’ai tué la tristesse/ d’une balle en plein/ cœur » ou quand mimant Giono « La nuit est entrée dans la maison », ou à l’occasion d’une insertion un peu misanthropique, quoique (« J’aime les terrasses d’où je vous vois disparaître/ en me laissant/ un tout petit bout de votre vie »).

Le danger, en poésie, est parfois de ne point pouvoir éviter le banal constat.

Pittau nous doit une revanche.

Feuilleter les premières pages du recueil

FRANCESCO PITTAU aux Carnets du Dessert de Lune

Les nouveautés des CARNETS DU DESSERT DE LUNE

 

LE JOUR DU ROT

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Traditionnellement, dans de nombreuses villes de Wallonie, le premier dimanche suivant les élections est un jour consacré à l’éructation. Un bureau de rot est constitué d’un président, de son secrétaire et d’assesseurs qui, non seulement, prend acte des présences mais fait aussi office de jury pour l’attribution des divers prix récompensant  les plus beaux, les plus longs et tonitruants rots.

Une tradition dont on ne sait au juste quand elle est apparue mais qui correspondrait à la date de l’instauration du vote obligatoire (à la fin du XIXème siècle) en guise d’exutoire comme d’hommage au jour de vote en ces contrées volontiers carnavalesques.
Les concourants s’acquittent d’un droit d’inscription qui leur donne droit à une collation consistant en un mets léger, généralement traditionnel, et d’une boisson, généralement gazeuse, de façon à bien roter dans les premières minutes suivant l’in(di)gestion.

Un jury d’experts, souvent chasseurs et donc amis du cri des animaux, juge le rot à l’intensité du son (en db), à sa durée (en s), à la profondeur du son (en cm) mais aussi à la beauté du geste car le rot est un geste esthétique qui prend sa source dans l’estomac humain pour traverser toutes les composants de l’appareil phonique en faisant méchamment vitrer les cordes vocales pour jaillir, comme un vent, de l’ouverture buccale.

Les roteurs anarchistes, déjà fort collationnés à leur arrivée sur les lieux et n’ayant pas bu que de l’eau gazeuse, sont généralement placés hors-compétition. Ils mangent de tout sans ordre ni règles et sont d’ailleurs très mal perçus de ceux qui contrôlent scrupuleusement leur alimentation et leur poids. Il n’est pas rare qu’au cours d’un long rot ils vomissent un jet fourni. Les remettants du prix se revêtent d’ailleurs d’une serviette de protection de façon à faire face à ce désagrément.
Les adeptes de la décroissance se sustentent très peu, ils boivent à l’économie ; pour peu excréter, ils consomment peu. Ils sont aussi avares de leurs rots et ne figurent que rarement parmi les lauréats.

Le roteurs végans font des rots biodégradables dans l’air ambiant ; les catholiques, des rots vertueux et pisseux, les communistes des rots qui empestent longtemps ; les musulmans, des rots voilés ; les roteurs des listes citoyennes restent sans voix ; les libéraux pètent autant qu’ils rotent et en capitalisant leurs émissions ; les socialistes ne savent plus à quels types de rots se vouer pour se maintenir au sommet d’une discipline dans laquelle ils sont vite passés maîtres en fonction de leur longs cous tortueux.

Après l’attribution des prix, en présence des édiles communaux reconduits dans leurs fonctions pour six longues années, les agapes se poursuivent jusque très tard dans la nuit ; de nombreux certificats médicaux seront octroyés le lendemain par les médecins présents à la festivité et là, les amateurs comme les spécialistes du rototo peuvent s’en donner à gorge joie. C’est alors qu’en vérité les plus percutants rots sont émis, de l’avis des participants encore à même de poser un jugement clair.

Il se dit qu’à des kilomètres à la ronde les soirs d’orage, les bruits des rots prédominent sur les coups de tonnerre. Les zélateurs de la réjouissance ajoutent que des éclairs zébrés et puissants jaillissent aussi des gaz produits dans la nuit de liesse.

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À (re)lire: DIMANCHE DE VOTE

 

L’EMPLOI DU TEMPS de MICHEL BUTOR, une chronique de Jean-Pierre LEGRAND

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Jean-Pierre LEGRAND

« L’Emploi du temps » est le second roman de Michel Butor.

Jacques Revel, le personnage principal, est un Français. Il est envoyé par son employeur à Bleston, ville anglaise imaginaire, fortement inspirée de Manchester. Il y débarque en octobre chez Matthews and Sons où il doit effectuer un stage de 12 mois. On sait peu de choses de son travail : juste qu’il doit écrire des lettres en français et que sa tâche, comme celle de ses collègues, dégage un mortel ennui.

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Certes imaginaire, Bleston est une ville dès l’abord très étrange. On y descend dans l’une de ses trois gares toutes situées sur le pourtour de la même Alexandra Place. Plus loin, huit sites forains encerclent la ville et accueillent tous les trois mois, dans le sens des aiguilles d’une montre, une même foire et ses différentes attractions. Aux confins de la ville, comme situés sur le dernier cercle que ferait un caillou dans l’eau, six parcs arborés accueillent les promeneurs désœuvrés. Parallèle à la voie ferrée, sorte de Styx postindustriel, la Slee, canal aux eaux noirs comme le goudron , traverse la ville de part en part.

Comprenant très mal la langue, privé de points de repère, Revel se débat dans une ville labyrinthique aux façades rongées par une pluie sale. A l’instar de bien des cités modernes, Bleston est dépourvue de véritables limites : « telle une lampe dans la brume, c’est le centre d’un halo dont les franges diffuses se marient à celles d’autres villes ». Les habitants eux-mêmes semblent perdre tout trait distinctif sous l’effet du pouvoir dissolvant de la ville.

Cet espace sans réel centre se trouve également transposé dans le temps qui s’écoule en une fuite d’instants indifférenciés :

(…) ce 8 octobre où pour la première fois j’ai abordé la roue de la semaine chez Matthews and Sons en même temps que tous mes compagnons de salle, où j’ai commencé à tourner, attaché à cette meule qui ce matin comme tous les lundis à neuf heures, a repris son même mouvement, comme si je m’étais retrouvé, (…) huit jours auparavant, quinze jours auparavant, toujours dans le même décors, avec pour seul changement la diminution de la lumière jusqu’en janvier, puis son accroissement, entraînant les mêmes acteurs selon les mêmes attitudes, de telle sorte qu’il me serait bien difficile de préciser à quel moment s’est produit tel minime événement qui a occupé pourtant longtemps nos brèves conversations de collègues.

Dans ce labyrinthe de labyrinthe, Revel tente de retrouver un sens. Très prosaïquement, il se procure un plan auprès d’une jolie libraire, Ariane improbable, dont il tombe immédiatement amoureux. La lecture d’une feuille locale, le met aussi sur la piste d’un roman policier « Le meurtre de Bleston » dont ce journal fait la réclame. Fiction évoquant l’assassinat d’un homme par son frère, le roman, a été écrit par un natif de Bleston sous le pseudonyme de JC Hamilton. Le domicile du criminel y est minutieusement décrit et s’inspire fidèlement de la résidence d’un « Blestonien » dont le propre frère est également décédé dans des conditions suspectes. Aidé du plan de la ville et guidé par les descriptions de JC Hamilton, Revel fréquente les mêmes restaurants que le détective imaginé par l’auteur, découvre le musée de la ville et sa tapisserie illustrant la légende de Thésée et surtout, visite l’ancienne cathédrale, intrigué et subjugué par les premières lignes du « Meurtre de Bleston » : « L’Ancienne e Cathédrale de Bleston est célèbre par son grand vitrail, dit le Vitrail du Meurtrier… »

Ce vitrail est le véritable point focal du livre de Butor. Il représente le meurtre d’Abel par Caïn. Il date du XVIème siècle et en arrière-plan, l’artiste a donné à a ville fondée par le Meurtrier exilé, les traits de Bleston dont les habitants, à la croisée du mythe et de la réalité, apparaissent comme les lointains descendants de Caïn, renforçant chez Revel la peur et l’angoisse qui émanent de la ville.

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Michel BUTOR

Revel dévide un autre fil qui doit le soustraire au dédale du temps : le fil de l’écriture. Sept mois après son arrivée, il rédige un curieux journal qui rend compte tout à la fois du jour écoulé et de ce qui s’est produit sept mois plus tôt. Tenant à la fois du journal et des mémoires, cet écrit sera frappés de la malédiction propre au genre : il ne sera jamais terminé et jamais l’écart de sept mois ne sera complètement résorbé. De plus, sensé restituer à l’écoulement des jours une perspective que leur inlassable recommencement écrase, le journal ainsi tenu se transforme vite en un entrelacs d’allers-retours entre présent-et passé, en une trame qui se fait et se défait, le présent se colorant du passé tout en l’éclairant et parfois le troublant comme par diffraction, d’une lumière rétrospective. Ainsi l’accident qui survient à JC Hamilton dont l’identité véritable a été témérairement divulguée par Revel éclaire d’un jour plus sombre des faits passés qui se muent en indices d’un possible crime. Présent et passé se croisent alors en un curieux télescopage où tous les niveaux de réalité se confondent : cette ville dont les incendies récurrents rappellent ceux des cités maudites n’est-elle pas habitée par le mal ? La victime fictive du « Meurtre de Bleston » que baigne d’une lumière sanglante « le vitrail du meurtrier » n’est-elle pas en réalité la dénonciation voilée d’un autre crime bien réel qui en retour provoque la tentative d’élimination de l’auteur par le véritable coupable? Le monde comme totalité est mouvant et insaisissable ; l’ombre et la lumière se succèdent dans ces paysages mentaux comme dans les vallées de montagne au passage des nuages :

(…) ainsi chaque jour, éveillant de nouveaux jours harmoniques , transforme l’apparence du passé, et, dans cette accession de certaines régions à la lumière généralement s’accompagne de l’obscurcissement d’autres jadis éclairées qui deviennent étrangères et muettes jusqu’à ce que, le temps ayant passé, d’autres échos viennent les réveiller.

Dans le style ample et précis qui est celui de Butor, L’Emploi du temps entraîne le lecteur dans une ronde étourdissante qui donne le vertige. On y retrouve les thèmes et obsessions qu’il développera d’une autre manière encore dans La modification. Rien ne se passe et pourtant tout peut advenir ; les faits sont opaques mais lestés de toutes les significations possibles. L’espace et le temps s’interpénètrent ; la ville se lit comme un hiéroglyphe. Cette virtuosité me rappelle celle – plus ramassée – de Borges dont ce passage pourrait être l’exergue du roman de Butor :

(…) il ne croyait pas à un temps uniforme, absolu. Il croyait à des séries infinies de temps, à un réseau croissant et vertigineux de temps divergents, convergents et parallèles. Cette trame de temps qui s’approchent, bifurquent, se coupent ou s’ignorent pendant des siècles, embrasse toutes les possibilités.

Le livre sur le site des Editions de Minuit

Un site consacré à MICHEL BUTOR

 

CHRONIQUES D’UNE ÉCHAPPÉE BELLE de LUC BABA, par PHILIPPE LEUKX

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Philippe LEUCKX

Récit d’une renaissance chez Maelström (qui a publié du même auteur « La timidité du monde » et les remarquables « Billes » de Kenny Ozier-Lafontaine (Paul Poule), « Aventures de Mordicus » de Paul Emond, « Poche de noir » de Gérard Mans, « Histoire de lune d’eau et de vent » de Sorah Sepehri et « La forêt-mémoire » de Chantal Deltenre).

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Luc Baba (1970) raconte la douleur, l’hôpital, le vertige, avec poésie, élégance, en petits chapitres clairs. Le cœur a lâché, la mort fut proche. Deux ans et un peu plus, le livre se referme. Il nous est donné pour suivre un parcours de vie et d’éblouissement. Sort-on de telle aventure, grandi ? guéri ? renouvelé de fond en comble ?

Sa chronique vaut par la lumière intense que les mots posent sur un monde abrupt (la maladie l’est toujours), ouvert (à l’aune du regard de Lili qui l’a adopté comme deuxième père), saisissable (puisque la langue s’apprend comme l’eau que le malade doit raisonnablement prendre, comme l’air à respirer), prégnant (les mots suffiront-ils à découdre la blessure?).

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Luc BABA

Parmi tous les livres en souffrance (et combien, et beaucoup trop pour mes yeux), ce témoignage au beau titre (on l’a « échappé belle », cri du coeur) s’insinue loin, fait place aux fleurs (ces deux orchidées baptisées par le poète d’un Prix de poésie décerné par l’A.E.B., le Delaby-Mourmaux, qu’il cite en p.25, reçu, au Sénat, pour un beau livre paru aux éditions M.E.O. – et j’en suis témoin direct, puisque je le présentai alors ), à la mer, au vent reconstructeur, à la musique (et combien, le poète romancier est chanteur, fan d’Arno, du Boss…).

Le livre remue parce qu’il est vécu d’un intérieur douloureux et partageable : qui n’a vécu, souffert, éprouvé l’hôpital, la maladie?

L’auteur sait doser souffrances et éclaircies, et l’éclairage sentimental ou amoureux, le sourire de Lili, la vie « devant soi » offrent au lecteur l’occasion de se repencher sur la gravité légère du monde, sa légèreté grave.

Luc BABA, Chroniques d’une échappée belle, Maelström Réevolution, 2018, 128p., 14,00€. Photo de couverture de l’auteur.

Le blog de LUC BABA

Le livre sur le site de l’éditeur

 

DIMANCHE DE VOTE

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dimanche matin

nous n’irons pas à la messe

ni au musée ni au cimetière

(enfin pas que là)

nous irons au bureau de vote

sans fleurs ni couronnes

sans trompettes ni tambour

contre une convocation et un document d’identité

on nous tendra un bulletin ou deux

seul dans l’isoloir

on fera notre petit besoin électoral

sans faire de saletés ni de miettes

sans déborder sur le temps de vote d’autrui

sans excès ni entrain

comme on a toujours vécu

proprement maladivement honteusement

on ne prendra pas de selfie non

puisque on ne pourra pas le poster

(combien de fois votera-t-on encore avant de mourir?)

 

puis des citoyens requis pour cette tâche

compteront les bulletins les mettront en paquets

les rouges avec les rouges

les verts avec les verts

les bleus foncés avec les bleus clairs

1 BLEU 2 VERT 3 ROUGE 4 NOIR 5 ORANGE

(Rimbaud si tu nous voyais)

après avoir éliminé les mauvais

les blancs évidemment

ceux qui ne sont pas dans les règles

ceux qui ont été mal rédigés ou raturés ou raillés

c’est tout un métier que d’être dépouilleur

ça s’apprend sur le tas pas besoin d’école

pour la politique on compte pas pour du beurre

au soir à la télé à partir de nos votes

qui auront été quantifiés mis en images cartographiés

on reparlera de nos favoris de nos voisins de nos amis

qui auront eu leur quarante jours de célébrité

sur les affiches des partis

seules certaines têtes de liste

seront ravies d’avoir été (ré)élues

pour six nouvelles années

à la tête d’une administration ou l’autre

nous on retournera bosser comme avant

ou chômer ou glander ou faire la manche

ou faire le pitre ou le chef ou le subordonné

on sera à nouveau artiste ou ouvrier ou employé

ou cariste ou carriériste ou gardien de nuit

ou infirmier ou touriste ou migrant ou militant

on fera la queue pour une place au parking

pour un logement pour un nouveau smartphone

pour une meilleure place dans le métro

dans la file d’attente on aura un numéro

un petit numéro sur une liste c’est déjà ça

pour occuper une place dans la société du spectacle

régulièrement à la télé aux infos dans les journaux

on verra ceux pour lesquels on aura voté

ils ne nous verront plus eux seuls sont visibles

depuis des générations ils sont nés pour diriger

gouverner tirer à eux le profit des travailleurs comme des non travailleurs

le mode de scrutin n’a jamais eu d’importance pour eux

 

dimanche ils n’iront pas à la pêche ou à la chasse

ni en week-end ni en mini-trip

ni au musée ni au cimetière

ni à la messe

(enfin pas que là)

ils iront voter

pour donner le ton la cadence le tempo

ils savent donner de la voix

c’est pourquoi ils récolteront des voix

ce sont des musiciens rentrés des amuseurs publics

mais personne n’aime la musique

ni l’art qui se fait (aussi) dans la douleur

dans le profond de l’âme et du coeur

et ils le savent

si on aimait la musique on n’irait pas voter

on irait au concert on jouerait dans les rues

dans les champs dans les forêts dans les cours

on écouterait le chant des oiseaux

la poésie des petits pois dans la poêle

le fracas des ferrailles dans le compresseur

le bruit des feuilles dans les grands arbres

le fascinant dérangement des saisons

le lent dérèglement de tous les sens

le sifflement du soleil entre les jambes de la cycliste

le la des cordes frappées sur le do du piano

le frôlement des robes dans le vent des caresses

le fruit des baisers pressés contre les langues

le frou-frou des peaux dépiautant l’amande du désir

les fleurs qui fleurissent aux lèvres des mots doux

le chuintement de la chouette dans les broussailles de la nuit

le roucoulement de la colombe le brame du cerf le chant de la baleine

la corne de brume du bateau qui arrive au port

le feulement du feu dans les bulletins de vote

le feulement du feu dans les bulletins de vote

ÉCHOS D’ÉCOLE (I)

Des échos qui prêtent à sourire, à réfléchir. Des échos-récits, des échos tout courts. Des échos poil à gratter, des échos piquants sur le dos de l’Ecole (qui en a connu d’autres)…

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Au lancement des dernières craies contre le tableau numérique, il y a des enseignants plus performants (et virulents) que d’autres.

 

Cet enseignant star (dans son établissement) a obtenu du comité de surveillance que les caméras ne retiennent (pour la postérité) que les images présentant son meilleur profil.

 

Quel tapage fait le professeur de claquettes dans les couloirs alors que le prof de réparation de chaussons semble, lui, glisser sur le sol.

 

Le prof de réflexion plantaire panse-il avec les pieds les lésions cérébrales?

 

Ma mère assiste à chacun de mes cours depuis quarante ans pour contrôler mon habillement, ma façon de parler et de me tenir devant la classe. J’aspire à ce que ma mère prenne enfin sa retraite de directrice.

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Le prof de langue des cygnes est un vilain canard.

 

Par défaut d’aiguilles, les labos de sciences à piquer seront couturés.

 

Le prof de coaching personnalisé ne supporte pas le regard de la classe.

 

Le prof de prise de notes malmène les do.

 

Le professeur d’écologie domestique a fait un trait sur le chapitre du photovoltaïque.

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Le prof de théorie des cordes n’est pas forcément un adepte du bondage (ou de l’escalade).

 

Face à un enseignant qui plastronne sur ses états de services et ses qualifications, l’étudiant peut-il lui demander s’il possède une note Wikipedia ?

(Les Questions qui fâchent)

 

Les cours de création littéraire assistées par ordinateur se donneront désormais en direct sur Facebook.
Le prof d’études des reflets donne cours derrière un miroir sans tain.

 

Tous les enseignants poursuivent-ils leur oeuvre éducationnelle sur les réseaux sociaux?

 

Pour la rentrée littéraire, les cours de passe-muret, de saut à la corde, de téléportation, de coloriage de smileys et de nettoyage d’écrans seront au programme alors que manqueront une nouvelle fois les cours de premiers soins, de relaxation, d’éducation à la santé ou de diététique que pourrait donner avec fruit, par exemple, le prof d’éducation physique qui peine à faire apprendre le règlement du footgolf à ses élèves.

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SEMAINE DE LECTURE

Je lundis

Tu mardis

Il mercredit

Nous jeudisons

Vous jeudîtes

Ils vendredisent

Elles samedisent

DIMANCHE

 

Tous les profs de sciences humaines n’ont pas le cœur sur la main.

 

Le professeur de mécanique cantique a une voix très travaillée.

 

Ce prof de TIC reste décidément indétectable sur la Toile (à moins qu’il oeuvre sous un pseudo).

 

Cette prof de dactylographie a de très jolis doigts ; dans le privé, elle était manucure.

(Les affres de la reconversion)

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À l’école de conduite, le préfet de discipline roule sans permis.

 

Au cours de lecture de plantes, on en a apprend de belles sur la vie des végétaux !

 

À l’école, on n’entend jamais parler de pédagogie en salle des profs. Mais les pompiers parlent-ils du feu entre les alertes incendie?

 

Depuis qu’il est candidat aux élections, cet enseignant serre les mains de ses collègues plusieurs fois par jour.

 

Cet enseignant formé aux TIC a gardé un frottoir pour calmer ses crises d’angoisse face au tableau numérique.

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Ce prof d’éducation aux Stones est un ancien fan des Beatles.

(Les affres de la reconversion)

 

Ce prof qui possède tous les albums de Pink Floyd rechigne à enseigner le Booba (mais l’inspecteur de rap veille à sa reconversion).

 

La sanction (I)

Condamné à surveiller l’étude pour avoir déclaré que l’École n’était pas le seul lieu de dispensation de la connaissance, cet enseignant sanctionné délivre en douce aux étudiants en heures de colle les diverses sources où ils pourront s’abreuver en gai savoir.

 

Victime chaque rentrée de la Grande Illusion scolaire, des milliards d’enseignants et d’étudiants de par le monde reprennent innocemment le chemin de l’école…

 

ÉcoleÉcole, École… répondit l’écho des salles de classe ennuagées de mots insensés.

 

À SUIVRE…

LE COUP DE PROJO d’ÉDI-PHIL SUR LE MONDE DES LETTRES BELGES FRANCOPHONES #5 (octobre 2018)

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Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 5 (octobre 2018)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…


A l’affiche : un recueil de textes brefs (Daniel Simon), une aventure théâtrale au parfum de biographie (Albert-André Lheureux), un essai historique (Arnaud de la Croix), un roman (Yves Wellens), une nouvelle (Jean Jauniaux) et un héraut du faire-savoir (Michel Torrekens) ;  les maisons d’édition M.E.O., Genèse, Racine, Ker, Au Hibou des Dunes/Fondation Paul Delvaux.

 

(1)

Le coup de cœur du numéro !

Ce n'est pas rien

Daniel Simon, Ce n’est pas rien, recueil de nouvelles et textes brefs, M.E.O., 2018, 122 pages.

Quoiqu’à distance, le lisant de loin en loin (une nouvelle dans la revue Marginales par-ci, un article littéraire dans Le Carnet et les Instants par-là), le croisant à peine, j’ai accumulé une bonne dose de respect et d’estime pour Daniel Simon. Me frappent l’intensité mise dans ses écrits, notion que je place très haut dans la constitution du fait artistique/créatif, la qualité de sa plume et un détail amusant (mais est-ce vraiment un détail ?) : il est l’un des seuls auteurs lisant ses propres textes avec un talent de comédien, une présence scénique.

D’un autre côté, mes prédilections me poussent vers le grand large, les fresques, la structuration puissante, l’immersion… et Daniel est un expert du bref, de l’éclat (NDLA : morceau d’un Grand Tout… dont il fait l’impasse), il nous offre même ici non pas un classique recueil de nouvelles voire de poèmes mais plutôt une collection de… textes divers (zooms sur une rencontre, une tranche de vie ou un destin, réflexions sur le monde et les individus, etc.).

Plongeons !

Si on tente de rationaliser, on remarque trois sous-ensembles de textes. Le troisième, Modeste proposition pour les enfants perdus, est un monologue aux allures de conférence sur les thèmes de l’exil et des réfugiés (inspiré par… Swift, ce qui en dit long sur l’arrière-plan qui nourrit les petits cailloux blancs abandonnés par l’auteur), qui a déjà fait l’objet d’une lecture-spectacle. J’y lis ce qui doit recouper un pan d’identité de notre auteur :

« (…) mon état, mon âge, ma situation limitent le champ de mon action, je ne le sais que trop, mais ce que je fais, je tiens à le faire entièrement et avec une véritable précision. »

On dirait un personnage de La Peste, ce roman sublime où Camus étale l’absurde (et la difficulté) d’être/du monde et, tout à la fois, la dignité qui nous échoit de résister. Faire de son mieux, avec les moyens du bord mais avec application.

Allons à rebours. La première série de textes est intitulée Nouvelles de notre Monde. Mais sont-ce des nouvelles ? La frontière des lentilles esquisse excellemment un personnage, Gus, qui demeurera sur le seuil d’un véritable récit. L’essentiel est donc dans le portrait d’un homme debout (camusien encore !), qui déploie une farouche indépendance :

« Regarder le monde sans y croire, se jeter dans l’océan, nager à perdre haleine sans espoir de retrouver la terre au loin, mais se mettre sans rechigner à faire avec soin ce métier d’homme sur cette parcelle du globe. »

Les réflexions sont portées par une écriture ciselée mais ferme :

« L’Europe avait été taillée comme une lentille, elle pouvait devenir le verre ardent qui engendrerait l’incendie ou offrir à l’homme penché sur le cristal poli une entrevue avec un univers libéré des dieux. »

Quant à la deuxième anthologie de brèves, Promenades, qu’en est-il ? De petites fictions, des proses poétiques. Qui ouvrent des sillons. De sensations, de réflexions. Sur le monde des écrivains ou celui des couples, notamment. Toujours transcendées par la précision virtuose de l’expression :

« Je venais d’entrer dans le célibat comme on part en voyage, délesté de presque tout, curieux d’un présent sans avenir, hanté par la vitesse du jour et l’immobilité des nuits, j’étais presque mort. C’est le « presque » qui rendait la vie supportable. »

Le monde où se faufilent les narrateurs, qui me paraissent autant de métamorphoses de l’auteur (NDLA : à tort ?), semble souvent hostile et fou, hanté par des perroquets prédateurs, des femmes trop indépendantes et glacées, des enfants assujettis déjà à l’hypocrisie de l’intérêt. Il y a du Haddock face à la horde de Séraphin Lampion, et du Tati aussi, en sidération mélancolique devant une modernité bruyante, agitée, en perte d’âme, de contact. Mais l’espoir existe, la lueur au cœur des ténèbres. Il suffit d’un acte gratuit (des pompiers venant sauver un chaton), de deux personnes qui se rencontrent dans l’empathie, la perception de l’instant d’or.

Bref (NDLA : c’est le cas de le dire), Daniel Simon est un auteur qui évacue ce qui lui semble accessoire, artificiel (une intrigue centripète) pour raconter ce qu’il désire intimement partager : une rencontre, une réflexion, une perspective. Il s’offre une liberté totale. Et ses billets d’humeur fictionnalisés inventent quasi un nouveau genre. Pas étonnant, dès lors, qu’il aille se nicher au sein des éditions M.E.O., qui osent si souvent évacuer l’étiquette, le court terme… et la narration pure qui m’est chère (NDLA : mais dont j’arrive à me passer à l’occasion, donc, échappant aux limites de mes attentes).

A déguster comme un café serré, une liqueur. Avec parcimonie, un texte par jour ou par séquence de jour, mais dans l’intensité et la communion. Comme autant de pastilles de vie (au sens fort) détonnant dans un univers où la fadeur se révèle invasive à la manière de certaines algues.

Le livre sur le site des Editions M.E.O.

Je suis un lieu commun, le blog de Daniel SIMON

 

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Livre l esprit frappeur Albert-André Lheureux

Albert-André Lheureux, L’Esprit frappeur, récit d’une aventure théâtrale, préface de Jacques De Decker, Genèse, 2017, 199 pages.

Les Belles Phrases ont déjà publié un bel article sur ce livre :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2017/10/20/lesprit-frappeur-quete-dune-mythologie-theatrale/

Mais je ne peux m’empêcher d’exprimer mon admiration pour un grand homme de théâtre qui passe une bonne partie du livre à évoquer les talents ou apports des uns et des autres (Maurice Béjart, Bernard De Coster, etc.), répandant à travers la lecture un faisceau d’ondes positives (res)suscitant sous nos yeux un monde d’amour et d’amitié, de génies croisés œuvrant pour favoriser le règne du Beau, du Bien, du Bon. Un guide à l’usage des créateurs et des créatifs ?

On éprouve la plus grande sympathie pour cet Esprit frappeur qui guide Albert-André Lheureux, au-delà des structures, et lui conseille, credo vibrant :

« . d’être frappé par ce qui n’est pas nous,

. d’être attentif au monde,

. d’être passionné par l’Autre à travers mille visages,

. d’être à l’écoute de chaque instant, et enfin

. de comprendre à travers l’action. »

Le livre sur le site de l’éditeur

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Arnaud de la Croix, 13 complots qui ont fait l’histoire, essai historique, Racine, 2018, 178 pages.

On avait dévoré les précédentes études historiques d’Arnaud de la Croix et celle-ci est du même acabit. On y déroule les thèmes du complot et du complotisme au fil des époques (de l’Antiquité aux années 80 ou 2000). Pour ma part, féru d’Histoire, je connaissais presque intimement les matières assassinat de César, peste noire, Protocoles de Sion ou Tueurs du Brabant wallon, mais je les ai revisitées avec plaisir, au gré d’une langue fluide, d’une narration très claire, structurante… et surtout grâce à cette capacité particulière que possède l’auteur de nous mener à des réflexions et interrogations plus larges, plus subtiles, nécessairement interpellantes, nourries par les apports non seulement d’historiens mais de philosophes, de théoriciens (comme Karl Popper, Richard Hofstadter, etc.).

Qui plus est, j’ai pu remédier à quelques lacunes. Je connaissais la Conjuration de Catilina depuis mon adolescence… sans savoir de quoi il retournait très précisément. Et la Conspiration des Poudres ? Guy Fawkes, et le masque qui a inspiré la BD (et le film) V comme Vendetta ou… Anonymous ?

Etc.

Apprendre en s’amusant, c’est très bien. Apprendre en développant son esprit critique et en s’interrogeant sur les rouages du monde, c’est encore mieux. Découvrir comment se développe un phénomène, comment il mute (passionnant, le glissement de la prétendue menace franc-maçonne à ses réinventions via un phénomène de surcouche, les Illuminati puis les Juifs étant transformés en moteurs secrets du… mouvement secret), quels besoins sociétaux l’inspirent, les extrémismes qui sous-tendent les perspectives… On en finit par buter sur la nature humaine et ses limites pathétiques/dramatiques, qui nous condamnent à reproduire le phénomène à l’infini, décliné à toutes les sauces idéologiques, comme une fatalité inhérente à notre incapacité à admettre un monde arbitraire, à cette lâcheté qui veut chercher à l’extérieur le bouc-émissaire qui dispensera de l’autocritique et de l’aveu d’échec.

« Il s’agit moins aujourd’hui de violenter les hommes que de les désarmer, de comprimer leurs passions politiques que de les effacer, de combattre leurs instincts que de les tromper, de proscrire leurs idées que de leur donner le change en se les appropriant. » 

Des paroles enregistrées lors d’une rencontre entre des dirigeants politiques, une multinationale et une chaîne TL, une agence de pub dans le cadre des actuelles dérives oligarchiques visant à bigbrotheriser nos démocraties de plus en plus imparfaites ? Vous n’y êtes pas du tout ! Ces lignes datent de 1865 et d’un pamphlet de Maurice Joly, qui inspirera (entre autres sources mensongères et odieuses) la tristement célèbre supercherie littéraire du complot mondial ourdi par les Juifs.

Le livre sur le site des Éditions RACINE

Sur les précédents ouvrages d’Arnaud de la Croix :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2018/01/14/une-galerie-de-portraits-sulfureux-douze-fans-celebres-dhitler/

…et aussi :

https://karoo.me/livres/treize-livres-maudits-hublots-demultipliant-lhorizon

 

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Cette vieille histoire

Yves Wellens, Cette vieille histoire, roman, Ker, 2018, 142 pages.

Un ton ! Une voix ! Ce n’est pas si courant. J’ai attaqué avec plaisir, porté par une langue de qualité, un rythme particulier. Je me suis cru projeté dans un micro-thriller. Un homme d’affaires des plus puissants se fait gifler par une mystérieuse visiteuse qui disparaît aussitôt, un journaliste d’investigations se lance à l’assaut du personnage, des avocats, conseillers et même une sorte d’inquiétant agent spécial entrent en scène, il est question de trois frères unis et séparés par un passé trouble… On croit glisser vers le roman de mœurs, un traumatisme familial :

« C’était un son métallique, causé par des talons frappant fort le sol, qui lui en rappelait un autre : celui d’un homme qui se hissait en ahanant et en titubant dans l’escalier en colimaçon de la maison de son enfance, exiguë et étriquée, et jubilait de sentir que les occupants retenaient leur souffle, tandis qu’il s’approchait et se dirigeait lourdement vers la chambre conjugale. »

On s’interroge aussi sur la projection de l’auteur, un Wellens qui parle de trois Wellens… Et in fine ?

In fine, on bute surtout sur une réflexion : être écrivain ou être romancier sont deux métiers ou deux compétences qui peuvent ne guère converger, différer nettement. En clair ? Yves Wellens se concentre sur l’art de raconter et très peu sur ce qu’il a à raconter, la matière du récit n’est qu’un prétexte pour lui, un mirage pour le lecteur, ou une esquisse au mieux.

Qu’on ne s’y trompe pas. Le choix est légitime. La langue de Wellens et plus encore, même, sa manière de transmettre le récit créent une atmosphère, et celle-ci m’a plu. Au-delà de l’impasse vers laquelle j’ai compris rouler.

Il y a quelque chose de pur et de fort dans cet art. Quelque chose qui aurait à voir avec les expériences du Nouveau Roman jadis ? Peut-être. Dans une résurgence moderniste ?

Je sors de ma lecture partagé entre le plaisir d’avoir découvert un auteur de talent, Yves Wellens, et la frustration d’un récit qui se transforme en sous-marin. Et songe, du coup, nostalgique, à notre Rossano Rosi national, le plus sous-estimé de nos auteurs, ce si grand talent qui réussit la gageure de raconter des histoires fascinantes tout en décapant les instruments de sa communication.

Le livre sur le site des Editions KER

 

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Jean Jauniaux, Perception de Delvaux, nouvelle ornée de deux aquarelles inédites du peintre, édition bilingue, Au Hibou des Dunes/Fondation Paul Delvaux, 2017, 19 pages x 2.

A l’occasion du 120e anniversaire de la mort de Paul Delvaux, Jean Jauniaux, dont nous parlions dans notre numéro 4, a écrit une nouvelle toute en simplicité et émotion, teintée de poésie douce, esquissant la rencontre de deux âmes, un autocariste pour touristes et une jeune Japonaise, autour d’une visite du musée Delvaux à Saint-Idesbald :

« Je me laissais submerger par la grâce de cette énigmatique séduction, alternant la mélancolie du regard et le sourire obligé de la courtoisie ».

En quelques pages sans effet tapageur, arcboutées à une anecdote authentique, on revisite le thème des atermoiements, qui nous font vaciller devant les pas à accomplir pour concrétiser des prémices, on redécouvre l’envie de rejoindre Saint-Idesbald et les peintures détaillées par Yuri, on voudrait s’abîmer dans l’ukiyo, explicité par la jolie voyageuse :

« Ne ressentir que le moment présent,

S’abandonner à la contemplation

de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier

et de la feuille d’érable… (…) se laisser dériver

comme une coquille vide

au fil de l’eau (…). »

L’ouvrage sur le site de BELA

Pour en savoir plus sur Jean Jauniaux :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2018/09/01/le-coup-de-projo-dedi-phil-sur-le-monde-des-lettres-belges-francophones-4-septembre-2018/

 

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Les hérauts du faire-savoir (4).

Héraut du jour, après Guy Stuckens, Willy Lefèvre et Jean Jauniaux/Edmond Morrel, Michel Torrekens.

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Ah, Michel Torrekens ! Glissons un moment dans l’intime. Je vous l’avoue, Michel, c’est mon père spirituel en ce sillon de la médiation culturelle, du souci apporté au travail des autres. C’est lui qui, il y a 18 ans déjà, dans le sillage de mon premier roman, m’a incité à présenter mes services à sa revue Indications, m’offrant une perspective à laquelle je n’avais jamais songé. Je lui dois d’écrire aujourd’hui, à côté de mes romans, dans Les Belles Phrases ou Karoo, Le Carnet et les Instants ou Marginales, Nos Lettres

Michel, c’est une belle trajectoire. Comme journaliste (rédacteur en chef-adjoint du Ligueur), médiateur culturel (Indications, Le Carnet, etc.) et auteur de fiction aussi (un roman et des recueils de nouvelles).

BONUS ! Une micro-interview !

Edi-Phil : « Quand et comment en es-tu arrivé à t’intéresser particulièrement aux Lettres belges ? »

Michel Torrekens : « Cet intérêt date de mes études en philologie romane, à une époque où l’on commençait à s’intéresser aux œuvres belges contemporaines. Curieux de l’actualité du monde, j’avais également été frappé par les interpellations de Pierre Mertens dans le débat public, à la suite de romans comme Monsieur Bons Offices ou Terre d’asile (déjà la question de l’exil !). Il était alors encore fréquent d’entendre des écrivains s’exprimer sur les soubresauts du monde. Depuis, les micros se tendent davantage vers les people, humoristes et autres chroniqueurs. Par ailleurs, le Palais des Beaux-Arts (aujourd’hui, dites Bozar !) disposait d’une librairie de littérature belge où j’allais régulièrement farfouiller pour découvrir les nouveautés. Des rencontres y étaient également organisées avec, comme aujourd’hui, des succès variables. »

Edi-Phil : « Comment es-tu entré chez Indications (revue de critique littéraire destinée à la jeunesse) ? »

Michel Torrekens : « J’avais collaboré à la collection Auteurs contemporains, créée à l’initiative de Jean-Claude Polet et éditée par Didier-Hatier, en évoquant les œuvres de Pierre Mertens et Paul Gadenne. J’avais également commencé à soumettre des articles critiques à la revue Marginales d’Albert Ayguesparse. Je pense que c’est à la suite de ces expériences que j’ai été approché par la rédactrice en chef de l’époque, Geneviève Bergé, devenue auteure à son tour depuis. Elle renouvelait le conseil de rédaction pour réfléchir à une nouvelle formule éditoriale d’Indications. »

Edi-Phil : « Comment as-tu pu ouvrir Le Ligueur, jadis, aux auteurs belges ? »

Michel Torrekens : « Cette opportunité est née grâce à un partenariat proposé par la Fnac/Belgique, qui souhaitait mettre en avant un livre présenté par Le Ligueur. Ayant été chargé du rédactionnel, j’ai proposé une rubrique intitulée Lisez, c’est du belge, où je recensais un roman belge récent consacré à une thématique parentale ou éducative. J’essayais aussi de privilégier les nouveaux auteurs. »

Michel Torrekens donne tout son sens à cette rubrique, que je lui dédie !

Edi-Phil RW

 

Le blog de Philippe REMY-WILKIN