LE COUP DE PROJO d’EDI‐PHIL SUR LE MONDE DES LETTRES BELGES FRANCOPHONES #16 : SPÉCIAL LUC DELLISSE

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Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 16 (septembre 2019)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

 

Spécial Luc DELLISSE !

Feuilleton autour de son essai LIBRE COMME ROBINSON, paru aux Impressions Nouvelles.

Le livre appelle aux commentaires, au débat et nous avons convié une guest star : Jean-Pierre Legrand. 

Le TOP 5 de JEAN-PIERRE LEGRAND

 

Episode 1

(chapitres 1 à 18, pages 5 à 52).

 

 

Note préliminaire.

Ce feuilleton prolonge un article plus traditionnel paru en août dans Les Belles Phrases :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2019/07/27/le-coup-de-projo-dedi-phil-sur-le-monde-des-lettres-belges-francophones-15/

 

  • « Juger de ce qui relève de l’éternel retour, et de ce qui, peut-être, se produit pour la première fois. »

 

Dès le premier chapitre, « Du nouveau sous le soleil », Dellisse nous secoue vivement en assénant une proposition qui heurte la sagesse populaire, qui veut que rien ne soit jamais neuf mais toujours recyclé, ce qui permettrait à l’expert ès Histoire de mieux analyser/prévoir/prévenir ce qui l’attend à la lumière de ce qui a été.

L’ancrage mental remonte loin : la plupart des civilisations envisagent l’Histoire comme une suite de cycles (naissance d’un organisme, d’une société puis croissance jusqu’à un point d’acmé, une éventuelle stagnation, puis une inévitable décadence menant à la mort, la disparition, l’extinction). Pas la nôtre, la judéo-chrétienne, me direz-vous, qui a établi un sens à l’Histoire et une fin dernière. Pourtant, cette vision, à contrecourant si on envisage l’ensemble de toutes les croyances qui nous ont précédés ou cohabitent encore avec nos reliquats (jusqu’à imprégner notre sagesse populaire !), n’est pas nécessairement dans les textes sacrés du christianisme, et relève peut-être/sans doute d’un abus interprétatif. L’Apocalypse ne relaterait pas la Fin des Temps mais narrerait ce qui a été et qui se reproduira donc encore.

 

Pour Dellisse, il « arrive que l’Histoire se répète, et il arrive qu’elle innove absolument ». Ce qui serait notre cas, petits veinards, nous sommes entrés dans « l’ère du monde fini », dominée par des phénomènes « sans commune mesure avec le passé :  surpopulation et brassage des peuples, « extinction quantifiable des ressources » et « économie mondiale de la dette », pouvoir de destruction intégrale et bouleversement des climats, intelligence artificielle (et machines hors de contrôle) et omni-surveillance électronique, etc.

C’est à désespérer ? Dellisse ne prévoit aucune parade à grande échelle mais nous propose de prendre le maquis : « Quand l’avenir se referme et que le passé se fait mensonge, le point de vue de la résistance permet de mieux distinguer la part de liberté qui nous reste. »

 

Phil :

L’Histoire se répète et ne se répète pas. Elle reproduit des phénomènes et des enchaînements mais jamais identiques. Comme un fleuve, qui charrierait régulièrement des troncs d’arbres mais jamais les mêmes ni à la même vitesse. Les plats repassent mais la vaisselle est différente, ou la cuisson, ou les assaisonnements.

Innover absolument ? L’innovation est du moins conséquente et jamais vue. Mais absolument ? Je crois qu’il y a beaucoup de génocides ou d’extinctions à petite échelle (les indigènes d’une île, en Patagonie, aux Canaries ou aux Antilles, etc.) qui ont été perçus comme la fin du monde par des microcosmes. Et la fin de notre civilisation ne serait pas la fin de l’humanité. Et quand bien même… pas la fin de la planète ou du vivant, qui continueraient sans doute des millions d’années sans nous. Comme des étoiles et des planètes survivront à la fin de la Terre, etc.

Mais j’ergote. On est entré dans une ère qui profile d’immenses dangers, c’est certain. Et le scénario dessiné par Dellisse existe et va exister en divers de ses champs. Reste à voir s’il va perdurer. L’avenir est impossible à prévoir. Je me raccroche à cette première bouée : il y a quelques décennies, nos bons experts nous prédisaient des ingestions de pilules et la fin des repas traditionnels… et la gastronomie a explosé. Le féminisme annonçait des femmes modernes asexuées ou virilisées, et le glamour des corps (masculins aussi, soit) n’a jamais été si omniprésent. Etc.

 

Jean-Pierre :

Pour qualifier l’équilibre de la terreur post-Seconde Guerre mondiale, Aron eut ces mots célèbres : « Paix impossible, guerre improbable. » J’ai envie de transposer la formule à notre situation actuelle : « maintien de notre modèle économique impossible, fin du monde improbable ». Les contradictions propres à ce modèle risquent bien de le tuer dans sa mauvaise graisse. Pas une semaine ne passe sans que, dans le même journal télévisé, s’entremêlent la déploration de l’un ou l’autre désastre écologique et le commentaire enthousiaste des dernières mesures adoptées pour doper (on n’a plus peur des mots) la sacro-sainte croissance. Cette fuite en avant n’est évidemment pas tenable.

 

  • « Partout, sans cesse, en tous domaines, ce qui a progressé, c’est la restriction. »

 

Dans le deuxième chapitre, « Vintage », Dellisse dénonce les territoires (de liberté) perdus en moins d’un demi-siècle. Il ne joue pas aux libertaires ou aux anarchiques. Non. Il reconnaît la raison d’être de la surveillance et de la punition. Mais il interroge « la légitimité de ceux qui l’exercent ». Et observe que « la liberté de conscience est devenue suspecte », appréhendant qu’elle soit un jour « déclarée illégale ». Et d’énumérer des domaines de recul. Peut-on encore aujourd’hui comme hier trouver un choix extraordinaire d’objets et de livres, prendre un avion ou un train au débotté, visiter à son gré les grottes préhistoriques, se moquer des religions, se conserver un jardin secret, etc. ?

Dans le chapitre 11, « Locataires universels », Dellisse appréhende la mise en danger du droit de propriété, met en rapport l’explosion démographique et la nécessité du partage, évoque le leasehold estate, ce système immobilier britannique (dont j’ai entendu parler pour l’habitat londonien) « qui se caractérise par une propriété libre mais temporaire », lui voit davantage d’avenir qu’au freehold, notre propriété continentale classique.

 

Jean-Pierre :

Sur ce sujet de la propriété, une lecture rapide peut laisser l’impression d’une contradiction entre ce chapitre 11 et le chapitre 28 (« La dépossession ») où l’auteur fait état du bon souvenir qu’il garde d’un communisme pratiqué à usage local. La contradiction n’est cependant qu’apparente car, si Dellisse juge que le communisme demeure son mode de de vie idéal, c’est, à mon sens, à la condition qu’il soit choisi librement par les individus qui le pratiquent à leur échelle sur une base volontaire et non imposée de l’extérieur par ukase administratif.

De ce point de vue, j’ai personnellement quelques craintes. Certes, l’évolution de la planète ne laisse aucun doute sur la nécessité de changer de paradigme économique. Il ne faudrait cependant pas que, par l’idéologisation des choix écologiques, nous n’ayons échappé à la collectivisation communiste que pour mieux nous précipiter dans la collectivisation verte et une nouvelle négation de l’individu.

Enfin, inquiet de notre devenir de locataire universel, Dellisse semble surtout préoccupé par l’avenir de la propriété immobilière. Je m’interroge pour ma part quant aux conséquences de la mutation en cours au plan numérique. Musique mais aussi littérature sont de plus en plus consommés via des abonnements à des services de streaming. Ici encore, le modèle locatif s’étend au profit d’une culture de l’instantané. Favorisé par une évolution de l’habitat ne laissant plus guère de surface disponible pour les livres, cette mutation vers une société sans mémoire et sans transmission durable m’inquiète. La fin d’une vie ressemblera de plus en plus à un simple rond dans l’eau du néant, un individu poussant l’autre et prenant sa place dans la ruche… Il suffira de résilier les abonnements en cours, le vent n’ayant plus rien même à emporter.

 

Phil :

Qui pour nier que nous sommes observés/dénoncés/harcelés (cf réseaux comme Facebook, smartphones, etc.) comme jamais ?

D’un autre côté, une puce ou une caméra de surveillance auraient pu sauver Julie et Mélissa. Des crimes sont éventés ou des assassins alpagués. La loi du silence a reculé, et les abus sexuels sont punis comme jamais. Mais toute avancée est ambivalente, ou amène son lot d’avantages et inconvénients. La balance déterminera la valeur de l’apport. Qui variera en fonction des contextes et des temps. On se réjouissait de la chute du Rideau de Fer et les mafias russes ont déferlé. On se réjouissait de l’ouverture de la Chine et on se demande aujourd’hui où s’arrêteront l’expansion et la domination de celle-ci. Etc.

 

Jean-Pierre :

Toute avancée est, en effet, ambivalente. Le fichage tous azimuts (par exemple, de l’ADN) m’inquiète. Lors de micros-trottoirs, j’ai parfois entendu certains afficher leur indifférence sur le mode « Peu m’importe, je n’ai rien à me reprocher ». La question est de placer le curseur entre avantages et inconvénients. Imaginons qu’un nouveau parti fasciste prenne le pouvoir et décide d’installer un état totalitaire. Combien de temps lui faudrait-il pour étendre sa maîtrise à tous les aspects de notre vie ? A mon avis, très peu ! Les moyens de contrôler tout un chacun existent déjà, au moins en germe. C’est cela qui m’interpelle : que par des mesures souvent dictées par la peur et parfois justifiées, on facilite le basculement d’un régime démocratique à un régime autoritaire en rendant toujours plus aisée la mainmise sur nous tous d’un pouvoir malintentionné.

 

Phil :

N’est-il pas utile de protéger des sites, de mettre en garde contre les dangers du tabac, du sexe non protégé, etc. ?

Quant à la surpopulation et à ses conséquences, oui, je la vois comme la plus grande menace mondiale. Mais. Qui sait ? Une épidémie, annoncée d’ailleurs, peut éradiquer une grande partie de la population mondiale. Une guerre Chine/Etats-Unis pour la suprématie économique ? Une série de guerres pour les réserves d’eau de la planète ? Ou alors un progrès soudain qui tire toutes nos populations vers le confort et la dénatalité, son corollaire masqué ? Ou, encore, une perte de fertilité, observée pour de nombreuses espèces déjà, due à la pollution, aux ondes magnétiques, etc. ?

 

Jean-Pierre :

Dans les années 60, on croyait en une croissance exponentielle de la population sur terre. Sur base des calculs de l’époque, la population mondiale était appelée à doubler tous les 15 ans. Sur quelques dizaines de siècles, cela aboutissait à un empilage qui aurait dépassé la stratosphère… Cette évolution théorique ne résiste pas à l’expérience : aucun phénomène ne peut croître indéfiniment car sa croissance est limitée par le milieu dans lequel se trouve la population. Aujourd’hui, certaines études prophétisent une baisse de la fertilité et une décroissance démographique qui pourrait surprendre.

Une chose semble certaine : chaque époque ressemble de moins en moins à celle qui l’a précédé.

 

Phil :

Dans son chapitre 13, d’ailleurs, Dellisse se contrepointe, ce qui peut desservir son propos, ponctuellement, mais rehausser notre considération pour la globalité de son travail extrospectif (l’introspectif suivra). Il rappelle en effet le temps, si proche encore, qu’on pourrait nommer « l’âge des étoiles », soit cette période où l’on était convaincu que le destin de l’humanité « était de voyager à travers le système solaire ».

Les futurs sont donc réversibles ?

Notons que, dans le chapitre 14, il assimile une nouvelle ère à l’irruption du baladeur. Interpellant. On serait passé d’une ère où l’on sort de soi pour aller vers l’infini et l’infiniment extérieur pour se recroqueviller sur soi (baladeur mais selfie, vidéos de sa vie privée, etc.). Ce qui renvoie à ma conception non linaire mais cyclique du temps. Quoi qu’on vive, cela se terminera et s’inversera. Le meilleur et le pire. Ce que disait déjà le premier roman (et quel roman !) de l’histoire (connue) de l’Humanité : L’Epopée de Gilgamesh !

 

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Luc DELLISSE

 

  • « Il n’y a aucun scrupule à avoir de ne pas jouer le jeu, quand l’adversaire triche, que les cartes sont forcées. »

 

Pour Dellisse, un système autocratique se met en place à l’échelon mondial, « encore un peu rustique » mais déjà « plus efficace que celui décrit dans 1984 par Orwell ». Or « notre seul devoir est le bonheur », sans nuire à autrui, en élargissant au contentement du proche. Et cela nécessite des accommodements avec la morale traditionnelle vu le partenaire, ce système (cet Etat qui rogne sans cesse sur nos acquis et nos libertés, notre individualité).

Pourtant, nous avons encore la chance de nous situer dans une période intermédiaire (un monde se termine, un autre se dessine) où il est possible de profiter comme jamais de « ce que six mille ans de culture ont produit en matière de savoir et de création ». Et Dellisse, nuancé, de noter qu’on peut aujourd’hui parler avec la femme aimée « à dix mille kilomètres de distance », commander en ligne mille et un produits en s’épargnant perte de temps ou contacts inutiles. D’en asséner un deuxième devoir : profiter et faire profiter de ce qui nous est offert.

 

Mon avis ?

De voir comment des Poutine, Erdogan, Trump, Bolsonaro, etc. arrivent un peu partout au pouvoir donne en effet une impression de retour (relatif) aux années 30. De voir comment se pratique l’espionnage sur les réseaux, etc. fait peur.

Cependant, ces leaders populistes ont tous été élus et peuvent tous, a priori, être renvoyés à leurs études. Un Obama a été suivi d’un Trump. Et donc pourquoi pas un Trump suivi par un Gandhi ou un Platon ? L’accélération de l’Histoire le démontre, la versatilité des foules et des médias tend à produire sans cesse du nouveau et du contrasté. Un Erdogan n’a-t-il pas vu son parti laminé aux élections municipales à Istamboul ?

Les accommodements de la morale ? Oui et non. Il faut rester accrochés à une série de valeurs, elles ont défini notre civilisation, ou l’ont améliorée, sans cesse. Par contre, il faut pouvoir jouer avec les règles, oui, s’il s’agit de contrebalancer des inégalités ou des injustices. L’Histoire belge nous propose un exemple magnifique. Le roi Albert, au sortir de la guerre, en 1918, a réalisé ce qu’on a appelé le Coup d’Etat de Lophem, soit imposer la démocratie (suffrage universel, droits des syndicats et des travailleurs, bilinguisme, partage du pouvoir entre partis…) en contournant ce qui était prévu par notre Constitution. Shocking, isn’it ? Or… not ?

Quant à ce qui est formidable aujourd’hui, ne serait-ce pas une sacrée contrepartie à ce qui est perdu ? Pour ma part, les réseaux sociaux ou les mails (je n’utilise pas la webcam, une intrusion dans l’intimité que j’abomine, comme Dellisse) m’ont permis de redécouvrir un cousin installé au Chili, d’approfondir des liens avec des cousins américains ou français (qui débouchent sur des rencontres réelles), etc. Muni d’un dictionnaire de l’histoire du rock, je comble des lacunes de ma jeunesse grâce à Youtube et multiplie les découvertes (King Crimson), les redécouvertes (Léo Ferré)… J’ai pu de même revoir des séries de mon enfance (Lagardère avec Jean Piat, Les Globe-Trotters, la mythique micro-saison 3 de Zorro, jamais diffusée, etc.), visionner l’or du temps cinématographique : Naissance d’une Nation (Griffith), les courts-métrages de Méliès ou des Lumière, etc. Facebook m’a rendu des amitiés ou camaraderies d’adolescence, etc., inventé des projets et des collaborations…

 

Surplomb !

A ce stade, déjà, j’aurais envie de décomposer le message de Dellisse : il y a ce qu’il voit exister au présent et ce qu’il appréhende pour l’avenir, mais ces deux analyses n’appartiennent pas au même registre et ont le mérite du contraste, du fait observé indépendamment de toute théorie aussi. Ce qui est un très bon point.

A ce stade, aussi, admirons la qualité littéraire du traité, qui me permet d’extraire des fragments aux allures d’aphorismes.

La suite ? Une septantaine de courts chapitres ! Que l’on ne va pas tous décortiquer, par manque de temps mais par respect pour l’auteur également : notre évocation doit mettre en appétit pour son travail et ne pas chercher à le mettre à plat.

Du coup, survolons les chapitres suivants, en ne tentant plus d’en faire le tour, nous figeant sur une donnée.

 

  • « Être libre n’est peut-être rien d’autre que de se croire libre. »

 

« Liberté et imagination vont de pair. » Il va sans dire que mille choses entravent notre liberté mais le secret réside dans notre appréhension de l’existence, dans « les couleurs qu’on lui donne, arbitrairement ».

 

J’acquiesce. La réalité est relative. Beaucoup dépend des lunettes que nous choisissons de porter pour regarder le monde (fumées, teintées en rose, etc.). Ce qui rejoint l’image du verre à moitié vide ou plein, une même réalité objective offrant plusieurs réalités subjectives, interprétatives. Mais la réalité importe-t-elle ou son appréhension, qui est notre espace de liberté ?

 

  • « Si tout converge dans le même sens, ce n’est pas par une suite de hasards, mais par une planification des ressources humaines, y compris la vie des humains, au service de la réorganisation du monde en ruche planétaire. »

 

« La liberté véritable n’est pas la liberté philosophique », ce qui importe, « c’est la liberté pratique ». Et celle-ci a immensément régressé depuis une trentaine d’années.

 

Phil :

Oui. Comme les acquis sociaux. Mais n’interprète-t-on pas abusivement (absolument) la dynamique négative, subjugués par la longueur à échelle d’une vie humaine de trois décennies, alors que les générations de l’après-guerre, affrontant une dynamique positive courant sur un même tiers de siècle, ont, inversement, imprimé en leur for intérieur l’idée d’un progrès infini ? Si une dynamique s’est grippée, une autre ne le peut-elle à son tour ?

La liberté pratique ? La majorité des femmes se lèvent-elles à nouveau à 3h du matin pour laver des draps ? Les enfants, en nos contrées, sont retournés dans les mines ? Une femme ne peut plus voter, ouvrir un compte en banque, divorcer à son gré ?

 

Jean-Pierre :

Sur le sujet de la liberté, je dirais plutôt qu’être libre n’est pas tant se croire libre que le vouloir.  Après bien des lectures, le philosophe dont je me sens le plus proche est Montaigne (et son art de vivre en mouvement). « Moi, dit-il, qui le plus souvent voyage pour mon plaisir, ne me guide pas si mal. S’il fait laid à droite, je prends à gauche, si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m’arrête.  (…) Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi, j’y retourne, c’est toujours mon chemin. Je ne trace ni ligne certaine, ni droite ni courbe ». (Voilà, incidemment, ce qui rejoint aussi Dellisse concernant le danger des plans de carrière : chapitre 32, « Carrières de sable »).

Ennemi de tout système, Montaigne épouse le mouvement inégal, irrégulier et multiforme de sa vie. J’aime ce que d’autres ont appelé son nihilisme créateur qui s’oppose à ce qui entend nier ce mouvement et exalte tout ce qui peut le favoriser. Je retrouve également dans le livre de Dellisse cette forme d’éloge du mouvement.

 

  • « Le bonheur a un pouvoir de rayonnement d’autant plus intense qu’on ne le rencontre que rarement. »

 

Les êtres libres, rares, se distinguent « par leur capacité à être heureux ».

 

Jean-Pierre :

Je me méfie de la notion de bonheur, qui traduit un état à la stabilité trompeuse. Je lui préfère la notion de joie ou celle, plus prosaïque, de gaité, au sens de Voltaire lorsque celui-ci écrit, dans une de ses lettres : « les méchants ne sont jamais ni gais ni tendres ». Les méchants ne sont jamais libres non plus : ils sont l’otage de leurs « passions tristes ».

 

  • « Nos actions les plus ordinaires sont régies, moins par le politique, le familial, l’affectif, le professionnel, que par des machines folles qui en règlent et en perturbent le cours. »

 

Une série de processus ont été enclenchés (algorithmes, robots, etc.) qui obéissent à une logique mécanique, visent à une progression interne du système sans rapport aucun avec des incidences positives sur des êtres humains. Dellisse évoque une « énergie noire. » Brrrr !

Dans le chapitre 10, « Le temps protocolaire », il cite l’exemple de la Bourse, dont le caractère devient sans cesse plus aberrant, imprévisible pour les experts, une logique interne servant « des mouvements financiers presque autonomes ».

 

En effet. On peut s’inquiéter, voire être terrifié par la manière dont une série d’instruments ont commencé à échapper à leurs créateurs. De là à revivre la séquence Hall dans 2001, odyssée de l’espace… ? En plus dramatique encore ?

Je me suis souvent interrogé sur ces soldats ou policiers robots du futur, qui seraient formatés de telle manière à prévenir tout ce qui menace la paix sur terre ou la santé de la planète, qui arriveraient à la conclusion qu’il faut éradiquer la présence humaine.

Le syndrome de l’apprenti-sorcier, ce délire humain dénoncé dès la Genèse (la pomme et la Chute !), ce qui renvoie à une perception extraordinaire de la sortie de notre espèce hors des rails de la nature, aura-t-il raison de nous ?

 

  • « L’intelligence artificielle est en train d’atteindre son point de transmutation. »

 

Nous sommes proches de la Bascule. Qui nous mènera jusqu’où ? Une fusion homme/machine ? Qui délivrerait de la mort ? A quel prix ?

 

Par Edi-Phil RW et Jean-Pierre Legrand.

 

LIEN VERS L’ÉPISODE 2 

 

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