
La filiation est ses mystères inondent la littérature mondiale depuis que les livres existent. Avec le débat sur le mariage pour tous et son corollaire, la procréation assistée, cette question a pris un net regain d‘intérêt auprès des auteurs. Considérant qu’avant de se demander comment on veut se reproduire, qu’il serait peut-être bon de savoir s’il est vraiment nécessaire de multiplier dans un monde aux perspectives incertaines, Jean-François PIGEAT pose la question et laisse ses personnages se débrouiller avec. Anne DUVIVIER, elle, plonge les siens dans un imbroglio généalogique ou filiation génétique et filiation sentimentale s’emmêlent dans un joyeux méli-mélo où pourraient bien se retrouver aux descendants.
UN AMOUR DE PSY
Anne DUVIVIER
M.E.O.
Angelo est psychologue à Bruxelles, psy comme disent ses patientes, pour certaines plutôt ses clientes, il a une belle clientèle, surtout féminine, et mène une vie apparemment sans histoire particulière avec sa femme Hannah galeriste aux Sablons, le quartier des artistes de la capitale belges. Immergé au milieu d’une société presqu’exclusivement féminine, il n’est pas aussi serin qu’il pourrait le paraître.
« Il vit, ou plutôt survit, au milieu des femmes, … Hannah, sa mère, Pascale, ses patientes – … – et, …, cette pétroleuse de Géraldine qui a pris ses quartiers. Pour ce qui est de Béa ; il refuse de la mettre dans le lot ».
Tout a fini par basculer quand sa femme lui annonce qu’elle veut se’ mettre en couple avec une autre femme, une artiste à l’esprit large comme elle. Hannah et Angelo ont toujours été assez libres dans leurs rapports et ne conçoivent pas le mariage comme une prison mais là le choc est brutal.
Suivant les conseils d’une patiente, il finit par céder aux avances d’une autre plus jeune, plus aguichante, plus entreprenante, avec laquelle il élabore une relation sous les yeux de sa fille qui voit sa mère et son père se séparer et partir dans des aventures aléatoires, la mère avec une autre femme, le père avec une femme beaucoup plus jeune que lui. Anne Duvivier pose ainsi le problème du couple non pas tellement pour montrer sa fragilité et son éventuelle éphémérité mais surtout pour évoquer les conséquences collatérales car un couple a souvent des enfants et quand il n’y a pas une maman et un papa tout devient plus compliqué.
Angelo a accepté d’épouser Hannah alors qu’elle était enceinte de Pascale, Pascale qui a désormais des enfants dont le papa est parti… et le problème ne s’arrête pas là, d’autres révélations risquent encore de bousculer la vie de ce couple en voie de dissolution avec enfant, petits-enfants, mère, amantes, amies et amis et quelques patientes bien intentionnées mais peut-être pas aussi innocentes qu’elles essaient de le paraître.
Avec ce roman, Anne Duvivier plonge en pleine actualité sur la maternité, la paternité et la procréation qui agite bien des institutions, des philosophes, des médecins et de très nombreux anonymes qui voudraient vivre autrement, même avec des enfants, et d’autres, aussi nombreux, qui ne comprennent pas cette frénésie à vouloir procréer hors du cadre traditionnel formé par la mère et le père. Elle ne dramatise jamais le sujet, elle le traite avec un certain humour et je la soupçonne d’avoir choisi un psy avec une certaine ironie, comme pour se moquer gentiment de ces femmes qui ne peuvent pas vivre sans leur gourou. Mais, même en le traitant avec une certaine dérision, le problème est bien posé et les réponses ne sont pas évidentes à formuler. Il faudrait commencer par soulever les tapis pour évacuer toute la poussière accumulée dessous depuis quelques générations au moins.
Le livre sur le site de l’éditeur
L’ORDRE DES CHOSES
Jean-François PIGEAT
Le Dilettante
En lisant ce livre, j’ai très vite pensé à un roman de Jonathan Coe, la deuxième partie d’un diptyque commencé avec « Bienvenue au club » et complété par celui que j’évoque « Le cercle fermé ». Ce livre raconte l’histoire d’une bande de copains qui se retrouvent après qu’ils ont terminé leurs études, qu’ils se sont installés dans leur vie professionnelle, ou pas, qu’ils se sont éventuellement mariés, qu’ils ont assuré, pour certains, leur descendance et qu’ils ont perdu la plupart de leurs illusions qui faisaient l’objet du premier opus de ce diptyque. Dans le livre de Jean-François Pigeat, il s’agit également d’un petit groupe de copains qui ont atteint l’âge où on a trouvé un job, un conjoint, un appartement, où on a des enfants et si on n’en a pas encore on se pose la question d’en avoir ou pas.
Félix, garçon plutôt timide, introverti, timoré, a déjà un roman à succès à son actif, il a rencontré celle qu’il surnomme Bambi lors d’un voyage en Turquie, ils se sont mis en ménage, ils viennent d’acheter un appartement qu’ils ont retapé. Sans être particulièrement fortunés, Ils ont tout ce qu’il faut pour être heureux. Mais, pour respecter le fameux « ordre des choses » et céder à l’instinct de conservation en assurant sa descendance, Bambi veut absolument un enfant que Félix refuse tout aussi fermement. Le conflit latent prend de plus en plus d’intensité surtout après que Bambi a ramené à la maison la fille d’un couple d’amis pour assouvir son besoin de maternité. Mais même si cette garde tourne vite à la catastrophe cela n’altère en rien les envies de procréation de Bambi. Félix se crispe sur ses positions et le couple se dilue peu à peu dans ce conflit sur la reproduction.
Félix, le narrateur, raconte son errance, ses hébergements chez divers amis dont l’un l’emmène dans les Causses où il pourrait méditer sur son avenir afin de reprendre une vie normale, dans « l’ordre des choses ». Mais, un petit grain de sable, blonde joliment tournée, délaissée par un mai trop occupé, grippe la machine du retour au foyer. Félix balance entre les deux femmes, incapable de prendre une décision, se nourrit de ses atermoiements au risque de tout perdre.

Jean-François Pigeat raconte cette histoire avec une certaine légèreté, quelques pointes d’ironie et une certaine part d’autodérision, bien qu’elle comporte des événements tragiques. C’est l’histoire d’une génération qui a perdu le bel enthousiasme que ses géniteurs avaient emmagasiné, puis dilapidé, pendant les fameuses Trente Glorieuses. Une génération qui ne croit plus guère en « l’ordre des choses » qu’elles soient sentimentales, sociales, professionnelles, politiques ou autres. Une génération qui se perd dans un malthusianisme à la sauce XXI° siècle. Je soupçonne aussi Jean-François Pigeat d’être un bon provincial qui regarde avec un air narquois les Parisiens se prendre les pieds dans le tapis de la province et de leurs petites aventures sentimentales.
C’est un réel plaisir de lire un auteur aussi gourmand, il aime les mots, les formules imagées, les raccourcis percutants, les figures de style (en Cornouailles avec ses ouailles) et les gens qui pataugent dans leur histoire incapable de prendre leur destin en main.