LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 43. ANIMATEUR DE DÉBUT

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Les fins n’ont plus rien à dire, sinon un mot de conclusion, un message d’adieu.

Bye, bye, la planète et tous les petits arrangements entre amis ! Tournons enfin nos yeux vers d’autres cieux, vers des créatures idylliques de meilleure compagnie que les occupants terrestres de tout règne ! De l’air, de l’espace et, si possible, de l’imaginaire !

Les commencements, eux, posent question et prêtent le flanc à la critique, à la controverse. Ils n’ont pas reçu la caution des faits, l’aval d’un vécu. Les commencements flottent entre deux possibles, entre plusieurs directions. Qui ne s’est pas posé des tonnes de questions au départ d’un feu, d’une soirée, d’une grossesse, d’une maladie, d’une relation, d’une mission d’information royale ?

On ne sait quel embranchement emprunter et les avis des experts, des personnes-ressources, des narratologues, sont les bienvenus. Mais ça tire à hue et à dia, chaque intervenant au début veut entendre raison, faire valoir son point de départ à son vis-à-vis si, évidemment il ne se trouve pas un gourou non genré aux frontières de l’autisme et de la clairvoyance pour rallier tous les avis à son opinion maîtresse, reposant, il est vrai – ou faux -, sur la science jamais tant aimée des incultes que lorsqu’elle va dans le sens de leurs frayeurs.

L’animateur de début a donc fort à faire pour maintenir l’avenir au milieu du présent et ne pas courir deux fictions à la fois.

Il modère, il recadre. Il fixe les limites du ring et des coups à porter. C’est un arbitre qui a plus avantage à calmer les esprits qu’à raviver les ressentiments ou à augmenter les antagonismes. Il vise à réduire les extrêmes en cherchant un milieu d’entente.

Tout en restant à l’écoute des diverses pistes en jeu, il demeure attentif à la ligne narrative qui doit ménager des nœuds et des dénouements, des points de tension et de relâche. L’animateur de début doit aussi penser à son job et à ses futurs à-côtés. Il lui faut  assurer les arrières à son métier précaire en se ménageant des heures de travail au black comme animateur de pause, de mi-temps, de fin de partie.

Les fins, comme on l’a dit au début, sont unilatérales et ne donnent pas lieu à la discussion. À la fin du match ou du stage, on sort sans autre forme de procès du périmètre de jeu ; on laisse place aux nouveaux débutants et à l’animateur spécialisé qui n’en a pas terminé pour autant.

LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 – BEAUX LIVRES / Une chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

Ils sont tellement beaux que je ne peux pas vous les cacher. C’est, en premier lieu, un remarquable travail éditorial effectué par les Éditions PICQUIER sur l’œuvre du peintre sino-arlésien JI DAHAI. Ce catalogue présente une centaine de peintures ornées chacune d’une légende calligraphiée et complétée d’un court poème. En second lieu, c’est un tout aussi magnifique travail, effectué par ce même éditeur, présentant une nouvelle édition des Fables de LA FONTAINE illustrées par des maîtres de l’estampe japonaise. À lire et à regarder avec gourmandise.

 

Arbres

JI Dahai

Editions Picquier

Arbres

Né en Chine vivant en Provence, il a son atelier en Arles, Ji Dahai est un artiste qui conjugue la calligraphie, la peinture et la poésie en un seul art pour, dans cet ouvrage, rendre hommage à la forêt où il aime tant déambuler en écoutant la voix des arbres.

« … je flâne dans la forêt où les arbres chantent dans toutes les langues, les langues des poètes »

Ce présent ouvrage n’est pas un beau livre, c’est un magnifique livre, une merveille qui comporte plus d’une centaine de peintures. Des peintures aux teintes allant du vert d’eau au gris le plus foncé en passant par toute une gamme de bronze, du jaune à l’ocre avec une pointe de rouge, de ce rouge comme la Provence en a tellement produit. En équilibre entre deux cultures,

« Deux cultures, chinoise et française, me nourrissent. L’une depuis ma naissance, l’autre depuis l’âge de onze ans. Heureuses rencontres en moi de grands esprits parfois, je me retrouve plus souvent au milieu de coutumes qui s’opposent. »

Dahai
JI Dahai

Ji Dahai a fondé son œuvre sur la calligraphie qui est la base de tout son art,

« L’unique trait qui forme « Un » à l’horizontale marque la séparation entre le Yin et Yang, entre la terre et le ciel … Ce trait fait naître ainsi une civilisation où la peinture, la poésie et la calligraphie ne font qu’un. »

Chaque peinture présentée dans cette exposition de papier est ornée d’un texte calligraphié : une citation, une maxime, une pensée, …, de l’auteur. Et, chacune de ses peintures ainsi ornée de son inscription calligraphique est complétée par un court poème de l’auteur ou d’une citation d’un maître de la littérature classique chinoise.

Ce recueil est dédié aux arbres, aussi bien français que chinois, Ji Dahai passe du cerisier au platane, de l’Extrême-Orient à la Provence, sans aucune transition, comme si ces arbres constituaient une seule et même forêt, un seul et même peuple. Aux arbres considérés comme personnes, comme êtres vivants :

« Arbre crie

 Arbre rit

Arbre pleure

Arbre chante

Arbres roucoulent

Arbres bécotent

Arbre rougit

Arbre fait une parade nuptiale à son ombre ».

Cet hommage aux arbres et, plus largement à la forêt en général, évoque, pour moi, le magnifique texte de Kenzaburô Oé, « M/T et l’histoire des merveilles de la forêt » dans lequel il évoque son fils handicapé qui vit en harmonie avec les arbres. Je pense que Ji Dahai rejoint le grand auteur nippon dans son approche philosophique des relations des hommes avec la nature dans un large panthéisme. Mais, Ji Dahai c’est aussi un très grand poète comme l’atteste les légendes qu’il inscrit sous chacune des peintures qu’il présente :

« Le pin tend ses bras pour capturer l’éclat de la pleine lune. »

« Le vin n’est pas fait, mon cœur est déjà ivre. »

Comme l’écrit l’éditeur sur la quatrième de couverture, c’est « Le regard neuf et singulier d’un artiste chinois qui vit en Provence et parle le langage des arbres ». Un artiste qui confesse : « Lire les Alpilles avec mon pinceau ».

Le livre sur le site des Editions Picquier

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Fables

Jean de LA FONTAINE

Editions Picquier

FABLES Lafontaine

« Quand le Japon, après deux siècles de rigoureux enfermement sur lui-même, s’ouvrit enfin au monde en 1854, l’Occident vit peu à peu apparaître – … – un art qu’il ne connaissait quasiment pas, celui des estampes de l’ukiyo-e, « images d’un monde flottant », c’est-à-dire éphémère ». Vers la fin du XIX° siècle quand l’empereur eut repris son pouvoir confisqué pendant de longues années par le shôgun, et ouvert son pays au monde, Hasagawa Takejirô fit traduire des contes japonais pour qu’ils se vendent mieux à l’étranger. Il avait aussi le projet d’exporter des estampes japonaises en Occident et pour la France, il confia à Pierre Barboutau, un Français qui séjourna longtemps au Japon, le soin de réaliser un ouvrage illustré d’estampes japonaises. L’objectif premier de cette publication était de faire connaître l’art de l’estampe si peu répandu en Occident et les plus grands maîtres de ce genre pictural : Sesshû, les Kamô, les Kôrin puis les Okia, les Utamaro, … parfaitement méconnus en ces contrées.

Barboutau a choisi de proposer aux artistes nippons d’illustrer des fables de La Fontaine sans qu’aujourd’hui encore on connaisse les raisons de son choix. On sait seulement comment il a sélectionné celles qu’il leur a proposées « Le choix des fables de La Fontaine que nous offrons au public, est surtout basé sur la plus ou moins grande difficulté que nous avons rencontrée à traduire le sens de ces fables aux artistes Japonais ». il semblerait que les estampeurs japonais n’aient pas eu accès à la traduction des fables et que leur choix est plutôt fondé sur la connaissance qu’ils ont de certains animaux très présents dans la mythologie et les légendes nipponnes : le renard, la grenouille, le rat, … dont ils connaissent bien le caractère et les caractéristiques qui leur sont attachées.

Ce recueil fut donc édité en 1894, une seconde édition fut publiée la même année et une nouvelle en 1904, c’est celle qui a servi de modèle pour cette édition présentée à l’occasion de la rentrée littéraire de l’automne 2019. C’est un ouvrage absolument magnifique comportant une trentaine de fables pour certaines très connues du grand public – celles qu’on apprend en général sur les bancs de l’école, du moins quand je la fréquentais -, pour d’autres moins et pour d’autres encore absolument pas ; le choix ayant été fait, comme je l’ai dit ci-dessus, par la capacité des illustrateurs à comprendre les desseins de l’auteur. Chacune des fables est accompagnée d’un estampe pleine page ou sur double page où les sujets de la fable illustrée sont toujours bien en évidence dans un paysage souvent très épuré aux couleurs pastel comme on en voit souvent dans les estampes japonaises. Ces illustrations dégagent un sentiment de paix, de quiétude, de sérénité que les personnages de La Fontaine semblent venir perturber.

C’est un superbe travail éditorial réalisé par les équipes de Philippe Picquier, un véritable ouvrage de collection, mais aussi une occasion de contempler et même, pour certains, de découvrir les estampes japonaises. Et, je suis sûr que les nombreux admirateurs de l’art pictural prendront, tout comme moi, un grand plaisir à redécouvrir, ou tout bonnement découvrir, ces tout aussi magnifiques fables de Jean de La Fontaine. Un ouvrage à ranger dans le rayon où l’on serre les livres qu’on ne voudrait pas que des mains inexpertes manipulent au risque de les abîmer.

Le livre sur le site des Editions Picquier

 

 

MIDDLEMARCH de GEORGE ELIOT / Une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

Le TOP 5 de JEAN-PIERRE LEGRAND
Jean-Pierre LEGRAND

Lorsque Zola fait paraître « La fortune des Rougon », Flaubert salue une œuvre forte mais assortit son enthousiasme d’un bémol : Zola s’est fendu d’une préface où il dévoile son projet romanesque. C’en est trop pour Flaubert, l’auteur devant rester invisible tel un Dieu retiré de sa création. Un peu plus tard, l’immense Henri James, ironise sur la manie qu’ont certains de systématiquement surcharger leur roman d’un épilogue, espèce d’ultime tournée des popotes du romancier omniscient incapable de rendre leur liberté à ses personnages en les abandonnant à l’imaginaire du lecteur.

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Dans son roman Middlemarch, la romancière George Eliot cède aux deux tentations : dans une préface-prélude, elle place son héroïne principale sous le haut patronage de Sainte Thérèse d’Avila tandis que son récit se termine sur un court épilogue, occasion pour elle de nous donner des nouvelles de ses héros parvenus dans leur grand âge. Middlemarch est-il pour autant un roman archaïque un peu vieillot, mal fait pour résister au temps ? Je ne le crois pas.

Roman étonnant, feuillu et parfois profus, Middlemarch multiplie les contrastes entre structure narrative archaïsante et modernité du propos, entre extrême pudeur et audace féministe.

Très old fashioned dans sa manière de sauter à pieds joints dans son récit et de saisir son lecteur par la manche à coup de « j’ai le regret de vous dire », Eliot aggrave son cas en cédant souvent à une verve explicative qui nuit à la part de mystère de ses personnages. Eliot ignore ce que James, certes de la génération suivante, pratique avec un rare bonheur et que Javier Cercas a remarquablement théorisé voici quelques années : le « point aveugle ». Ce point aveugle est l’énigme dans laquelle nous plonge un roman, non pour la déchiffrer mais pour la rendre insoluble ; c’est la question à partir de laquelle se déploie le roman comme une vaine tentative d’y répondre. Eliot n’aime pas cette ambiguïté qui sera constitutive des romans plus modernes ; lorsqu’elle suspecte une zone d’ombre, elle y promène sa lanterne.

Un peu « vieillot » dans ses procédés narratifs, Middlemarch n’en est pas moins un formidable roman qui nous fait partager la vie d’une petite ville de la province anglaise dans les années 1830.L’Angleterre est alors en mutation sur tous les plans :  Guillaume IV monte sur le trône, une ambitieuse réforme électorale assure une meilleure représentation de la bourgeoisie des villes ce qui menace l’aristocratie terrienne, les droits politiques sont accordés aux catholiques, de nouveaux courants religieux prospèrent, le chemin de fer commence à défigurer les campagnes et enfin une terrible épidémie de choléra s’annonce.

Petite ville imaginaire des Midlands, Middlemarch est l’incarnation de ces bourgades de la campagne anglaise dans lesquelles, très lentement, par à-coups faits d’abandons relatifs et de crispations, une plus grande porosité entre les classes sociales se fait jour. Dans ce milieu encore dominé par l’aristocratie terrienne mais où la gentry ne cesse de gagner en importance, la religion reste centrale : dans le roman, on ne compte pas moins de quatre hommes d’église, se partageant entre divers courants de la religion protestante. Cependant il est fort peu question de Dieu : ici comme ailleurs la sécularisation de la société est en marche. La prégnance du religieux est un trompe-l’œil : déjà la morale prend le pas sur la spiritualité véritable.

Malgré ses ramifications diverses, l’histoire qui nous est contée est assez simple : nous suivons deux intrigues sentimentales constituées de deux mariages malheureux. Celui de l’héroïne principale, la toute jeune Dorothéa Brooke avec le révérend Edward Casaubon, homme de près de soixante ans ; celui de la très belle et très écervelée Rosamund Vincy avec Tertius Lytgate, jeune médecin ambitieux qui va se heurter aux intérêts et aux pratiques de ses confrères en place.

Ces deux mariages sont l’occasion pour Eliot de poser un regard novateur et critique sur la condition féminine tout en envisageant le mariage sur un mode beaucoup plus traditionnel et convenu, ce qui est étrange chez cette femme qui eut l’audace de vivre des décennies auprès d’un homme marié à une autre femme.

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George Eliot (1819-1880)

Avec beaucoup d’humour l’écrivaine fustige cette supériorité de principe que la société de son temps accorde au « mâle » : « Un esprit d’homme – si infime qu’il soit – a toujours l’avantage d’être masculin – de même que le plus petit des bouleaux est d’une essence supérieure au palmier le plus élancé – et son ignorance elle-même est d’une qualité plus solide ». De même à la veille d’épouser Rosamund, le docteur Lytgate ne craint guère les dévastations de la passion ou même un quelconque ascendant de sa belle épouse : celle-ci possède « la forme d’intelligence souhaitable chez une femme : polie, raffinée, docile, prête à se laisser guider vers la perfection dans tous les domaines délicats de la vie ». A la vérité on ne demande pas grand-chose aux femmes si ce n’est d’être l’aimable écrin de leur mari, ce dernier fût-il le dernier des crétins. S’élever au niveau altier de la condition d’épouse exige une bonne dose d’abnégation (ou à défaut d’idiotie tranquille) :il s’agit avant tout d’être « incolore, informe, d’avance résignée à tout ».Tout concourt à cette relégation, à commencer par l’éducation : l’enseignement, souligne finement Eliot, incluait alors « tout ce qu’on exige d’une dame accomplie, jusqu’à des suppléments tels que la manière de monter en voiture et d’en descendre ».

Drôle dans la critique de la morale « genrée » de son temps, Eliot est plus traditionnelle quant à l’institution du mariage lui-même : sauf lorsque la mort libère des époux mal assortis, il n’est pas question ici de séparation. Comme chez James qui lui doit tant, la dignité d’un être humain réside avant tout dans la solidité de ses engagements et donc aussi dans sa capacité à endurer.

À une critique de la position des femmes dans la société, Eliot superpose de manière inattendue un éloge de la fidélité. Qualité aujourd’hui souvent malmenée, elle suscite l’un des plus beaux passages du roman. Madame Bulstrode vient d’apprendre que son mari admiré, pétri de religion et de morale, s’est déshonoré et va devoir quitter Middlemarch. Dévastée, elle se retire une journée entière dans sa chambre puis reparaît, toute de noire vêtue. Elle va retrouver son mari qui l’attend, prostré  : « Il resta assis, les yeux baissés ; en se dirigeant vers lui, elle le trouva plus petit, tant il paraissait desséché et rétréci. Un mouvement, une grande vague de compassion nouvelle et de tendresse familière la parcourut ; elle posa une main sur une des siennes qu’il appuyait sur le bras de son fauteuil ; elle mit son autre main sur l’épaule de son mari, et dit d’une voix solennelle mais avec bonté : « Relevez la tête Nicholas »».

En lisant Eliot, on ne peut s’empêcher de songer que décidément « la femme est l’avenir de l’homme ». Un trait surprend néanmoins : l’absolue pudeur du roman. A quelques minimes exceptions on n’y trouve aucune trace de sensualité. C’est l’exact opposé, côté français de « La curée » de Zola qui sort à peu près au même moment. Le roman de Zola est saturé d’une espèce de sensualité sauvage et empreint d’une vision quasi archaïque (et réactionnaire) de la femme irradiant d’une sexualité tentatrice et dévorante ; au contraire chez Eliot la femme gagne en consistance psychologique et intellectuelle ce qu’elle semble perdre en sensualité.

En creux, face à la rigidité de la société victorienne on peut sans doute également lire dans ce roman,un éloge à l’amour auquel Eliot a tout sacrifié dans sa vie personnelle. En effet ce qui fait des deux mariages décrits un échec, c’est sans doute la motivation profonde de chacun des protagonistes. Bien que libres de tout diktat familial (ce ne sont pas des mariages « arrangés »), chacun des futurs époux s’est déterminé selon des préoccupations mêlant orgueil, faiblesse, générosité parfois mais étrangères à tout véritable amour. En épousant le vieux Casaubond, Dorothéa se fait une joie d’étudier pour mieux aider son faux érudit de mari à atteindre la gloire d’un grand ouvrage. Ce sera dit-elle, « comme d’épouser Pascal ». Tous les malheurs qui émaillent ce roman souvent pessimiste semblent illustrer la vieille morale kantienne : autrui doit toujours être considéré comme une fin en soi et non comme un moyen. Or ici, chacun semble avoir vu dans l’autre le moyen d’un épanouissement personnel sans se soucier du véritable élan du cœur.

Certes Middlemarch n’est pas exempt de défauts ni d’une morale parfois trop visible. Il propose néanmoins une fantastique profusion de personnages dont mêmes les plus secondaires ont leur physionomie propre, et leur cohérence dans cet ensemble tissé de relations intersubjectives. En outre, Eliot ne se départit jamais d’un communicatif bonheur d’expression nourri de finesse d’observation et d’humour. Ainsi ce petit détail en passant : « Un certain changement d’expression chez Mary eut pour source principale sa résolution de n’en laisser paraître aucun ».

Etranges destins que nous fait croiser ce gros livre. Avec en arrière-plan le peuple anonyme des hommes au labeur et à l’épreuve, les personnages d’Eliot se débattent et finissent presque tous par s’engluer dans une réalité sans autre relief que la fidélité à soi-même. Ce n’est déjà pas si mal : « le destin vraiment pitoyable est celui de l’homme (…) qui sait qu’on le lapide, non pas pour avoir professé le bien, mais pour n’avoir pas été l’homme qu’il faisait profession d’être ».

Le roman sur le site de Folio

LA VIE DU POÈTE / Fragments rêvés (31-45)

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31.

 

Pendant de la chute de neige, le poète parsème sa page de blancs et limite la progression des mots dans toutes les directions, chaque vocable détonant alors comme une balle de plomb dans le silence alpin.

Puis il construit un bonhomme de poésie avec les boules de son.

 

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32.

 

Pendant le soufflé des pétales, costumé en une fleur au sommet d’une tige de métal, le poète décline ses « je t’aime »: « un peu », « beaucoup », … « pas du tout ».

Puis, délicat et ondoyant comme une plume de paon devant la roue d’un beau camion, il offre un bouquet de baisers à la rose dépouillée de sa corolle qui, entre les fesses de la bien-aimée, lui conte fleurette.

 

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33.

 

Pendant la restriction du budget de la culture, le poète soutient son éditeur belge dans l’épreuve, il lui offre le gîte et le couvert, le dentifrice et le shampoing, il lui coupe les ongles et lui masse les pieds, il lui perce les points noirs (et plus si aménités) et le réveille en douceur et profondeur au son d’une chanson d’Adamo…

Puis il tourne son coeur et ses plus beaux quatrains vers un éditeur parisien, mieux parfumé et plus fortuné, qui ne vibre qu’à l’écoute d’Angèle & de Roméo Elvis.

 

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34.

 

Pendant le dîner, le poète mange ses vers et les vers disparaissent en lui, le poète boit l’eau de vie et l’eau de vie disparaît en lui…

Puis, pendant la nuit, il voit les cadavres de ses vers remonter à la surface de ses rêves.

 

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35.

 

Pendant qu’il écrit pour ne pas être lu, le poète a l’idée d’écrire tout ce que le monde pense, vit et bouffe (pour enfin être lu et compris du plus grand nombre), il se projette sur Instagram et sur tous les réseaux sociaux entre une photo de chat, des ongles manucurés, une déclaration de Trump, un tacle de Merkel ou Macron et cent vingt notifications à honorer.

Puis il se voit à La Grande Librairie mais après s’être pris plusieurs vers de t’es qui là..

 

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36.

 

Pendant la chute du Mur, le poète brûle ses odes au communisme et au Conducator, ses hymnes au peuple et à l’avenir radieux sens compter ses invitations nombreuses en résidence d’écriture sur la côte de la Mer Noire, côté nomenklatura.

Puis il va à la rencontre des émigrés de l’Est arrivés en masse qu’il s’empresse de mettre en garde contre l’ultra-capitalisme et le Coca zéro.

 

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37.

 

Pendant la montée des eaux, le poète construit une arche dans laquelle il fait monter tous les genres littéraires à l’exception du roman (faut pas pousser).

Puis il vogue sur le déluge en narguant les romanciers qui tentent en vain de s’accrocher à la barque de la poésie et en leur assénant des coups de rame salvateurs ; il arrive sain et sauf au paradis des lettres où Victor Hugo le couronne prince des poètes insubmersibles.

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38.

 

Pendant le scellement (et un peu de saignement aussi) de leur amitié, le poète prend cher (et vilain) de la part du grand (et gras) romancier dont il a sollicité une préface pour son recueil de poésie narrative entrelardée.

Puis il rentre chez lui avec son dû et un souvenir cuisant de la rencontre en se disant que c’est le métier qui rentre.

 

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39.

 

Pendant que le poète est devant le tableau numérique en tant qu’écrivain en classe, il craint un accord du participe passé employé avec avoir, le calcul d’une primitive, l’équilibre d’une équation chimique, la citation d’un exemple d’interaction entre les règnes animal et végétal, l’énoncé de la capitale du Yémen ou du nom du le roi de France qui a succédé à Louis XI, toutes questions qui le laisseraient sans voix car il était un cancre à l’école.

Puis il déclame un de ses plus beaux poèmes et c’est lui le maître incontesté.

 

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40.

 

Depuis qu’il voyage en train-tram-bus, le poète regarde de haut les automobilistes dans leur habitacle qui, au volant, lisent la rue sans le son ni les odeurs.

Puis il ouvre son carnet pour noter qu’un vélo dépasse à vive allure un bus à l’arrêt avant de se prendre les pneus dans un rail transversal, qu’un passant percute un métro qu’il n’a pas entendu venir et quelques autres détails divers qui alimenteront son prochain recueil…

 

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41. 

 

Pendant la prise de rixe, le poète reçoit des gnons, des beignets, des pains, des châtaignes, il distribue des soufflets, des gifles, des taloches, des mandales : ce n’est pas une chiffe molle, il sait rendre les coups…

Puis il s’assure contre la castagne en écrivant comme Bobin et Jaccottet confondus des épîtres à la nature et au grand tout.

 

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42.

 

Pendant qu’il fait le plein de philosophie, engrangeant tout Pascal, avalant Descartes et s’enfilant Sartre, le poète gagne en essence ce qu’il perd en existence, il atteint l’être des choses, les sens le submergent, le néant lui manque, il relativise l’étant et renforce son conatus tout en se cramponnant au cogito qui dévale vers le néant.

Puis, l’esprit vide, il écrit un poème sans rimes ni raison.

 

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43.

 

Pendant qu’il se remémore 68, le poète se revoit sur les barricades, lançant des pavés à la face des CRS en criant des slogans révolutionnaires et en faisant l’apologie de Dany le Rouge avant qu’il vire au vert et rencontre Guth, Sarko et Macron.

Puis il se dit qu’il a dû rêver la scène car il n’avait que neuf ans cette année-là où Julien Clerc chantait La Cavalerie sur un texte de Roda-Gil et que, dans la cour du lycée, les plus grands écoutaient Dylan ou Joan Baez.

 

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44.

 

Pendant qu’il réanime un atelier d’écriture, et redonne souffle à des muses asthmatiques, le poète panse ses dettes et pense à ses futures vacances à la Résidence d’écriture balnéaire, il se voit sur la plage occupé d’écrire Le Grand Poème De La Mer.

Puis il fait en urgence un garrot au texte d’un apprenti poète qui perd tout son sens.

 

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45.

 

Pendant la tombée de la nuit, le poète voit des Soulages, des Malevitch, des Carnegie & des Caravage, des Aurelie Nemours & des Jason Martin, des Manet & des Navez, des Spillaert  & des Gucciardo, des Mangano & des Masciullo, des Reinhardt & des Rembrandt, des Rothko & des Brahy

Puis il peinturlure de noirs desseins ses poèmes obscurs en espérant leur donner plus d’éclat.

 

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LA VIE DU POÈTE (1-15)

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 42 : FABRICANT DE TOURNANT

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Celui qui souhaite négocier un virage, sur la route du travail, des vacances ou de son existence, n’a pas toujours vers qui se tourner. D’où la nécessité d’un fabriquant de tournants, d’un négociant en virages.

Ancien coach, viré d’un centre de circulation routière ou détourné d’une vocation de tourneur fraiseur, le fabricant de tournants a de l’expérience, il a croisé les pas ou les roues de nombreux coureurs, à pied nus, en chaussettes ou en baskets Nike, à vélo, à trottinette ou, même, s’il faut le regretter avec la plus grande vigueur, en voiture à essence ou Diesel (pouah !).

Il a de la bouteille, le nez rouge voire de la couperose, de la rouille dans les articulations, des kilomètres sous le capot et des kilogrammes sous la ceinture, et encore du répondant sous la pédale ainsi qu’une rare maîtrise du changement de vitesse à la main (il a vécu l’époque des grandes manœuvres sexuelles). Il est un peu artisan, un peu artiste et fabrique des tournants de vie à la demande. Des courbes à 30, 45, 60, 90 et même 180 degrés. Depuis qu’il est en âge de se croiser les bras, il a des angles dans les doigts. Il a lu toute l’œuvre de Bachelard (et, accessoirement, de Baudrillard), c’est dire s’il a de la science et de la poésie et, même, des notions de sociologie. Pour dire son immense appétit de culture et son goût de l’aventure, il a entrepris de lire tout Edgar Morin du vivant de l’auteur.

Il vous donnera des conseils de roulage avisés car le tout, comme on sait, n’est pas de s’engager dans un tournant, faut-il encore bien le négocier et en sortir au mieux pour reprendre le contrôle du véhicule avant d’entamer la ligne droite… La mort est toujours au tournant et on ne sait pas lequel.

Le métier, tourneboulant, de fabricant de tournant est réservé, comme on le comprend, à des hommes et des femmes dans la force de l’âge. Pour une fois, La Fabrique des métiers pense aux seniors et envisage sérieusement, avec Bruckner et Finkie, les anciens complices enfin réunis, un allongement heureux de l’âge de départ à la retraite.

 

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LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 : MA VIE / Une chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

Deux ouvrages autobiographiques, deux façon de raconter sa vie à travers des textes destinés à exprimer autre chose. ISABELLE FABLE a raconté sa vie en écrivant les quatre décès qui l’ont déchirée. Une façon de trouver une raison de vivre encore et de redonner un sens à son existence avec toute la douleur accumulée au cours de ces deuils douloureux. Mon amie québécoise ANITA VAILLANCOURT, elle, écrit un courrier à chacun de ceux qui ont compté dans sa vie, qui ont contribué à sa construction. Un recueil de courriers qui dévoile ce que fut, et ce qu’est encore, la vie d’Anita à travers ses relations avec sa famille, ses amis, ses relations, son entourage…

 

Ces trous dans ma vie

Isabelle FABLE

préface de Gabriel Ringlet

M.E.O.

Ces trous dans ma vie

Quand elle a écrit ce livre, Isabelle Fable était certainement encore dans la période la plus douloureuse de son dernier deuil. Son fils aîné est en effet décédé 9 février 2018 (date estimée) et son livre est paru pour cette rentrée littéraire (août 2019), il lui a fallu le temps de l’écriture, de la relecture, de l’impression et de la diffusion avant qu’il arrive sur mon bureau où il a encore séjourné quelques semaines. On peut donc estimer qu’elle l’a écrit très vite après l’accomplissement de tous les rites et formalités qui accompagnent un décès. Ce dernier décès, c’est le dernier trou en forme de tombe où elle voit descendre un de ces proches, un de ceux qui ont fortement contribué à la construire telle qu’elle a vécu, telle qu’elle est encore.

Son papa foudroyé brutalement, sa maman se décomposant bien trop lentement dans une fin sinistre, son mari victime du crabe sournois et enfin Olivier, son fils aîné, la chair de sa chair, son enfant de malheur qui a vécu une longue désescalade en forme de déchéance de plus en plus inéluctable. Isabelle Fable a construit ce roman autour de ces quatre personnages, principalement autour de leur décès. Une façon de raconter leur vie, une façon de raconter sa vie à elle marquée à travers ces douloureuses disparitions. Mais aussi une façon d’affronter le deuil qu’elle doit construire à la suite du décès de son enfant en racontant le long combat qu’elle a mené avec sa famille pour le tirer du long désespoir et de la terrible déchéance dans laquelle il s’enlisait de plus en plus. Un récit qui résonne comme une justification tant elle culpabilise, se reprochant de n’en avoir pas fait assez alors qu’elle semble n’avoir vécu que pour ce fils en équilibre instable sur le fil de la vie.

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Isabelle Fable

Isabelle refuse la fatalité, elle ne peut pas accepter que son fils meure avant elle. Je me souviens avoir étudié un texte de Tibulle, je crois, les latinistes rectifieront si je me suis trompé, qui disait quelque chose comme : « quand les enfants succèdent aux pères » pour évoquer une période où la paix et la sérénité régnaient, où les générations se succédaient sans accroc. Isabelle ne comprend pas que son fils la précède dans la tombe. « Est-ce par hasard, tout ça ! Ou est-ce écrit quelque part ? Est-ce que celui que nous appelons Dieu croise ainsi nos chemins et lance des ponts entre espace, temps et destinées pour tramer nos vie selon des desseins secrets ? ».

Dans son récit, elle souligne les très nombreuses coïncidences qui ont marqué sa vie et celle des membres de son entourage. Elle ne croit pas au hasard, elle pense qu’une certaine forme de prédestination guide notre existence. Je pourrais ajouter, une coïncidence à la longue liste qu’elle énumère : j’ai lu Fable, Isabelle Fable, juste après Les Fables de La Fontaine illustrées par des maîtres de l’estampe japonaise, Fable après les fables, autre coïncidence ? Nul ne sait ! Alors que la vie ne soit que pur hasard ou le fruit d’une réelle prédestination, il faut continuer à vivre, ne pas se laisser accabler, lutter pour se redresser. « Il faut pouvoir ressusciter de son chagrin ».

Alors dans l’urgence et la douleur, Isabelle a repris la plume interprétant la mort de son fils comme un signal, comme une invitation. « Ta mort magnifique étincelle, qui a fait lever la nouvelle Isabelle. Après la tragique éruption qui a ravagé notre vie, la terre volcanique que je suis devenue, noire mais chaude et fertile, est pleine de toutes les promesses. Je les tiendrai ».

« Ecrire pour évacuer la douleur. 

Ecrire pour conjurer la mort.

Ecrire pour continuer à vivre. »

Ecrire ce bouleversant témoignage qui serrera plus d’un cœur même si tout un chacun est amené à perdre ses parents un jour ou l’autre et éventuellement son conjoint, moins nombreux seront ceux qui devront affronter le départ d’un enfant. C’est tellement injuste !

Le livre sur le site de M.E.O.

Le site d’Isabelle FABLE

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Courrier prioritaire

Anita VAILLANCOURT

Livre édité à compte d’auteur

Anita c’est une Québécoise dont quelques dizaines de printemps ont déjà enchanté la vie mais dont quelques hivers ont aussi terni certaines périodes, laissant des stigmates cicatrisant bien difficilement. Elle a enseigné le français avec passion et, depuis qu’elle est à la retraite, l’aquarelle qu’elle pratique avec talent, elle est reconnue et cotée et elle expose régulièrement. A l’heure où certains pensent à rédiger leur testament, Anita a, elle, écrit ce qu’on pourrait considérer comme son testament affectif en rédigeant une lettre à l’attention de tous ceux qui ont compté dans sa vie, qui ont contribué à en faire ce qu’elle a été, est toujours et sera encore pour de nombreuses autres années. Ainsi, elle écrit pour commencer à ceux à qui elle doit la vie, sa pauvre mère décédée en lui donnant la vie, sa vie, son mauvais père, brutal et alcoolique, qui l’a confiée dès sa naissance à sa belle-sœur, une mère de substitution chargée d’une famille de substitution aussi. Elle écrit à ceux qui sont encore comme à ceux qui ne sont plus, elle s’adresse à sa famille, celle qu’elle a pu connaître, à ses amis, réels ou virtuels, les réseaux sociaux lui fournissent de la compagnie pour meubler sa solitude, elle y rencontre de vrais amis et je suis heureux d’en être. Elle écrit aussi à tous ceux qui peuplent son quotidien : sa femme de ménage, qui est plutôt une compagne qui se charge du ménage, tous les personnels de santé qu’elle fréquente pour conserver sa belle santé et celle de ses compagnons, les commerçants qu’elle rencontre régulièrement et tous ceux qui ont fait partie de sa vie à un moment donné. Anita a aussi des amis qu’elle chérit particulièrement : ses colibris et ses chiens, alors elle écrit à ceux qui lui tiennent compagnie comme à ceux qui sont partis au paradis des fidèles compagnons des humains. Et elle écrit à d’autres encore, je ne peux tous les citer, elle se souvient de tous ceux qui ont mis de l’amitié et de l’amour dans son cœur mais aussi de ceux qu’elle n’a pas aimé, ils ne sont pas nombreux, il n’y en a que deux, il me semble, mais elle ne les oublie pas.

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Anita Vaillancourt

Anita c’est un puits d’amour et d’amitié qui déborde sans cesse, en écrivant ces lettres elle sait qu’elle apportera de l’amour et de l’amitié à tous ceux qu’elle a aimés, chéris, appréciés comme Félix Leclerc, le violoniste virtuose David Garrett… pour l’éternité. Elle s’assure que ce qui devait-être dit est bien dit ; elle a dit son amour, son amitié, son admiration, sa reconnaissance, elle a dit aussi ce qu’elle pensait à ce père indigne qui l’a abandonné après avoir fait souffrir sa mère, et à une mère supérieure qui l’a humiliée. Anita c’est une grande sentimentale mais quand les événements l’exige elle sait faire preuve d’une grande fermeté et d’une réelle autorité. Elle n’aime pas ceux qui n’aime pas !

Anita, je me permets de te tutoyer, nous nous connaissons virtuellement depuis bientôt une dizaine d’années et sur les réseaux sociaux nous nous tutoyons depuis bien longtemps, je ne vais donc pas faire l’hypocrite, je vais t’avouer très honnêtement qu’après la lecture des trois premières lettres, j’ai failli arrêter ma lecture tant l’émotion me submergeait. Mes yeux étaient mouillés, j’ai dû marquer une pause. Tu as su en relatant les temps forts de ta vie mettre une telle intensité dans ton propos qu’il peut bouleverser le lecteur, l’émouvoir aux larmes. Mais ce qui restera de ce recueil épistolaire c’est une biographie, le récit d’une vie bien mal engagée que tu as su, avec le concours de tous ceux qui t’ont entourée un jour ou l’autre, rendre belle et précieuse pour tous ceux à qui tu as apporté ton amour, ton amitié, ta compassion, ton savoir et ta grande humanité. Nul n’oubliera ton immense générosité et ta si profonde sympathie.

Et comme tu l’écris partout VIVE LA VIE !

À lire aussi :

LE PETIT CAFÉ QUI COURT d’ANITA VAILLANCOURT par Denis BILLAMBOZ

 

ENTRÉE SPECTACULAIRE D’UN AUTEUR POUR L’OUVERTURE DE MON’S LIVRE 2019

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Pour ouvrir en grandes pompes MON’S LIVRE 2019, le plus grand salon du livre de Wallonie, les organisateurs ont demandé à une superstar de l’édition, dont le nom est tenu secret, de faire une entrée spectaculaire, à la façon du Johnny du Stade de France ou, plus récemment, de Lady Gaga lors de l’Enigma show à Las Vegas

Amélie Nothomb a été approchée et elle avait marqué son accord avant d’apprendre qu’elle recevra samedi matin le Prix Goncourt de la Littérature jeunesse bien mérité.

L’omerta est de mise chez les éditeurs qui n’ont pas voulu communiquer le nom du performer. Vu le cahier des charges imposé à l’artiste (suspension au bout d’un treuil, contorsions littéraires dans les airs, profération à dix mètres de hauteur d’un poème de Verlaine écrit à la prison de Mons), on pense que l’artiste ne doit guère avoir dépassé les quarante ans, à moins qu’il ou elle ait subi une cure d’amaigrissement et un régime à base d’eau de ville et de pain magnettique basé sur celui des idoles de la pop musique à la veille d’une tournée.

Dès sa descente des airs, dans son costume de lumière paré de plumes d’autruche et d’éclats de papier bible, l’archange tombé des cieux littéraires rédigera un sonnet à partir de 14 mots lancés par le public avant qu’il écrive un polar local en une heure chrono. Au terme de sa brillante performance, le dossier de presse indique qu’il ou elle dédicacera un nouvel ouvrage de sa riche bibliographie.

Un événement qui marque tout l’intérêt que les autorités communales témoignent à la manifestation.

 

TOUT SAVOIR sur MON’S LIVRE 2019

JEANNE D’ARC AU BÛCHER d’HONEGGER au THÉÂTRE DE LA MONNAIE, vu par Jean-Pierre LEGRAND

Le TOP 5 de JEAN-PIERRE LEGRAND
Jean-Pierre LEGRAND

Hier, interpellante représentation à la Monnaie de Bruxelles, de la Jeanne d’Arc au bûcher d’Arthur Honegger sur un livret de Paul Claudel et dans la mise en scène controversée de Roméo Castellucci.

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Mettre en scène Jeanne d’Arc est un exercice périlleux tant la pucelle semble prisonnière de l’image déformée qui se dégage de l’entrelacs du récit religieux et de la fable nationaliste.

Jeanne d’Arc est une sainte d’un genre un peu paradoxal. Béatifiée sur le tard, au contraire d’autres saintes célèbres, elle ne peut stricto-sensu être considérée comme une martyre. Comme le rappelait Jean Guitton, Jeanne ne peut être tenue pour martyre au sens strict du mot, par la pensée catholique car c’est un tribunal d’Eglise régulier, dans un procès régulier qui lui infligea la condamnation et la mort, (…) un tribunal d’Inquisition canoniquement constitué ».

Tardive bienheureuse puis sainte, Jeanne d’Arc – pour son très grand malheur – s’est aussi muée, sous la plume du très exalté Michelet, en pasionaria du patriotisme français puis, plus tard, en icône de l’extrême droite nationaliste. Cette escroquerie intellectuelle dure encore.

C’est dire si la tâche de Castellucci était difficile. Fort courageusement ce talentueux metteur en scène a donc choisi un point de vue : celui de l’extrême distanciation. Ce faisant, il semble s’être souvenu du cri du philosophe Alain : « Surtout n’y mêlez pas Dieu !»

De fait, le spectacle s’ouvre sur un (trop) long prologue sans parole et sans musique. Devant nous une classe d’école pour jeunes filles, saisissante de réalisme. C’est une école de la République (il n’y a pas de crucifix au mur). Au son de la cloche, la classe se vide. Un concierge survient, il fait le ménage, d’abord normalement, puis, pris d’une soudaine frénésie il saccage la classe, projetant le mobilier dans le couloir et arrachant le linoléum. Le concierge bloque l’entrée de la classe. Frère Dominique se tient derrière la porte : directeur / négociateur (et non plus confident comme dans le texte de Claudel) va entamer avec Jeanne un long dialogue / négociation.
Les premiers accords montent de la fosse, étrange, sombre et mystérieuse. Progressivement le concierge se dépouille de ses vêtements et Jeanne apparaît dans sa nudité. Un dialogue en forme de négociation se poursuit avec frère Dominique.

Castellucci a choisi de privilégier la théâtralité de l’œuvre : nous ne verrons jamais les chanteurs ni les magnifiques chœurs de la Monnaie. Sur ce plan c’est une réussite car nous sommes embarqués dans un drame auquel son caractère composite aurait pu nuire : au contraire la force dramatique de ce texte parfois simpliste est sublimée ; c’est une tragédie musicale qui nous empoigne sans jamais nous lâcher. Si Sébastien Dutrieux est un excellent Frère Dominique, Audrey Bonnet est une inoubliable Jeanne d’Arc. Elle use de tous les registres avec un égal bonheur. Jeune fille naïve et un peu perdue, elle nous émeut ; submergée de colère, déterminée et brutale, elle nous rappelle par certains traits ce qu’elle fut aussi : une combattante (une guérilleros pour parler comme Guillemin) « risquant sa vie, gueulant dans la mêlée, se battant comme un homme, grimpant aux échelles sous les flèches et les pierres et la poix brulante… ».

Habillant tout ce drame d’une musique habitée, Honegger a mélangé tous les genres musicaux, avec selon moi, un bonheur encore transfiguré par la baguette de l’excellent Kazushi Ono et du remarquable orchestre de la Monnaie.

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Reste que tous les partis-pris du metteur en scène ne sont pas également justifiés. La nudité de Jeanne – qui a beaucoup fait gloser l’absurde Fédération Pro Europa Christiana – a du sens sans pour autant s’imposer comme une nécessité. Par ailleurs, la distanciation extrême qui conduit d’une certaine manière à couper Jeanne de ce Dieu qui est tout pour elle, aboutit à une évocation que certains jugeront – non sans raison – hors propos, « à côté du sujet ».

Partagé sur ce point au sortir du spectacle, je préfère y voir une double allégorie réussie : celle de l’extrême altérité et de l’absolue solitude qui l’accompagne et celle, magistrale, de l’imaginaire collectif et de ses sortilèges : lorsque les gendarmes pénètrent dans la salle de classe dévastée, toutes les traces du drame qui vient de se jouer ont disparu.

Depuis son entrée dans l’histoire, l’homme aime, tue et massacre au nom d’ordres imaginaires.

Le spectacle sur le site de la Monnaie

 

 

DANS L’ARC D’UN REGARD DE CARYATIDE de CARMEN PENNARUN (L’amuse Loutre) / Une lecture de Paul GUIOT

JE VAIS, À LA MESURE DU CIEL de SOPHIE BRASSART (Éd. du Cygne) / Une lecture de Paul GUIOT
Paul GUIOT

Poèmes de Carmen et photographies de Gilles Pennarun.

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Ce livre ébranle une position que j’ai tendance à partager et selon laquelle l’inspiration ne serait qu’une chimère, tant le premier mot qui me vient à l’esprit quand je lis les poèmes de Carmen est « inspirée ».

L’inspire

suspend la vie aux courbes
de l’espace
jusqu’à ce qu’expire
s’accomplisse
en cliché entrevu
au froissement léger
d’un tournant de l’esprit

Inspirée, sa poésie l’est dans un double sens puisqu’elle puise sa source dans l’œuvre photographique de Francesca Woodman. Cette artiste, aussi douée qu’écorchée, mit fin à ses jours alors qu’elle n’avait que 22 ans, nous laissant une œuvre sombre, étonnante par le fait qu’elle arrivait comme qui dirait à photographier les fantômes qui la hantaient.

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Autoportrait de Francesca Woodman

 

Sa nature était celle des pierres
dont on bâtit les cathédrales
elle avait de la lumière
saisi tous les miracles
sans vitrail, sans voûte

Seuls les arcs-boutants
de son regard clair
lui permirent d’ériger
une nef d’images
où l’immatériel de la présence
se laissait écrire par la lumière
qu’elle aiguillait, l’amenant
jusqu’au point d’orgue
– la prise de vue
photographique –

 

Bien avant que la lumière ne la défroissa
elle s’était emmêlé les pétales
sous le bleu immense du ciel

De tout son jaune terrestre
Elle orchestrait la fuite

*


Dans les longs corridors
De son château intérieur
traînaient des confidences
où l’inassouvi laissait se fendre
la pierre tendre des innocences
juvéniles

*

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Carmen Pennarun

La poésie de Carmen est faite d’allitérations, d’allusions, de vers tantôt rythmés tantôt libres, de jeux de mots subtils, de couleurs et d’impressions volatiles, parfois volages ou impertinentes, mais toujours au service de la beauté.


il faut tendre jouvence
aux parents tonnerre
et couver le pardon
d’un duvet d’innocence
laisser les beaux coups
d’indocilité
édifier notre fougue

Revisiter Guerre et Paix en 12 vers, qui le peut moins ?

Les caryatides invoquent la muse
féminin pilier d’un monde
que l’homme voue à la guerre
et qu’elles maintiennent debout

Un peu lasses, parfois
Vigilantes, toujours

Leurs regards scrutent
l’horizon d’une aube
bruissante de chants
de vie
tandis que dans leur dos
se reposent les valeureux

*

Et tous ces mots que les photos de Francesca lui soufflent… lui souffrent aussi :

La tapisserie était une jupe gitane
où cessaient de se cacher
les jambes nues
quand surgissait l’image

Déflorée

ribambelles de récits naissaient
le long de ces pistes
d’éternité murale

si loin

le jardin d’Éden

*

Elle tournait dans son lit
son corps jeune
et ses idées fragiles
imaginant les mains
qu’elle prendrait en photo
le lendemain

Quelle que soit sa durée, la vie est trop courte. On ne sait que trop combien vite le temps file… et que vite il te faut courir avant qu’il ne t’enfile.

Excusez-moi
je cours
avant que tout ne s’efface
devant moi

le bruissement
de mes jupes dissipe
la formation des cristaux
attachés aux souvenirs

La vitesse enroule
un cordon d’estime
autour de ma destinée
elle exhorte la pensée narcissique
à annuler son programme
converti en heures trop lentes

Cherche l’erreur !

Le temps de l’amour s’éternise
il ajuste à la perfection la trajectoire
sur l’amplitude de notre instinct
de survie. Le cadran universel
poursuit les étoiles filantes
et les redirige dans le cosmos

L’espace est une demeure
qui n’ignore aucune existence
même quand elle souhaite
devenir arbre et s’épanouir
sous les rayons lunaires

 

Les textes alternent avec les photos prises par Gilles, le mari de Carmen. Au fil des pages se déroule un travail de couple, un travail de longue haleine. Les images sont saupoudrées d’érotisme discret, d’allusions à la tragédie, de paysages, de monuments grecs. Elles ajoutent une respiration, une légèreté au thème sous-jacent.

Le livre sur  le site de Publiédit

 

JE VAIS, À LA MESURE DU CIEL de SOPHIE BRASSART (Éd. du Cygne) / Une lecture de Paul GUIOT

LE MODÈLE OUBLIÉ de PIERRE PERRIN (Robert Laffont) / Une lecture de Paul GUIOT
Paul GUIOT

Que Sophie peigne ou qu’elle écrive, comment évoquer son œuvre dense et légère, si ce n’est en quelques coups de crayon, en quelques aphorismes poétiques inspirés par son dernier recueil en date :

Rejoindre l’universel de son vivant pour prendre la mort de court.

*

Peindre, écrire comme on respire après une plongée en apnée.

*

Se laisser traverser, porter par des visions où des visages se superposent à la spontanéité d’une abstraction énergique.

*

S’effacer, se plier, se jouer des lignes de forces vives.

*

Ne laisser s’exprimer le « je » que pour porter le souffle qui anime le monde.

*

Pratiquer toutes les langues maternelles – qui ne font qu’une – dans un corps à cœur entre le ciel et l’eau.

*

Préférer évoquer la nature (à quoi bon tartiner la culture ?)

*

Aimer à la fureur la pierre, l’arbre, l’humus, la pluie… et plus encore, la lumière d’un novembre breton.

*

Et toujours, laisser les mots de l’amour sortir de leur réserve pour transcender les corps.

 

 

Extraits

Je peux recomposer notre histoire
animale

Puissance d’une larme
Puissance du vent

de l’archet du violoniste
quand un baiser supplie

 

*

Qu’est-ce l’amour
si l’on ignore la beauté

d’une larve dans l’essaim ?

*

Mon premier acte : approcher d’un jour
la fraternité de la pierre et de la pluie

La complicité du sol
pour le danseur

 

*

 

Je sais que tu sais

Les lettres que tu
dessines sur mon dos
Que je ne devine pas – même en riant

 

Je sais que tu sais mon
corps de
femme
ou seulement mes jambes ou bien encore
la vindicte sourde de l’oubli

Sous les phares éteints
du récit

Le nuage venu déposer
des
signatures blanches

 

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Sophie Brassart

Dos de couverture

Sophie Brassart, poète et plasticienne, vit à Montreuil. Elle a publié un premier recueil en 2018 et réalisé une fresque regroupant vingt visages de poètes contemporains exposée de manière pérenne à l’Université de Caen.

Liens

Le recueil sur le site de l’éditeur

Voir et lire les mille travaux de Sophie

Un poème mis en musique :