UNE INDÉFECTIBLE AMITIÉ de COLETTE FRÈRE (Lamiroy) – Une lecture de Philippe Leuckx

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Philippe LEUCKX

On est en 1963-1964, en pleine période yéyé, et la vedette que s’arrachent toutes les filles de 12-14 ans (c’est l’âge des deux amies indéfectibles) s’appelle Claude François. Mariette (« Marie ») est fille d’épiciers; Astrid Deluc, fille de notaire (chez les Deluc on est notaires de père en fils de longtemps). Leurs chemins se croisent à l’Institut Sainte-Geneviève.

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Colette FRÈRE

La mère de Mariette a entendu parler de l’ascenseur social, et n’en démord pas : sa fille ne sera pas épicière…

Au vitriol, Frère écrit au vitriol : lutte de classes, bourges impayables, rancoeurs recuites, désir de vengeance, fugue injustement punie, époque révolue (« le petit château » acquis par les notaires dans un village serti de componction)…

On se croirait chez Suzanne Prou; la nouvelle, bien écrite, pointe une société enlisée dans les conventions et les rôles bien établis : d’un côté, l’usine, l’épicerie; de l’autre, le monde des affaires et ventes, des notables. Le mur est bien étanche de l’un à l’autre. Et certain(e)s voudraient que cela ne change pas.

L’humour noir, une espèce de « crime » (du moins selon les rites de l’honneur), tout convie à une lecture rapide, tant on est pris par l’atmosphère très bien rendue.

La féroce vision du monde n’est pas près de s’éteindre, puisque rien n’a changé, et 2019 sonne le retour des impayables vertus d’une bourgeoisie bien installée.

#80 Une indéfectible amitié

Colette Frère, Une indéfectible amitié, Lamiroy, coll. opuscule n°80, 2019.

Une indéfectible amitié sur le site de chez Lamiroy

COLETTE FRÈRE sur Babelio

EMPREINTES AU COUCHANT de DIDIER GIROUD-PIFFOZ et ISALIE – Une lecture de Philippe Leuckx

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Philippe LEUCKX 

Douze haïkus, tous proches d’une nature à observer sinon à défendre des atteintes. Le couchant parfois se saborde d’un incendie, les plaies restent, béantes, des « brèches », et la « froide solitude » quand le regard du poète « contemple ». Encore faut-il recourir à « l’humus » nourricier ou se réfugier au « doux ventre de la femme ». Sinon, le « temps » et « le regard » s’érodent. Il reste à sauver, par l’écriture, et le don, « l’aube fontanelle », pas encore refermée comme celle de l’enfant.

Citons :

« Naître sous la cendre

d’or d’incertaines étoiles

sourdre de l’oubli »

.

« Offert à la terre,

cueillir les lèvres d’humus,

racines en chair ».

Un bien bel objet.

La couverture de l’exemplaire 9/30 : une peinture à la pâte très épaisse,  des étoiles de sang, des griffures de bleu pâle, de gris, des saignements de couleurs entre parme et blanc cassé.

Didier Giroud-Piffoz et Isalie (sa fille Karine GP), Empreintes au couchant, chez l’auteur, 2018.Toiles originales en couverture. Trente exemplaires numérotés. 20€.

Une interview de Didier GIROUD-PIFFOZ

Didier GIROUD-PIFFOZ sur le site de la Société des Écrivains de Vendée

POUSSIÈRE de CARINO BUCCIARELLI (L’Arbre à paroles) – Une lecture de Philippe Leuckx

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Philippe LEUCKX 

Constitué de cinq sections, le nouveau livre de poèmes de Carino Bucciarelli, après vingt et un ans de silence poétique, recycle un recueil ancien (les 33 poèmes du livre paru en 1995 sous le même titre « Forme humaine »), et poursuit ses aventures entre le maître Michaux (d’absurde, de poème insolite, de petit poème-récit à fonction symbolique ou éthique) et Kafka, régalant ses lecteurs de variations, de métamorphoses du couple (Grégoire et Grégoire in « Forme humaine », le père et le fils dans « Pour cacher ma nudité) etc. Le deux, figure centrale, ordonne nombre de textes où quelqu’un, d’étrange, d’étranger, de criminel (un tueur du Brabant), s’insinue dans la vie « à mes côtés » du narrateur dépassé, « obligé de partager », dans une zone indécise de réalité et de franche songerie, « les poussières », celles qui réduisent, ces particules de rien, ces traces de « mort », quitte même à voir partager son cercueil avec un crocodile !

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Des « Amas de poussière » (p.66) à « Retour à la poussière » ( I, II, III), la mort est ici une compagne assez obsédante, prenant place aux côtés du père du narrateur, ou la mère « apostrophant » le narrateur « du fond de son enfance ».

L’image du couple, du « deux » fondateur traverse tout le livre, et si « la grêle/ sur le toit des amants/ crépite comme un feu », le personnage inquiet, se refuse (« qui voudrait de moi ? ») à assumer quelconque rôle : il est là, de trop, « là », posé de guingois au milieu du « réel » tronqué ou trompeur.

Nonante-six poèmes (proses courtes ou versets) sur « la morsure de la poussière sur leur visage » : le ton, agité d’absurde et d’humour très noir, trouve à décliner parfois une poésie inquiétante de tendresse : « boule inquiète », le narrateur se roule lui-même, se leurre, qui sait, il n’est nulle part à sa place, et il lui advient de tomber « amoureusement » sur une « petite gare où je viens te chercher », et même parfois, à n’en savoir que dire, « l’herbe toujours heureuse » sert de cadre « à la limite du pré ».

Carino BUCCIARELLI

L’univers de Bucciarelli, terriblement marqué du sceau du navigateur de l’étrange qu’est Henri Michaux, est tissé de récits qui se coupent la queue, qui jouent du mot pris au jeu de l’absurde mécanique : les métamorphoses sont possibles et une mère peut devenir père, physiquement, génétiquement. Tout est possible.

Les plus beaux de ces poèmes (mécaniques huilées d’absurde programmé, le temps de quelques strophes) tiennent même à la fragilité de leur enseigne : un « Chiffon » (p.102) « emprisonné/ t’appelle à lui ». On sent alors une infinie tendresse pour de vieilles choses sans intérêt. De même, quand l’enfance déborde du fonds de commerce de l’auteur (pour l’irréalisme invasif), l’émotion aussi cligne de l’oeil, sans ostentation, tout simplement :

« Sur le flanc du talus,

Un enfant descend en s’égosillant,

Les bras relevés.

Tu ne peux l’entendre

à cette distance.

(p.101)

Au cœur des villes « les hommes s’affairent, inclinés…ils sont à la recherche/ du grain de poussière commun ». Apologue terrible du constat ineffable d’une incommunicabilité inscrite à froid au travers des poèmes d’un auteur qui tente de  réconcilier « un couple d’humains » avec le monde sans queue ni tête.

 

Carino BUCCIARELLI, Poussière, L’Arbre à paroles, 2019, 118p., 12€. Photo de couverture par Anne-Sophie Costenoble.

Le recueil sur ESPACE LIVRE & CRÉATIONS

CARINO BUCCIARELLI sur le site de l’AEB

MON HÔTE S’APPELAIT MAL WALDRON de CARINO BUCCIARELLI (M.E.O.) – une lecture de Philippe Leuckx

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PHILIPPE LEUCKX 

Tissé de plusieurs voix narratives « Mon hôte s’appelait Mal Waldron », hommage à l’histoire de ce jazzman né en 1925 et décédé en 2002, est sans doute un exercice de style autour de ce que peut être un personnage ou un auteur ou un scripteur lâché sans bonde, ou simplement un personnage malmené ou manipulé par un auteur omniscient.

Mal Waldron

 

Mêlant ces voix – celles d’hôtes aussi divers que Bashô, le pianiste célèbre, l’auteur, le narrateur-personnage, le roman joue d’un mystère qui s’épaissit au fil des chapitres, des « strates », pour étouffer toute clarté dans cet entrelacs de fictions qui se recoupent, s’éclairent, s’obscurcissent.

Pour tout dire, je n’ai pas bien saisi.

En dépit d’une écriture soignée (descriptions précises et superbes), le roman souffre, je crois, d’une narration excessivement compliquée, une sorte de nouveau nouveau roman, jonglant avec les registres de la narration…validant, invalidant les instances de narration (un je inventant, gommant…)

Vraiment dommage car l’auteur a le sens de l’atmosphère, de la reconstitution, de la musique qui influence, de l’insolite qui se niche dans la phrase.

Carino BUCCIARELLI, « Mon hôte s’appelait Mal Waldron », M.E.O., 2019, 132p., 15€.

Le livre sur le site de M.E.O.

Buciarelli

Carino BUCCIARELLI sur le site de l’AEB

 

Mal Waldron en concert

KAFKA SUR LE RIVAGE de HARUKI MURAKAMI – une lecture de Jean-Pierre Legrand

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JEAN-PIERRE LEGRAND 

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D’ordinaire, j’affectionne peu les romans aux rebondissements multiples, mêlant réalisme, surnaturel, mille choses encore et dont la lecture, page après page me convainc rapidement que, décidément, l’auteur a un peu trop chargé la barque.

À première vue, Kafka sur le rivage n’était pas donc pas pour moi…  Il y pleut des poissons quand ce ne sont pas des sangsues ; les chats se mettent à parler (attention, uniquement avec ceux qui peuvent les comprendre…) ; le mal s’incarne dans des « personnages concepts » évadés de leur abstraction publicitaire, comme Johnnie Walker sanglé dans sa redingote rouge, le haut-de-forme vissé sur le crâne ou le colonel Sanders. Mais Murakami joue de tout cela avec un tel naturel et un brio dans l’estompement des limites qu’il crée un monde très crédible, à peine différent du nôtre mais dont la trame poétique et onirique fait communiquer entre elles toutes les dimensions du rêve et de la veille, des esprits et des corps, du monde et des outre-mondes.

L’intrigue est complexe… Elle s’ouvre à la façon d’une scène primitive, sur fond de mythologie : âgé de 15 ans , abandonné par sa mère partie avec sa sœur lorsqu’il avait 4 ans, Kafka Tamura fugue du domicile paternel, fuyant la sinistre prophétie de son père sculpteur de renom: « tu tueras ton père de tes mains et coucheras avec sa mère. »

Peu après le départ de Kafka, un autre personnage s’agite. Il s’agit de Nakata. C’est un curieux vieillard : durant la seconde guerre mondiale, alors tout jeune écolier il a été  victime,  avec toute sa classe, d’un incident énigmatique (attaque neuro-toxique ?) dont lui seul a conservé des séquelles. Sa mémoire s’est vidée de tout souvenir et son esprit de tout apprentissage ; élève brillant, Nakata n’a jamais plus su ni lire ni écrire. Avec une innocence candide, il habite comme de plain pied un monde qu’il réenchante. Privé de souvenirs, Nakata est une sorte de « bibliothèque sans livre ». Il y a quelque chose de L’Idiot de Dostoïevski chez lui : un élément christique et perturbateur ; il se fait l’instrument d’une révélation, il œuvre à un accomplissement.
Nakata vit de quelques indemnités et d’expédients.  À la demande de leurs propriétaires, il s’est fait une spécialité de retrouver les chats égarés : il leur parle et comprend leur langage. Un jour, il tue un certain Johnnie Walker qui les torture et les massacre. Il doit fuir. Il est rejoint par Hoshino un jeune homme tout ce qui a de plus normal et qui comme presque tous les gens normaux, vit au jour le jour et donc perd sa vie, dissipe son être, « cette maille qui file » comme dit Jankélévich.

Dans leur fuite, Kafka et Nakata, flanqué de Hoshino, convergent tous deux vers l’île de Shikoku et là, vers  la bibliothèque Komura qui, sans qu’ils s’en doutent, est l’épicentre de cette secousse qui les a fait se mettre en route. La bibliothèque est dirigée par Melle Saeki secondée par Oshina séduisant androgyne, esthète et très cultivé. Agée d’un peu plus de 50 ans, Melle Seki vit dans le souvenir d’un jeune homme, à l’exacte semblance de Kafka, qu’elle aima passionnément et qui mourut tragiquement.

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Haruki Murakami

Elle engage Kafka et l’installe dans une chambre du lieu. Sur un de ses murs, une peinture troublante : on y voit le jeune homme qu’elle aima ; au bord d’un rivage, le regard perdu vers l’horizon. La nuit, une jeune fille spectrale surgit des ténèbres et s’abîme dans la contemplation du tableau. Kafka tombe amoureux de cette vision…

La police, elle aussi, s’est mise en mouvement. Le père de Kafka a été assassiné. Kafka est recherché ; il se réfugie dans une cabane qu’Oshina possède, au flanc d’une montagne et que borde une impénétrable forêt, véritable labyrinthe. Oshina le met en garde : cette forêt perd ceux qui s’y enfoncent.

« Quand tu mets le pied dans un labyrinthe extérieur, c’est que tu entres aussi dans un labyrinthe intérieur. Dans la plupart des cas , c’est très dangereux ».

Bien entendu, le jeune adolescent ne résiste pas à la tentation de s’aventurer dans les profondeurs sombres, sauvages et solitaires de cette forêt et de gagner tout au bout, le bord du monde. Certains peuvent s’y perdre à jamais, d’autres en reviennent. De ce séjour sur l’extrême rivage de sa conscience où « les vagues viennent lécher la grève, et refluent en laissant des lettres derrière elles, puis reviennent et les effacent », Kafka resurgira au plein jour, n’ayant rien rejeté de lui-même, tout absorbé, ombre et lumière, complètement lui-même, dans un monde nouveau…

Kafka sur le rivage est un beau roman d’apprentissage. Il conjugue des qualités rarement réunies : sa densité philosophique ne lui enlève jamais son rythme et sans rien perdre de « son nerf », le propos se nimbe d’un climat de rêverie poétique. Petit bémol cependant : fait malheureusement trop fréquent, quelques inadvertances dans la traduction agacent.

Le foisonnement du roman permet de multiples lectures, autorise plusieurs points de vue.

Le foisonnement du roman permet de multiples lectures, autorise plusieurs points de vue.

Il explore maintes facettes de l’âme humaine dont, sans doute, le sentiment de culpabilité n’est pas le moindre. La responsabilité commence avec le pouvoir de l’imagination, nous dit Oshina citant Yeats… Érudit sans lourdeur, Murakami multiplie les emprunts ou allusions  à Shakespeare, Goethe, Bergson, Kafka mais aussi Soseki et Tanizaki et rend compte du sens de la vie et de la recherche d’une identité..

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La musique et la peinture jouent un rôle important dans le roman. Cette peinture du jeune homme au regard perdu est aussi lancinante que le Christ d’Holbein dans L’Idiot : point de passage entre le réel et le monde du souvenir, des esprits et de l’au-delà, elle joue dans les deux sens comme un prisme diffractant la lumière, celle des morts et celle de vivants.

Egalement lieu de médiation entre les mondes, la musique, surtout classique mais pas seulement, est omniprésente. Rien d’étonnant dans un roman ou tout est métaphore,  la musique étant sans doute de tous les arts, le plus métaphorique.

Par la métaphore du labyrinthe et surtout de la bibliothèque, ce roman joue également constamment d’une dialectique de l’endroit et de l’envers, de l’intérieur et de l’extérieur ce qui n’est pas sans rappeler Borges, référence à mon sens implicite même si jamais citée dans le roman.  La bibliothèque constitue à ce titre une double métaphore.  Tout d’abord de ce monde parallèle, dépositaire de l’esprit et de la mémoire du monde que sont tous les livres. Ensuite de ce réduit de nous-même avec ses rayonnages, « dans lequel nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. (…) Une bibliothèque qu’il faut balayer, aérer, changer l’eau des fleurs et  indexer, avec des cartes de référence, pour connaître précisément ce qu’il y a dans nos cœurs ».

Je viens de citer Borges voici quelques lignes. L’envie me prend de conclure avec lui, tant il me semble que la conception du roman qui irrigue Kafka sur le rivage, est proche de celle qu’a pu exprimer  Borges :

« J’ai distingué, dit-il deux principes de causalité : l’un naturel, qui est le résultat incessant d’opérations incontrôlables et infinies : l’autre, magique, lucide et limité, où les détails prophétisent. Pour le roman, je pense que la seule honnêteté possible se trouve dans le second. Le premier sera réservé à la simulation psychologique. »

Le jeune Kafka Tamura semble confirmer cette analyse. L’un des premiers livres qu’il dévore dans la bibliothèque Komura sont Les Mille et une nuits dans l’édition de Burton (Tiens, Borges en parle aussi), « livre plein d’obscénité, de violence, de sexe et d’absurdité , qui déborde d’une vie et d’une liberté que le bon sens ne peut contenir ».

 

KAFKA SUR LE RIVAGE sur le site LISEZ 

Le site consacré à HARUKI MURAKAMI

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LE NEUVIÈME ORGASME EST TOUJOURS LE MEILLEUR d’ANNE-MICHÈLE HAMESSE, une lecture de Nathalie Delhaye

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NATHALIE DELHAYE

Ne nous méprenons pas, le titre peut sembler sulfureux, et j’avoue qu’avec la couverture il a fait son effet dans les transports en commun que j’ai empruntés lors de ma lecture.
Anne-Michèle Hamesse propose dans ce recueil dix-sept nouvelles tout à fait convenables.

Le neuvieme orgasme couverture 30 12 2018

 

Elle y raconte la vie, tout simplement, elle décrit des personnages qui ressemblent à Monsieur tout-le-monde, et un peu, voire beaucoup abîmés par une existence compliquée.

Chaque nouvelle nous emmène dans des décors bien dépeints, avec une ambiance perceptible, qui nous révèle les faces plus ou moins sombres des divers protagonistes. Des femmes, des hommes, qui vivent de passion, de convenances, de soumission, et vient l’événement déclencheur qui laisse entrevoir une chute. 

La force de ces textes est que la chute n’est pas souvent celle que l’on attendait. Elle laisse pantois, fait esquisser un sourire, éclater de rire, cligner des yeux, froncer les sourcils, provoque chez le lecteur un temps d’arrêt, ou laisse bêtement bouche bée.
L’ouvrage est parfaitement dosé, de la rage, de la luxure, des relations interdites, des passages à l’acte, du surnaturel, des cadavres. Mais il évoque aussi des sentiments, de l’abandon, de l’amour, de l’amitié, de la haine, de la tristesse, de la compassion.

Un melting pot ingénieux, au vu des profils variés, de l’employée d’agence de voyages à la bourgeoise, de l’écrivain de polars au taulard repenti, avec bien souvent en arrière-plan la Belgique et ses panoramas variés.

Quant à la neuvième, je l’ai trouvée très bien écrite, un condensé de métaphores…

Un recueil plaisant et surprenant.

 

Le livre sur le site du Cactus Inébranlable

Ma voisine a hurlé toute la nuit d’Anne-Michèle HAMESSE au Cactus Inébranlable

ANNE-MICHÈLE HAMESSE sur le site de l’AEB

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2019 – LECTURES D’HIVER : HISTOIRES ASIATIQUES, une chronique de Denis Billamboz

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Denis BILLAMBOZ

Une fois de plus, je vous propose un petit détour par l’Extrême-Orient, tout d’abord pour suivre une honorable famille nord-coréenne déportée sans raison valable dans l’un des pires camps de détention de prisonniers politiques en Corée du Nord. Ça fait froid dans le dos, alors pour vous réchauffer, je vous accompagnerai au XVI° siècle dans l’ouest de la Chine pour suivre un saltimbanque sur le chemin de la gloire qu’il ne trouvera jamais mais, en contre partie, il trouvera la sagesse.

 

LE CAMP DE L’HUMILIATION

KIM Yu-Kyeong

Editions Picquier

Camp de l'humiliation

Pour bien comprendre la dimension dramatique qui imprègne ce livre, il faut savoir que l’auteure est une romancière nord-coréenne qui a fui son pays pour se réfugier au Sud au début des années deux mille. Elle se cache derrière ce pseudonyme pour protéger les parents qu’elle a encore là-bas et certainement aussi les amis qui l’ont aidé à s’expatrier pour préserver sa vie. On peut ainsi remarquer que le chapitre de ce livre qu’elle consacre au passage au Sud de l’un des héros est très schématique, comme si elle n’avait pas voulu dévoiler les stratagèmes usités par ceux qui franchissent la frontière entre les deux Corée, pour ne pas mettre en danger ceux qui aident les fuyards à traverser cette frontière quasiment hermétique. Le nombre de Nord-Coréens qui réussissent à franchir la frontière est très faible, cette frontière est particulièrement bien surveillée.

Wonho est un fonctionnaire zélé qui compte bien faire carrière, c’est un fidèle soutien du régime, aussi est-il très surpris quand, un soir, en rentrant du travail, il trouve sa maison sens dessus dessous et sa femme et sa mère recroquevillées, terrorisées, dans un coin de la pièce principale. La police politique les emmène après un log voyage sur le plateau d’un camion rustique dans le nord du pays, dans un camp pour prisonniers politiques. Ils ne comprennent pas la raison de cette déportation. Ils ne font pas de politique, sa mère et son épouse sont des musiciennes de talent dans un grand orchestre de la capitale. Elles sont très connues parmi les élites. Ils apprendront plus tard que la punition qui leur est infligée est due à la défection du père de Wonho, espion infiltré au Sud, selon le sacro-saint principe de la punition collective appliqué immuablement dans de telles circonstances.

La vie dans le camp dépasse largement le cadre de l’humiliation, les gardiens ont recours à la cruauté la plus féroce avec un cynisme glaçant. Un prisonnier politique n’est rien, sa vie n’est qu’un détail, s’il meurt on l’enterre sans tombe pour que personne ne puisse situer sa sépulture. Dans les premiers mois, le trio souffre le martyre, affamés, le couple et la mère n’ont pas la force d’accomplir les tâches qui leur sont assignées. Ils auraient disparu bien vite si un hasard n’avait pas mis sur leur route un responsable follement amoureux de Su-ryeon, l’épouse de Wonho, qu’il avait connue quand ils habitaient la même petite ville. Il lui fait une cour très pressante en lui donnant de quoi améliorer leur ordinaire. Elle finit par céder pour que son mari et sa belle-mère subsistent. La tragédie prend une autre dimension, le cadre politique est dépassé, la famille entre alors dans le cadre de la tragédie grecque. L’épouse accepte une relation avec son geôlier pour protéger son mari qui accepte cette situation jusqu’à ce que sa femme tombe enceinte. Une autre histoire commence alors…, elle connaîtra moult rebondissements. « Su-ryeon est devenue une prisonnière politique. Il (le geôlier amoureux) est contraint de la traiter non comme un être humain mais comme une bête et une ennemie de classe », mais aussi comme la mère de celui qui est peut-être son enfant.

L’auteure a écrit ce livre principalement pour dénoncer l’arbitraire gouvernemental en Corée du Nord piétinant sans vergogne les droits de l’homme, une notion dont le peuple ignore jusqu’à l’existence. Mais elle va bien au-delà, elle emmène le lecteur sur le chemin de croix parcouru par les prisonniers politiques, un long calvaire auquel bien peu de détenus survivent.

« J’ai choisi un camp de prisonniers politiques comme toile de fond mais l’existence en général de la population nord-coréenne n’est pas tellement différente de celles des protagonistes du roman ».

Cette histoire bouleversante, c’est aussi la dénonciation de la méthode appliquée par les dirigeants en Corée du Nord : le pouvoir absolu, l’arbitraire, la peur, la terreur, la punition collective, la soumission complète, l’endoctrinement total, … toute la panoplie de la dictature la plus abjecte qui soit.

Au fil de la lecture, une autre dimension apparaît, la dimension humanitaire, la capacité à résister, à faire face, à se rebeller, à composer avec le pouvoir le plus arbitraire et plus cruel pour pouvoir vivre encore un peu sans abandonner toute son humanité et toute sa dignité ou au contraire en se vendant comme vil sicaire, pour croire pouvoir encore vivre même tremblant comme feuille au vent. Kim Yu-kyeong esquisse des personnages qui chacun à leur façon, affronteront les tortures qui leur sont infligées avec leurs forces et leurs faiblesses, elle réalise ainsi une profonde plongée au tréfonds de l’âme humaine en retirant une étude sans concession de la nature humaine quand elle est poussée dans ses dernières limites.

« J’ai eu mal en me remémorant mes souffrances, et peur en me demandant si ces histoires si tragiques et épouvantables pourraient attirer l’attention et l’empathie des gens vivant dans le monde libre et si ceux-ci s’intéresseraient vraiment au calvaire qu’endure le peuple du Nord ».

Yu-kyeong, cette histoire m’a bouleversé, elle m’intéressera toujours, j’ai une profonde empathie pour ce peuple martyrisé, je voudrais pouvoir voler à son secours !

Le livre sur le site de l’éditeur 

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ROMAN D’UN SALTIMBANQUE

Jacques PIMPANEAU

Editions Picquier

Roman d'un saltimbanque

 

Après Monsieur Wu dans « Les quatre saisons de Monsieur Wu » et Saxifrage dans « Mémoires d’une fleur », Jacques Pimpaneau invente un nouveau personnage pour emmener ses lecteurs dans une nouvelle excursion dans la Chine profonde et son histoire. Cette fois, il s’agit d’un intellectuel raté qui a préféré suivre une troupe de saltimbanques plutôt que d’envisager une carrière de lettré dans l’administration vers laquelle le poussait son père. Cette histoire commence quand un riche orphelin chinois reçoit des mains du jardinier d’un monastère un manuscrit racontant la vie qu’il a menée avant de la finir en cultivant des plantes pour les moines du lieu.

Ce manuscrit commence par cette précision : « Je suis né dans la province du Sichuan la vingt-sixième année du règne de l’empereur Shenzong de la dynastie Ming », l’auteur à la grande mansuétude de préciser que cette année correspond à l’année 1596 de notre calendrier. Le jardinier raconte comment, encore enfant, il a très tôt accompagné son père, conteur réputé ayant construit lui-même son théâtre d’ombres, apprenant ainsi presque toutes les histoires mises en scène par les conteurs de la région. Progressivement son père lui a confié des rôles, espérant le voir un jour prendre sa succession. Mais devenu jeune homme, il a préféré voir du pays, il est parti chercher un emploi de conteur qu’il n’a jamais trouvé. Il est devenu successivement serveur dans un restaurant puis homme de confiance d’une riche commerçante en thé avant de suivre une troupe de théâtre comme manœuvre et cuisinier avant d’obtenir des rôles de plus en plus importants jusqu’à ce que les Mandchous envahissent la région, tuant de nombreux hommes partis les combattre. La troupe amaigrie, les spectateurs moins nombreux et moins fortunés, les comédiens doivent alors se disperser.

Sur les traces de ce personnage poursuivant son rêve en exerçant divers métiers fort disparates, Jacques Pimpaneau nous convie à un véritable voyage initiatique au cours duquel le héros acquiert suffisamment de sagesse pour savoir se contenter d’un modeste un emploi de jardinier dans un monastère aux confins de la Chine et du Tibet. Une forme de réconciliation entre la terre nourricière et le ciel et les esprits qui le peuplent. Comme si de l’union de Chthonos et Ouranos pouvait naître la sagesse transmise par des générations de moines et de lamas.

« Je préférais la décadence et le désordre au silence imposé par l’ordre, et la loi de la nature à celle des institutions, dont la morale est si souvent cruelle ».

En lisant cette réflexion mise par Pimpaneau dans la bouche d’un des sages qui peuple ce roman, je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’il nous lançait à travers ces mots une forme d’avertissement que nous n’avons toujours pas compris et qu’il faudra au moins une bonne révolte pour que nous le prenions en considération. Les derniers événements semblent bien lui donner raison…

Le livre sur le site d’éditeur

LES ÉDITIONS PICQUIER 

2019 – LECTURES D’HIVER : UN OUVRAGE UNIQUE, une lecture de Denis Billamboz

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Denis BILLAMBOZ

Aujourd’hui, je vous propose un ouvrage réellement unique, unique dans sa conception : CENT SONNETS (qui n’ont rien à voir avec les sansonnets) avec chacun une illustration en regard : un magnifique dessin en noir et blanc, unique dans son exigence : chaque sonnet compose un acrostiche, unique dans son ton : les deux compères n’ont reculé devant aucune audace langagière pour exprimer leur humeur et leurs opinions dans la paillardise la plus rabelaisienne, la gauloiserie la plus belge et sans éviter la pornographie pas plus que la scatologie. Le tout servi par un éditeur qui a réalisé un très bel objet de bibliographie.

 

SORNETS

André STAS – Éric DEJAEGER

Illustrations : Jean-Paul VERSTRAETEN

R.A. Editions

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Grand format, jaquette, papier glacé, sur les pages de gauche : cent sonnets, cent sonnets formant chacun un acrostiche, sur les pages de droite : cent superbes illustrations en noir et blanc de Jean-Paul Verstraeten, le tout constituant un très bel objet d’édition qui sera un jour un ouvrage de collection recherché par les bibliophiles. Il y a déjà aujourd’hui de nombreux fans : groupies de cent « sornets ». Mais au-delà de la forme de ces poèmes qui constitue déjà une performance littéraire, il y a le fond où les deux auteurs ont donné libre court à leur talent et surtout à leur humeur et à leur vision transgressive de notre société cadenassée. Ils ont sans vergogne aucune convoqué paillardise, gauloiserie (la Gaule Belgique a bien existé, instituée par Auguste après les conquêtes de César, elle était beaucoup plus vaste que la Belgique d’aujourd’hui) et toute une liste de vocables gras, sales, pornographiques, scatologiques, libidineux, scandaleux, pervers…

Dans un préambule André Stas explique comment le duo a travaillé, qu’elles ont été les contraintes qui ont été respectées, outre celles imposées par la forme du sonnet, et l’esprit qui a présidé à cet exercice d’écriture à quatre mains.

« Quand il veut s’amuser à pondre un vrai sornet,

Un poète, en premier, choisit un fol comparse

Avec qui dérocher des coups de métatarse,

Titillant le hasard, tels les dés d’un cornet. »

Respectant leur immuable règle de base, « Poétiquement correct et politiquement nettement moins », les joyeux lurons s’en sont donné à cœur joie, s’attaquant à tout ce qui contrarie leur joie de vivre et celle de tous ceux qui sont épris de liberté et adeptes des fêtes les plus folles. Ils s’en prennent ainsi à tous les pouvoirs : religieux, politiques, économiques, militaires, et à toutes les normes morales et autres. La bêtise humaine est aussi une de leurs sources d’inspiration préférées avec tout ce qu’elle engendre comme la malbouffe par exemple. Ils ont aussi quelques têtes de turc bien ciblées : Trump en chef de ligne, Macron pour son actualité, Johnny pour son testament, Nothomb pour l’ensemble de son œuvre, … Mais ils ont aussi quelque tendresse pour certains amis comme André Breton, Tristan et Yseult… et leurs concitoyens belges.

« Ebouriffants bouffons, deux powètes se tordent,

Ridiculisent tout, sans fin de bonne humeur.

Ils s’amusent d’un rien, d’un bruit, d’une rumeur.

Casser du trou du cul jamais ils n’en démordent. »

Donneurs de sanctions littéraires éventuellement mais jamais donneurs de leçons, même s’ils ont quelques idées sur l’art d’écrire, ils sont surtout experts ès débauche, fête en tout genre, joie de vivre et transgression indispensable… Ils peuvent tout se permettre car ils savent surtout rire d’eux-mêmes.

« Des sujets épineux sans trembler ils abordent

Ecrasent le magnat, éteignent l’allumeur,

Détroussent les nantis, tels des mers l’écumeur,

Enervent les gnangnans, les culs gercés sabordent. »

Certains objecteront qu’il y a débordement, qu’il faut savoir mesure garder, certainement qu’ils n’auront pas compris que derrière tous ces vers, il y a beaucoup de sagesse et d’empathie pour les gens, les vrais, ceux se contentent souvent de subir les excès de ceux qui détiennent les divers pouvoirs. Alors, excluons ceux que Rabelais définissait comme « agelastes » et autres « caphards », « cagots » et « malagots » de profession ». Ainsi entre gens de bonne société, faisant un clin d’œil à Maigros, nous pourrons rire et ripailler jusqu’à plus soif !

 

COURTS, TOUJOURS – le blog d’Éric DEJAEGER 

Un portrait en collages/décollages d’André STAS 

 

 

 

LE COUP DE PROJO D’ÉDI-PHIL SUR LE MONDE DES LETTRES FRANCOPHONES BELGES #9

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Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 9 (février 2019)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

 

A l’affiche :

trois romans (Lorenzo CECCHI, Nathalie STALMANS, Evelyne WILWERTH) et trois recueils, de nouvelles (Jean-Marc RIGAUX), d’aphorismes (Michel DELHALLE) et de poésies (Philippe LEUCKX) ; les maisons d’édition Murmure des soirs, LiLys, Le Cactus Inébranlable, M.E.O., Genèse, Bleu d’Encre.

 

(1)

Le coup de cœur du numéro !

Jean-Marc RIGAUX, L’Armistice se lève à l’Est, nouvelles, Murmure des soirs, Esneux, 2018, 173 pages.

Pas facile d’évoquer un recueil de nouvelles, et je préfère souvent m’en abstenir. Je suis un homme d’immersion et ces recueils ont un aspect centrifuge. Je suis obsédé par l’intensité et ces recueils offrent souvent des dépressions qualitatives. Mais. Pas celui-ci ! Jean-Marc Rigaux est un bel écrivain liégeois qui s’affirme comme un véritable auteur de nouvelles. Trois recueils chez Françoise Salmon/Murmure des Soirs, et une collaboration régulière avec la revue Marginales (LA référence du genre en Belgique francophone avec la maison Quadrature).

  1. M. Rigaux. Une histoire particulière nous relie. Je l’ai découvert avec enthousiasme pour un roman, sur tapuscrit, lors d’un jury. J’ai perçu alors son ouvrage comme un OVNI au sein de notre microcosme francophone, il possédait à la fois des qualités de souffle fort rares (un thriller qui nous fait voyager à travers l’Europe et l’Afrique, découvrir l’envers du sport professionnel) et une écriture. En clair, et comme je m’y essaie dans mes propres livres, il avait réussi un roman à la fois littéraire et populaire, qui conjugue un récit palpitant, à rebondissements/suspense ET des scènes très écrites interrogeant sur le rapport à la course, à la réalisation, au dépassement de soi, etc. Sans oublier un caractère informatif, documentaire de première qualité, l’auteur ayant été en Afrique, s’y étant confronté à la corruption urbaine comme ayant été courir avec des athlètes olympiques, escalader des sommets, participer à une cérémonie initiatique, etc. Rare ! Rarissime !

Un cas ! Ce remarquable roman n’est toujours pas paru, étant au cœur d’un feuilleton fascinant, qui m’a été dévoilé lors d’un déjeuner convivial, dont je ne puis révéler les arcanes. Il faudra donc attendre. 2020 ?

En attendant… Ce recueil donc. Très cohérent. Et intense. Centré sur la guerre 14-18, ou plutôt l’Armistice mais à partir de perspectives différentes. Qui nous font voyager dans l’espace et le temps, nous faufiler dans les tranchées ou les classes sociales, les nationalités.

Comme le dit l’historien Philippe Raxhon, dans sa belle préface, il n’est pas question ici « de nous donner une leçon d’histoire », non, Rigaux offre certes un jeté de récits/filets qui sont autant de « focus nourris d’une grande connaissance historique », mais il cherche avant tout à offrir une suite de points de vue, des plongées dans la matière des disparus et des mémoires, des retombées et des arrière-plans, zoomant sur des moments forts, tel ou tel détail qui restitue… quelque chose de notre humanité.

Jean-Marc Rigaux 

La deuxième nouvelle, Le Messager, centrée sur des lettres d’un fils à sa mère, deux bourgeois, est remarquablement orchestrée et orchestrale, nous promenant tantôt à l’arrière du front, dans la vie quotidienne des civils allemands, tantôt sur le front où le jeune homme raconte la routine mais la peur aussi, l’approche de la mort, ce qui unit ou sépare, exalte ou dégoûte. Derrière l’anecdote, la montée de l’Histoire, avec cet Adi, qui aurait pu prendre la place du fils Egon et qui sera un jour, soutenu par une mère fanée et désespérée, élu chancelier du Reich.

La troisième, La Sentinelle, plus anecdotique par le fond, n’en est pas moins déconcertante et brillante. De par son style mais aussi de par son fil narratif, qui s’attarde à nous décrire les émois érotiques d’un soldat français de piquet, qui transcende l’horreur et le glauque en recourant à son imagination, aux fantasmes :

« Le tableau qui s’éteint retrouve son inquiétude de cimetière. Je m’habitue à nouveau aux ombres dont les traits se cuirassent peu à peu. En face, les deux buttes réapparaissent. Hautes. Rondes. Lissées par l’obscurité qui caresse le velours du grain de leur peau. C’est souvent à ce moment que je visualise la Madelon. »

La quatrième, Dommages de guerre, débute en 1926, dans le bureau d’un avocat dinantais. Qui peine à gérer un dossier, le dossier Fondaire, lui qui s’est spécialisé dans la défense des intérêts d’ayants droit de victimes de la guerre, plaidant donc contre l’Etat. A ce moment du recueil, on bascule dans l’admiration de l’auteur, tant il renouvelle ses angles d’attaque surprend, se réinventant à chaque fois comme narrateur. S’investissant. Comme dans un roman. Cultivant une intensité dans l’émotion, la documentation, la multiplicité des thèmes collatéraux. En quelques pages s’ébauche ici un suspense quant au lien reliant le dossier à notre avocat. Ses atermoiements, jusqu’à la chute finale, entrelardent le fil de digressions/plongées rétrospectives où chaque affaire traitée a des allures de mini-roman, de pièce originale, émouvante du puzzle de la guerre.

Onze nouvelles et autant de zooms sur le tableau de la Grande Guerre. Avec une caméra qui se balade dans tous les coins de la toile. Il y a quelque chose de Breughel, dans cette luxuriance de détails significatifs au sein d’un grand ensemble narratif. Une touche de David Lean, aussi, ce cinéaste de génie qui pouvait conjuguer l’intime et la fresque. Et une autre de Turner encore, dans la dramaturgie et l’esthétisme du tout, la sublimation des couleurs.

 Le livre sur le site de l’éditeur

 

 (2)

Lorenzo CECCHI, Paul, je m’appelle Paul, roman, LiLys, Marcinelle, 2018, 195 pages.

Voilà un livre qu’on intègre dès les premières lignes :

« À la description faite la veille au téléphone, je le reconnus tout de suite. « Je porterai un  Stetson noir et une écharpe rouge vif. On ne peut pas me rater, vous verrez.

Quelle entrée en matière ! »

Mise en abyme ! On plonge dans le récit, les pages se lisent aisément, un parfum policier s’exhale, on est sur les rails du roman sans temps mort.

Le narrateur, Jean-Luc Jandrain, un journaliste indépendant, est contacté par un personnage mystérieux qui souhaite retenir son attention à tout prix. C’est le cas de le dire : il est prêt à le payer 6000 euros pour un premier rendez-vous. Comment refuser quand on « rame » ? Autant pour si peu ? C’en est même un tantinet inquiétant.

Monsieur X, qui se présentait d’abord comme un peintre voulant un peu de reconnaissance avant de mourir, s’avère un homme politique bien connu, un ex-Premier ministre, Paul Van Derbrug, qui souhaite payer fort cher l’écriture conjointe d’un livre consacré à sa vie. Un banal travail de ghost writer ? Du tout, vu que ce VDB assène illico au narrateur/journaliste une révélation choc : ils sont frères !

Une histoire énigmatique se profile. À partir de la mort d’une famille de fermiers par asphyxie. Et d’un plongeon dans le passé :

« Ça cognait dur. Boum, boum, boum. Ça faisait mal, là, à l’intérieur de ma tête. Les draps étaient glacés. Je claquais des dents comme quand j’ai eu la grippe. J’ai voulu appeler maman, mais aucun son n’est sorti de ma bouche. Je suis tombé du lit. La chambre tournait. J’ai rampé. (…) »

Paul, enfant, est le seul survivant du drame. De l’accident ? Pas sûr. Un policier découvre des éléments discordants et veut enquêter sur le fermier voisin, un…  Jandrain.

Un début de roman policier soft, gouleyant, usant d’une langue simple, qui épouse celle d’un enfant au début d’un des fils narratifs (le récit, chronologique, alterne le « je » et le « il »). Plaisant ! Sauf que l’enquête est immédiatement classée et notre suspense évacué.

Et on bascule dans un récit de vie, une suite de moments significatifs, heurs et malheurs d’une future star du paysage médiatique belge. La vie de Paul VDB, depuis son adoption par une tante pittoresque, tenancière d’un bordel à la main leste mais au bon cœur, son éducation singulière au milieu des filles de joie, les qualités (de séduction et d’entreprenariat) qui vont lui permettre de tracer sa route envers et contre tout. Boucher, industriel alimentaire, politique.

Ce VDB-là, c’est une variation libre sur le VDB historique. Qui peut être amusante quand il s’agit d’imaginer les soubassements de telle ou telle manie de la célébrité (ses reniflements incongrus !). Mais l’intérêt ajouté par l’encordage au réel est-il si conséquent ? N’est-on pas ou frustré de ne pas savoir démêler le vrai du faux (les parents du vrai VDB étaient bouchers et pas fermiers, etc.), ou distrait d’une empathie plus profonde avec le personnage, l’histoire par un réflexe référentiel ?

Il faut attendre la page 137 pour quitter le récit de vie esquissé, décalqué/décalé (dans quelles proportions ?) et revenir soudain au narrateur Jandrain, à l’interaction Van Derbrug/Jandrain, aux mystères distillés à l’entame du livre. Qui n’amènent aucune surprise.

Frustration ? Oui mais compensée par la qualité des dernières pages, les plus émouvantes et les plus philosophiques de l’opus, où un homme à succès s’interroge sur le sens de sa vie, ses contradictions ou ses impasses. J’ai songé soudain au Citizen Kane d’Orson Welles. Le chien Japy, disparu à l’entame du livre, dans la foulée du drame familial, y acquiert des allures de Rosebud.

Le livre sur le site de l’éditeur

Pour poursuivre la rencontre avec ce livre, je vous renvoie au bel article de mon collègue Jean-Pierre Legrand, plus complet que le mien :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2019/01/02/paul-je-mappelle-paul-de-lorenzo-cecchi-une-lecture-de-jean-pierre-legrand/

 

(3)

Michel DELHALLE, Belgique, terre d’aphorismes, aphorismes, Cactus Inébranlable, Amougies, 2018, 300 pages.

Couverture anthologie

J’intègre dans ma mini-revue trois livres analysés dans Le Carnet et les Instants.

Le premier article a été composé en duo avec Julien-Paul Remy qui, à dire le vrai, a réalisé le gros du travail et la sélection d’aphorismes.

Deux observations en surplomb :

  1. l’engagement des éditeurs (les époux Querton) en faveur d’un genre méconnu, dont ils font véritablement la promotion. On le mettra en parallèle avec celui de Quadrature pour la nouvelle, de Lansman pour le théâtre.
  2. l’émergence de petites structures indépendantes en Wallonie. Dans ce seul numéro, jetez un œil aux localisations des maisons : Esneux, Marcinelle, Amougies et Dinant ! Que doit-on en déduire ?

Voir :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/01/30/delhalle-belgique-terre-d-aphorismes/

Le livre sur le site de l’éditeur 

 

(4)

Nathalie STALMANS, Si j’avais des ailes, Bruxelles au temps de Charlotte Brontë, roman historique, Genèse, Bruxelles/Paris, 2019, 167 pages.

Un voyage dans le temps très plaisant ! Un coup de cœur du Carnet.

Voir :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/02/01/stalmans-si-j-avais-des-ailes-bruxelles-au-temps-de-charlotte-bronte/

 Le livre sur le site de l’éditeur

 

(5)

Evelyne WILWERTH, Tignasse Etoile, roman, M.E.O., 2019, 164 pages.

Tignasse étoile

Le miracle Wilwerth !

Une silhouette en liane, un regard en étoile, un enthousiasme décliné en couleurs aux noms magiques : turquoise (nom du carnet fétiche de l’héroïne/narratrice Jacinthe, qu’elle tutoie, comme la vilaine marâtre de Blanche-Neige son miroir), émeraude, indigo, havane…

La jeunesse éternelle ! Qui interroge et entreprend !

Un gros coup de cœur du Carnet ! Voir :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/02/14/wilwerth-tignasse-etoile/

Le livre sur le site de l’éditeur

 

(6)

Philippe LEUCKX, L’imparfait nous mène, recueil de poésies, Bleu d’Encre, 2015, 46 pages.

Dans la tonalité de ce numéro, saluons le travail d’un éditeur localisé à Dinant, Claude Donnay, qui nous offre un beau petit objet, qu’on tient en mains avec plaisir. Et saluons l’auteur, Philippe Leuckx, qui vient de décrocher pour ce recueil le Prix Charles Plisnier 2018.

 

Quelques aérations, qui nous parlent plus particulièrement :

« Le temps prétend à la beauté

Comme l’aube au souffle. »

 

Ou :

« Il y avait vent et temps au milieu de la sente,

On avançait à rebours de l’enfance, les fleurs au cœur.

Mais rien n’épuise autant que le regard qui fouille.

On est parfois en retard sur soi.

On vit d’ombre. »

 

Mieux encore, ce credo, dont on partage le premier mouvement mais tout autant le doute contrapunctique :

« Mais désapprendre la fatigue. Forer l’ennui.

Convaincre et délester.

Suffit-il de vivre à plus grande densité ? »

Le recueil primé sur le site de Bleu d’Encre

Le recueil sur Espace Livres & Création

 

Edi-Phil RW.

POÈMES QU’ON DESCEND DANS LE CŒUR AVEC UNE CORDE VOCALE

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1.

LES COMMENCEMENTS

 

au bord

du jour

j’ai bu l’aurore

 

au bois

de ton âme

j’ai volé le feu

 

au seuil

du précipice

j’ai pris l’air

 

au fond

du soleil

j’ai trouvé la lumière

 

au son

de ton coeur

j’ai appris à marcher

 

au terme

de l’étude

j’ai connu le bonheur

 

au dos

de ton nom

j’ai écrit ton corps

 

au creux

de tes yeux

j’ai déposé mes regards

 

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2.

LES CRIS

 

pourquoi tu cries

quand l’abeille s’abat

sur la fleur

 

pourquoi tu cries

quand le vent s’arrache

à la mer

 

pourquoi tu cries

quand la nuit

s’attache à ta peau

 

pourquoi tu cries

quand ma bouche

s’affole à tes seins

 

pourquoi tu cries

quand l’amour

s’accorde à ton coeur

 

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3. 

LES TALONS AIGUILLES

 

au faîte

du temple de la chaussure

 

dans tes escarpins rouges

tu me donnes le vertige

 

à tes pieds je renifle

l’odeur de tes pas

 

d’un regard tu m’écrases

de ton mépris

 

d’un croc-en-jambe

je te fais tomber sous mes crocs

 

tandis que tes talons aiguilles

me crèvent doucement le coeur

 

dans le parterre de bottes

où poussent tes cuisses roses

 

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 4.

LA NUIT SUR TON ETOILE

 

en ouvrant la nuit

sur ton étoile

j’entrebâille la fenêtre

des secrets

 

ta voix

dans le noir

couvre le tumulte

 des songes

 

et je prie ta peau

d’éclaircir les joies

qui passent à l’ombre

de mon sang

 

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5.

L’ASCENSION DE LA LUNE

 

ma voix sur ta peau

retient ses cordes

avant l’ascension de la lune

 

j’oublie les dépôts

de silence

au creux de tes jambes

 

et la pluie qui coule

sur le chemin

menant à tes lèvres

 

 m’apporte le renouveau

dont aspire le rêve

au bord humide des nuits

 

L’image contient peut-être : nourriture

6.

MON REGARD SE RÉGALE

 

tes yeux glissent

 sur la glace

 et mon regard

se régale

de ça

 

je fonds ma neige

à ton image

pour refléter

le cristal

de ta voix

 

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7.

MA VOIX

 

elle s’ébroue

 dans la mare

aux palabres

 

elle s’étrangle

 au noeud coulant

du mensonge

 

elle s’évanouit

dans l’air

d’une chanson

 

elle s’entiche

d’une gorge

profonde

 

elle s’enflamme

au brandon

d’une ballade

 

elle s’éteint

sur la cendre

d’une harangue

 

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8.

LE CHANT DORT

 

le chant dort

dans la gorge

de l’oiseau

 

le sommeil

donne de la voix

au songe

 

sur ton dos

je dessine

deux ailes

 

qui en battant

font s’envoler

mon coeur

 

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9.

L’AIR EST LÀ

 

l’air est là

loin de l’ombre

où l’or luit

au flanc

de la colline

 

sans vivres

le chemin va

vers l’art

boire à la source

du voyage

 

je confie au vent

ma voix

le temps

que tu rameutes

mes souvenirs

 

L’image contient peut-être : nourriture

 

 10.

LÀ OÙ IL FAUT

 

sa peau est nue

là où il faut

mettre les lèvres

déposer des baisers

de son coeur

on voit la terre entière

et les ciels et les fleuves

et les routes vers demain

quand elle me demande

qui je suis d’où je viens

de quel droit j’ose

 je dis qu’elle a oublié mon nom

dans un coin reculé de son passé

 

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11.

LA COULEUR DE LA ROSE

 

en amont

de tes seins

de tes reins

je me suis arrêté

à la source

 

en allant

à ton pas

 de tes pieds

 à tes mains

 j’ai sué sang et eau

 

la teinture rouge

du bain

a donné à ta peau

la couleur de la rose

que tu aimais

 

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 12.

À COUTEAUX TIRES

 

à couteaux tirés

 j’aiguise

les lames de pique

 

à corbeaux brûlés

je me noircis

de flammes

 

à carreaux cassés

 je brise la glace

 à la famille

 

à chevaux bridés

 j’éperonne

un tigre de papier

 

 à bateaux coulés

 je croise un crabe

 tout rouillé

 

à bourreaux fermés

je fais mal

 à regarder

 

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 13.

SENS DESSUS DESSOUS

 

la corde des sens  casse

quand le coeur tend

à se rompre

 

l’ouïe se brise

la vue se brouille

le goût s’embrume

 

le toucher se barre

l’odorat se braque

et je renoue les liens défaits

 

en dégrafant mes songes

 

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14.

LA ROUTE DU FRUIT

 

je mords le fruit

de tes talons hauts

tombés des marches

 

j’en répands le jus

sur le chemin de chair

simulant tes jambes

 

j’avale l’amande

du souvenir

au croisement des jours

 

je perds mon sang

en rebroussant chemin

sur tes lèvres coupantes

 

je m’écroule

comme un éléphant nain

au pied d’un bonsaï

 

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15.

LE TÉTIN

 

j’extirpe

de tes lèvres

un filet de voix

 

que je dépose sur le bord

d’une tasse de thé

à la menthe

 

 près de ton tétin

 j’entends des décoctions subtiles

des sons sages comme des songes

 

je n’espère rien

de ton sein chagrin

sinon

 

qu’il laisse

sur mes doigts

le goût de son offrande

 

L’image contient peut-être : nuage

 16.

LES MÉTIERS

 

le boucher dans la gorge

découpe le gras

d’une voix

 

le menuisier dans l’arbre

construit un métier

à nicher

 

le fleuriste sur la scène

conte l’histoire

d’une rose

 

le boulanger dans la nuit

pétrit la pâte à lever

du jour

 

le maçon sur les souvenirs

élève un mur

contre l’oubli

 

le tailleur dans l’ombre

coupe le tissu

d’un poème

 

L’image contient peut-être : nourriture

17.

PEU DE PEAU

 

sur son peu de peau

visible à l’oeil nu

j’écris des poésies

pour le reste

j’infère j’imagine

je conjecture je devine

ce que dissimule

de paradis charnel

ses satanés dessous

sur son peu de peau

visible à l’oeil nu

je pose les lèvres de l’imaginaire

et je délire de désir

 

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18.

À LA LUEUR DU SOUVENIR

relisant son visage

à la lueur du souvenir

je me rappelle

l’allée des lèvres

la sinuosité du nez

la flamme des yeux

la naissance des rides

au coin des rues

de l’espace sensible

puis je souffle

la chandelle du passé

pour ranimer tous ses traits

 

L’image contient peut-être : nourriture

 

19.

TES YEUX

 

ce que tes yeux disent

du vent et de la mer

à midi

 

ce que tes yeux chantent

au rêve de l’arbre

endormi

 

ce que tes yeux lisent

dans le livre des étoiles

c’est la nuit

 

ce que tes yeux mentent

sur la nature du soleil

c’est l’éclipse

 

ce que tes yeux misent

en or fin et en pierre

d’améthyste

 

ce que tes yeux sentent

en parfums et en beauté

sur les lys

 

ce que tes yeux puisent

dans le sang et le bleu

te nourrit

 

ce que tes yeux condensent

de pluie sous tes paupières

me rend triste

 

ce que tes yeux réfléchissent

des lumières d’un vitrail

m’éblouit

 

ce que tes yeux en amande

donnent envie de mordre

comme fruits

 

ce que tes yeux brillent

quand ils croisent le feu

d’un rubis

 

ce que tes yeux pensent

du cosmos agrandit

tes iris

 

ce que tes yeux nuisent

à l’éclat du soleil

de minuit

 

ce que tes yeux lancent

au monde des sens

c’est la vie

 

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17.

ON VOIT

 

On voit les veines du bois à travers les feuilles du saule
On voit la neige longer les nues jusqu’à l’arrêt de luge
On voit la lumière du sommeil se perdre dans un rêve
On voit perler la lune avant d’éclater en sanglots
On voit la laine rire dans les mailles du vieux pull

On voit la peau nue chercher l’oeil dans la main
On voit l’hiver se fondre dans un flocon de neige
On voit le fleuve retourner ses souvenirs dans la mer
On voit le grand large recouvrir les petites langueurs
On voit l’astre généalogique de la lumière

On voit l’ombre de la dune s’allonger sur le sable
On voit le soleil retenir le nom secret de l’été
On voit la forteresse céder aux tentations de l’exil
On voit la lune dormir dans les bras de la nuit
On voit l’espace revêtir les oripeaux du silence

On voit le prince rendre la reine folle du fou du roi
On voit le sol succomber sous les pas de l’oiseau
On voit le soir tomber plus bas que terre
On voit l’oranger parler le langage du mandarinier
On voit l’appareil auditif marcher sur les solides sons

On voit le coeur du monde par le trou de la lecture
On voit le vent de l’imaginaire soulever des armées de pages
On voit la pluie s’abattre sur la soif du désert
On voit le crépuscule se fermer l’accès à l’horizon
On voit le temps changer tous les plus beaux feux en cendre

 

COEURS de José MANGANO

TEXTES d’Éric ALLARD