
31.
Pendant de la chute de neige, le poète parsème sa page de blancs et limite la progression des mots dans toutes les directions, chaque vocable détonant alors comme une balle de plomb dans le silence alpin.
Puis il construit un bonhomme de poésie avec les boules de son.

32.
Pendant le soufflé des pétales, costumé en une fleur au sommet d’une tige de métal, le poète décline ses « je t’aime »: « un peu », « beaucoup », … « pas du tout ».
Puis, délicat et ondoyant comme une plume de paon devant la roue d’un beau camion, il offre un bouquet de baisers à la rose dépouillée de sa corolle qui, entre les fesses de la bien-aimée, lui conte fleurette.

33.
Pendant la restriction du budget de la culture, le poète soutient son éditeur belge dans l’épreuve, il lui offre le gîte et le couvert, le dentifrice et le shampoing, il lui coupe les ongles et lui masse les pieds, il lui perce les points noirs (et plus si aménités) et le réveille en douceur et profondeur au son d’une chanson d’Adamo…
Puis il tourne son coeur et ses plus beaux quatrains vers un éditeur parisien, mieux parfumé et plus fortuné, qui ne vibre qu’à l’écoute d’Angèle & de Roméo Elvis.

34.
Pendant le dîner, le poète mange ses vers et les vers disparaissent en lui, le poète boit l’eau de vie et l’eau de vie disparaît en lui…
Puis, pendant la nuit, il voit les cadavres de ses vers remonter à la surface de ses rêves.

35.
Pendant qu’il écrit pour ne pas être lu, le poète a l’idée d’écrire tout ce que le monde pense, vit et bouffe (pour enfin être lu et compris du plus grand nombre), il se projette sur Instagram et sur tous les réseaux sociaux entre une photo de chat, des ongles manucurés, une déclaration de Trump, un tacle de Merkel ou Macron et cent vingt notifications à honorer.
Puis il se voit à La Grande Librairie mais après s’être pris plusieurs vers de t’es qui là..

36.
Pendant la chute du Mur, le poète brûle ses odes au communisme et au Conducator, ses hymnes au peuple et à l’avenir radieux sens compter ses invitations nombreuses en résidence d’écriture sur la côte de la Mer Noire, côté nomenklatura.
Puis il va à la rencontre des émigrés de l’Est arrivés en masse qu’il s’empresse de mettre en garde contre l’ultra-capitalisme et le Coca zéro.

37.
Pendant la montée des eaux, le poète construit une arche dans laquelle il fait monter tous les genres littéraires à l’exception du roman (faut pas pousser).
Puis il vogue sur le déluge en narguant les romanciers qui tentent en vain de s’accrocher à la barque de la poésie et en leur assénant des coups de rame salvateurs ; il arrive sain et sauf au paradis des lettres où Victor Hugo le couronne prince des poètes insubmersibles.

38.
Pendant le scellement (et un peu de saignement aussi) de leur amitié, le poète prend cher (et vilain) de la part du grand (et gras) romancier dont il a sollicité une préface pour son recueil de poésie narrative entrelardée.
Puis il rentre chez lui avec son dû et un souvenir cuisant de la rencontre en se disant que c’est le métier qui rentre.

39.
Pendant que le poète est devant le tableau numérique en tant qu’écrivain en classe, il craint un accord du participe passé employé avec avoir, le calcul d’une primitive, l’équilibre d’une équation chimique, la citation d’un exemple d’interaction entre les règnes animal et végétal, l’énoncé de la capitale du Yémen ou du nom du le roi de France qui a succédé à Louis XI, toutes questions qui le laisseraient sans voix car il était un cancre à l’école.
Puis il déclame un de ses plus beaux poèmes et c’est lui le maître incontesté.

40.
Depuis qu’il voyage en train-tram-bus, le poète regarde de haut les automobilistes dans leur habitacle qui, au volant, lisent la rue sans le son ni les odeurs.
Puis il ouvre son carnet pour noter qu’un vélo dépasse à vive allure un bus à l’arrêt avant de se prendre les pneus dans un rail transversal, qu’un passant percute un métro qu’il n’a pas entendu venir et quelques autres détails divers qui alimenteront son prochain recueil…

41.
Pendant la prise de rixe, le poète reçoit des gnons, des beignets, des pains, des châtaignes, il distribue des soufflets, des gifles, des taloches, des mandales : ce n’est pas une chiffe molle, il sait rendre les coups…
Puis il s’assure contre la castagne en écrivant comme Bobin et Jaccottet confondus des épîtres à la nature et au grand tout.

42.
Pendant qu’il fait le plein de philosophie, engrangeant tout Pascal, avalant Descartes et s’enfilant Sartre, le poète gagne en essence ce qu’il perd en existence, il atteint l’être des choses, les sens le submergent, le néant lui manque, il relativise l’étant et renforce son conatus tout en se cramponnant au cogito qui dévale vers le néant.
Puis, l’esprit vide, il écrit un poème sans rimes ni raison.

43.
Pendant qu’il se remémore 68, le poète se revoit sur les barricades, lançant des pavés à la face des CRS en criant des slogans révolutionnaires et en faisant l’apologie de Dany le Rouge avant qu’il vire au vert et rencontre Guth, Sarko et Macron.
Puis il se dit qu’il a dû rêver la scène car il n’avait que neuf ans cette année-là où Julien Clerc chantait La Cavalerie sur un texte de Roda-Gil et que, dans la cour du lycée, les plus grands écoutaient Dylan ou Joan Baez.

44.
Pendant qu’il réanime un atelier d’écriture, et redonne souffle à des muses asthmatiques, le poète panse ses dettes et pense à ses futures vacances à la Résidence d’écriture balnéaire, il se voit sur la plage occupé d’écrire Le Grand Poème De La Mer.
Puis il fait en urgence un garrot au texte d’un apprenti poète qui perd tout son sens.

45.
Pendant la tombée de la nuit, le poète voit des Soulages, des Malevitch, des Carnegie & des Caravage, des Aurelie Nemours & des Jason Martin, des Manet & des Navez, des Spillaert & des Gucciardo, des Mangano & des Masciullo, des Reinhardt & des Rembrandt, des Rothko & des Brahy…
Puis il peinturlure de noirs desseins ses poèmes obscurs en espérant leur donner plus d’éclat.


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