
Les Lectures d’Edi-Phil
Numéro 23 (janvier 2020)
Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones
sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…
Spécial Denis BILLAMBOZ !
Pour les Fêtes de fin d’année, je breake, suspends ma mini-revue, ou plutôt sa livraison habituelle, pour m’offrir le plaisir d’en savoir plus sur un collègue des Belles Phrases.
Oh, ne jouez pas les vierges effarouchées ! Loin de moi de verser dans le copinage, je ressens spontanément l’envie irrépressible de mieux connaître ce médiateur français qui a rejoint l’équipe d’Éric Allard bien avant Jean-Pierre ou Pierre, Julien-Paul ou moi.
C’est que…
Dans le milieu éditorial/littéraire belge, on se plaint du silence quasi absolu des médias français (ou parisiens ?) à notre égard. On se plaint aussi d’une tendance peu flatteuse (car indicielle : manque de courage, d’esprit de découverte : il est plus facile de suivre que d’anticiper, de créer un appétit) chez nos grands médias (la plupart, disons, il est de nobles/notables exceptions, les Hecq, Dehaussay, Paquot, Lison-Leroy, Torrekens…) : attendre que Paris encense pour… encenser, voire envisager l’existence.
Or Denis, ce Français de Besançon, que fait-il ? Lui qui adore la littérature asiatique et les littératures du monde, bref un exotisme du Grand Large, il passe un temps fort conséquent à lire des livres belges (écrits par des Belges, édités par des Belges) et, mieux encore, à les faire connaître via des plateformes culturelles françaises.
Cet homme est précieux. Cet homme nous montre la voie à suivre. A tous et toutes ! Oser accomplir un pas de côté, sortir des autoroutes de la pensée et de nos habitudes pour explorer des sentes forestières qui mènent à une clairière, un chevreuil, un tumulus… Le paradis, somme toute.
Cet homme est un modèle. Et j’aime à penser compter parmi ses disciples, avec ce double mouvement de l’approfondissement du proche, de l’évasion vers le Grand Large.
Avant de poser nos questions, pour éviter les doublons, nous lisons une belle interview de Denis par Éric Allard, réalisée en 2012.
Éric nous a offert une deuxième interview de Denis en 2016 :
PS Lire aussi le feuilleton L’homme qui marchait dans ses rêves (le roman de Denis en 44 épisodes, paru dans Les Belles Phrases).
Je comptais me fendre d’une interview plus pointue mais le travail d’Éric est fouillé, je vais donc la jouer simple. Actualiser le tout, resituer et saupoudrer de quelques questions.
Mes questions.
Un mot sur ta vie d’homme. Tu es marié, tu as des enfants ? Tu es originaire de la ville où tu vis ? Quelle fut ta formation ? Ton parcours ?
Tu as proposé ton roman à des éditeurs ? En France ? As-tu songé à nos éditeurs belges ?
Raconte-nous ta rencontre avec les réseaux sociaux, les blogs culturels français. Ton insertion dans cet univers parallèle qui offre souvent, aujourd’hui, bien plus que les médias traditionnels, ce qui fut confirmé récemment par une soirée Sabam (société de droits d’auteurs) sur l’avenir du livre dans notre Fédération Wallonie-Bruxelles (allez expliquer ce concept à un Français !).
Tu connais d’autres médiateurs français qui s’intéressent à nos Lettres ?
Comment es-tu entré en contact avec notre littérature ? Comment as-tu connu Éric Allard, Les Belles Phrases ? Tu nous visites parfois ? Quelles sont tes endroits préférés de Belgique ? Qu’y trouves-tu de différent, de particulier ?
Mesures-tu l’enjeu éthique, citoyen ? Cette résistance offerte contre la Pensée dominante (je précise que je ne suis pas du tout complotiste ou d’extrême-gauche), imposée par les multinationales ?
Tu arrives à conserver un équilibre entre fidélité à des auteurs (ou éditeurs) suivis de longue date et insertion de la nouveauté ? Tu résistes à la pression, à la submersion par des auteurs/éditeurs qui pourraient se précipiter vers toi tous crocs dehors ?
Voilà ! Telles étaient mes questions, mais Denis a répondu d’un seul tenant, en bloc, nous livrant un texte qui dépasse mes attentes. En effet, au-delà du parcours impressionnant, de la personnalité riche et attachante qui se dégage, il y a une formidable leçon sur la manière d’être au monde, de l’habiter, dans l’appétit, le partage, la construction, la réalisation, l’adéquation. Une réponse aussi à ces éteignoirs du bonheur, de l’émancipation trop croisés en cours de route quand on s’enracine dans le domaine de l’Art, de la Culture, de la Création. « A quoi ça sert ? », « Tu en vis ? », « On peut être heureux d’écrire sans vendre des centaines de milliers de livres ? ».
Une leçon au jeune poète, à la Rilke ? Il y a de ça.
Haruki Murakami avait déjà répondu aux aveugles du cœur et de l’âme, en rappelant une vérité simple mais enterrée par les fossoyeurs du « Tout au rentable, tout à l’immédiat, tout à l’apparent ! » : quand on réalise quelque chose de bien (en Art mais dans la vie aussi), on le sent, on en a donc un retour immédiat, gratifiant, une auto-reconnaissance qui touche à l’intime et qui n’a rien à voir avec les dérives de l’égocentrisme, du narcissisme, de la vanité. Une jouissance secrète pour qui s’affronte en secret avec lui-même, ses limites, ses lacunes, va plus loin, offre. Une jouissance qui a le mérite d’échapper à l’instant, de prolonger son effet, d’ouvrir une lucarne vers un Mieux-Etre. A soi, aux autres, au monde. Sans prix !
Denis, avec ses mots, emprunte la voie du grand auteur japonais, son texte fait puissamment sens.
La réponse de Denis.
« Je suis un pur produit du babyboom de l’après-guerre, aujourd’hui j’ai bien peuplé mon arbre généalogique, j’ai deux filles et un garçon, qui m’ont donné six petits garçons avant de m’offrir un très joli cadeau à la fin du printemps sous la forme d’une adorable petite princesse.
Pour comprendre mon existence, il faut savoir qu’elle se compose de plusieurs vies, je suis né à la campagne pas très loin de la ville où je vis et où j’ai toujours vécu depuis que je suis entré au lycée en terminale avant d’étudier cinq ans et l’université et d’effectuer une année de service militaire.
Donc, ma première vie a été une vie d’apprenti paysan, j’en ai même obtenu le diplôme, j’étais l’aîné de la fratrie, il était logique que j’assure la continuité à la tête de la ferme, petite en la circonstance.
Mais, dévoré par l’envie d’apprendre, j’ai réussi à m’évader en empruntant des chemins de traverse et en entrant au lycée en terminale, après un examen de passage. Ma deuxième vie fut donc celle d’un potache devenu rapidement étudiant en histoire. J’ai arrêté ces études après la maitrise sans avoir réussi les concours de l’enseignement.
Après un an de service militaire chez les Hussards comme secrétaire du colonel, j’ai commencé ma carrière professionnelle, qui s’est déroulé pendant 33 ans et demi à la Chambre de commerce et d’industrie de mon département. Je n’ai connu qu’un seul employeur.
J’ai très vite compris que mon emploi ne serait qu’un gagne-pain et que ma vraie vie s’organiserait autour de mes passions.
Je me suis donc engagé dans le sport avec mes enfants et, ensuite, dans des fonctions plus importantes. J’ai présidé aux destinées des comités départementaux puis régionaux de gymnastique, j’ai aussi présidé le Comité Départemental Olympique et j’ai été le président fondateur d’une association ayant pour objet d’organiser l’emploi dans le sport. Cette structure, que j’ai présidée pendant vingt-sept ans, fait aujourd’hui travailler un millier de personnes par an pour un budget de 10 M€, elle gère aussi une quinzaine de bases sportives et a créé quatre groupements d’employeurs.
J’ai poursuivi mon engagement dans le tourisme, l’économie sociale et solidaire, une banque coopérative, le financement d’associations et des très petites entreprises….
J’ai passé trente années de ma vie dans ces associations que j’ai presque toutes quittées en 2017. C’était ma façon à moi de militer, sur le terrain !
J’avais décidé depuis longtemps que je finirais ma vie dans les livres, l’année de mes soixante-dix ans, j’ai donc abandonné la plupart de mes mandats associatifs et je me suis concentré sur la lecture, le fil rouge de mon existence. Je me souviens encore de mon premier livre, quand j’avais sept ans ; depuis, j’ai toujours un livre en cours de lecture.
J’ai longtemps été titillé par l’envie d’écrire quelque chose de long. Arrivé à la retraite, j’ai essayé pour voir comment je pouvais gérer la longueur, le temps, la cohérence littéraire, la concentration nécessaire, etc., tous les paramètres qu’il faut maitriser pour écrire un vrai livre.
J’aurais dû commencer par quelque chose de court, à proposer à un petit éditeur pertinent, mais, si je lis du court, étonnamment, j’écris long.
A cette époque, je ne connaissais rien ou presque au monde l’édition, j’en ai profité pour faire le parcours complet du candidat à la publication et j’ai compris beaucoup de choses que je ne connaissais qu’approximativement.
A cette époque, je collaborais déjà à CritiquesLibres.com mais je ne connaissais pas encore Éric Allard (NDLR : notre rédacteur en chef), qui fut mon principal guide dans le monde littéraire belge.
Par mon métier, j’ai découvert Internet très tôt, j’ai fait une première formation en 1994 et, le soir après le boulot, je fouillais la Toile pour dénicher les auteurs importants de toutes les parties du monde. Ainsi, j’ai nourri des listes d’auteurs qui traînent toujours sur mon ordinateur.
Un jour, au hasard de ces recherches, j’ai trouvé CritiquesLibres.com, je me suis inscrit pour consulter ce site, puis j’ai osé un commentaire, une critique secondaire et enfin, après une longue réflexion, j’ai osé une critique principale. Aujourd’hui, j’ai écrit un millier de critiques sur ce site, mais celles-ci sont des commentaires plus que des critiques, ma formation littéraire est insuffisante pour des critiques… même si je me suis permis quelques coups de griffes acérés.
J’ai ensuite ouvert une page sur le site de la revue Voir au Canada, pour consulter celle d’une collègue de CritiquesLibres.com, mais ce site a fermé les pages personnelles. J’ai donc ouvert mon blog personnel, Mesmpressionsdelecture.com, qui héberge aujourd’hui près de mille commentaires de lecture. C’est un réservoir de textes sans aucune image.
J’ai été aussi sollicité par Armelle Barguillet-Hauteloire pour participer à son blog Interligne en 2009 et, peu après, par Éric Allard pour publier des commentaires de lecture sur Les Belles phrases. Benoît Richard m’a aussi sollicité pour quelques commentaires de nouveautés, des fictions principalement, sur Benzinemag. Je suis sur Facebook et Twitter essentiellement pour relayer mes diverses publications sur la Toile.
Je connais personnellement un certain nombre de commentateurs de CritiquesLibres, j’en ai rencontré plusieurs et je communique avec d’autres, certains sont français. Il est très difficile d’organiser des rencontres à Paris, les Parisiens ne vivent pas sur le même rythme que les provinciaux quand ils sont à Paris. Il m’arrive aussi d’échanger avec des membres du Club de la Cause littéraire sur Facebook. Il est difficile de parler littérature avec des gens qui ne lisent que les livres dont on parle, j’ai parfois l’impression d’être un zombie.
La Belgique, je l’ai rencontrée à travers les forums de CritiquesLibres.com, où, peu à peu, je me suis fait des amis virtuels puis plus réels en participant chaque année depuis 2009 au rassemblement des membres le samedi de la Foire du livre de Bruxelles. Chaque année, de vingt à vingt-cinq membres partagent une fort sympathique soirée au restaurant autour des livres.
C’est sur ce site que j’ai découvert les écrits d’Éric Allard, comme je ne les trouvais pas dans le commerce, je les lui ai commandés. Il a apprécié ma recension et m’a demandé si je voulais participer à son nouveau blog, ce que j’ai bien sûr accepté et, depuis plus de dix ans maintenant, je lui envoie des textes.
Au début, je lui adressais aussi des textes courts et des aphorismes, mais ce n’est pas trop mon truc et je ne peux pas tout faire, il faut faire des choix. J’ai choisi de parler des écrits des autres. Peu à peu, je me suis fait des amis auteurs et éditeurs. J’ai rencontré Jean-Philippe Querton (NDLR : le directeur/fondateur du Cactus Inébranlable, avec son épouse) que je suis depuis dix ans ou presque, puis Jean-Louis Massot (NDLR : le fort sympathique boss des Carnets du Dessert de lune), que je suis aussi régulièrement et puis, plus récemment, Bleu d’encre (NDLR : Claude Donnay aux commandes), M.E.O. (NDLR : Gérard Adam), Chloé des Lys (NDLR : Denis, le monde est petit ! Cette maison est basée dans le village où j’ai passé une partie de mon enfance, Barry-Maulde, à quelques km de Tournai), à travers quelques auteurs. Je connais personnellement un certain nombre d’auteurs et d’éditeurs, j’en connais encore plus virtuellement. J’espère bien être à Bruxelles début mars pour la prochaine Foire du livre. J’ai visité aussi, en touriste, Bruges et Gand et, en 2018, Liège. J’ai d’autres projets en tête…
Je ne suis pas du tout polémiste, je n’aime pas trop le militantisme querelleur, je m’investis plutôt dans l’action sur le terrain. Je ne me censure pas mais je ne cherche pas la querelle pour la querelle. Il ne faut pas oublier que quand on parle d’un livre, même en mal, on lui fait de la publicité, alors la meilleure punition est de l’ignorer. Mes idées sont claires, je connais bien la mécanique économique et je déplore depuis longtemps les errements politiques de nos partis, syndicats et divers opposants. Chacun ne se préoccupe que de son égo et de ses petits intérêts personnels, il faudra bien payer l’addition un jour.
Je suis fidèle par nature, quarante-six ans de mariage, un seul employeur, une seule ville, bientôt quarante ans que j’habite le même appartement, je ne change de médecin, de coiffeur, de dentiste… que par nécessité. Donc, je suis fidèle à mes auteurs, à mes éditeurs, à mes attachées de presse, qui sont souvent devenus des ami(e)s.
J’arrive au bout du système, au bout de mes capacités, les sollicitations dépassent le temps dont je dispose pour lire et écrire, c’est un arrache-cœur ! J’ai déjà refusé certains livres… Cette année, j’ai déjà lu et commenté cent trois livres ! J’arrive à mon maximum et j’ai quatre-vingts livres non lus en rayons. Et, je ne parle pas des problèmes de rangement… Mais, tant que mes yeux pourront suivre les lignes et que je pourrai taper sur un clavier, j’espère conserver mes amis et m’en faire d’autres encore.
J’ai évoqué mes amis belges, mais je suis aussi en relation avec des éditeurs français très fidèles et des attachées de presse très attentionnées. Je baigne dans ma passion, c’est presque comme un job mais c’est avant tout un énorme plaisir. »
Merci, l’ami ! D’être ce que tu es !
En espérant te rencontrer un jour de visu !