SUITE A SON TEXTE POLÉMIQUE SUR GRETA THUNBERG, MICHEL ONFRAY DÉCIDE D’ARRÊTER LA PHILOSOPHIE

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Après la polémique suscitée par sa diatribe contre Greta Thunberg, Michel Onfray décide d’arrêter la philosophie.

 » La masse de réactions indignées m’a ouvert les yeux, a-t-il dit, je ne m’étais pas rendu assez compte de la teneur imbécile de mes propos. »

Le visage grave, affligé, marqué par l’incessant questionnement intérieur et plusieurs nuits d’insomnie, le fondateur de l’Université populaire de Caen a ajouté :

 » La pertinence des réactions, parfois brutes, dans leur expression (mais le peuple est brut) m’a fait prendre conscience de l’importance de Greta Thunberg dans l’histoire de la climatologie. À partir d’aujourd’hui, je me mets au service de Greta et des idées qu’elle défend. Je ferai du vélo d’appartement pour aller d’un point A à un point A, j’écrirai des tribunes pour alerter l’opinion, marquer terriblement et durablement les esprits et plus jamais on ne me surprendra plus en train de réfléchir sur le sens de mes actions. J’agirai tel un automate écologique, sûr de son combat et de l’idéologie qui le sous-tend. « 

Il a aussi signalé aussi qu’il avait contacté la chanteuse Mylène Farmer, avec laquelle il entretient des relations amicales et professionnelles depuis longtemps, pour un duo à venir façon Dalida et Delon, en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.

Sur ces propos sages, qui ne manqueront pas d’être loués par une grosse majorité de population (la population est sage) et Aurélien Barrau, Michel Onfray est reparti en trottinette mécanique rejoindre son vélo d’appartement à gestes lents, très très lents, pour ne pas produire de perturbations climatiques ni de secousses sismiques.

Il nous a fait l’effet d’un moine bouddhiste dans une boutique de produits zen.

 

 

 

 

LA FABRIQUE DES MÉTIERS

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Afin de désengorger les écoles et centres de formation, réduire la pénurie d’enseignants et de formateurs en tout genre, bref, accélérer la décroissance dans le milieu scolaire en réduisant le personnel (d’entretien, d’accompagnement, d’inspection…) et la production de déchets d’apprentissage, La Fabrique des métiers a pour vocation de proposer des professions originales et à la pointe qui s’apprennent sur le tas et sur le tard, voire par terre, sans l’aide d’éducateurs dits verts et a-variés.

Dès que l’apprenant aura appris son métier, sera passé maître dans son propre savoir, nul doute qu’il se trouvera sur le territoire de la connaissance institutionnalisée des centres subventionnés par l’Education nationale pour valider ces neuves et singulières compétences et, qui sait, permettre aux apprenants devenus maîtres de leurs savoir de décrocher un emploi de prof (car il en manquera toujours) dans la discipline de leur choix.

ÉTÉ 2019 – LECTURES de PHILIPPE LEUCKX : SOLOMBRE de FLORENCE NOËL

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Philippe LEUCKX

POÉSIE (1)

« Solombre » de Florence Noël (1973), un troisième recueil publié au Taillis Pré, après Encres Vives et Bleu d’encre, résonne comme un livre grave, marqué au sceau des enjambements, sous l’égide d’un nom puisé chez le poète O. Paz ou d’un poème de la grande Mimy Kinet.

S’il fallait guider le lecteur dans cette œuvre réussie et féconde, peut-être lui suggérerions-nous d’arpenter cette « nuit » qui prend presque toute la place, tant le vocable se répète à l’envi.

« La nuit reflue », « la nuit » a de ces profondeurs qu’il faut préserver.

« je viens payer mon dû à l’ombre/ sans visage »

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Florence Noël 

« La femme rhizome » sait nommer les terres de la sensualité. C’est le terrain de chasse des nuits rêvées ; c’est la terre même d’une poésie qui s’enchante d’un lyrisme un peu sombre :

« nuit conjurée cent fois

et une encore

d’eau soustraite

nous léchons de nos langues affûtées

tes fumigations

où gerce le pacte

nous tordons les mots

dans nos langues éponges

fermente l’encre des

assassins »

Ecrire, semble-t-il, est d’une capillarité qui puisse nommer ce qui vient, se tord, s’impose à la poète qui aime les images.

Ecrire serait-ce trouver « si peu de consolation » « sous tant de baisers » ?

« Solombre », suivi de « Fourbure », décline un univers traversé de mots qui coupent, strient, érodent, comme un amas de blessures loin venues d’enfance.

Le recueil paru au Taillis pré sur Livres et création

Les recueils de Florence NOËL sur Livres et création 

ÉTÉ 2019 – LECTURES de PHILIPPE LEUCKX : LA PÉTILLANCE d’EVELYNE WILWERTH

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Philippe LEUCKX

ROMAN (1)

La pétillance d’Evelyne WILWERTH

Tignasse étoile

 

« Tignasse étoile » (M.E.O., 2019, 168p., 16€) est bien à l’image de son auteure : imagination, dialogues brillants, construction légère, écriture pétillante, sans aucune graisse de lourdeur ou de remplissage (ce qui est le cas de nombre de romans pour atteindre le gabarit des pages imposées) ; le roman explore les faces cachées, sensibles d’une enfant, d’une adolescente, d’une adulte jeune qui écrit sa vie et tient registre de ses secousses, de ses joies, de ses fantasmes (Ottawa n’est pas le dernier).

Louons cette écriture en phrases courtes : il y a du Beck, décidément, chez notre romancière spadoise : du coupé court, en toutes petites phrases vibrantes, virevoltantes, sèches, nues, économes.

Jacinthe, la narratrice, sa mère Clarisse, le petit monde qui la fête (à ce propos, son anniversaire sonne le passage heureux ou résigné du temps, qui scande ce livre grave-léger), l’exaltation du jeune âge débordant de toutes parts : on entre dans ce livre comme dans la fameuse « Maison de papier », c’est dire que la prose s’emballe, se fait chair et sensualité, rompt avec l’académisme romanesque du prêt-à-raconter, tient fort à un rythme endiablé (l’auteure n’est pas pour rien comédienne, dramaturge, récitante),et requiert notre haleine de lecteur, prêt à enfourcher les manies, les tracas, les joies, les délices de son héroïne.

Évelyne Wilwerth
Evelyne Wilwerth

L’art, la création y remplit un rôle premier, quasi un redoublement des plaisirs précités : dans son atelier de vie, l’héroïne assume « cette naissance du monde », l’œuvre se nichant dans le plus profond.

Le titre, à l’instar de l’écriture, rejoint la condensation extrême d’un univers qui se donne à lire d’emblée : l’éclair de la beauté, sa fulgurance sans doute, en dépit des aveux tardifs (Ottawa, une fois de plus), en dépit des dépits, et l’assurance que le mot temps a un peu d’avenir devant lui.

Réflexion (l’air de rien) sur la filiation, « Tignasse étoile » rameute chez le lecteur les questions nettes à propos de notre existence, de notre place dans ce charivari du monde.

Le livre sur le site de M.E.O.

Le site d’Evelyne WILWERTH 

LE RÉCAP DES CHRONIQUES LITTÉRAIRES DE JUILLET sur LES BELLES PHRASES

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LECTURES de DENIS BILLAMBOZ

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LÀ D’OÙ ELLE VIENT de PATRICIA RYCKEWAERT (Bleu d’Encre)

TRANSPORT COMMUN de RIM BATTAL (LansKine)

LE COEUR EN LESSE d’AURELIEN DONY (M.E.O.)

LES JOURS ROUGES de BEN ARÈS (M.E.O.)

DEUX PERSONNES SEULES AU MONDE de KIM YOUNG-HA (Picquier)

LA CHAMBRE 3 d’EVELYNE WILWERTH (Lamiroy) 

PUTAIN DE PAYS NOIR de CARINE-LAURE-DESGUIN (Lamiroy)

DIOGÈNE ou LA TÊTE ENTRE LES GENOUX de LOUIS DUBOST (La Mèche lente)

UNE SAISON AVEC DIEU de JEAN-JACQUES NUEL (Le Pont du Change)

+

ON MARCHE SUR LA TÊTE de XAVIER STUBBE (Label Xavier Stubbe)

LES BEDAINES DE COTON de CYRIL MAGUY (Le Label dans la forêt)

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LECTURES de PHILIPPE LEUCKX

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LES TULIPES DU JAPON d’ISABELLE BIELECKI (M.E.O.)

SOLOMBRE de FLORENCE NOËL (Taillis Pré)

TIGNASSE ÉTOILE d’EVELYNE WILWERTH (M.E.O.)

LE MUSÉE DE LA GIROUETTE ET DU VENTILATEUR d’ÉRIC DEJAEGER (Gros Textes)

AIMANTS + RÉMANENCES d’ARNAUD DELCORTE (Unicité)

LE BOURDONNEMENT DE LA LUMIÈRE ENTRE LES CHARDONS de CLAUDE DONNAY (Le Coudrier)

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LECTURES de Jean-PIERRE LEGRAND

Le TOP 5 de JEAN-PIERRE LEGRAND

LE MYSTÈRE CLOVIS de PHILIPPE DE VILLIERS (Albin Michel)

LES ANNEES DIFFICILES d’HENRI BAUCHAU (Actes Sud)

KASPAR HAUSER de VERONIQUE BERGEN (Espace Nord)

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LECTURES de PHILIPPE REMY-WILKIN

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LIBRE COMME ROBINSON de LUC DELLISSE (Les Impressions nouvelles) 

LE DERNIER PHARAON de François SCHUITEN/Jaco VAN DORMAEL/Thomas GUNZIG/Laurent DURIEUX

LES SEINS DES SAINTES de CHRISTIAN LIBENS et la collection NOIR CORBEAU (Weyrich)

La PLATEFORME CULTURELLE PLIMAY avec SALVATORE GUCCIARDO

LE CHAT de GEORGES SIMENON 

UNE PETITE HISTOIRE DU ROMAN POLICIER de CHRISTIAN LIBENS (Weyrich)

MAI 68 amon nos-ôtes de THIERRY GRISAR (Le Cerisier)

LES BÂTISSEURS DU VENT de ALY DEMINNE (Flammarion)

KASPAR HAUSER de VERONIQUE BERGEN (Espace Nord)

Le second volet du COUP DE PROJO DES LETTRES FRANCOPHONES BELGES consacré à l’oeuvre de JACQUES DE DECKER 

+

L’émission culturelle de GUY STUCKENS sur RADIO AIR LIBRE 

+++

AUTRES 

LE CLUB LECTURE de LA BIBLIOTHEQUE de FONTAINE-L’ÉVÊQUE de PASCAL FEYAERTS autour la poésie francophone belge contemporaine

ÉRIC ALLARD, invité de CHARBON DE CULTURE sur BUZZ RADIO

 

2019 – LECTURES FRAÎCHEUR : VERS BIEN FRAIS / Une chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

Le farniente sous un bel ombrage c’est aussi l’occasion de lire des vers, des vers bien frais évidemment, j’en ai trouvé chez Bleu d’encre et chez LansKine. Des vers de Patricia RYCKEWAERT qui évoquent sa quête de ses origines et des vers de Rim BATTAL qui parlent eux aussi des origines de leur auteur, des origines doubles qu’elle essaie de conserver en équilibre de part et d’autre de la Méditerrannée.

=====

Là d’où elle vient

Patricia RYCKEWAERT

Bleu d’encre

Ce recueil de poésie ne comporte presque que des poèmes qui commencent par « Elle vient de… ». Tous ces poèmes, mis bout à bout, pourraient être la recension d’une quête de ses origines effectuées par celle dont l’auteure aurait mis en vers la recherche. Ce texte est un voyage, l’odyssée intime d’une fille dans son passé, une introspection pour déceler les failles qui ont fait que son histoire l’a construite comme elle est devenue, à travers ceux qui l’ont conçue, ce qui l’a façonnée, ce qui l’a marquée, stigmatisée, à tout jamais.

Dans sa préface, Jean Lavoué parle de « texte de naissance » et que « C’est d’« elle » qu’il ne cesse d’être question dans ces lignes ». L’auteur place en exergue à ce recueil trois vers de son préfacier qui illustrent bien le propos qu’elle entend développer dans ce recueil :

« Ce qui est sûr

C’est que rien n’advient

Sans une déchirure. »

 

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Patricia Ryckewaert

Et ce sont ces déchirures que l’auteure explore en fouillant le passé de cette « Elle » jamais nommée qui pourrait être elle, ou une autre, peu importe pour le lecteur qui suivra le chemin de cette quête sur des vers brefs, fluides, elliptiques qui expriment les sensations, les sentiments, les impressions qui ont construit les certitudes qu’elle pense avoir décelée dans les failles de son passé.

« Elle vient de l’attente ».

« Elle vient d’un reste

d’une trace ».

« Elle vient du silence

autour ».

« Elle vient d’un pays ardent… »

« Elle vient du balancement

des hanches ».

« Elle vient d’une terre

où rien ne pousse ».

« Elle vient de la poésie qu’elle écrit

Les doigts enfouis dans la terre ».

Peut-être qu’elle vient d’ailleurs, qu’elle n’est pas née sur cette terre ou l’auteure écrit, qu’elle a éprouvé quelques douleurs à se construire dans ce pays mais elle ne le dira pas, l’auteure devra se contenter d’étudier les failles qu’elle a décelée dans ce parcours intime.

Et nous, nous saurons à coups sûrs qu’

« Elle vient du secret des failles

Où ça ruisselle et ça souffre ».

Le recueil sur Espace Livres et création

Revue et Editions Bleu d’Encre

+++

Transport commun

Rim BATTAL

LansKine

Née au Maroc, Rim Battal vit entre son pays natal et la France, elle a « Le sentiment d’être un nouveau colosse de Rhodes, certains jours – un pied de chaque côté de la méditerranée – d’autres, la sensation d’avoir le cul qui s’érode entre deux chaises ». Elle cherche à transmettre ses origines, les drames que vit le continent africain qu’elle évoque à travers les migrants qui s’entassent sur les rives de la Méditerranée avec l’espoir d’un jour trouver vie meilleure au-delà de la mer.

« Être à Tanger : tourner le dos aux hommes bafoués

Aux femmes blafardes

Aux enfants qui dorment le jour

Dans les bras de femmes bafouées

Aux enfants qui ont pour jouets des seringues d’éther

… »

L’Afrique qu’elle montre c’est celle des pauvres qui sont devenus spectacle pour les fortunés qui pensent soulager leur bonne conscience en leur offrant des babioles.

« Madame : regarde-nous moins, nous en serons plus beaux et plus heureux encore. »

Rim a aussi ses icônes, comme Melania (Trump) donnée au monstre par le couple Obama le jour du sacre, « C’est le sacre du pire », « Ils la conduisent/ ils la livrent /Belle à l’abattoir ». Melania pourrait soulager la misère mais elle est condamnée à l’inaction, « Elle a cinq langues dans la bouche : aucune ne remue ». métaphore pour évoquer tous ceux qui voudraient agir mais ne le peuvent.

 

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Rim Battal

Rim mène un combat pour « Résister à la tentation de l’Europe et de l’Afrique qui s’enfantent l’une l’autre inlassablement », afin de conserver sa double culture et de ne pas perdre de vue ceux qui ne peuvent pas sortir de leur misère. Elle écrit son texte comme elle voit son pays d’origine dans une grande pauvreté mais dans une tout aussi grande dignité. Elle est pauvre de mots comme les Africains sont pauvres de tout mais elle les choisit avec beaucoup de rigueur, les sélectionnant pour qu’ils disent le mieux et le plus avec une grande économie. Son texte, quelques mots dispersés mais très explicites, a la noble beauté des peuples premiers à la noblesse altière mais, vers la fin, il se déchire en éclats qui se dispersent sur la page comme les migrants qui courent en tout sens pour fuir le malheur.

Avec les quelques mots qu’elle a choisis, Rim raconte en quelques vers éclatés ses origines, le continent africain en grande souffrance, l’exil, la femme toujours première victime, l’enfant à venir mais aussi l’amour comme dernier espoir, la poésie comme certitude.

« Plus rien ne nous fera douter de ce poème ». Jamais nous ne douterons du talent de Rim, toujours nous écouterons son message.

Le recueil sur LansKine 

 

LE COUP DE PROJO d’EDI-PHIL SUR LE MONDE DES LETTRES BELGES FRANCOPHONES #15

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Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 15 (août 2019)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

 

A l’affiche :

Un essai (Luc Dellisse), une BD (la reprise de Blake et Mortimer par Schuiten/Durieux/Gunzig/Van Dormael), deux romans policiers (Francis Groff, Christian O. Libens), et une note poétique (Salvatore Gucciardo) ; les maisons d’édition Les Impressions Nouvelles, Blake et Mortimer, Weyrich/Corbeau Noir.

 

(1)

Coup de cœur !

Luc DELLISSE, Libre comme Robinson, essai, Les Impressions Nouvelles, Bruxelles, 2019, 203 pages.

Le sous-titre annonce le programme : Petit traité de vie privée. Un programme audacieux. Tudieu ! Un auteur belge (enfin, il a pris la nationalité française en 99 mais est né chez nous, y vit, quoiqu’à éclipses, depuis des décennies) esquisse un portrait du monde qui nous environne et nous engloutit, les manières de s’y émanciper, d’y trouver son salut existentiel ! Bref, Luc Dellisse ose se confronter aux D’où viens-je ?, Où en suis-je ?, Où vais-je ? au moment où il est (idiotement) de bon ton de conspuer les élites (NDLA : entendons-nous sur ce terme et ne confondons pas Mandela et Trump, BHL et Nietzsche !) et donc l’interrogation, la remise en question, la possibilité… d’une île et d’un sortir des rails.

Osé, osé, osé !

Qui plus est, Dellisse, pour se montrer concret, s’offre en pâture et se raconte (avec pudeur et discrétion mais…), par un de ces faux paradoxes dont les penseurs ont le secret, vu qu’il insiste plusieurs fois sur la nécessité (ontologique) du jardin secret et des secrets pour tout créateur.

Luc Dellisse

Luc Dellisse. Un auteur. Polymorphe. Que j’ai connu, par ombre interposée, aux débuts de ma carrière, du temps où nous écrivions tous deux des scénarios de BD. Que j’ai lu, bien plus tard, comme romancier. Qui s’est ouvert tant d’autres sillons. La poésie, les essais. Un érudit aussi, un intellectuel, en son sens positif et majeur, qui a eu l’occasion d’enseigner à la Sorbonne ou à l’ULB, excusez du peu !

Nul doute qu’on va lui tomber dessus… si le livre est diffusé comme il le mérite, soit largement. On appréhende la critique. Ceux qui estimeront le livre trop déstabilisant ou trop bien écrit, trop nuancé pour être compris/digéré sans retour sur la phrase. Ceux qui, a contrario, s’attaqueront au CV de l’écrivain, qui n’est ni sociologue ni scientifique ni bouddhiste ni… Ceux qui ne supporteront pas ses grands écarts entre des considérations sur l’avenir de l’humanité et la meilleure manière de gérer un mariage, un aménagement, un petit déjeuner…

Grincheux, passez votre chemin ! Et je le dis fermement. Non que je cautionne tout ce qu’assène l’auteur. Mais. Tout ce qu’il dit, il le dit avec talent. Tout ce qu’il dit, il le dit pour l’avoir éprouvé dans sa chair. Tout ce qu’il dit interpelle, c’est-à-dire émeut, interroge, invite à l’approfondissement, au débat. Tout ce qu’il dit, il le dit pour partager un arsenal qui pourrait permettre de mieux encaisser la vie, ou de la construire. Des notions d’esthétique, d’éthique se faufilent.

A tel point que…

Je renonce à un article traditionnel et invite divers camarades du microcosme littéraire à me rejoindre pour un feuilleton sur le livre. Tiendrons-nous la distance ? Je ne sais. Mais ainsi ferons-nous un bout de route plus conséquent avec des pages qui tendent leurs voiles vers le Sens, qui est le sang qui vitalise nos vies.

Tout de même… Le temps que mes camarades fourbissent leurs armes, ouvrons le chantier du livre.

200 pages et… une septantaine de courts/très courts chapitres, ce qui en dit long, déjà, sur une volonté d’explorer grand large mais, tout autant, de ne pas sombrer dans le pensum, d’arcbouter un texte solide à une construction dynamique, qui conjugue efficacement temps de digestion et relance de l’intérêt. Et, déjà, une considération en surplomb de l’opus : quel que soit le genre d’un livre (et celui-ci peut épouser mille rythmes !), lire doit toujours rimer avec embarquer.

 

Au frontispice, une phrase de Voltaire :

« Je ne connais d’autre liberté que celle de ne dépendre de personne ; c’est celle où je suis parvenu après l’avoir cherchée toute ma vie. »

Mise en abyme du projet !

Qui doit être illico mise en rapport avec son décor. Le monde dans lequel nous évoluons. Qui est l’objet du premier chapitre : « Du nouveau sous le soleil ».

Avec la phrase de Voltaire et le premier chapitre, le contenu du livre entier est annoncé en ses deux pans : rappeler (et démontrer ?) que le monde qui nous accueille n’a jamais eu d’équivalent (car il arrive que l’Histoire « innove absolument » !) ; expliciter comment il est encore possible d’échapper au rouleau-compresseur du Système (qui lamine nos acquis sociaux, nous contrôle chaque jour davantage et comme jamais, etc.)… en transférant la résistance sur le plan de la vie privée.

 

Voir la présentation du livre sur le site de l’éditeur :

https://lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/libre-comme-robinson/

Voir, aussi, le texte de Frédéric Saenen, dans Le Carnet, qui nous a donné envie d’aller y voir de plus près) :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/06/13/dellisse-libre-comme-robinson/

 

Premier épisode du feuilleton Libre comme Robinson : à suivre (septembre) !

 

(2)

Déception !

François SCHUITEN/Jaco VAN DORMAEL/Thomas GUNZIG/Laurent DURIEUX, Le dernier Pharaon, BD, Editions Blake et Mortimer, Bruxelles, 2019, 91 pages.

Blake et MortimerLe dernier pharaon

Le dernier… Blake et Mortimer.

Une BD ? Un mythe ! Aux connotations très romanesques et littéraires (remember les pavés de textes redondants !). D’autant qu’un ami cher annonce un opus sortant du moule des suites poussives, un scénar élaboré par un cinéaste et un écrivain/romancier, un Schuiten au dessin (dont les productions habituelles, boostées par l’écrivain Benoît Peeters, louvoient vers la littérature).

Mais. Quelle erreur de casting ! L’essence de la série repose sur la capacité narrative (décoiffante pour son temps) du fameux Edgard-Pierre Jacobs. Comment oublier l’errance de La Marque jaune dans le décor londonien (la Tour de Londres, les quais de la Tamise…) ? Or Schuiten est un illustrateur/architecte bien davantage qu’un auteur de BD au sens traditionnel, il se montre maladroit avec la gestion des personnages, l’action, la narration. On remarquera que son complice des Cités obscures (série mythique qui a donné des lettres de noblesse à la BD, dont je possède deux sérigraphies) s’est abstenu. Or Benoît Peeters est extraordinairement polyvalent et aventurier (éditeur, scénariste, romancier, essayiste, biographe, etc.). Et c’est un homme très intelligent. A-t-il pressenti le danger ?

Au niveau de la première perception, celle des planches, on opposera de très belles illustrations (qui ont à voir avec les capacités de Schuiten à élaborer des espaces urbains, des bâtiments… en architecte/poète urbain) et de belles couleurs (Durieux) à une foultitude de cases rébarbatives et de personnages amidonnés sinon repoussants.

Thomas Gunzig, Laurent Durieux et Jaco Van Dormael autour de François Schuiten devant la table à dessin sur laquelle est né «Le Dernier Pharaon ».
Thomas Gunzig, Laurent Durieux et Jaco Van Dormael autour de François Schuiten

L’écriture ? Les scénaristes ont osé évacuer les légendaires pavés (comme le méchant légendaire Olrik !) et rompre ainsi avec le cahier de charges, le clin d’œil, on s’attendrait, dans la foulée, à un niveau de langue plus élevé, plus vivant, plus naturel, décapant même avec un Gunzig aux manettes. Et… que de dialogues d’une platitude létale !

« — Je vais faire le reste seul.

  • Attendez ! Je viens avec vous. J’ai un mauvais pressentiment.
  • Bon sang, Lisa. C’est beaucoup trop dangereux !
  • Vous pouvez penser ce que vous voulez, c’est ma décision.
  • J’imagine que je ne peux pas vous en empêcher. »

Quant à la narration… Elle tient de la fable. Mais. Elle me semble plus prétentieuse qu’ambitieuse. Peut-on un seul instant se passionner pour la mission de Mortimer, les interférences de Blake (peu militaire !), l’amourette qui surgit au hasard des planches finales ? Est-il possible de percevoir la profondeur des enjeux évoqués et la nécessité d’un rebours (se débarrasser du net et autres joyeusetés modernes) ?

In fine. Il me semble qu’une adaptation réussie, une succession nécessitent de conjuguer la capacité à sauvegarder l’âme/essence de l’œuvre tout en la modernisant, la transposant, la personnalisant. Une fidélité à l’esprit et non à la lettre. Or je crois que les auteurs réunis sont passés à côté dudit esprit et ont utilisé les ingrédients mis à leur disposition avec un peu trop de recul, de distance.

Reste qu’ils ont osé aller à contre-courant et sortir du copié/collé. Qui sait si une lointaine relecture ne me permettra pas d’y voir plus clair…

 

(3)

Un projet éditorial enthousiasmant !

 

Noir Corbeau.

Excellent titre, au demeurant.

Les éditions Weyrich ont eu la superbe idée de lancer une collection policière belge, avec une mise en valeur des sites, des produits locaux, etc. Enfin, un élan culturel tendant à revendiquer une identité… dans le meilleur sens du terme (qui n’exclut nullement l’autre, l’étranger, le monde).

Weyrich a même mis les petits plats dans les grands en ouvrant son projet par l’édition d’un hors-série dynamique, portraiturant l’aventure du genre en nos terres :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/06/23/libens-une-petite-histoire-du-roman-policier-belge/

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Christian Libens

Un peu côté Cahiers du Cinéma ! On théorise puis on passe à l’action. Un opus de Christian Libens qui, en grand simenonien, a sans doute beaucoup à voir avec la mise en place de la collection. A vérifier ?

Mais Libens, justement, il s’y colle ! Nous revient comme Christian O. Libens dans l’un des trois premiers romans (les deux autres sont dus aux plumes/claviers de Francis Groff et de Ziska Larouge).

 

Je n’ai pas encore lu le Ziska (autrice dont j’ai précédemment loué l’enthousiasme narratif communicatif) mais j’ai livré récemment une recension du Groff :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/07/13/groff-morts-sur-la-sambre/

 

Quant au Libens…

 

(4)

Christian LIBENS, Les Seins des Saintes, Weyrich/Noir Corbeau, Neufchâteau, 2019, 162 pages.

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Le roman se lit très facilement, il est vivant, les dialogues sont naturels, la langue fluide et adroitement canalisée, on découvre Liège, ses sites et son patrimoine, ses bonnes adresses. Les chapitres sont courts (d’une à quatre pages maximum), il y a un petit côté choral avec la mise en mouvement, en existence d’une foule de personnages attachants, pittoresques. Ajoutons quelques clins d’œil à des amis, à l’œuvre (et à l’étude) simenonienne(s), à un enquêteur issu d’un autre livre de la collection.

Vous l’aurez compris : tout cela est très ludique, très second degré. Et mon bémol se situe dans le sillage de cette observation, même s’il s’agit d’un choix délibéré, assumé. Le roman policier traditionnel est évacué. Certes, au centre du récit, un tueur se série s’attaque aux… seins de prostituées ou de femmes, disons, émancipées (les saintes !). Mais Francis, le policier, ne mène aucune enquête sous nos yeux, les suspects ne défilent pas, on n’approfondit pas l’identité des victimes et la résolution de l’intrigue nous prendra quasi par surprise. Non, l’intérêt du livre est ailleurs. Dans l’écriture, dans la gouaille des personnages ou leurs personnalités, la recréation de l’ambiance d’une ville, mille à-côtés qui interpellent, amusent.

J’ai parfois songé à Daniel Pennac, Tardi et Léo Mallet, Nadine Monfils. Et jamais à Mary Higgins-Clarke ou Agatha Christie !

 

(5)

Une note de poésie 

 

Happons quelques fragments publiés sur la plateforme de littérature contemporaine Plimay (www.plimay.com) et concluons cette mini-revue avec Salvatore Gucciardo :

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« (…)

Pourrais-je

Atteindre

Le dôme du ciel

Avant que la neige

S’éternise

Sur les veines du marbre ?

(…) »

(Veines marbrées).

« (…)

Ton visage d’odalisque

Aux lèvres pourprées

La verticalité ondulante

De ton nez aquilin

La saillie arquée

De tes yeux

(…) »

(L’onde vagabonde).

 

Edi-Phil RW.

LE MYSTÈRE CLOVIS de PHILIPPE DE VILLIERS (Albin Michel) / Une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

Le TOP 5 de JEAN-PIERRE LEGRAND
Jean-Pierre LEGRAND

Dans un livre qui date déjà de quelques années, l’historien Marc Ferro nous rappelle que « lorsqu’il est écrit dans les manuels de la IIIeme République que nos ancêtres étaient les Gaulois, cette assertion n’était pas destinée à faire croire aux enfants des peuples colonisés qu’ils en étaient les descendants comme on s’est plus à en gloser mais  que nos ancêtres n’étaient pas les Francs. Le fondateur de la nation n’était donc pas Clovis, baptisé à Reims et fils de l’Eglise. Il figurait simplement un roi barbare, vainqueur d’autres rois barbares, qui avaient envahi la Gaule et se l’étaient soumises ».

Dans son ouvrage « Le mystère Clovis », Philippe de Villiers se réapproprie cette vieille lune – qui en vaut bien d’autres – des origines chrétiennes de la France mais en tentant de lui donner une nouvelle légitimité. Dans ce mixte de roman et de docufiction, l’auteur se fend de quatre cent pages dont l’unique justification tient dans la thèse où culminent les dernières lignes : contrairement à ce que les manuels scolaires nous apprennent, le baptême de Clovis n’a pas eu lieu en 496 à Tolbiac, mais le 25 décembre 508 à Tours, sur le tombeau de Saint Martin. De Villiers y voit le signe qu’au Roi guerrier de Tolbiac implorant un Dieu guerrier, se substitue un monarque qui « laisse s’épanouir en lui une nouvelle royauté, une royauté oblative ». Ce faisant Clovis s’identifie au Roi de pauvreté et de miséricorde, portant ainsi, pour les siècles qui vont suivre, le jeu, intime et précieux de correspondances allégoriques entre l’onction, l’autorité, le dépouillement, l’offrande et la souffrance. A vrai dire je trouve tout cela un peu farce (surtout lorsque l’auteur nous refait le coup de la colombe céleste serrant dans son bec, non un fromage mais la sainte ampoule).

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J’avoue ma plus grande proximité avec Jacques Le Goff qui décrit l’itinéraire de Clovis en quelques lignes roboratives : « Il devient seul roi des Francs en faisant assassiner de petits souverains francs établis à Cambrai, Cologne et ailleurs. Son coup de maître est de se convertir au catholicisme (…) et de se faire le champion de l’orthodoxie face aux autres barbares ariens ». L’enjeu largement mythologique de de Villiers consiste à transmuer l’acte de Clovis en une conversion sincère et à faire de ce dernier un Roi des pauvres, un nouveau Christ. A mes yeux , ramenée à ce qu’elle est réellement, la conversion de Clovis ne fonde pas les racines chrétiennes de la France mais inaugure un malentendu durable. Mais, sur ce sujet, chacun son point de vue. Plus gênant, dans son obsession clovissienne, de Villiers justifie tous les massacres au nom du triomphe de l’orthodoxie sur l’hérésie arienne, faisant même de la dernière campagne d’Aquitaine, une guerre de libération. Pour notre auteur, les grands crimes ne sont rien lorsqu’il en sort un bien (supposé) supérieur.

Venons-en au texte lui-même. Il est très bien construit. Il est rédigé à la première personne. Nous sommes « dans la tête de Clovis ». Une tête dans laquelle l’auteur a toutefois fait un peu le ménage, poussant les vieux meubles dans les coins pour faire place à quelques-unes de ses plus lancinantes idées. Nous y voyons ainsi passer des vagues de « migrants au coutelas facile » et quelques conceptions très villersiennes pour un Franc, sur la décadence et la chute des empires. On n’est pas loin du jeu de rôle. Sur son destrier blanc, ce guerrier sauvage rappelle vaguement quelqu’un ; ce long tarin qui se profile sur l’horizon qu’enflamme les dernières lueurs du soleil ne vous est pas inconnu ;  ça y est, vous y êtes : Hé Philippe, arrête, on t’a reconnu, on sait bien que c’est toi.

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Philippe de Villiers

Que dire du style ? D’aucuns, sans doute influencés par la quatrième de couverture qui louange « une évocation gorgée de couleurs et de furieuses sonorités » y ont vu une reconstitution confondante de vérité. Il est vrai que si l’auteur nous entraîne  bien à la suite d’un Clovis de chair et de sang, j’ai très vite été agacé par l’espèce de sabir vaguement moyenâgeux que l’auteur prête à son saint homme en nous fourguant, à pleines brassées, des désinences en ail(le) (la serventaille, la mortaille, les devinailles), en ment (les embuissements, les imaginements, les tourmentements de l’âme) ou l’une ou l’autre pépite du style « je l’emberliquoquiais (Cela vaut bien l’abracadabrantesque chiraquien). Il faut bien admettre que tout cela vous a un petit relent Jacquouille la fripouille qui n’était peut-être pas entièrement calculé. Passons, j’ai adoré « Les visiteurs ».

Malheureusement le style jacquouillesque n’évite pas toujours certaines lourdeurs comme ici ; lorsque Clovis évoque son cousin Ragnacaire qu’il compte bien occire : « On me rapporte que, désormais tout gonflé de vanité, plongé dans la luxure, couvert de pullentise, enflammé de cupidité, regorgeant ‘adultère, il s’enfle d’un si fol orgueil qu’il débagouille des jurements insensés contre toute la cité de Cambrai ». Cette phrase fait facilement un bon quintal…
Heureusement, notre auteur peut aussi trouver des accents poétiques et filer délicatement la métaphore lorsqu’il s’agit de jeter dans nos pattes une gente dame au regard habité : « Le Rhin coule à flots dans l’émeraude de ses yeux » (On dirait du Cabrel en toute petite forme).

Parfois (trop rarement) un humour involontaire fait remonter en nous de bons souvenirs. Ainsi cette description insoutenable de la conduite contestable des brutaux Thuringiens à l’égard des femmes franques : « Après avoir été étendues dans les ornières des chemins , (elles) furent encordelées avec du nerf de bœuf à des pieux de sapin. Les tourmenteurs firent ensuite passer sur elles des chariots lourdement chargés de choux détrempés , et quand leurs os eurent été brisés, ils les donnèrent en pâture à la chiennerie hurlante de leur serventaille ». Prodigieuse cette trouvaille des choux détrempés. Mieux encore que la recette du cheval Melba du regretté Desproges ( Dénuder une demi-douzaine de jouvencelles, tapissez-en un chemin creux, faite tremper un tombereau de choux, réservez les…).

Aller, reconnaissons-le : ce livre m’a fait passer un bon moment.

Le livre sur le site d’Albin Michel 

2019 – LECTURES FRAÎCHEUR : NOUVELLES FRAÎCHES / Une chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

Pour poursuivre nos séances de lectures à la fraîcheur d’un bel ombrage, j’ai choisi quelques nouvelles, des textes qu’on peut lire par petites séquences entrecoupées de quelques moments de rêverie ou de sommeil léger. J’ai ainsi visité la région de Dinant, entre Meuse et Lesse, avec Aurélien DONY, avant de parcourir un coin de Madagascar à la rencontre des textes de Ben ARÈS et de partir pour l’autre bout du monde à la rencontre des nouvelles de KIM Young-ha le grand écrivain coréen qui m’a déjà enchanté avec un roman magnifique. On peut voyager très loin et très longtemps sans quitter son ombrage préféré et son transat confortable.

 

Le cœur en Lesse

Aurélien DONY

M.E.O.

Le cœur en Lesse

J’ai lu bien des auteurs qui racontent avec un réel amour, une certaine affection et même une pointe de chauvinisme, leur pays natal, la terre qui colle sous leurs semelles, les premières sensations qu’ils ont éprouvées mais je crois que c’est la première fois que je lis les mots d’un auteur aussi jeune communiant en une telle symbiose avec ses origines. Aurélien semble bien jeune pour ressentir une telle nostalgie en retrouvant son pays après l’avoir quitté pour suivre quelques études, mais en rentrant chez lui, il redécouvre son enfance et son adolescence et tous les petits et grands bonheurs qu’elles comportaient mais aussi des souvenirs moins heureux. « Anseremme d’un côté, et c’est l’enfance ; Dinant de l’autre, et c’est l‘adolescence. Entre ces deux pôles, une infinité d’aventures banales qui ont façonné le cœur que je porte en dedans. »

Ainsi, il raconte, en une vingtaine de courtes nouvelles, ses souvenirs d’enfance et d’adolescence mais aussi le pays qu’il affectionne tant. La nature où il aimait se balader avec sa famille ou ses potes, ses « copères » comme on dit par là-bas, les rives et les flots de la Lesse à Anseremme, ceux de la Meuse à Dinant où un de ses personnages, son père ou son grand-père peut-être, faisait naviguer des bateaux pour les touristes. Il décrit aussi avec enthousiasme Dinant avec sa Citadelle (avec une majuscule réclame-t-il), sa collégiale, ses maisons alignées, sa croisette. Il fait vivre ou revivre ceux qui habitent cette ville, sa famille, ses copains d’enfance et tous les personnages qui donnent un caractère si particulier à la ville mais aussi à la bourgade d’Anseremme. Il ne faut surtout pas oublier les légendes notamment celle des quatre frères Aymon dont le cheval Bayard a façonné le rocher qui donne un cachet si pittoresque à Dinant. Sans ses légendes, la région serait banale, avec elle a un esprit, une âme, une histoire, elle s’inscrit dans le temps, le temps qui fait la nostalgie.

Aurélien Dony
Aurélien DONY

Cette poignée de nouvelles donnent envie de partir le plus vite possible à la découverte de cette région que les guides touristiques ne référencent pas souvent mais qui, sous la plume d’Aurélien, devient brusquement attractive, pleine de charme, magique. On a envie de chevaucher le cheval Bayard et de bondir sur les routes à la découverte de cette région qui semble enchanteresse sous la plume de l’auteur. Je savais qu’Aurélien avais du talent, j’ai déjà lu et commenté des poèmes qu’il a publiés ailleurs, mais dans ce recueil, j’ai découvert qu’en plus de son talent littéraire, il a une énorme sensibilité et une affection débordante pour son pays natal. Son texte est plein d’amour, de sensibilité et de poésie, il dégage une empathie qui invite à suivre l’auteur dans ses lignes et sur les chemins de son enfance et de son adolescence. Surtout, s’il se fond dans le personnage de Tom.

« Tom appartenait à la catégorie de jeunes hommes bercés par quelque conte d’enfance où les chevaliers terrassent les monstres, où le sorciers plient la fortune à leur nécessité, où la vertu est affaire de lance et de bouclier. »

Dinant, c’est peut-être le bout du mont comme le dit le père dans une nouvelle, « On est loin de tout. Pas un théâtre d’envergure, aucune maison de la poésie, pas d’offre culturelle – ou si peu ! ». Mais, à Dinant, il a une Citadelle, il a des légendes et peut-être aussi une certaine magie qui insuffle l’inspiration aux poètes, aux dramaturges et à tous ceux qui aiment écrire.

Le livre sur le site de l’éditeur 

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Les jours rouges

Ben ARÈS

M.E.O.

Les jours rouges

Dans la région de Tolaria, à Madagascar, où il réside, Ben Arès a écrit ce recueil de nouvelles qui raconte l’histoire de cette région où les jours sont rouges comme le rouge de la latérite. C’est aussi l’histoire du clan des « Mahafaly, les Bienheureux, les Réjouis venus de l’extrême sud » de l’île, le clan dont fait partie la fille qui partage sa vie. elle doit le présenter lui le vahaza à l’ensemble de la phratrie pour qu’elle donne son avis sur son acceptation dans le cercle familial au sens large du terme. L’arrivée de l’étranger est l’occasion d’une grande fête. Même s’ils sont pauvres, ces gens n’en n’ont pas moins le sens de l’excès, ils partagent tout, surtout ce que l’étranger apporte pour s’acquitter de son droit à séduire une fille du clan. Malgré leur grand dénuement, ils acceptent avec bonne humeur le sort qui leur est réservé. Quand les jours sont favorables, comme quand la pluie tant attendue détruit tout mais apporte la vie, ils font la fête en buvant et mangeant immodérément au son de la musique traditionnelle.

Ben Arès utilise un langage simple, coloré, empreint de termes locaux, un langage où l’on sent dans le rythme, la construction des phrases, la structuration des idées, l’influence de la tradition orale, du palabre interminable, du palabre qui tient lieu de média, qui constitue le débat nécessaire avant toute prise de décision. Dans cette écriture, Ben Arès raconte l’arrivée de l’étranger dans le clan, l’accueil qu’’on lui réserve, sa relation avec une fille de la famille, l’arrivée de l’enfant, le travail, la pénurie dont on  s’accommode, la fête qu’on fait à chaque occasion, le malade qu’il faut arracher à la sorcellerie pour le confier à la médecine, le couple qui se défait, les mères qui doivent se débrouiller pour nourrir les enfants, les femmes qui sont toujours les perdantes. Et le rêve de partir vers une grande ville et ses lumières avec tous les risques que cela comporte, le rêve qui se heurte au désir de conserver le confort médiocre et sécuritaire de la vie dans le clan. La tradition triomphe encore très souvent du progrès technique, du désir de tout ce qui brille et rend la vie plus facile. Le poids de l’obscurantisme des croyances rituelles est très lourd surtout quand il s’accommode si bien des diverses religions importées sur l’île.

Ben Arès
Ben ARÈS

Ben Arès raconte la vie de ces gens qui, malgré une grande pauvreté et bien des misères, affrontent la vie avec calme et sérénité, acceptant ce que leurs dieux, celui des étrangers et les forces de la nature leur envoient. Il dénonce le discours des autorités qui cherchent à imputer à d’hypothétiques querelles ethniques toute la misère qui sévit sur l’île masquant ainsi leur incapacité et leurs malversations. Même si elles n’ont pas la chance d’accéder à l’instruction minimale, ces populations ont un grand bon sens et ne se fient qu’à ce qu’elles ont appris elles-mêmes par expérience ou par la voix des anciens. Elles se moquent de nos concepts auxquels elles n’entendent rien, « Comme ma sœur. Comme ma mère et la mère de ma mère ou de mon père. Je ne m’encombre guère des questions idiotes sur l’inné et l’acquis … La vie est ce qu’elle est … Et je n’ai aucune idée de ce que ce mot sans fond de Morale veut dire ».

A Tolaria, la philosophie est simple : « un homme qui court, qui craint le temps et jamais ne s’arrête est un homme mort ; d’autre part, celui qui feint de subir les désagréments de la lenteur pour mieux en tirer profit et justifier ses dépenses ni vues ni connues est sans conteste un enfant de salaud ». Une philosophie que nos civilisations agitées devraient méditer.

Le livre sur le site de l’éditeur

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Deux personnes seules au monde

KIM Young-ha

Editions Picquier

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Kim Young-ha est l’une de mes portes d’entrées dans la littérature coréenne moderne, avant de le découvrir, j’avais déjà lu quelques livres d’auteurs coréens mais je n’avais pas vraiment accroché, je trouvais leurs textes très elliptiques, pas facile à en percer le sens profond. Après avoir lu « Ma mémoire assassine » de Kim Young-ha, je suis entré dans un autre monde, j’ai découvert d’autres auteurs sortant d’une littérature un peu fossilisée, proposant des textes novateurs. Le présent recueil se situe dans cette droite ligne littéraire, dans ce recueil, l’auteur propose trois nouvelles écrites avec la même virtuosité que son roman cité ci-dessus.

La deuxième nouvelle est particulièrement remarquable, l’auteur y déploie toute sa virtuosité pour construire une intrigue particulièrement sophistiquée. Une intrique qui démonte la machination machiavélique qu’un éditeur a élaborée pour se débarrasser de son écrivain vedette devenu trop coûteux pour ce qu’il produit ou ne veut même plus produire. Ce texte comblera les amateurs de romans le plus noirs qui soient, tant l’intrigue y est machiavélique. Cette nouvelle commence par le récit de la visite chez son psychiatre d’un patient qui se prend pour un épi de maïs.

« Que vous arrive-t-il ? l’interrogea le psychiatre.

  • Je suis poursuivi par des poules. J’ai tellement peur. »

… d’une voix douce, son psy tenta de le rassurer.

  • Vous n’êtes pas un épi de maïs, vous êtes un homme. Vous le savez, n’est-ce pas ?
  • Moi, je le sais bien sûr, mais elles, docteur ?»

Dans cette nouvelle où l’on ne sait plus qui manipule qui, l’écrivain en panne d’imagination comprend vite qu’il est l’épi de maïs qu’un gros gallinacée voudrait bien picorer mais l’homme de lettres peut comprendre les coups les plus tordus. Il a l’esprit plus affûté que l’assassin le plus machiavélique qui soit.

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KIM Young-ha

Les deux autres nouvelles ne manquent pas d’intérêt elles aussi. L’une raconte comment un père écrase totalement sa fille préférée qui ne trouve sa voie dans la vie qu’après le décès de celui-ci. L’autre raconte l’histoire bien pathétique d’un couple qui s’est fait ravir son enfant unique et qui ne le récupère que quand l’épouse a sombré dans la folie et que l’enfant devenu adolescent refuse cette famille invivable qu’il ne connait pas entraînant une chute tout à fait inattendue.

Incontestablement Kim Young-ha est un grand écrivain, un grand conteur, il sait construire des intrigues très sophistiquées dans lesquelles il égare le lecteur le plus attentif pour le surprendre par une chute des plus inattendues.

Le livre sur le site de l’éditeur

2019 – LECTURES FRAÎCHEUR : BRÈVES DE BELGIQUE / Une chronique de Denis Billamboz

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Denis BILLLAMBOZ

Vous n’avez que quelques dizaines de minutes à patienter dans le hall d’une gare, dans une quelconque salle d’attente, à la terrasse d’un café, n’importe où, peu importe, vous ne trouverez pas le temps long car vous avez dans votre proche une petite nouvelle à lire comme LAMIROY en édite, pour un peu de monnaie, chaque semaine. J’ai choisi deux opus pour illustrer ce propos et aiguiser votre curiosité, une nouvelle d’Evelyne WILWERTH qui date déjà de l’automne et une toute récente de Carine-Laure DESGUIN.

 

La chambre 3

Evelyne WILWERTH

Lamiroy

#42 La chambre 3

Nadège, un nom qu’elle n’aime pas, pas plus qu’elle ne s’aime elle-même. Elle n’est plus toute jeune, elle a l’âge d’avoir des cheveux poivre et sel, l’âge de souffrir de courbatures quand elle termine le boulot qu’elle n’aime pas, un travail qui la dévalorise, l’humilie. Elle fait le ménage dans un cinéma pornographique pour gagner les quelques sous nécessaires pour payer le loyer de la triste chambre où elle vient d’emménager, mais pas suffisamment pour calmer ses créanciers. Mais depuis la fenêtre de sa chambre, elle peut apercevoir la chambre luxueuse de l’hôtel d’en face où certains se donnent du plaisir sans trop se cacher. Elle comprend qu’il faut qu’elle se donne un objectif pour avoir une raison de vivre encore dans son triste monde, elle décide alors d’économiser pour s’offrir, à l’occasion de son anniversaire, une nuit dans cette belle chambre. Ce projet l’emmène dans un monde nouveau où elle apprend des mots nouveaux qu’elle s’empresse de rechercher dans le dictionnaire qu’elle feuillette à la bibliothèque, encore un monde nouveau à découvrir. C’est toute sa vie qui pourrait changer…

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Evelyne Wilwerth 

Cette courte nouvelle est publiée par Lamiroy dans une collection qui en édite une chaque semaine, c’est l’opus 42, Evelyne Wilwerth y démontre tout son talent de nouvelliste, sa sensibilité, sa délicatesse, son art d’analyser les états d’âmes et de cœur. Et aussi son art de la narration, pour la circonstance, elle utilise avec bonheur deux modes d’écriture : une partie à la troisième personne pour camper l’histoire et une autre partie à la première ou la seconde personne pour décrire comment l’héroïne vit et subit son aventure. C’est une bien jolie histoire qu’elle nous offre, une histoire qui montre qu’il faut toujours croire en ses rêves et tout faire pour qu’ils se réalisent.

L’Opuscule sur le site de l’éditeur 

Le site d’Evelyne WILWERTH

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Putain de pays noir

Carine-Laure DESGUIN

Lamiroy

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Carine-Laure Desguin, la Carolorégienne aux multiples talents littéraires, a encore testé une nouvelle forme d’expression en publiant une nouvelle noire, noire, bien noire, au moins aussi noire que le pays qu’elle évoque, quand il produisait du charbon en abondance et noircissait aussi bien le paysage, que les villes et les cités et même les habitants qui profitaient de sa poussière. Cette fois, elle propose une histoire qui raconte un grand moment de désespoir comme elle en a déjà décrit ailleurs mais celui-ci se déroule dans un contexte particulièrement glauque. Ce désespoir accable une jeunesse fataliste qui n’a rien à faire valoir pour échapper à son irrésistible désescalade.

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Carine-Laure Desguin

Carine-Laure, le désespoir elle connait, elle a déjà écrit sur le sujet, où elle innove réellement, c’est dans le vocabulaire, l’écriture, le ton, elle sait faire parler ses héros comme des zonards, des paumés, des camés qui ne peuvent même plus aligner quelques phrases, voire quelques mots sensés, pour exprimer leur situation, leurs états d’âmes, leur désespoir. Elle taille un texte à la serpe de la zone, un texte imprégné du pinard de la pire qualité et assaisonné avec toutes sortes de drogues, de l’herbe la moins offensive aux produits de synthèses les plus dévastateurs.

Ces héros, ils pourraient nous rebuter mais en fait ils nous émeuvent tant ils sont impuissants devant la situation qu’ils ont créée à grandes rasades psychotropes que ceux qui tirent profit de leur vente leur distribuent abondamment. C’est au moment où la violence la plus brutale sourd de l’innocence de ces pauvres hères que le texte livre toute son émotion, prend aux tripes, révolte…

Encore une livraison hebdomadaire de Lamiroy qui fait mouche avec une nouvelle qui pourrait aisément remplacer le paquet de clopes habituel !

L’Opuscule sur la page de l’éditeur

Putain de Pays noir + Le Tranfert de C-L Desguin, l’article de J.-C. Hérin pour SudPresse

Le blog de Carine-Laure DESGUIN