ALIX : LE RETOUR ? par Philippe REMY-WILKIN

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par Philippe REMY-WILKIN

ALIX : le retour ?

Veni, vidi, vici !

Offrant un nouvel opus à la mythique série BD, David B. et G. Albertini peuvent-ils reprendre à leur compte la citation de César ? Peut-on inférer de leur reprise des réflexions sur cette entreprise périlleuse, sur le rapport maître/disciples/imitateurs ?

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Une publicité tonitruante sinon barnumesque.

Je le disais encore récemment à mon collègue et ami, le poète et performer Vincent Tholomé, à propos d’échanges sur la série TL  Twin Peaks… le retour :  » Il n’y a pas d’Eternel retour ! ». (NDLA : OK, on dit ça le lundi mais on dit/vit le contraire mardi, soit, soit, soit ! )

Veni, vidi, vici. Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.

César l’aurait dit, les auteurs de la BD, le citant, ont joué avec le feu : ce titre, mis en corrélation avec un battage médiatique inattendu, impose une attente hors normes.

Ainsi donc, à en croire l’éditeur, des médias, après des décennies de reprises diverses, Alix serait ressuscité ! Tudieu, on aurait ENFIN, six ou sept décennies plus tard, retrouvé l’allure des albums mythiques L’Ile maudite et La Tiare d’Oribal ! Merci, au passage, pour les nombreux scénaristes et dessinateurs qui n’ont jamais cessé de propager la série… Ils ont donc meublé ?

 

Un rappel.

 

Alix et Jacques Martin, l’œuvre originale.

Passé mes premières passions purement ludiques (Spirou, Bob et Bobette, Johan et Pirlouit…), Alix et Blake et Mortimer sont les séries qui m’ont fait prendre la BD au sérieux. Jacques Martin et Edgar P. Jacobs ont tous deux (dans la foulée d’Hergé, avec lequel ils ont tant et tant collaboré jusqu’à être co-animateurs de Tintin) apporté un soin si méticuleux à leurs réalisations qu’ils en ont hissé un genre vers de nouvelles ambitions.

Couverture de Alix -1- Alix l'intrépide

Alix. Un cas d’école. Un premier album, Alix l’intrépide, improvisé (Martin ne rêvait absolument pas de l’Antiquité !) et offert par les circonstances, qui copie/colle dans ses premières pages le célèbre Ben-Hur avant de s’abandonner à des aventures rédigées quasi au jour le jour sur le mode picaresque, présentant un héros, un jeune Gaulois intégrant le monde romain de Jules César, qui débute esclave avant d’être adopté par un patricien latin, un modèle inspiré par le précité Ben-Hur et peut-être Amnorix le Carnute (dont je lus les romans enfant).

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Dès le deuxième album, Le Sphinx d’or, Martin assure un récit beaucoup plus construit et invente le thriller historique, bien avant les romanciers Ellis Peters, Umberto Eco, etc.

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Les troisième et quatrième albums, auxquels se réfère notre Veni, vidi, vici, sont L’Ile maudite et La Tiare d’Oribal, deux chefs-d’œuvre de la BD franco-belge du premier âge d’or. Le dessin prometteur mais hésitant des deux premiers livres cède la place à un trait beaucoup plus affirmé, même s’il tire encore vers la ligne claire et la caricature dans le troisième avant de s’émanciper et de créer le style Martin, dont beaucoup d’experts considèrent l’apogée dans le sixième* numéro de la série, Les Légions perdues. Il y a des scènes d’un baroque échevelé, hallucinant dans l’aventure maritime qui nous mène au-delà des Colonnes d’Hercule. Des reconstitutions formidables de Babylone (rebaptisée), des Jardins suspendus, d’un barrage dans l’aventure mésopotamienne. La BD, ici, cède la place au cinémascope. Martin, comme Jigé avec ses westerns (Jerry Spring), élargit l’écran, ose dessiner comme un cinéaste, un créateur de fresques. Nous vivons une révolution graphique. Quant aux récits, ils sont extraordinairement atmosphériques et tendus, chargés de péripéties, de suspense, de relations humaines de qualité aussi (Oribal est un modèle de prince éclairé et généreux, il y a des liens inter-ethniques qui méritent le détour et la réflexion).

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Ensuite ? Quelques beaux ou très beaux albums. Le dernier Spartiate, Le Tombeau étrusque (avec ses adorateurs de Moloch-Baal, qui m’ont fait cauchemardé), d’autres encore sans doute mais mon feeling s’est dilué, ma passion se faisant purement sensuelle, tout entière vouée aux décors, aux reconstitutions de la vie antique, au dessin léché de Martin. Les récits me captivaient moins (une question d’âge ?). Pis encore : un malaise me saisissait, sans cesse grandissant, à l’encontre des notations singulières distillées dans la série, je percevais un rapport détonnant (une complaisance dépassant la dénonciation ou l’exposition ?) à la cruauté, la perversion (beaucoup de vignettes sadomasochistes ?), qui bouleversaient les codes de la BD de jeunesse.

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Mais qu’importe ! Martin, Alix sont restés, de par les fondations de la série, une référence absolue pour mon imaginaire et même mes ambitions créatives. J’admire profondément ce créateur. Et « qui aime bien bene castigat ».

 

Veni, vidi, vici, reprise ou méprise ?

 

Ayant resitué la sortie de cet album dans un contexte élargi, penchons-nous sur sa valeur intrinsèque.

Quid du fond ? Vu l’irruption aux manettes de David B, issu de la Nouvelle BD, on s’attend à des surprises, à du décapant. Et ? Il y a quelques trouvailles de scénario, d’écriture, certes. Par exemple, Enak se fait plus mordant, jette un regard critique sur le comportement d’Alix, le titille alors qu’une relecture des albums mythiques les montre dans un rapport dominant/dominé désagréable (le nombre de fois où Alix fait la leçon à son ami égyptien me laisse sans voix !). Il y a, parallèlement et a contrario, la volonté de retrouver les séquences flash-back (vignettes didactiques) de l’âge d’or. Etc. Mais tout cela me semble assez dérisoire quand le récit lui-même ne présente AUCUN intérêt et s’avère centrifuge, plusieurs sillons étant abandonnés dans la foulée de leur ouverture (relations d’Alix avec la veuve d’Agrippa puis une jeune servante, retour d’Arbacès cliché au possible et… en queue de poisson : on l’oublie en cours de route !) pour finir par une relation confuse avec une… géante dont la présence semble totalement incongrue et projette, quasi, dans un autre univers.

Giorgio Albertini et David B. - © Daniel Fouss/Musée de la BD test
Giorgio Albertini et David B.

Quelle déception à ce niveau ! Si j’avais pu relayer l’auteur, j’eusse creusé la personnalité d’Arbacès et expliqué les raisons de son engagement pour Pompée, ce qui l’a fait tel que nous le connaissons depuis sept décennies. Il y a une ouverture en ce sens, on remonte loin dans le temps, on sait qu’il a servi Mithridate et son fils Pharnace, qui a assassiné son père pour se rapprocher de Rome et de Pompée. On effleure une matière shakespearienne mais je parle de mon imagination personnelle, parce que David B. se limite, lui, au super-méchant caricatural qui surgit du néant pour y retourner. Il veut venger Pompée ? On n’en saura pas plus.

Quid de la forme ? Il y a une volonté évidente de retrouver le dessin du deuxième Martin (celui qui émerge après les deux premiers albums d’Alix), de miser sur la nostalgie donc, de nous renvoyer à des sensations enfouies. Mais. La nostalgie a bon dos et la rêverie ne tient pas la route. Tant le dessin est approximatif, irrégulier, au point de s’apparenter à un patchwork alignant, autour de quelques jolies cases, de beaux décors (certains animés, très réussis) ou des expressions de visages d’un autre temps, une immense majorité d’élucubrations graphiques sombrant dans le ridicule et la laideur. Ce qui est le comble vu l’essence de la série, cette recherche d’un esthétisme, d’une rigueur…

In fine ?

« Je suis venu, j’ai vu… et je me suis encouru ! »

Je crois qu’on peut être sévère quand une telle prétention a été affichée autour de la sortie de l’album. Quand on s’attaque à un tel monument et qu’on s’avère incapable de lui donner le moindre lustre. Un artiste ne doit se lancer dans une aventure que si elle répond à une nécessité… intérieure.

N’épargnons pas l’éditeur ou les gestionnaires de l’héritage. Il est impossible d’égaler les albums mythiques, qui comportaient 62 pages quand les contemporains ne dépassent pas les 46. Ceci dit sans comparer le nombre de cases par planche (15 parfois dans La Tiare). En clair ? Il faut désormais raconter une histoire sur deux albums, en diptyque, si on veut échapper à une impossibilité technique d’ampleur, d’approfondissement. Surtout dans ce registre du thriller historique.

 

Trop de fidélité tue la fidélité ?

 

Une réflexion en surplomb. Sur l’art, la créativité, la manière de réussir une reprise.

Un bon disciple ne copie/colle pas son maître, ou seulement au début de son envol. L’aîné a pris le cadet par la main et lui a enseigné mille choses, ce dernier doit à un moment donné digérer l’héritage, lâcher la main et porter l’art du premier plus loin, ailleurs, en conserver l’essence mais l’adapter au monde dans lequel il vit et qui n’est pas celui de son maître. Un Mozart, né cinquante ans plus tard, n’aurait pas fait du Mozart de la fin du XVIIIe mais un Mozart qu’on peine à imaginer. On songera d’ailleurs à la tradition des tombeaux chez les poètes, qui n’avait rien d’un meurtre rituel ou d’une désacralisation du maître mais tout de la compréhension sublime d’une nécessité ontologique.

Les grandes œuvres n’appartiennent ni à l’académisme (de la reproduction des codes) ni à l’avant-garde (du renouvellement des outils), ou alors rarement. Elles nécessitent le double mouvement de l’ancrage dans la tradition et du dépassement transcendantal de celle-ci. Une grande œuvre est de son temps et de tous les temps, peut parler à un large public tout en se livrant pas au premier assaut.

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Jacques Martin 

Le cas de Martin est édifiant. Car tant et tant se sont réclamés de lui, prolongeant sa veine historique. Or on distingue très nettement les épigones, les Chaillet et autres Pleyers, tant d’autres dans leur foulée, qui ont tenté de reproduire Martin, sans jamais y parvenir en sus. De faux disciples ou de mauvais disciples (malgré leurs qualités, et je les ai lus en son temps avec plaisir) car Martin n’aurait jamais dessiné ou raconté comme ils le firent s’il était né 25 ou 50 ans plus tard.

A contrario, un André Juillard est parti de sa passion pour Martin pour se doter d’un arsenal graphique personnel, porter plus loin l’art de son maître dans des récits infiniment plus modernes, réalistes. Il est l’héritier véritable de Martin et un immense artiste. Comme Giraud (Blueberry) le fut pour Jigé (Spring).

L’art de la reprise ? Une bonne reprise ne peut jamais se limiter à un copié/collé, à une imitation, elle doit partir d’une digestion et d’une appréhension/compréhension de l’essence d’une œuvre, mais il s’agit d’être fidèle à l’esprit, non à la lettre. Comme un traducteur ! Avec plus de liberté et d’obligation de distorsion.

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Or, justement, Alix, est encore édifiant. Car il y a une reprise très réussie en parallèle de la série première. Une série plus adulte, Alix senator, où Valérie Mangin au scénario et Thierry Demarez au dessin osent réinventer le mythe. Avec ces vrais créateurs, on retrouve l’univers et les personnages de la série mais vieillis, ils ont 50 ans, Alix est sénateur sous Auguste, ils ont des enfants (NDLA : chacun séparément, mauvaises langues !), qui peuvent plus logiquement courir, s’émouvoir à tout crin. Et on approfondit les caractères, les biographies. On quitte la surface pour le volume.

En résumé, la série Alix, depuis des décennies, n’est plus qu’une caricature de ce qu’avait réussi Martin, une série industrielle sans âme et sans créativité, quand la série Alix senator est pleinement vivante, dynamique, attractive, prolongeant un élan créatif et faisant pleinement œuvre.

* On en oublierait les mérites du cinquième, La Griffe noire, une variation réaliste et sombre sur le thème du poison vengeur développé dans Les Sept Boules de Cristal/Le Temple du Soleil). J’ai un rapport fantasmatique avec L’Île maudite mais La Tiare d’Oribal et La Griffe noire complètent mon tiercé magique.

Philippe REMY-WILKIN

ALIX, Veni vidi vici sur le site de Casterman

ALIX, tous les albums sur le site de Casterman

 

 

 

 

 

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