LA BLESSURE DU BLÉ et autres poèmes faméliques / Éric ALLARD

 

LA BLESSURE DU BLÉ

 

Quelle herse pour le foin

Dissimule la grange

Au regard

 

Vain questionnement

Sur l’agricole raison

De donner du grain à moudre

Au sensible

 

Du blé blessé

À l’aube d’une voix grêle

Se dresse

Le moulin de la parole

 

Tandis qu’au chant du signe

Succombe

L’astre du texte

 

Un futur de lettres anonymes

Trottine

Sur la voie du souvenir

 

Tandis qu’au revers

D’un poème de paille

S’échappe

L’épi d’une image

 

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COMMENT SE RAPPELER

 

Gavé de mots

Je largue

Le verbiage

 

Et m’arrime à une mémoire

Faite de temps passé

À voir

Jusqu’à plus savoir

Comment se rappeler

 

La vue saturée

D’images

Conduit à l’oubli

 

Repêché

Par une lune molle

J’accède au texte

 

Et délivre mon nom

De ses caractères

Pour mieux me fondre

Au paysage

 

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LA MORSURE DU TEMPS

 

Ouvert jusqu’au doute

Sur la page

De l’arc-en-ciel

Je donne ma lame

Au chat

Qui la lèche

Jusqu’au sang

 

Flamme après flamme

Je découpe le feu

Au-dessus de l’église

Qui estropie les syllabes

Du vent

 

Les chiens brûlent

Leurs dernières cartouches

Dans la cendre

Des balles sifflent

Entre leurs crocs

De braise

 

Allongé

Sur la plage d’os et de sel

Je prends le soleil

Pour un astre mort

 

Je demeure sous la morsure

Du temps

L’enfant heureux de compter

Pour du beurre

 

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LA SOMME DES NUAGES

 

Collé au hublot

Je vois  la mer

Monter au ciel

 

Marche après marche

L’opération d’ascension

Élève la somme des nuages

Au-dessus de la colonne d’étoiles

 

L’avion plongé

Dans le voyage

Remorque l’espace

Jusqu’à mes lèvres

 

Je vois d’un trait

Tout le territoire

Du crime

Avant de déposer

Mon âme

Dans la soute à carnages

 

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UN MÔME APHONE

 

La femelle du vent

Met bas

Parmi les herbes

Un môme aphone

Qui ne sait pas dire

Mon nom

 

Les mâles enragés

Par l’odeur de bave

Secouent le nouveau-né

Au-dessus des vagues

Pour lui faire cracher

Le berceau

 

Mais le rejeton tient bon

Le mot beau

Entre ses dents de lait

S’il le jette en pâture

Aux loups

Il sait que je m’en repaîtrai

 

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TOUS LES PULLS OVER

 

Ma pelote de haine

Roule sur ta peau

 

Quand elle tombe sur un os

Dur comme un roc

 

Je la défie

De la pointe d’une aiguille

 

Et je la presse

De se dépecer

 

Sur le fil de l’aube

Je détricote la lumière

 

Je déteste tous les pulls over

Comme moi-même

 

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PAS ASSEZ DE MAUX

 

Poussé sur le sable

Par le vent

J’échoue

Sur une page faite

De graines de mots

 

Je piétine la langue

Je matyrise le verbe

Je démonte la marche

Je fracture le vide

J’abolis la phrase

Je n’ai pas assez de maux

Pour me qualifier

 

Puis la mer me recouvre

De son châle de sel

Et je m’absente du texte

Pour lire dans les gouffres

L’avenir des trépans

 

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LE MASQUE DES HORLOGES

 

J’arrache le masque des horloges

Indiquant leurre

 

J’amasse le temps

Sous mes peaux-pierres

 

Je vois minuit

À la fenêtre de ma vie

Quand le temps est venu

De fermer les volets

 

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EN FINIR

 

Pressé d’en finir

Avec le jus de raisin

Je bois le vin

À la paille

Sur ta chair tachée

Du sang de ma chair

 

Pressé d’en finir

Avec le jus de ta langue

Je bois ta bouche

À la paille

Sur ta chair tachée

De l’encre de mes livres

 

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UNE LUEUR

 

Abruti de chaleur

Le soleil perd

La tête d’épingle

Du feu

Dans la lumière

 

Ahuri de terreur

La mer perd

La tête d’épingle

Du cyclone

Dans la tempête

 

Je ferme le livre de l’oubli

Sur une lueur de mémoire

 

JE T’IMAGINE et autres poèmes (CATHY ROMANCE / ÉRIC ALLARD, 1983, Les Troubadours)

 

Je t’imagine enveloppée d’un manteau de fougères

                        sous le gris clair d’un ciel d’hiver

Je t’imagine attardée dans la brume

                      dont s’entourent tes rêves

Je t’imagine les larmes aux yeux

                       colorés de tristesse

je t’imagine enfant déçue par les vagues

                              qui vont et viennent dans le vent

Je t’imagine souriant au soleil

                          que t’apporte le printemps

je t’imagine te jouant

                      du moindre de mes souvenirs

Je t’imagine parée de lumière amie

                      de tendresse infinie

Je t’imagine pieds nus dans ma vie

                       à coeur découvert

Je t’imagine…

 

+++

 

Les nuages nagent dans le ciel

ils courent à mon secours

dans les flots laminés

de mon âme liquide.

 

Sur la jetée donnant

sur le sang sablé des songes

je me blottis sous l’aile

d’une coquille voyageuse

et j’attends lentement

la peau nue qui va venir

me polir les os…

 

Les lampes rampent dans la nuit

et meurent à petits feux

dans les eaux de mes yeux.

 

+++

 

Bruxelles by night

des lumières au néon

des voitures qui passent

sans permission

et moi seul qui repasse

mes passions

au pinceau de mes pleurs

 

Bruxelles by night

des mots qui font des traces

sur les rires

des mots qui font des passes

pour survivre

et moi tout seul

de garde à la garnison

pour veiller sur mes souvenirs

(Petit-Château, février 82)

 

Cathy Romance, Éric Allard, Les Troubadours, 1973, préface de Jean-Claude Bologne, Illustrations de Philippe Verhaegen.

VOYAGE EN ITALIE de GOETHE (Bartillat) – Une lecture de Jean-Pierre Legrand

Le TOP 5 de JEAN-PIERRE LEGRAND
Jean-Pierre LEGRAND

Les éditions Bartillat ont eu l’heureuse idée de rééditer voici quelques années le Voyage en Italie de Goethe.

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Nous sommes le 3 septembre 1786, à Carlsbad, petite ville d’eau de Bohême. Goethe a 37 ans. Conseiller du Duc Karl August, englué dans une relation amoureuse qui s’étiole, Goethe n’a plus rien publié depuis Werther. Quelques écrits, plusieurs tentatives avortées, un ennui pesant, tout indique une crise : le nœud coulant d’une carrière établie se resserre ; Goethe pressent que son génie se fane. Il lui faut renaître. Sans prévenir ses amis en villégiature avec lui, il quitte Carlsbad ; ou plutôt la fuit ; direction l’Italie !

Le projet est simple et ambitieux à la fois :

« Il s’agit de reprendre intérêt au monde extérieur, d’essayer et d’éprouver mon esprit d’observation ; de constater jusqu’où s’étendent mon savoir et mes connaissances, si mon œil est clairvoyant, pur et vif, le nombre d’objets que je puis saisir à la volée, et si les plis qui se sont formés et imprimés dans mon esprit se peuvent encore s’effacer ».

Un trait de la pensée de Goethe se dévoile ici : pour lui, art et connaissance sont intimement mêlés. Esprit encyclopédique, Goethe s’intéresse à tout : les sciences avec la botanique, la minéralogie, la géologie, la physique et les arts,  surtout la sculpture, la peinture et le dessin pour lequel il fait montre de dispositions. Par cette curiosité « active » il se distingue d’un Rousseau qu’il respecte sans vraiment le comprendre. Rousseau s’exclut du monde, Goethe souhaite le mieux connaitre, l’embrasser dans toutes ses dimensions. Rousseau herborise en collectionneur, Goethe en botaniste.

Goethe arrive à Venise le 28 septembre 1786. L’enchantement est immédiat sous la forme très proustienne d’un souvenir d’enfance jusque-là oublié. Lorsque la première gondole s’est approchée du coche d’eau, Goethe se rappelle un jouet de son enfance. De son voyage en Italie, son père avait en effet ramené un joli modèle de gondole dont aux jours de grande faveur il permettait à son fils de s’amuser. Réminiscence et tout à la fois voyage sur les traces du père : « les éperons de tôle brillante, les cages noires des gondoles, tout m’a salué comme une vieille connaissance : j’ai senti une aimable impression d’enfance qui m’avait fui longtemps ».

Mais le but premier de Goethe, c’est Rome : il y fait son entrée le 29 octobre 1786. Rome est un rêve qui le hante depuis longtemps. Il y retrouve une petite communauté de peintres allemands parmi lesquels Tischbein qu’il n’a jamais rencontré jusqu’alors et  avec lequel il correspond depuis longtemps. Il y redécouvre aussi les chefs d’œuvres de Raphaël  qu’il admire mais qu’il ne connait que par des reproductions imparfaites. Tout se passe, qu’il s’agisse des êtres ou des œuvres,  comme si ce sensuel cérébral voulait réconcilier les sens et la représentation, le sentiment et l’idée :

« J’ai vu à la Farnésine l’histoire de Psyché, à Saint Pierre in Montorio, la Transfiguration de Raphaël, toutes vieilles connaissances comme des amis qu’on s’est fait de loin par la correspondance et qu’on voit maintenant. C’est autre chose pourtant de vivre avec les personnes ! »

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Le sol classique dans lequel Goethe plonge toutes ses racines n’est pas qu’à Rome. Il est aussi en Sicile où il se rend bientôt, faisant d’abord une halte à Naples.
Naples le transporte par cette espèce d’exubérance colorée et profuse qui fait son quotidien. Traversant le Môle, un des endroits les plus animé de la ville, Goethe y aperçoit d’un seul regard, un polichinelle qui se bat sur un tréteau avec un petit singe et en arrière, un balcon où « une fort jolie fillette » offre ses charmes.  Rentré à son auberge, il se divertit d’un des garçons qu’il a simplement envoyé quérir du papier et des plumes : « Un peu de malentendu, de lenteur, de bonne volonté et de malice a provoqué la plus agréable scène, qu’on pourrait produire sur tout théâtre avec succès ».

Naples est une ensorceleuse. Seul un désir puissant peut décider Goethe à la quitter : le désir de voguer vers la Sicile, sur les traces d’Homère.
A Palerme, Goethe se repose dans les jardins de la Villa Giulia. Un banc élevé lui donne une vue sur les allées fleuries et la mer ; une vapeur marine estompe les couleurs qui s’offrent au regard en une nuance azurée ; Goethe rêve, transporté dans l’antiquité : « les flots noirâtres à l’horizon boréal, leur lutte contre les courbures des anses, l’odeur particulière de la mer vaporeuse, tout rappelait à mes sens et à ma mémoire l’île des heureux Phéaciens. Je courus acheter un Homère, pour lire ce chapitre avec une grande édification ». Une fois encore, la connaissance intellectuelle trouve son relais dans les sens : « l’Odyssée est enfin pour moi une parole vivante ».

Sur le plan sentimental, Goethe se montre très discret : on devine ici ou là l’une ou l’autre idylle mais l’homme craint les attachements en terre étrangère. Il croise aussi la route de la très capiteuse Lady Hamilton. Même si rien ne se passe entre eux, il est manifestement sous le charme de cette belle sophistiquée :

« Elle laisse flotter ses cheveux, prend deux châles et varie tellement ses attitudes, ses gestes, son expression qu’à la fin on croit rêver tout de bon. Ce que mille artistes seraient heureux de produire, on le voit ici accomplit, en mouvement, avec une diversité surprenante ».

En entamant son voyage d’Italie, Goethe voulait renaître à lui-même. Retrouvant un sol classique jusque là imaginé, il a refait avec Ulysse, son « saint patron », ce voyage initiatique dont le but ultime n’est pas de s’éloigner des autres mais au contraire de s’en rapprocher. Mon désir de voir ce pays était mûr depuis longtemps, écrit-il.

« A présent qu’il est satisfait, je retrouve au fond de mon cœur, pour mes amis et ma patrie, l’affection la plus tendre, et le retour me sera doux ».

Le Voyage d’Italie est un beau livre. Publié pour la première fois plus de deux cent trente ans après le périple de Goethe, il se ressent sur la fin de cet éloignement par un certain délitement. Mais cet éloignement est aussi l’artisan d’une réappropriation du souvenir qui en fait bien plus qu’un récit de voyage, une œuvre de création.

Le livre sur le site des Editions Bartillat

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Goethe dans la campagne romaine de J. H. W. Tischbein, 1787.

UN MILLIARD DE DONS POUR NOTRE-DAME DES PLEURS

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1.

L’Association des dyspepsiques offre cent millions de rots pour la reconstruction gastrique de Notre-Dame.

Le président de tous les estomacs vides de France salue la vacuité du don.

 

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2.

L’Ordre des Sœurs de la Charité offre cent millions d’hymens pour la reconstruction de la virginité (fondue) de Notre-Dame.

Le président de toutes les vierges de France salue le don de nymphes.

 

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3.

L’Association des écrivains en mal de reconnaissance offre cent millions de mots pour la réécriture de Notre-Dame.

Le président de tous les Houllebecq en herbe leur promet la Légion d’honneur.

 

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4.

Les Gilets Jaunes offrent cent millions d’yeux crevés pour obscurcir la vue sur l’Île de la Cécité.

Le président de tous les aveugles de France salue le don d’organes.

 

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5.

L’Association des tireurs à pipe offre cent millions de plomb fondus pour la reconstruction des bourdons ébranlés.

Le président de toutes les cloches de France souligne la lourdeur du don.
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6.

L’Association pour l’abattage des Arbres et Forêts offre cent millions de troncs pour reconstituer la fortune forestière de la toiture.

Le président de toutes les poutres de France salue le chèque en bois.

 

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7.

L’Association pour la bénédiction des Eaux & Forêts offre cent millions de gouttelettes pour remplir les bénitiers d’eau partie en fumée.

Le président de toutes les sources de profits de France souligne la volatilité du don.

 

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8.

L’Association des bougies de Noël offre cent millions de bouts de chandelle pour la réérection des cierges de Notre-Dame.

Le président de toutes les lumières de France salue un don brillant.

 

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9.

L’association des Cupidons offre cent millions de traits pour la relance de la Grande flèche au-dessus du cœur de la cathédrale.

Le président de tous les chœurs blessés salue le chant d’amour.
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10.

L’Association des pompiers pyromanes offre cent millions de départ de feu pour la reconduction de l’incendie Notre-Dame.

Le président de toutes les lances d’incendie de France annonce cent jours de deuil national.

 

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LE CHAGRIN DES VIVANTS d’ANNA HOPE – Une lecture de Nathalie Delhaye

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Nathalie DELHAYE

Plaidoyer universel

J’avais lu beaucoup d’ouvrages relatant la guerre 14-18, mais j’étais passée à côté de celui-ci. « Le chagrin des vivants » raconte la vie de trois femmes, après-guerre, plus précisément en 1920, alors que l’Angleterre va accueillir 5 jours plus tard, le 11 novembre, le « Soldat inconnu ».

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Trois femmes qui ont subi, ou subissent encore, les effets de la guerre. Ada, qui a perdu son fils, qui ne sait pas bien où il est tombé, et qui le voit à chaque coin de rue. Evelyn, qui a appris la mort de son fiancé. Et Hettie, une toute jeune fille qui accompagne tous les jours les soldats revenus sur la piste du Palais de la danse, partageant avec eux leur solitude et leur amertume.

Trois femmes qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre, mais dont les destins vont se frôler, presque s’entrecroiser, par les coups du hasard.

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Anna Hope

Anna Hope nous offre un livre très détaillé de ces années d’après-guerre. Relativement documenté, le récit sonne vrai et rien ne semble romancé, nous plongeant au cœur de ces années difficiles, de la reconstruction, villes dévastées, âmes tourmentées et cœurs blessés, voire brisés. On ne peut que comprendre et partager le mal-être, le désarroi, le doute et malgré tout un certain espoir. Tourner la page est encore une étape fragile, mais il faut avancer et regarder loin dans ce contexte. Et le lecteur accompagne volontiers ces trois femmes, les entend et compatit, peut faire aussi un triste parallèle avec les mêmes choses vécues par ses aïeux, la même angoisse, le même deuil. La Grande guerre meurtrière a touché le monde entier, ce livre est un hymne aux soldats tombés pour la liberté, de par le monde, et son plaidoyer est universel.

Le livre sur le site de Folio/Gallimard

Les livres d’Anne Hope chez Gallimard

2019 – DE FOIRES EN SALONS : QUELQUES PAGES D’HISTOIRE – Une chronique de Denis Billamboz

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Denis BILLAMBOZ

La littérature c’est un art, c’est aussi le moyen de se souvenir, de connaître le passé, de savoir d’où l’on vient pour essayer de comprendre où l’on va. À l’heure où les Ukrainiens donnent leur confiance à un comédien pour conduire le pays, il serait bon de relire l’histoire de ce pays pour comprendre comment il a pu en arriver à cet extrême. Et, quand les Chinois achètent la France, il serait tout aussi intéressant de se souvenir du traitement qu’ils ont réservé aux Tibétains. Alors, regardons notre passé pour envisager notre avenir avec plus de lucidité.

 

L’UKRAINE : UNE HISTOIRE ENTRE DEUX DESTINS

PIERRE LORRAIN

Bartillat

L

Près de trente ans après son indépendance, l’Ukraine n’a toujours pas trouvé la paix, la stabilité et la prospérité qui devrait faire de ce pays, l’un de plus étendus et des plus riches d’Europe, une nation moderne, prospère et puissante. Il est resté le chaudron en perpétuelle ébullition qu’il est depuis plus de mille ans au cœur de l’Europe là où se sont rencontré toutes les grandes puissances qui s’affrontent depuis plus de deux millénaires : Scythes, Sarmates, Grecs, Romains, Byzantins, Tatars, Cosaques, Ottomans, Varègues, Russes, Polonais, Suédois, Lituaniens, Austro-hongrois… Aucun de ses peuples n’a pu imposer sa loi avec sa paix, comme l’ont fait les anglophones aux Etats-Unis et au Canada ou les Russes en Russie ou d’autres ailleurs encore… En parcourant l’histoire de cette région depuis le néolithique, Pierre Lorrain veut nous faire comprendre pourquoi cette immense étendue n’est jamais réellement devenue une nation et reste encore aujourd’hui dans un équilibre instable entre l’Union européenne et le la Russie héritière de l’Union soviétique.

Dans cette vaste étude de plus de six cents pages comportant glossaire, notes, index, chronologie, bibliographie, tous : lecteurs passionnés, historiens amateurs, érudits, étudiants, universitaires et même simples curieux trouveront des réponses à toutes les questions qu’ils se posent sur l’histoire et le devenir de ce vaste territoire où se jouent depuis des millénaires, et pour longtemps encore, des enjeux stratégiques pour l’Europe et même pour le monde entier. Pour écrire cette étude, Jean Lorrain a accompli un phénoménal travail de recherche bibliographique et un énorme travail d’analyse avec une vision la plus objective possible. Il y a tellement d’intérêts divergents qui se sont exprimés, et qui s’expriment encore, sur ce territoire qu’il est bien difficile de savoir où placer le curseur de l’objectivité, il m’a semblé cependant que Pierre Lorrain a toujours été attentif à ne pas se laisser influencer par un quelconque mouvement de pensée, une quelconque religion ou idéologie, un quelconque intérêt…

L’auteur consacre une partie très importante de son propos à l’histoire récente de l’Ukraine, celle qui a formaté l’Etat que nous connaissons aujourd’hui, incapable de se structurer en une nation cohérente et unie ou plus simplement en un peuple rassemblé autour d’un projet national commun. La fameuse ligne matérialisée par le Dniepr qui séparait déjà les Cosaques à la fin du Moyen-Age entre ceux qui devait composer avec les puissances occidentales et ceux qui devaient résister aux pressions venues de l’Est, est toujours très concrète dans les urnes.

« Pendant plus de vingt ans, depuis l’effondrement cataclysmique de l’Union soviétique et son indépendance, en 1991, l’Ukraine a été un tel volcan. Les signes indiquant qu’une éruption majeure allait se produire se sont accumulés au fil du temps devenant de plus en plus importants, plus rapproché. ».

La division l’ayant emporté sur l’unité, l’émiettement politique a provoqué la naissance de multiples forces qui se sont opposées pour ravir le pouvoir et les intérêts qui y sont attachés. Comme aucune force politique ne pouvait durablement imposer une quelconque loi, des individus peu scrupuleux en ont profité pour accaparer les richesses du pays, et elles sont énormes, avec en prime les aides très conséquentes accordées par des organismes internationaux, d’autres nations, de généreux donateurs plus ou moins intéressés et d’autres encore… Ainsi est née une caste d’oligarques et de ploutocrates qui n’ont aucun intérêt à ce que le pays s’organise autour d’un projet cohérent et juste. Ils ont fait de l’Ukraine leur jungle où ils s’ébattent, et se battent, comme des grands fauves à coup de milliards de dollars en une joute monumentale que l’auteur décrit avec grande précision.

Pierre Lorrain a parcouru tous les chemins qui ont constitué l’histoire de l’Ukraine, il a montré l’hétérogénéité de ce peuple aujourd’hui écartelé entre deux grandes forces, il a mis en évidence tous les intérêts concurrents ou antagonistes qui dressent les populations les unes contre les autres. A la fin du mois, l’Ukraine devra procéder à une nouvelle élection, celle de son président de la république, gageons qu’une nouvelle fois, les urnes mettront en évidence la large fracture qui sépare le pays en deux parties que tout oppose. L’auteur laisse peu d’espoir, l’histoire pourra se répéter encore longtemps si un changement radical n’intervient pas et il est bien difficile de savoir qui pourrait provoquer ce changement et qui y aurait intérêt.

Je laisserai ma conclusion à l’auteur :

« Ne faudrait-il pas plutôt parler de tentations entre deux destins opposés et même, pour l’heure, antagonistes, chacun dicté par une vision idéalisée d’intérêts particuliers plutôt que du bien commun ? ».

Le livre sur le site de l’éditeur

*

TEMPÊTE ROUGE 

TSERING DONDRUP

Editions Picquier

Tempête rouge

Avant de plonger dans la tempête rouge qui déferle sur les plateaux tibétains, il convient d’évoquer la genèse de ce livre et l’histoire de son auteur toujours interdit de passeport dans son pays natal. Tsering Dondrup est un écrivain à la notoriété bien établie entre le Tibet et le Qinghai, province qui comporte actuellement la plus grande partie de l’ancienne province tibétaine de l’Amdo d’où il est originaire et où il réside toujours, quand, en 2005, il décide d’écrire un roman dont l’intrigue raconte l’histoire de la « libération du Tibet », expression qui signifie pour les Tibétains la conquête de leur pays et son intégration dans l’immense Chine populaire. Ce livre ayant été refusé par tous les éditeurs officiels, contrôlés par le gouvernement, il l’édite à compte d’auteur, à mille cinq cents exemplaires très vite vendus. Les autorités n’ont pas eu le temps de l’interdire mais, en 2013, quand une nouvelle édition est publiée à Hong Kong, avec une préface de Li Jianglin, militante de la cause tibétaine aux Etats-Unis, la censure sévit et les tracasseries à l’endroit de l’auteur se multiplient. La traductrice dans un excellent avant-propos raconte l’histoire de l’auteur, l’aventure de ce texte et explique son contenu.

Pour ruser avec la censure, ou tout simplement pour ne pas trop s’exposer, Tsering Dondrup écrit une fiction assez complexe qui ne respecte aucune chronologie, ne laissant que quelques indices entre les descriptions pour situer et dater les événements racontés. L’histoire qu’il a conçue, met en scène un lama, Yak Sauvage Rinpoché, un homme très jeune, très riche, très adulé par ses fidèles et aussi très capricieux. Comme il est la réincarnation d’un Bouddha, on satisfait toutes ses attentes. Quand les Chinois pénètrent en Amdo, il comprend vite qu’il ne peut pas s’opposer à cette troupe très supérieure à la sienne, il décide alors de collaborer. Mais, après l’avoir abondamment utilisé, les Chinois l’arrête avec toutes les élites religieuses et sociales à l’occasion de la répression du soulèvement de 1958 en Amdo. Il connaît alors la grande famine provoquée par le Grand Bond en avant prôné par Mao. Toujours aussi veule, en prison, il dénonce ses codétenus et même ses fidèles amis. Il subira de nouvelles privations à l’occasion de la Révolution culturelle des années soixante-dix. Les aventures de ce lama racontent les exactions extrêmes commises par les Chinois au Tibet où plusieurs millions d’individus ont été éliminés notamment par la famine, la maladie et les travaux forcés. En Occident, un certain nombre de personnes se souviennent encore des événements qui ont ensanglanté Lhassa en 1959 et occasionné le départ du Dalaï Lama, mais très peu sont celles qui ont entendu parlé des atrocités commises en Amdo l’année précédente.

Ce livre c’est avant tout la dénonciation de ces atrocités commises en Amdo, pays de l’auteur, par les Chinois mais aussi l’attitude coupable de certains Tibétains, même parmi les plus hauts dignitaires religieux, ayant commis des exactions tout aussi cruelles que l’envahisseur. Tsering Dondrup démontre comment les Chinois ont tenté d’éradiquer tout un peuple, une religion, une culture et même un environnement qu’ils ont profondément bouleversé. Yak Sauvage Rinpoché n’a pas reconnu son pays quand il est sorti de captivité, la sinisation avait fait son œuvre. Cette lecture m’a ramené à celle des mésaventures que le moine Päldèn Gyatso a dévoilées dans Le feu sous la neige que j’ai lu il y a de nombreuses années déjà. Et, samedi, tard dans la nuit, en me promenant sur les chaînes du câble, je suis tombé sur une scène où les Chinois malmenaient des Tibétains pacifistes dans le fameux film Sept ans au Tibet, je ne l’ai pas regardé très longtemps, je connais l’histoire pour avoir lu le roman d’Heinrich Harrer quand j’étais jeune. Le Tibet est moi c’est une bien vieille histoire pleine de sang, de douleurs, de cruauté, de trahison et d’avanie.

Le livre sur le site de l’éditeur

LES PALMIERS SAUVAGES de FAULKNER mis en scène par SÉVERINE CHAVRIER – Une chronique de Jean-Pierre Legrand

Le TOP 5 de JEAN-PIERRE LEGRAND
Jean-Pierre LEGRAND

Au départ, Les Palmiers sauvages sont une nouvelle – décapante comme tous ses écrits – de William Faulkner. Adaptée au Théâtre National de Bruxelles par Séverine Chavrier, cela donne une pièce puissante, dérangeante qui secoue le spectateur et lui donne l’envie irrésistible de revenir autant de fois qu’il y a encore des représentations au programme ou au contraire de s’enfuir, saisi d’un mélange de peur et de désapprobation viscérale. Je suis dans la première catégorie mais il s’en est trouvé de la seconde durant le spectacle. 

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.
L’histoire est simple. Charlotte coule une vie bourgeoise avec mari et enfants mais a des prétentions artistiques. Harry est étudiant en médecine, interne dans un hôpital. Il n’a jamais connu de femme. Il paraît embarrassé de lui-même, un peu mutique, aspirant à être aimé : davantage candidat au coup de foudre qu’au jeu de la séduction.

Charlotte et Harry se rencontrent un peu par hasard et précisément c’est le coup de foudre. L’occasion aussi d’une belle trouvaille de mise en scène : ce coup de foudre claque chez l’un et l’autre tels des coups de feu : les corps se tordent comme mortellement atteints.

Les deux amants quittent tout : mari, famille, travail. Une passion torride, charnelle, exclusive et fusionnelle les entraîne. Ils se coupent de tout dans l’enfièvrement des corps et se réfugient dans un improbable bungalow. . Nouvelles trouvaille: le décor tient à la fois de l’appartement foutraque un rien glauque, de la cave ou du grenier. Des sommiers métalliques, des matelas à même le sol, un dénuement proche du sordide. Une immense étagère est bourrée de conserves qu’Harry compte et recompte et de casiers de bière. Ce sont leurs réserves. Premier signe tangible de la tragique temporalisation de la passion. Ils font l’amour partout et sont fréquemment nus sur cette scène peu habituée à de tels débordements.

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Amour total, amour charnel et asocial arc-bouté dans une opposition farouche au temps, il laisse pourtant entrevoir les premiers discords, l’imperceptible et subreptice écart que les deux amants colmatent aussitôt avec plus de furie encore. Le moteur du couple c’est elle dans sa folie et sa démesure. Lui en est le maillon faible : par qui un reste de culpabilité bourgeoise ouvre une voie d’eau, infime d’abord mais qui va s’élargissant. Sa situation est plus terrible que la mienne dit-il parlant de Charlotte : elle ne sait même pas ce qu’est l’espoir. D’ailleurs il se met à écrire : c’est mauvais signe (Aragon dit quelque part qu’on écrit toujours contre quelqu’un…).

Le drame se précise. Voici que Charlotte toujours en instance de distancer le temps est en retard. Un retard menstruel. Que faire ? Dehors le vent – omniprésent – reprend de plus belle. L’enfer n’est plus très loin…

On sort de cette pièce un peu cabossé mais heureux d’avoir assisté à un spectacle rare, joué par deux acteurs d’exception – bravo à Laurent Papot & Deborah Rouach – et servi par une mise en scène à la précision chorégraphique qui tire parti, sans jamais en abuser, des effets vidéographiques et sonores.
Les représentations sont malheureusement terminées. L’occasion de lire ou relire cette nouvelle au désespoir capiteux : « Si Vénus revenait sur terre, ce serait sous les traits d’un pouilleux offrant des cartes postales obscènes ».

Les Palmier Sauvages au Théâtre National de Belgique

Les Palmiers sauvages de William Faulkner chez Gallimard

 

2019 – DE FOIRES EN SALONS : BOUQUETS DE VERS – Une chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

Voulant fêter le retour du printemps, j’ai ramassé une grosse brassée de vers bien frais pour garnir un joli bouquet que je pourrais vous offrir. Il y a dedans du Daniel SIMON, de l’Aurélien DONY et de l’Eva KAVIAN, que j’ai récolté dans les serres des Carnets du dessert de lune et de Bleu d’encre. De quoi vous réjouir j’en suis sûr.

 

AU PROCHAIN ARRÊT JE DESCENDS

Daniel SIMON

Les carnets du dessert de lune

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Habituellement, je ne lis pas la quatrième de couverture pour ne pas risquer d’être trop influencé dans ma lecture, pour garder toute ma fraîcheur et mon innocence face à l’auteur et à son texte. Mais avant de lire ce recueil, apercevant la signature de Daniel Fano, j’ai souhaité voir ce qu’il pensait de cet opus et une fois ma lecture terminée je suis bien obligé de reconnaître que ce qu’il a retenu de la sienne contient pratiquement tout ce que je pourrais dire de ce texte. « Voilà un poète qui va toujours plus loin en amont. Vers l’enfance. pas forcément la sienne. Toujours celle du monde. Sa parole, comme la musique ne s’explique pas, elle implique. Elle dépasse les significations pour atteindre le domaine du sens et de la mémoire, elle accompagne et nomme les choses dans leurs mouvement ». Daniel Fano, je ne l’ai jamais rencontré mais je connais la finesse de son jugement et son talent d’écrivain.

Comme Fano, j’ai senti cette nostalgie de l’enfance, cette envie de retourner au pays qu’il parcourait à cette époque, j’ai apprécié la musique des vers et leur rythme malgré leur grande liberté. Certains textes sont même rédigés en prose poétique. Mais, au-delà, j’ai aussi ressenti une chose que je n’ai peut-être jamais constatée dans un poème, j’ai eu l’impression de toucher, de sentir sous mes doigts, sur ma peau, les choses que Daniel Simon évoque.

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Daniel SIMON

J’ai noté quelques thèmes récurrents qui reviennent dans ses poèmes : le vent, omniprésent, qui rappelle les campagnes du plat pays qui est le sien, « Un texte pour le vent du nord, le meltem, le sirocco, l’alizé, le noroît, … » ; le temps, le temps qui passe et qui entraîne vers la mort, « Le temps peine à demeurer en place » ; la nuit, hôte de tous les cauchemars et autres visions, « Des nuits de rêves, de cauchemars, de visions, d’éclats, de tumultes …. » ; Les choses simples qui ont meublé le passé, l’enfance, la jeunesse, « Nos histoires sont de plus en plus simples, Des histoires à deux temps, il tire il est mort …. » ; et les mots qu’il faut mettre sur ce passé pour nourrir la mémoire, « Les mots sont cabosses, vilebrequins, glaïeuls, apostrophes, génocides, desserts et autres cosses calcaires d’une langue ouverte comme une cage aux barreaux dispersés ».

Dans ses vers elliptiques, un peu hermétiques mais très poétiques, Daniel Simon raconte son enfance dans son plat pays parcouru par le vent, là où sont enterrés beaucoup de soldats de vains combats, là où la civilisation européenne pourrait trouver une âme sur la tombe de ces soldats massacrés pour une cause qu’ils n’ont même pas comprise. Il est parti à la recherche « Des nids des caches des mots perdus… » pour projeter un avenir sur les fondements d’un passé presque oublié.

Ainsi, Daniel Simon m’a ramené vers le « Pauvre Rutebeuf », j’ai alors écouté ce magnifique texte chanté par le grand Léo, Ferré, et j’ai entendu : « Ce sont amis que le vent emporte », des paroles que Daniel aurait pu écrire dans son recueil après ces quelques vers :

« Mes amis

Qui sont-ils

Vivants fantômes d’avant

Mes amis

Où êtes-vous tombés

Disparus ? »

Après la lecture de ce recueil, on pourrait aussi chanter avec Léo et Daniel : « Avec le temps, Avec le temps va, tout s’en va… »

Le recueil sur le site des Carnets du Dessert de lune

Le blog de Daniel SIMON

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DU FEU DANS LES BRINDILLES

Aurélien DONY

Bleu d’encre

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Dans sa préface l’auteur rappelle tout ce qu’il ne faut pas oublier, notamment que « l’écriture est morte si rien ne chante en elle, que le poète est aussi est menacé de mort, que ses vers ont à craindre de l’immobile attente… ». Alors, il écrit pour que vive encore les mots, pour que vivent encore la poésie. Il écrit son monde :

« Tairons-nous les hommes,

Les femmes et les maisons ? »

Il s’adresse aussi au poème qu’il a commis comme on invoque une puissance supérieure, tutélaire, impérieuse qui le guiderait dans le combat qu’il mène.

« Poème,

J’exerce à ton prénom

Mon combat condamné

Et prie chaque instant

Ton retour à la lutte. »

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Aurélien DONY

On croirait que ce jeune poète cherche sa place dans le monde où les repères se sont dissolus, évaporés, laissant la jeunesse dans l’incertitude, le doute, l’errance, où les mots même doutent de leur sens, où la poésie n’est plus la lumière qui guide les âmes perdues. Et cependant, il croit encore en la magie des vers qu’ils soient dits ou chantés.

« Nous avons rencontré

La vie au bord du gouffre

Nous l’avons empêchée

de sauter dans le vide

Avec une guitare et des chansons anciennes. »

Dans une dernière partie ou la prose le dispute à la versification, le poète dit sa grande confusion devant le déferlement de la violence qui pollue de nombreuses métropoles sur l’ensemble de la planète. Le monde serait-il devenu fou ? Certains oppressent, d’autres ne répondent que par une violence aveugle. La colère n’est peut-être pas la solution.

« Poètes, ô mes amis,

Vous qui sans cesse donnez au poème une voix dans la nuit et faut-il

Qu’elle soit

Criarde comme la mienne

Pour être nécessaire ? »

Le poète est jeune, il nous laisse avec toutes ses questions, gageons que dans les vers qu’il inventera, il trouvera un chemin, son chemin. C’est un amoureux des mots, il les aime tellement que, souvent, il les répète, comme on suce un bonbon longuement, pour mieux les goûter mais aussi pour mieux nous les faire entendre afin que nous n’oubliions jamais que « la poésie c’est la vie même, la vie en intensité, ramenée à son rythme essentiel, celui du souffle de la scansion, cela seul justifie qu’on inventât le ver …. ». C’est une citation de Jean-Pierre Siméon qu’il a placé en exergue à ce recueil.

Poète a cherché son chemin dans le dédale d’une société décomposée qu’il faudra reconstruire en usant de mots nouveaux pour écrire une nouvelle civilisation débarrassée de la violence gratuite.

Aurélien Dony sur Wikipedia

La page Facebook de Bleu d’Encre

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L’HOMME QUE J’AIME

Eva KAVIAN

Les carnets du dessert de lune

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J’ai découvert le talent d’Eva Kavian il y a tout juste un an après avoir acquis un de ces précédents recueils à la Foire du livre de Bruxelles. Dans ce texte datant de plusieurs années, elle parle d’amour, d’ « Amour en cours, amour qui court, amour au secours, amour discours, amour toujours, amour trop court, amour, amours, toujours, toujours, trop court, trop courts, amours qui rient, amour en larmes, attente, attente trop souvent, départ encore, encore et encore ». Elle confesse dans le titre qu’elle est « Amoureuse » mais on devine qu’elle n’a pas encore déniché celui qui saura la garder avec son amour pour toujours. Aujourd’hui, je sais que Cupidon a visé juste, ses flèches ont atteint la cible qu’elle visait depuis un temps certain déjà, elle a trouvé « L’homme que j’aime », celui qui a su capter tout l’amour qu’elle a à donner, même s’il ne fait pas la cuisine, ni même la vaisselle pendant qu’elle écrit des vers.

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Eva KAVIAN

Dans ce nouveau recueil, Eva Kavian utilise la poésie en vers, elle écrit des tout petits poèmes construits avec de tout petits vers, juste quelques mots mais des mots extrêmement choisis, toujours très justes pour dire toute la force de l’amour qu’elle a « à offrir en partage » comme chantait Jacques Brel. Ces poèmes sont un véritable concentré d’amour trop longtemps thésaurisé, trop longtemps tu, trop longtemps gardé par devers elle. Ces mots ont une telle puissance d’évocation que les hommes qu’elle choisit d’aimer ne doivent pas résister longtemps à la puissance de son amour, à la séduction de ses mots, au chant de ses vers. Et pour que ses poèmes aient plus de force encore, elle n’hésite pas à manier l’ironie et un brin de moquerie destiné à titiller celui qu’elle a choisi d’aimer. Eva, c’est une enjôleuse, elle provoque, elle cajole, elle charme, elle séduit…

Mais, elle sait aussi jouer avec la mise en scène de ces textes, elle sait retenir la chute d’un poème, laissant le lecteur en expectative, avant de lui livrer sur une autre page, en vis à vis ou au verso, le message caché au fond de ses vers.

« Je m’étais juré

de ne jamais plus

demander un homme

en mariage

quand je t’ai rencontré

j’ai tenu bon

toi aussi

 

(page suivante, après une illustration)

jusqu’à ce matin

où nous étions en retard

devant nos cafés brûlants

tu as sorti

une bague

trop petite

et j’ai dit oui. »

Ils sont certainement nombreux les amoureux des mots, et même les amoureux tout court, qui feraient la cuisine et la vaisselle pour lire des vers comme ceux-là débordants d’amour dans le joli décor planté par Marie Campion l’illustratrice.

Le recueil sur le site des Carnets du Dessert de Lune

Eva KAVIAN sur Babelio

 

 

 

IN MEMORIAM PAUL DESALMAND, par DANIEL CHARNEUX

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Daniel CHARNEUX

Quand un ami parisien qui approche les huit décennies cesse de vous envoyer ses livres, vous vous dites que vous allez lui écrire. Vous continuez à lui envoyer les vôtres (bien moins nombreux que les siens), sans recevoir de réponse. Un jour, vous tapez « Paul Desalmand » sur Google et vous lisez, sur le site « Babelio » :

« Biographie : Paul Desalmand est né le 24 août 1937 à 6 h du matin et décédé le 17 Juin 2016. Il est originaire d’un village de Haute-Savoie (Arenthon). A propos de ses origines, il lui arrive de dire, paraphrasant Tchekhov : “Je suis né dans le peuple. On ne me fera pas le coup des vertus populaires.” »

Paul DESALMAND

J’ai découvert Paul Desalmand en 2001 grâce à Renaud Ambite, un excellent romancier (Sans frigo, Enfin tranquille, Thérèse m’agaçait) qui a depuis renoncé à l’écriture pour se consacrer à sa famille et à sa profession d’actuaire.

Je l’ai invité deux fois à Mons, à la maison Losseau : la première, le 26 avril 2003 (avec Renaud Ambite), le seconde le 21 avril 2007 (avec Chantal Portillo et Frédérique Deghelt).

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Je l’ai aussi rencontré à Seynod, dans sa Haute-Savoie natale, dans le cadre de l’excellent Salon de la Francophonie qu’organisait la municipalité, avec le concours de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

En 2006, j’ai amené une classe de rhétorique à le rencontrer au « Grand Colbert », rue Vivienne à Paris, à propos de son livre Sartre et Stendhal. Un grand souvenir pour ces jeunes gens.

 

Je suis vraiment peiné d’apprendre le décès de celui qui, comme son maître Stendhal, aimait les pseudonymes : « Pablodesal », « Pablo de Montmartre »… Il habitait au 75 de la rue Caulaincourt, à deux pas du cimetière de Montmartre où, j’aime à l’imaginer, il a rejoint Dalida.

 

Il adorait les citations. J’en retrouve une, reçue de lui en août 2012 : « Je ne plonge jamais dans un roman-fleuve du premier coup, surtout en période de rentrée, j’ai trop peur de me faire emporter par les courants littéraires. » (Vincent Roca)

Ou encore ses vœux pour 2013 : « Pour vous deux une année 2013 sous le signe de Verlaine : De la douceur, de la douceur, de la douceur. »

 

Paul était ce que l’on appelle un polygraphe : une cinquantaine de livres, de la Grammaire bleue à la série des « 365 » (365 proverbes expliqués, 365 éponymes expliqués…), de Cher Stendhal, Un pari sur la gloire à Écrire est un miracle , de L’athéisme expliqué aux croyants à Sartre, Stendhal et la morale.

On lui doit aussi deux romans délicieux. Le Pilon (2006) et Les Fils d’Ariane (2009). Voici ma lecture du Pilon et le message que j’adressais à Paul après la lecture des Fils d’Ariane :

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« Dire que Paul Desalmand est un amateur de livres serait très en dessous de la vérité. Il serait plus exact de dire qu’il est amoureux des livres, dont l’univers n’a pas plus de secrets pour lui que, pour un Brillat-Savarin, celui de la gastronomie.

Il n’est donc pas surprenant qu’après plusieurs essais consacrés à Sartre ou Stendhal, au miracle d’écrire ou au petit monde de l’édition, il fasse du livre le sujet de son premier roman, Le Pilon, qui paraît en septembre [2006] aux éditions Quidam.

Belle mise en abyme, apte à séduire les amateurs de poupées russes, que ce livre dont un livre est le héros. On songe à Si par une nuit d’hiver un voyageur de Calvino, mais alors que Calvino adopte la troisième personne pour décrire les aventures d’un livre qui se dérobe sans cesse, Desalmand donne ici la parole à l’ouvrage lui-même, un ouvrage défini dès le premier chapitre avec une précision d’entomologiste : « Je suis né le 17 juin 1983, à 16 h 37, sorti des presses de la Manutention à Mayenne. Format : 16,5 cm x 12,5 cm. Poids : 230 grammes. Nombre de pages : 224. Caractères : Garamond. Corps : 12. » Un ouvrage dont Desalmand nous livre les tribulations depuis la sortie de presse jusqu’à son départ pour l’Afrique, un continent que l’auteur connaît intimement (ce paragraphe sur les odeurs de l’Afrique…) pour y avoir enseigné durant des années.

Un roman picaresque, en somme, qui permet à Paul Desalmand de dresser une sorte d’inventaire de la société, de pénétrer partout en suivant les pérégrinations de son héros de papier, et de démontrer à nouveau son énorme savoir concernant le livre, contenant et contenu : le président du « Cac 40 » lui ressemble étrangement. « Cac 40 : le Club des Amis des Citations. Cette association n’avait qu’une dizaine de membres dont un “préposé aux menus plaisirs”. Le nombre 40 signifiait que le but était d’arriver à quarante comme à l’Académie française. »

Dans ce jeu de piste qu’il est bon de parcourir avec le flair d’un détective, on appréciera aussi les clins d’œil aux amis : Renaud Ambite, Chantal Portillo qui envoie son éditeur au pilon, sans compter « Patrick Klotz » [alias Patrick Cauvin], ou encore les citations détournées, telles, en vrac : « des hommes, sans aptitude autre que celle consistant à exploiter leurs semblables, pouvaient engloutir en un repas la nourriture de cent familles », « courons à l’Afrique en rejaillir vivant » et surtout cet extraordinaire clin d’œil à Flaubert : « C’était à Métagna, faubourg de Pézenas, dans les entrepôts d’un connard. »

Un roman truffé de détails intéressants ou de regards originaux sur le monde du livre ou des bouquinistes (la « révision », la librairie Préférences à Tulle, chasse et pêche en librairie, les réincarnations du livre,…)

Un premier roman intelligent et tendre à lire en amoureux du livre et de la vie. Un hommage à ce « vice impuni » qui est peut-être la plus belle vertu de l’être humain : la lecture. »

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Trois ans après, Paul Desalmand publiait un second roman, Les Fils d’Ariane. Je lui écrivais alors :

« Mon cher Paul,

Quelques jours après Seynod [le salon du livre francophone de Seynod, en Haute-Savoie, où nous nous étions rencontrés], je profite de ce jour de congé que nous devons à notre Seigneur JC pour te faire un compte rendu des fils d’Ariane, dont la lecture a enchanté mon voyage de retour.
D’abord, je ne crois pas que tu doives verser 50 € à quiconque : point de coquilles, bourdons ou autres bourdes.
Ensuite, j’estime ce roman bien supérieur au Pilon : tu y étais virtuose, ici, tu deviens musicien.
Pourrais-je ajouter que Le Pilon était un bon livre, alors que Les fils d’Ariane est un vrai roman?
La structure, tu le signales toi-même, évoque le Decameron, ou encore les récits cadres de ce Maupassant que tu adores où, après une journée de chasse, chaque convive y va de sa narration. Comme s’il fallait éviter le silence qui nous renverrait trop durement à nous-mêmes. L’un des principaux personnages de ton livre est la conversation, qu’il faut entretenir en permanence comme un petit feu sous peine de le voir s’étioler, mourir, et nous envahir le froid des relations artificielles, précurseur craint du froid mortuaire. Car sous leurs dehors primesautiers voire égrillards, les propos échangés par les quatre convives, deux hommes, deux femmes, cachent les blessures d’enfance, l’angoisse du vieillissement, la terreur du caveau.
Autre clin d’œil à Maupassant, les prénoms des deux frères : Pierre et Jean. Amis / ennemis, rivaux se disputant l’amour de leur mère, un amour qui, chez Maupassant aussi, frôle l’inceste (cette scène tragi-comique où Jean reçoit les aveux de sa mère).
Pierre et Jean, que précède la célèbre préface “Le Roman”. Toi aussi, tu y vas de ton cours sur le roman (comme, également, l’Édouard des Faux-Monnayeurs) : toi qui as si souvent dénoncé ces “auteurs” n’ayant d’autre sujet qu’eux-mêmes, tu sais combien il est périlleux de t’aventurer à ton tour sur cette voie de l’autobiographie. Mais là où la plupart échouent parce que : “Le plus souvent, ce n’est pas écrit”, toi, tu “écris” juste ce qu’il faut (puis-je te dire que le Pilon était parfois “trop écrit” ?)
Et tes “souvenirs d’enfance” évoquent le Marcel du “château de ma mère” davantage sans doute que celui de la “Recherche”. Oui, “quand on tire un fil de l’enfance, tout se met à revenir.” Le Garlaban de l’un, l’Arve de l’autre… dans les deux cas, d’une motte de terre naît l’universel.
Rendre ne serait-ce qu’une seule vie plus belle suffit peut-être à justifier la sienne.” C’est sans doute la justification (certains diraient la rédemption) de l’écrivain. Et s’il est, comme tu l’indiques, “une terrible et inhumaine machine à engranger”, alors, tu n’usurpes pas ce titre, ce beau nom d’écrivain. Et ton écrit n’est pas vain, cet écrit où tu donnes aux amis ce précieux conseil : dans un livre, “comme pour le vin, il faut veiller à ne pas redescendre”. Tu ne redescends pas, Paul, tu emmènes ton lecteur exactement où tu veux aller, jusqu’à cet émouvant “champ à Morel” où se nouent tous les fils de ton livre. Ariane peut dormir en paix : “Quoi de mieux que la littérature pour se laver des salissures de la vie.
Merci pour ce livre, Paul. Merci et à bientôt!

Daniel »

 

Merci pour tous ces livres, mon cher Paul. Et à bientôt, forcément…

 

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Renaud Ambite, Paul Desalmand et Daniel Charneux à Mons en 2003

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Les livres de PAUL DESALMAND sur Babelio

VU AU CINÉ DE MA RUE : BITTER FLOWERS d’OLIVIER MEYS – Un article de Philippe LEUCKX

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Philippe LEUCKX

Portrait de femmes chinoises, tableau d’une grande ville, abord de la prostitution, vie de couples endettés, le film belge, premier long-métrage de fiction d’Olivier Meys a tout d’une oeuvre dense qui veut saisir la réalité dans ce qu’elle a de plus intime, de déchirant, avec le regard d’un documentariste professionnel et affûté qu’il est.

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L’anti-héroïne Lina, venue à Paris de son Gongbei appauvri par la crise, compte s’y enrichir pour épurer les dettes de son ménage et entrevoir peut-être l’ouverture d’un restaurant.

Le contrat de nounou est foireux et, des 2000€ escomptés, on lui propose 500, de quoi la plonger dans une angoisse terrible. Elle s’est endettée pour venir à Paris et ne peut donc retourner sans avoir gagné suffisamment. La voilà prise au piège d’un contrat bidon.

Reste la solution, proposée par une Chinoise du Gongbei comme elle : le trottoir. Elles sont sept à partager un minuscule appartement, tenu de main de fer par un marchand de sommeil chinois. Effondrée, Lina, qui est venue de son plein gré à Paris, contre l’avis de son mari, se décide à franchir le pas, comme ces femmes, veuves ou divorcées, qui ont choisi de se prostituer pour donner un nouvel avenir à leurs proches.

Le regard de Meys, d’une très grande pudeur, caresse en longs plans ces femmes qui se soutiennent à l’étroit entre une gazinière élémentaire et des lits superposés. L’entraide féminine donne lieu à de vraies séquences où la beauté intérieure de ces femmes éclaire la grisaille de la vie dans ce quartier de Belleville où les Chinois du sud exploitent ceux du nord qu’ils méprisent. Le ghetto, le trottoir, la petite chambre de bonne, louée par les sept pour y recevoir leurs clients, dont la tabatière donne sur la Tour Eiffel, les errances dans les rues de la ville méconnaissable : l’oeil de Meys ne néglige aucune réalité.

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Une amie de  Lina, tentée par la richesse escomptée, arrive à Paris, connaît déception et réalité du vrai métier de Lina, accélère le retour au Dongbei et, en dépit des enveloppes d’argent envoyées, rien ne se passe comme on le voudrait… La dure réalité de nouveau plombe le personnage.

Beau film, sans aucune recherche esthétisante, ici parlent une mise en scène qui scrute les visages et les lieux, une analyse aiguë des réalités sociales (Meys a vécu longtemps en Chine et parle le mandarin) et psychologiques.

Le visage de Lina s’illumine de beauté, et, quand, par Skype, elle communique avec son mari et son fils, elle semble quitter sa peau de prostituée pour renouer avec son passé.

L’attention de Meys à la matière du réel est anthropologique, et l’on en oublie l’outil tant la précise avancée de la caméra tait son propre travail.

Une très belle réussite.

Un entretien d’Olivier Meys à propos de son film sur Cinergie.be

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