Axiome premier de la littérature oulipienne : tout écrivain sera considéré comme oulipien tant qu’on n’aura pas démontré qu’il ne l’est pas.
Cette année, les prix Busnel, Renaudot (des lycéens) et Rossel ont récompensé le même ouvrage.
Ce journaliste littéraire enlève toujours le chapeau de ses articles pour saluer une œuvre respectable.
Cet écrivain a une tête de lecteur : il est vrai qu’il n’a encore rien publié.
L’angoisse de la page blanche nous évite bien des œuvres inutiles.
Ex-vitrier, cet éditeur publie des livres de verre à travers lesquels on voit le monde.
Cet auteur est parti en fumée : il avait trop de livres sur le feu.
Madame rêve qu’allongée sur une étoile elle écrit la nuit qui passe.
Les auteurs de la littérature de charme publient des livres qui laissent à désirer.
Ce poète anti-sonnets écrit pourtant des pantoums parfaits.
Je connais un écrivain scatophile qui écrit ses romans d’un seul pet.
Madame rêve qu’un jeune éditeur lui fait des livres doux.
Ex-pompier pyromane, cet éditeur publie des livres incendiaires qu’on éteint d’un crachat.
Un jour, j’écrirai des haïkus d’un seul mot.
Sous des mottes de lecture, il arrive encore qu’on découvre la dépouille d’un chef-d’oeuvre oublié.
Ex-orpailleur, cet éditeur publie des livres d’or.
Madame rêve d’un prix littéraire aussi extravagant que ses dessous.
Cette maison d’édition anonyme publie des textes passe-partout.
Je n’écris jamais mes rêves avant d’avoir raconté ma journée par le menu.
Cet écrivain aux multiples talents peint aussi de la musique.
Cet écrivain aux multiples palans a du mal à se relever de la chute de vente de sa dernière brique.
Madame rêve qu’elle a un amant star de la petite édition.
Je déteste la promiscuité des ateliers d’écriture : écrire à côté de quelqu’un d’autre, quelle horreur !
Cet écrivain était parvenu si haut qu’on a cru un moment qu’il allait crever le mur de l’édition.
Madame rêve que des étoiles de la chanson chantent le Vertige de l’amour.
SCANDALE DANS LE MONDE LITTÉRAIRE : ce Nobel de littérature n’avait pas mentionné dans sa bibliographie ses dix-huit premiers ouvrages autoédités !!!!!
Le critique sourd-muet lit sur les lèvres des auteurs en dédicace.
Cet écrivain en classe, soudain, fut l’objet d’une grave crise d’angoisse à l’idée d’être pris pour un enseignant.
Cet auteur délaissa une prometteuse carrière de littérature jeunesse pour entamer une aventureuse carrière d’auteur de littérature de gare.
L’espoir (d’être lu) fait écrire.
Dans la littérature oulipienne, les écrivains cherchent à se faire un nombre.
Pour offrir un lectorat décent aux écrivains en mal de recensions, des critiques se sont réunis en une association charitable.
Ce visiteur de salon du livre, réalisant qu’il est le seul, fut soudain l’objet d’une crise d’angoisse et se fit passer pour un auteur cherchant les toilettes…
Cet écrivain ne ressemble à rien ; d’ailleurs tous ses livres passent inaperçus.
Le lecteur ne croit pas ce qu’il lit quand l’auteur n’a pas écrit ce qu’il pensait.
Cet auteur de savoureux pastiches a aussi commis quelques indigestes plagiats.
Les écrivains gonflants passent au gré des vents littéraires.
À l’instar de David Antoine* et son disque de Noël, cet écrivain a écrit 9 ouvrages en 17 jours au profit d’une œuvre caritative : La Maison d’Accueil des Auteurs Abandonnés (par leurs lecteurs).
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* Animateur de radio belge et chanteur philanthropique.
« Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles… On entend dans les bois lointains des hallalis ».
Ces vers de Rimbaud pourraient être placés en exergue de la belle autofiction d’Isabelle Bielecki « Les mots de Russie» :
« il me semble, écrit en effet l’auteur, que pendant des années, sous son terrible regard, je me suis forcée à ne pas penser. Que penser était mal. Que dormir était plus souhaitable m’assoupir moins dommageable, et que flotter, telle Ophélie, entre nulle part et ailleurs, m’apporterait plus de bonheur que penser ».
Le terrible regard est celui d’Eva, sa mère : jeune polonaise déportée dans un camp de travail en Allemagne ; elle y a connu toutes les dépravations, le viol et cette forme de prostitution tragique qu’est la vie sauve au prix de ses faveurs. Comme les autres rescapés, elle a survécu parce qu’elle était plus forte et que « la honte ne lui a pas brisé la nuque ». Au sortir de la guerre, l’âme en mille morceaux, elle donne le change : « plutôt étouffer que se souvenir ; crever que se rendre ». Elle est revenue de là-bas apparemment très droite, très fière, le regard provocant, d’une sensuelle et vénéneuse beauté. Mais « elle a emprisonné son corps dans un étau, un véritable sarcophage ». Toutefois, il y a l’enfant, Elizabeth ; va-t-elle s’attendrir, revenir enfin du pays de l’horreur ? Non ; « une femme avilie ne craint-elle pas jusqu’au regard d’un innocent ? »
Et puis, il y a Victor. Un Russe, soldat de Staline, père tendrement aimé et dont la voix aux sonorités chantantes fait surgir dans l’imaginaire de la petite fille ces hivers russes qu’elle retrouvera plus tard dans Pouchkine : « Imagine-toi me dit-il une poussière blanche jusqu’à l’infini. Tu crois que c’est la neige qui tombe, mais non, c’est tout le firmament qui croule. Cela t’entre sous le képi, la vareuse, dans les yeux, la bouche, et tu dois rester là sans broncher. Tu es de garde et tu scrutes l’horizon. Mais quel horizon ? Il n’y a plus ni ciel, ni terre ». Au-delà des blanches immensités, c’est pourtant l’ombre aveugle qui guette, attendant sa proie. Fait prisonnier Victor est déporté dans un camp de concentration dont il réchappe. C’est dans un camp de transit qu’il connaîtra Eva. Survivant de l’horreur, de lourds secrets semblent sans cesse le tirer vers les abîmes dont il est sorti. Nul ne sort de cet enfer totalement innocent.
Petite fleur délicate éclose sur les terres empoisonnées des camps, Elizabeth grandit au milieu des coups, terrorisée par sa mère, partagée entre l’admiration inquiète qu’elle éprouve pour son père et l’effroi face à cette rédemption qu’il attend d’elle : « Comme je voudrais que tu écrives. J’en serais fou de joie. Sur nous, sur elle, comme elle t’a fait souffrir. Mais seulement en russe, pour que tous sachent qui j’ai été et ce qu’elle a été ». A l’insécurité des camps qu’ont connue ses parents, succède pour Elizabeth, une pernicieuse insécurité affective.
Isabelle Bielecki
Un jour, à la mort de son père – ou alors était-ce bien avant -, Elizabeth souffre d’amnésie. Des pans entiers de son existence rejoignent l’ombre épaisse d’un passé qui s’est obstiné à détruire le présent. Les mots aussi s’évanouissent, pris dans les tourbillons d’une brise venue du gouffre : les mots russes, ceux de l’histoire du père sont les premiers à s’estomper. Les mots français les suivent ; avec eux, c’est le vocabulaire du rêve qui se tarit, et, dans leur sillage ce parfum d’amour que la jeune Elizabeth aimait respirer dans les romans français détestés du père. Reste l’anglais : la langue du travail. Comme si tout l’être d’Elizabeth se résorbait au plus profond d’elle-même : elle ne vit plus qu’en surface. Tout disparaît sauf trois souvenirs : deux fugues et la mort du père. Trois souvenirs que relient « un trou noir, sans parois, sans fond, où il m’arrivait de descendre et descendre toujours, avec l’envie de remonter pour revoir la lumière, sans pouvoir distinguer le haut du bas et où, quelques fois, en échos, me parvenaient des voix menaçantes, sans que je parvienne à saisir ce qu’elles disaient ».
L’amnésie durera plus de vingt ans. Une thérapie et surtout l’écriture vont lentement combler les vides, relier entre elles des bribes de conversations oubliées, des souvenirs mutilés, un peu d’enfance préservée.
Cette résurgence de l’être n’est pas sans douleur ; elle a pour prix une grande souffrance nourrie d’angoisse:
« …les mots et les souvenirs continuaient à tomber. De plus en plus drus, de plus en plus blessants. Et toujours de la même manière. Ils commençaient par secouer ma torpeur, en tirant, en poussant, en se débattant. Puis, quand ils arrivaient enfin à décoller de l’oubli, ils montaient à l’assaut de ma conscience. Combien de temps pour que les mots arrivent à destination ? Mystère. Je ne pouvais ni refouler ni accélérer le processus. Une fois libre, ils montaient et brûlaient de l’intérieure celle qui avait oublié. Pour que jamais plus elle n’oublie ».
«Les mots de Russie » sont un très beau livre. Alors qu’on dispose du témoignage de plusieurs rescapés des camps (Primo Levi, Robert Antelme,…), il est plus rare de lire les dévastations de ce cauchemar sur leurs descendants directs. Comment donner à un enfant la confiance dans le lendemain et les beautés fécondes de l’amour si on a toujours dans le regard les flammes de l’incendie qui a tout dévasté à l’intérieur de soi ? .J’ai compris, écrit Isabelle Bieleki, que « la guerre les avait tous transformés en monstre, lui ; ma mère et les autres, les bourreaux autant que les victimes. Que le prix de la survie passe par la monstruosité ».
La justesse de ton saisit dès les premières phrases lues. L’accord entre le style et le propos donne d’emblée la mesure de la sincérité de l’auteur et du cheminement qu’elle nous invite à revivre avec elle. Le livre va bien au-delà du témoignage. C’est en fait une véritable autofiction extrêmement bien construite et qui entrelace toutes les dimensions de la temporalité. Transcendant un vécu personnel, Isabelle Bielecki écrit une œuvre d’une grande intensité, à dimension universelle dans laquelle, passant alternativement du rôle de victime à celui de spectatrice puis de narratrice, elle interroge deux destins brisés qu’ont croisé les fureurs du siècle.
Ce livre m’a également touché pour une raison toute personnelle. En 1942, ma mère a six ans. Elle est l’aînée de quatre enfants. Un jour de septembre, à six heures du matin, la Gestapo enfonce la porte de la maison familiale et arrête son père. Il est déporté dans un camp de concentration. Elle ne le reverra jamais. Il meurt sur les bas-côtés d’une route d’Allemagne, lors de l’évacuation de son camp sur le point d’être libéré par les troupes américaines. A son tout début, la vie de ma mère est déjà fracassée. Ce drame retentira sur toute son existence, lui inspirera quelques mauvais choix qui ajouteront encore au malheur et souvent, la feront pleurer. Longtemps, sans que j’en aie vraiment conscience, il marquera aussi ma vie et mes rapports avec ma mère. C’est en lisant Aragon et en découvrant cette si touchante Bérénice que je comprendrai :
« Elle parle de son père. De ce père étranger qui jamais n’a trouvé le chemin de son cœur. (…) Elle parle de son père qui lui a appris toute petite, ce que c’est que d’être malheureux. Et qu’elle a détesté pour cela. Et peut-être qu’elle a aimé pour cela ».
Je crois que pendant longtemps, j’en ai voulu à ma mère de cette ombre jetée sur ma vie.
Avant de tourner une nouvelle page de mon calendrier littéraire, je voudrais vous présenter trois lectures qui n’ont pas trouvé place dans mes précédentes chroniques, elles sont sans doute trop originales pour être associées à d’autres. Cette chronique comporte donc, pour commencer, un livre de dessins coréens commentés, il concerne un catalogue des petites épiceries de campagne en voie de disparition peint et écrit par Lee MEKYEOUNG, un très beau livre. J’y ai ensuite placé un essai sur la vie de Charlie CHAPLIN écrit par Adolphe NYSENHOLC et un recueil d’articles écrit par Ben PARVA. Trois ouvrages très différents mais trois ouvrages qui méritaient bien de figurer dans une chronique sur ce site de référence.
LES PETITES ÉPICERIES DE MON ENFANCE
LEE MEKYEOUNG
Editions Picquier
Ayant quelque peu délaissé la peinture qu’elle a étudiée à l’université, pour élever ses enfants, Lee Mekyeoung éprouve le besoin de reprendre la plume – elle dessine à la plume et à l’encre acrylique – après avoir visité une petite épicerie lors de l’une des premières sorties qu’elle effectue avec son deuxième enfant. Le charme désuet de la petite boutique et la sérénité détachée de la vieille épicière l’ont touchée au point qu’elle ressent le besoin de dessiner cette boutique comme pour en garder le souvenir.
« En retournant chez moi, j’ai attendu que mes enfants dorment pour me mettre à dessiner cette épicerie. Mon cœur bondissait de joie et je me sentais heureuse. C’est ainsi qu’a commencé mon histoire avec les gmeuong gagae ».
Pendant vingt ans, Lee Mekyeoung parcourt la Corée à la recherche des dernières petites épiceries campagnardes pour les immortaliser sous le trait de sa plume, pour qu’elle subsiste au moins dans la mémoire populaire avec ceux qui les ont fait vivre : épiciers, souvent épicières, et clients.
« Si seulement je pouvais dessiner toutes ces petites épiceries avant qu’elles disparaissent ! Si seulement elles pouvaient continuer à travers mes œuvres ! C’est là mon souhait le plus cher. »
L’auteure entend ainsi perpétuer à travers ses dessins le charme et la beauté discrète de ces petites boutiques qui la touchent infiniment.
« Si je me suis mise à dessiner des petites épiceries, c’est parce que j’étais attirée par la beauté discrète de ces vieilles boutiques à l’apparence délabrée et misérable. J’étais curieuse de ceux qui y vivaient avec persévérance depuis plus de quarante ans. »
Elle voulait aussi perpétuer dans la mémoire de ces concitoyens l’ambiance qui habitait ces lieux souvent si bruyants chez nous et toujours tellement calmes en Corée. C’est une époque, une civilisation qu’elle voudrait maintenir à travers le souvenir de ces lieux de rencontres où circulaient les informations et les potins populaires. C’était un peu le cœur du réseau social du village et de ses environs.
Elle dessine des tableaux à l’identique des modèles qu’elle reproduit avec infiniment de minutie et de précision en employant des couleurs pastel proches de celles utilisées par les aquarellistes. Elle place toujours un arbre devant ou derrière la boutique. L’arbre qui servait d’ombrage aux clients qui s’attardaient pour discuter avant ou après avoir acheté les quelques marchandises qui leur étaient nécessaires. Elle n’oublie pas la boîte aux lettres rouge qui est souvent la seule tache de couleur vive dans le dessin. Elle propose ainsi près de cent dessins tous aussi magnifiques, dégageant paix, douceur et émotion.
« L’ambiance mystérieuse créée par la rencontre entre l’ombre de la nuit et la lumière du magasin avait cette beauté triste qu’on ne peut voir que dans une épicerie en déclin. Cette beauté-là est l’essence de mes œuvres. »
Ces petites épiceries si charmantes évoquent un temps figé comme un instant de quiétude que rien ne trouble pas même le vol d’un oiseau ou d’un insecte, un temps de paix. Et l’auteure d’expliquer :
« Dans mes dessins, le temps est figé. Les fleurs de magnolia ne se fanent jamais et les petites épiceries semblent toujours prêtes à accueillir leurs clients. Dans mes dessins, le temps se souvient des gmeuong-gagae contemplant le monde sans bouger, de là où ils sont, des arbres qui les agrémentaient et des gens qui les fréquentaient ».
Comme si le temps n’avait aucune prise sur l’époque où ces boutiques prospéraient. On comprend mieux pourquoi qu’avant de devenir un dragon économique trépidant, la Corée du Sud était, avec sa voisine du nord, « le Pays du matin calme » dont Lee Mekyeoung semble avoir tellement la nostalgie. Une telle paix et une telle sérénité se transmettait des étalages des magasins aux mains de clients et en leur cœur et leur esprit.
Ce magnifique catalogue de dessins d’une grande pureté, d’une grande finesse, d’une grande beauté esthétique, est aussi une façon pour la dessinatrice de nous rappeler qu’il ne faut pas oublier ces vieilles boutiques et leurs tenanciers qui véhiculaient des valeurs aujourd’hui dévorées par le crabe de la grande distribution.
« Faisons attention aux choses qui nous entourent et qui nous sont familières. Peut-être leurs angles usés et arrondis par le temps cachent-ils une beauté que rien ne pourra remplacer ? En les observant attentivement on peut y percevoir les traces du temps et de la douceur de la vie ».
C’est un véritable cadeau que nous font l’auteure et son éditeur ! Un véritable livre d’art ! Une leçon de sagesse, d’attention et de respect !
Avec cet essai, Adolphe Nysenholc, grand spécialiste de Charlot et auteur de nombreux ouvrages de référence sur ce personnage et son créateur, cherche à démontrer toute la part de rêve qu’il y a dans l’œuvre et dans la vie de Charlie Chaplin. Le célèbre cinéaste a eu une enfance bien compliquée qu’il a toujours cherché à fuir et oublier notamment en répondant à l’appel du rêve américain. Il a rêvé de réussir à Hollywood, de devenir riche, de pouvoir offrir une meilleure vie à sa mère ayant sombré dans l’alcoolisme et la folie, de reconstituer une famille qui le fuit, son père quitte sa mère mais n’est peut-être pas son père génétique. La situation familiale est bien compliquée, Charlie Chaplin rêve d’avoir une famille stable et des origines claires et incontestables, ce qui ne sera jamais le cas, le doute plane encore sur l’identité de celui qui l’a engendré.
« Du type qu’il a créé un jour est issue toute son œuvre muette comme « parabole » de son temps. Le récit chaplinien aura été la légende de son image. »
Adolphe Nysenholc
L’auteur décortique toute l’œuvre de Chaplin, au-delà de ses Charlot, au-delà de ses films, ses écrits et surtout sa vie. Il démontre que le rêve fait partie intégrale de son existence. Il met en parallèle Chaplin l’auteur, metteur en scène, comédien et Charlot le personnage qu’il a créé. Chaplin a rêvé d’avoir une vie meilleure et pour cela, il a travaillé très dur, a fait preuve de beaucoup d’exigence, de ténacité, de perfectionnisme et de patience pour parvenir à concrétiser son rêve. Il a fait preuve d’un pragmatisme sans concession pour réaliser ses rêves. Et même si Charlot, semble à l’opposé de son créateur, il est lui aussi un grand rêveur toujours en butte avec la société ou les éléments, il subit mais finit souvent par triompher grâce au sort qui lui est souvent favorable.
« Tout le cycle Charlot est la réalisation d’un désir refoulé : être héros, conquérir l’aimée, être aimé de sa mère ».
L’auteur dénoue les fils de l’ambiguïté qui relient Charlot à son créateur. Charlie Chaplin est né dans cette ambiguïté, « … le fait de porter le même nom et prénom que l’homme dont il n’est pas sûr d’être le fils est peut-être la source où son art puise son ambiguïté. D’autant plus qu’il ignore si sa mère, qui a eu et aura plusieurs amants, a été infidèle à son époux… » Cette ambiguïté se retrouve dans le personnage de Charlot gentleman en haut, redingote ajustée et chapeau melon, et clochard en bas, pantalon beaucoup trop large et chaussures bien trop grandes et éculées. Charlot est un personnage complexe que Charlie Chaplin définit comme « … personnage a plusieurs facettes : c’est en même temps un vagabond, un gentleman, un poète, un rêveur, un type esseulé, toujours épris de romanesque et d’aventure… » Chaplin rêvait de réussir, il a créé un personnage de rêveur dont beaucoup d’aventures se réalisent dans le rêve, le sien, celui d’un autre, ou dans une forme quelconque d’inconscience.
« Dans un univers sans bruit, son corps mime le silence des rêves. Sans famille ni foyer, il parait hors du réel. Et errant, il est une créature sans projet de vie, contrairement à son créateur qui le lance délibérément dans des aventures ».
Selon le préfacier, Francis Bordat, « ce nouvel essai apporte des réponses originales à nombre de question, voire à quelques mystères qui font toujours débat dans la critique chaplinienne ». Si quelques questions demeurent encore en suspens, il est des réalités qui ne sont pas contestables, Charlie Chaplin a réussi quelque chose de grand, de très grand, il a créé le personnage le plus emblématique de tout le cinéma mondial depuis son invention par les frères Lumière. Il s’est affranchi de tous les progrès de la technologie pour réaliser des films d’une qualité extraordinaire au succès mondial. Il a réalisé une œuvre intellectuelle qui pourrait-être littéraire, en n’utilisant pas le langage, sans toutefois le supprimer car les mots essentiels sont dans ses images et dans ses silences comme ils pourraient être dans des aphorismes fulgurants.
« Le maître du muet qui s’était fait un prénom s’est aussi fait un nom, avec lequel il signe la légende du siècle. »
« Mais Chaplin qui a rêvé sa vie, a-t-il vécu son rêve ? » s’interroge le préfacier. Seul lui aurait pu répondre à cette question. Tout ce que je peux affirmer c’est que quand j’étais un môme, Charlot m’a fait rêver chaque fois qu’une petite bobine était projetée sur l’écran sommaire du patronage qui nous accueillait. Et, plus tard, devenu adulte, je rêve tout autant chaque fois que je vois un de ses films majeurs à la télévision ou au cinéma. Pour moi Chaplin restera toujours un immense poète, un cinéaste de génie et un grand humaniste. Il avait compris les hommes et peut-être encore mieux les femmes.
Avant de découvrir ce recueil, je ne connaissais rien de cet auteur, heureusement l’éditeur a eu l’excellente idée de placer au début de cet ouvrage une biographie fort instructive de l’intéressé.On y apprend beaucoup de chose notamment que l’auteur a connu la consécration en 2016 « quand son nom est cité au mariage d’un ami de sa sœur ».
Ce recueil comporte une bonne dizaine de pastiches d’auteurs qui auraient pu exister ou d’œuvres qui auraient pu s’insérer dans des périodes historiques bien définies. Comme si Parva avait voulu réécrire l’histoire à travers des références historiques et littéraires qu’il semble particulièrement bien connaître, tout en les revisitant à sa sauce proche de celle des surréalistes. Ces textes sont absolument délirants, ubuesques (au sens le plus propre du terme), même s’ils évoquent toujours des œuvres littéraires ou des faits historiques ou mythologiques bien réels.
Derrière cette bonne grosse rigolade, il a une vraie œuvre littéraire soutenue par la très fine culture de l’auteur, de la poésie, de la satire et surtout une remise en cause des systèmes philosophiques proposés par les philosophes de télévision que Jean Dutourd mettait déjà en cause dans « Les dupes » récemment réédité, tout comme Alain Guyard dans « Natchave « Deux ouvrages que j’ai eu le plaisir de lire récemment et dont j’ai redécouvert le thème principal dans cette satire de Ben Parva. « … et si la philosophie n’était que l’art de bâtir un système et d’y faire entrer l’univers de force et coûte que coûte ? ». Cette question pourrait bien réunir ces trois sceptiques.
Tout en puisant dans l’histoire, l’auteur n’élude rien des problèmes actuels notamment pas celui des migrants qu’en quelques vers il résume :
« Si loin du pays natal
Le monde est incompréhensible
Tout est murmure
… »
Et, celui des problèmes sociétaux qui n’agitent pas que nos banlieues et autres quartiers dits chauds. Pour eux, il propose une solution où j’ai cru lire un brin d’ironie et peut-être même un peu plus, une belle rasade.
« Le but de la justice, en Utopie – …. – n’est pas tant de punir que d’aider l’inadapté à s’adapter. Ainsi, au lieu de l’éliminer à la première incartade, l’Etat lui élève de coûteux camps de redressement où une équipe compétente et humaine le reprogrammera fraternellement, avant de lui permettre de retrouver la société idéale en laquelle il s’épanouira de gré ou de force ».
Et si ce n’était pas de l’ironie mais seulement un rappel historique.
Et voilà, sous son apparence douce et rigolarde, la farce tourne à la satire, à l’ironie corrosive, et finit par nous laisser avec les éternelles questions auxquelles personne n’a jamais pu répondre : « Qui suis-je ? Que suis-je ? Que pensé-je ? ».
J’ai dix ans Je sais que c’est pas vrai Mais j’ai dix ans Laissez-moi rêver Que j’ai dix ans (…) Ça parait bizarre mais Si tu m’crois pas hé Tar’ ta gueule à la récré
Créé le 22 décembre 2008, le blog a diffusé quelque 4000 posts et enregistré quelque 700 000 visites.
MILLE MERCIS aux amis Denis BILLAMBOZ, Philippe LEUCKX, Nathalie DELHAYE, Lucia SANTORO, Philippe REMY-WILKIN, JULIEN-PAUL REMY, Jean-PIERRE LEGRAND, Paul GUIOT et Daniel CHARNEUX d’avoir rehaussé de leurs critiques (littéraires, cinématographiques ou théâtrales) et de leurs lumières ce blog. Sans oublier les sympathisants, auteurs invités et relayeurs tout au long de ces années…
Philippe Leuckx a partagé en deux sections son nouveau recueil paru dans la belle édition de Bleu d’Encre, dépliant ses vers en phrases et ramassant ses phrases en vers au gré de son écriture ultrasensible qui dit la prose des villes et la poésie de la campagne. L’écriture, chez Leuckx, rameute le souvenir et le passé revient comme une rumeur.
Si les voix se perdent dans les creux, je gravis leur silence.
Dans la première partie, J’assume mes greniers (quel belle formule!), c’est le domaine dévolu plus à l’air, à l’avenir, à l’envol tandis que, dans la seconde, intitulée La maison, les gravats, le poète rend davantage compte de l’effondrement, du retour à la terre et de l’attachement à hier.
J’assume mes greniers d’enfance
Poussière frelons trésors
Par la lucarne vers les jardins
Racines et ramure, dirait-on d’un arbre.
Ma poésie je crois a puisé à la terre natale (…) ma poésie vient de cet enfant-là.
Mais la pluie n’est jamais loin, elle est la part menaçante de l’air, la part du ciel qui, en s’égouttant, nous atteint, nous déplore.
La pluie intruse est entrée jusqu’au vif de nos veines. Avec le sang imbu de notre pauvre passé.
C’est donc sous le signe de la verticalité que s’inscrit cette nouvelle aventure du poète alors qu’il nous parle plus souvent d’espace, d’étendue déclinée en villes et en fleuves. Ou bien il resserre son point de vue, modifie sa manière. Tous le composants de l’habitation, fenêtres, grenier, murs sont (ré)animés sous sa plume pour révéler un nouveau pan d’intériorité.
Dans la seconde partie, la maison se fait tombe, enfonçant la terre natale dans la langue maternelle, remet au jour les sensations ensevelies, ranimant le souffle des êtres qui l’ont habitée et qui l’enchantent désormais. Avec, de même, la lumière pour faire briller les langueurs.
La maison, par le fait même, qu’elle protège, dissimule, est ce lieu où se déploie l’intime, où elle joue à plein, se découvre. Où tombent les masques, la chair du sentiment apparaît.
Une maison qu’incendie tout regard
Elle est là à broyer le noir des combats
La pleine mesure des peines
Engrangées
La poésie de Leuckx qu’on pourrait dire feutrée, chuchotée, ne ménage pas les ardeurs, les cris étouffés, les blessures à vif.
Les enfants pelures d’orages sont griffés de partout ; à la lente venue des nuit, le cœur mêle à l’effroi / toutes nos couleurs.
Le baume voisine avec la blessure ; le souvenir est onguent et plaie. Le poème, ce couteau qui taille dans la langue, entame une part du poète. Si le miracle a lieu, si le poème apparaît, il n’est pas sans sacrifice chez son auteur : l’exercice de la poésie est à ce prix.
Tu recueilleras la moindre trace
L’objet sauvé des joues d’un enfant au jouet
Le plus petit sang d’âme
Qui révèle au grand jour
Sa douce mesure de miracle.
Philippe Leuckx, Maisons habitées, Bleu d’encre, 38 p., 10 €
Philippe Leuckx est là, tout entier, dès l’entame de ses recueils, avec l’infini nuancier de son écriture, qui scrute, glane et rend tous les degrés de la nostalgie. Ici, à Ischia, il s’attache à une chèvre qui a des syllabes de laine et à la peau qu’éclaire l’été, et qui enseigne la douceur.
C’est une chèvre de toujours / ligure entêtée. Comme le poète, elle se nourrit de temps et partage avec l’air / le bleu des fonds.
Comme le poète, son chantre, elle est celle qui connecte l’air à la mer, la terre à cette flamme qui ne cesse de l’allumer, de l’animer.
On porte le feu au cœur du monde, on attise la colère, on fend des espérances…
Le feu est lié au sang, à la blessure ; il est source de vie et de lumière. Pour y recourir, alimenter la flamme, il faut se faire petit, humble, sacrifier à la caresse de la main, au geste de la parole tendue.
le sang recommence d’alimenter, en vidant les veines.
Une fois de plus, le poète en voyage (comme déjà une dizaine de fois par le passé dans cette collection de chez Encres vives) a tiré tout le bleu de l’été (Et les mots frais sont une eau de recours). Il s’est fait dans une terre étrangère jardinier de sa langue, en accord direct avec l’enfance et en fixant le temps sur la route d’un soir, sur tous les instants qui le constituent comme autant d’harmoniques d’un son. Une fois de plus, la magie du lieu a opéré.
Et Ischia déjà s’éloigne, et la barque vers le phare.
Mais faut-il le rappeler, la critique peine à rendre toute la texture d’un texte quand il est tissé de mille liens et rayonne. Il faut lire et relire le texte, et à chaque lecture tendre l’oreille pour mieux éprouver ce qu’il te raconte de si personnel. jusqu’à ce remuement d’âme que ses mots favorisent.
Parfois, dans un livre, quelqu’un te parle à voix si basse que tu tends l’oreille pour mieux éprouver ce qu’il te raconte de si personnel. (… ) On est au cœur d’une maison (…) Le cœur sait de tout temps que c’est un cri qui vient de loin. De l’enfance et des murs chaulés.
Philippe Leuckx, Une chèvre ligure à Ischia, Encres vives, coll. Lieu, 6,10€
Le traquet kurde, qui sert de motif et de point de départ à ce livre « se reproduit à partir du mois d’avril dans une zone montagneuse courant du sud-est de la Turquie à l’ouest de l’Iran, laquelle correspond assez exactement à la zone de peuplement kurde. » Ce qui a attiré l’attention de Jean Rolin, ex-grand reporter et formant avec son frère Olivier une des fratries littéraires les plus fameuses de la littérature française, c’est la découverte en 2015 d’un traquet kurde au sommet du Puy de Dôme, trois mois après qu’une milice kurde a repoussé avec l’aide de l’US Air force une offensive de l’Etat islamique contre la ville de Kobané.
Jean Rolin
Ce périple qui va mener Rolin, historiquement, du XIXème siècle à nos jours et, géographiquement, de la Normandie sur les lieux mêmes de l’habitat du traquet, raconte aussi les collusions que n’ont pas cessé d’entretenir, surtout en Grande Bretagne, l’espionnage et l’ornithologie, ce qui nous vaut des portraits de quelques ornithologues fameux aux destinées aventureuses tels que les extravagants Meinertzhagen ou John Pilby plus espions que diplomates qui tuaient, cela dit, l’objet de leur admiration plutôt que les cocher, comme c’est pratiqué de nos jours.
À ce propos, Rolin écrit : « Si la relation qu’entretient l’ornithologie avec la guerre, l’espionnage ou la diplomatie est illustrée par de nombreux exemples (…) est l’un des rares où elle se conjugue avec le meurtre. »
Le traquet kurde
Dans ce récit qui, pour partie, se situe dans une des régions les plus géopolitiquement sensibles de ces dernières années, jamais l’auteur, qui ne se départit d’un flegme littéraire tout britannique, tenant à distance respectueuse l’objet de son observation, ne se permet de considérations politiques même si on comprend qu’il défend, via le traquet traqué, la cause du peuple kurde. Aucun avis, aucune considération personnels, de ceux qui font les mauvais écrivains, du moins dans l’exercice romanesque, n’est ici exprimé.
Un récit tonique, donc, servi par une écriture minutieuse et volontiers digressive qui fait de ses doutes une arme de précision et nous transbahute d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre, sans qu’il y paraisse.
Ce livre, qui est un des derniers édités par Paul Otchakovsky-Laurens, a été récompensé du Prix Alexandre-Vialatte.
Qui ne connaît ce genre, fêté en Orient, décliné par de grands maîtres (je pense à Matsuo Bashô), aujourd’hui bien en vogue chez nous?
Le haïku se porte bien, et on retrouve, ici, les qualités du genre : brièveté, sens de la nature, adhésion philosophique ou réflexive.
L’extrême finesse du travail de Huppen évite les clichés, les redondances, les poncifs car la vraie poésie « embaume/ tout près » (p.34), et on peut même goûter de hardies modernités dans le contexte : « Deux cigarettes/ leurs volutes s’échappent/ d’entre les bruyères » (p.41).
Le peu est une exigence.
« Presque minuit
un renard pousse des cris
dans les fourrés »
(p.25)
On peut grappiller à l’envi : la poète sait varier ses angles et nourrir sa poésie d’un regard aigu sur la « portion de ciel » (p.36) ou des sons de l’été (« au chant des grillons », p.37).
Le recueil est plein de saveurs, de terre, de saisons et d’oiseaux visiteurs.
Belle lecture.
Iocasta HUPPEN, 130 haïkus à entendre, sentir et goûter, éditions Bleu d’encre, 2018, 64p., 10€.
La poète, connue pour de beaux recueils édités à L’Arbre à paroles, au Coudrier, chez Eranthis, propose ici une quinzaine de textes écrits sous l’éclairage de l’épigraphe de Rose Ausländer : « Parfois c’est très silencieux/ très blanc autour de moi/très primaire en moi/ j’entends le cœur inaudible ».
« jeter une fenêtre/au milieu » du silence ou garder les « mots chez eux/ dans les mains silencieuses« , comme donner au « tu » invoqué dans l’écriture la place qui lui revient, essentielle « dans l’écriture » : le poème chez Wautier signe empathie et lucidité. Il y a tant à dessiller : « nous sommes des yeux fermés », et la souffrance doit être combattue, quoique prégnante, mais l’humaine condition est si proche à « serrer dans ses bras ».
Il y faut de la tension (allez…bougez un peu semble souffler la poète), de la vie (et la vivre en dépit de tout, contraintes et aléas), et la solitude veille, pas toujours aisée à vaincre en soi.
Le poème, lui, en petites saccades, tient debout et rassure un peu de tous ces doutes approchés.
Il est grave, et ouvert.
Il sait ce dont il se hérisse parfois dans l’observation du réel.
« nous
ne pouvons vivre
mille vies
mais une seule nous rend vivant
jusqu’au bout par l’amour
on ne sait pas pourquoi »
(p.32)
L’écriture, fine et dense, sait, ô combien, se nourrir de petits tercets, de distiques pour accrocher le lecteur et l’emballer dans sa mélancolie douce, entre chagrin et espoir frêle.
Véronique Wautier, Dans nos mains silencieuses, Eranthis, 2018, 34p., 12€. Encres très belles de Pierre Tréfois.