LES LECTURES D’EDI-PHIL #23 : SPÉCIAL DENIS BILLAMBOZ

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Philippe REMY-WILKIN (photo : Pablo Garrigos Cucarella)

Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 23 (janvier 2020)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

 

Spécial Denis BILLAMBOZ !

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Pour les Fêtes de fin d’année, je breake, suspends ma mini-revue, ou plutôt sa livraison habituelle, pour m’offrir le plaisir d’en savoir plus sur un collègue des Belles Phrases.

Oh, ne jouez pas les vierges effarouchées ! Loin de moi de verser dans le copinage, je ressens spontanément l’envie irrépressible de mieux connaître ce médiateur français qui a rejoint l’équipe d’Éric Allard bien avant Jean-Pierre ou Pierre, Julien-Paul ou moi.

C’est que…

Dans le milieu éditorial/littéraire belge, on se plaint du silence quasi absolu des médias français (ou parisiens ?) à notre égard. On se plaint aussi d’une tendance peu flatteuse (car indicielle : manque de courage, d’esprit de découverte : il est plus facile de suivre que d’anticiper, de créer un appétit) chez nos grands médias (la plupart, disons, il est de nobles/notables exceptions, les Hecq, Dehaussay, Paquot, Lison-Leroy, Torrekens…) : attendre que Paris encense pour… encenser, voire envisager l’existence.

Or Denis, ce Français de Besançon, que fait-il ? Lui qui adore la littérature asiatique et les littératures du monde, bref un exotisme du Grand Large, il passe un temps fort conséquent à lire des livres belges (écrits par des Belges, édités par des Belges) et, mieux encore, à les faire connaître via des plateformes culturelles françaises.

Cet homme est précieux. Cet homme nous montre la voie à suivre. A tous et toutes ! Oser accomplir un pas de côté, sortir des autoroutes de la pensée et de nos habitudes pour explorer des sentes forestières qui mènent à une clairière, un chevreuil, un tumulus… Le paradis, somme toute.

Cet homme est un modèle. Et j’aime à penser compter parmi ses disciples, avec ce double mouvement de l’approfondissement du proche, de l’évasion vers le Grand Large.

 

Avant de poser nos questions, pour éviter les doublons, nous lisons une belle interview de Denis par Éric Allard, réalisée en 2012.

Éric nous a offert une deuxième interview de Denis en 2016 :

PS Lire aussi le feuilleton L’homme qui marchait dans ses rêves (le roman de Denis en 44 épisodes, paru dans Les Belles Phrases).

 

Je comptais me fendre d’une interview plus pointue mais le travail d’Éric est fouillé, je vais donc la jouer simple. Actualiser le tout, resituer et saupoudrer de quelques questions.

 

Mes questions.

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Un mot sur ta vie d’homme. Tu es marié, tu as des enfants ? Tu es originaire de la ville où tu vis ? Quelle fut ta formation ? Ton parcours ?

Tu as proposé ton roman à des éditeurs ? En France ? As-tu songé à nos éditeurs belges ?

Raconte-nous ta rencontre avec les réseaux sociaux, les blogs culturels français. Ton insertion dans cet univers parallèle qui offre souvent, aujourd’hui, bien plus que les médias traditionnels, ce qui fut confirmé récemment par une soirée Sabam (société de droits d’auteurs) sur l’avenir du livre dans notre Fédération Wallonie-Bruxelles (allez expliquer ce concept à un Français !).

Tu connais d’autres médiateurs français qui s’intéressent à nos Lettres ?

Comment es-tu entré en contact avec notre littérature ? Comment as-tu connu Éric Allard, Les Belles Phrases ? Tu nous visites parfois ? Quelles sont tes endroits préférés de Belgique ? Qu’y trouves-tu de différent, de particulier ?

Mesures-tu l’enjeu éthique, citoyen ? Cette résistance offerte contre la Pensée dominante (je précise que je ne suis pas du tout complotiste ou d’extrême-gauche), imposée par les multinationales ?

Tu arrives à conserver un équilibre entre fidélité à des auteurs (ou éditeurs) suivis de longue date et insertion de la nouveauté ? Tu résistes à la pression, à la submersion par des auteurs/éditeurs qui pourraient se précipiter vers toi tous crocs dehors ?

 

Voilà ! Telles étaient mes questions, mais Denis a répondu d’un seul tenant, en bloc, nous livrant un texte qui dépasse mes attentes. En effet, au-delà du parcours impressionnant, de la personnalité riche et attachante qui se dégage, il y a une formidable leçon sur la manière d’être au monde, de l’habiter, dans l’appétit, le partage, la construction, la réalisation, l’adéquation. Une réponse aussi à ces éteignoirs du bonheur, de l’émancipation trop croisés en cours de route quand on s’enracine dans le domaine de l’Art, de la Culture, de la Création. « A quoi ça sert ? », « Tu en vis ? », « On peut être heureux d’écrire sans vendre des centaines de milliers de livres ? ».

Une leçon au jeune poète, à la Rilke ? Il y a de ça.

Haruki Murakami avait déjà répondu aux aveugles du cœur et de l’âme, en rappelant une vérité simple mais enterrée par les fossoyeurs du « Tout au rentable, tout à l’immédiat, tout à l’apparent ! » : quand on réalise quelque chose de bien (en Art mais dans la vie aussi), on le sent, on en a donc un retour immédiat, gratifiant, une auto-reconnaissance qui touche à l’intime et qui n’a rien à voir avec les dérives de l’égocentrisme, du narcissisme, de la vanité. Une jouissance secrète pour qui s’affronte en secret avec lui-même, ses limites, ses lacunes, va plus loin, offre. Une jouissance qui a le mérite d’échapper à l’instant, de prolonger son effet, d’ouvrir une lucarne vers un Mieux-Etre. A soi, aux autres, au monde. Sans prix !

Denis, avec ses mots, emprunte la voie du grand auteur japonais, son texte fait puissamment sens.

La réponse de Denis.

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« Je suis un pur produit du babyboom de l’après-guerre, aujourd’hui j’ai bien peuplé mon arbre généalogique, j’ai deux filles et un garçon, qui m’ont donné six petits garçons avant de m’offrir un très joli cadeau à la fin du printemps sous la forme d’une adorable petite princesse.

Pour comprendre mon existence, il faut savoir qu’elle se compose de plusieurs vies, je suis né à la campagne pas très loin de la ville où je vis et où j’ai toujours vécu depuis que je suis entré au lycée en terminale avant d’étudier cinq ans et l’université et d’effectuer une année de service militaire.

Donc, ma première vie a été une vie d’apprenti paysan, j’en ai même obtenu le diplôme, j’étais l’aîné de la fratrie, il était logique que j’assure la continuité à la tête de la ferme, petite en la circonstance.

Mais, dévoré par l’envie d’apprendre, j’ai réussi à m’évader en empruntant des chemins de traverse et en entrant au lycée en terminale, après un examen de passage. Ma deuxième vie fut donc celle d’un potache devenu rapidement étudiant en histoire. J’ai arrêté ces études après la maitrise sans avoir réussi les concours de l’enseignement.

Après un an de service militaire chez les Hussards comme secrétaire du colonel, j’ai commencé ma carrière professionnelle, qui s’est déroulé pendant 33 ans et demi à la Chambre de commerce et d’industrie de mon département. Je n’ai connu qu’un seul employeur.

 

J’ai très vite compris que mon emploi ne serait qu’un gagne-pain et que ma vraie vie s’organiserait autour de mes passions.

Je me suis donc engagé dans le sport avec mes enfants et, ensuite, dans des fonctions plus importantes. J’ai présidé aux destinées des comités départementaux puis régionaux de gymnastique, j’ai aussi présidé le Comité Départemental Olympique et j’ai été le président fondateur d’une association ayant pour objet d’organiser l’emploi dans le sport. Cette structure, que j’ai présidée pendant vingt-sept ans, fait aujourd’hui travailler un millier de personnes par an pour un budget de 10 M€, elle gère aussi une quinzaine de bases sportives et a créé quatre groupements d’employeurs.

J’ai poursuivi mon engagement dans le tourisme, l’économie sociale et solidaire, une banque coopérative, le financement d’associations et des très petites entreprises….

J’ai passé trente années de ma vie dans ces associations que j’ai presque toutes quittées en 2017. C’était ma façon à moi de militer, sur le terrain !

 

J’avais décidé depuis longtemps que je finirais ma vie dans les livres, l’année de mes soixante-dix ans, j’ai donc abandonné la plupart de mes mandats associatifs et je me suis concentré sur la lecture, le fil rouge de mon existence. Je me souviens encore de mon premier livre, quand j’avais sept ans ; depuis, j’ai toujours un livre en cours de lecture.

J’ai longtemps été titillé par l’envie d’écrire quelque chose de long. Arrivé à la retraite, j’ai essayé pour voir comment je pouvais gérer la longueur, le temps, la cohérence littéraire, la concentration nécessaire, etc., tous les paramètres qu’il faut maitriser pour écrire un vrai livre.

J’aurais dû commencer par quelque chose de court, à proposer à un petit éditeur pertinent, mais, si je lis du court, étonnamment, j’écris long. 

A cette époque, je ne connaissais rien ou presque au monde l’édition, j’en ai profité pour faire le parcours complet du candidat à la publication et j’ai compris beaucoup de choses que je ne connaissais qu’approximativement.

A cette époque, je collaborais déjà à CritiquesLibres.com mais je ne connaissais pas encore Éric Allard (NDLR : notre rédacteur en chef), qui fut mon principal guide dans le monde littéraire belge.

Par mon métier, j’ai découvert Internet très tôt, j’ai fait une première formation en 1994 et, le soir après le boulot, je fouillais la Toile pour dénicher les auteurs importants de toutes les parties du monde. Ainsi, j’ai nourri des listes d’auteurs qui traînent toujours sur mon ordinateur.

Un jour, au hasard de ces recherches, j’ai trouvé CritiquesLibres.com, je me suis inscrit pour consulter ce site, puis j’ai osé un commentaire, une critique secondaire et enfin, après une longue réflexion, j’ai osé une critique principale. Aujourd’hui, j’ai écrit un millier de critiques sur ce site, mais celles-ci sont des commentaires plus que des critiques, ma formation littéraire est insuffisante pour des critiques… même si je me suis permis quelques coups de griffes acérés.

J’ai ensuite ouvert une page sur le site de la revue Voir au Canada, pour consulter celle d’une collègue de CritiquesLibres.com, mais ce site a fermé les pages personnelles. J’ai donc ouvert mon blog personnel, Mesmpressionsdelecture.com, qui héberge aujourd’hui près de mille commentaires de lecture. C’est un réservoir de textes sans aucune image.

J’ai été aussi sollicité par Armelle Barguillet-Hauteloire pour participer à son blog Interligne en 2009 et, peu après, par Éric Allard pour publier des commentaires de lecture sur Les Belles phrases. Benoît Richard m’a aussi sollicité pour quelques commentaires de nouveautés, des fictions principalement, sur Benzinemag. Je suis sur Facebook et Twitter essentiellement pour relayer mes diverses publications sur la Toile.

 

Je connais personnellement un certain nombre de commentateurs de CritiquesLibres, j’en ai rencontré plusieurs et je communique avec d’autres, certains sont français. Il est très difficile d’organiser des rencontres à Paris, les Parisiens ne vivent pas sur le même rythme que les provinciaux quand ils sont à Paris. Il m’arrive aussi d’échanger avec des membres du Club de la Cause littéraire sur Facebook. Il est difficile de parler littérature avec des gens qui ne lisent que les livres dont on parle, j’ai parfois l’impression d’être un zombie.

 

La Belgique, je l’ai rencontrée à travers les forums de CritiquesLibres.com, où, peu à peu, je me suis fait des amis virtuels puis plus réels en participant chaque année depuis 2009 au rassemblement des membres le samedi de la Foire du livre de Bruxelles. Chaque année, de vingt à vingt-cinq membres partagent une fort sympathique soirée au restaurant autour des livres.

C’est sur ce site que j’ai découvert les écrits d’Éric Allard, comme je ne les trouvais pas dans le commerce, je les lui ai commandés. Il a apprécié ma recension et m’a demandé si je voulais participer à son nouveau blog, ce que j’ai bien sûr accepté et, depuis plus de dix ans maintenant, je lui envoie des textes.

Au début, je lui adressais aussi des textes courts et des aphorismes, mais ce n’est pas trop mon truc et je ne peux pas tout faire, il faut faire des choix. J’ai choisi de parler des écrits des autres. Peu à peu, je me suis fait des amis auteurs et éditeurs. J’ai rencontré Jean-Philippe Querton (NDLR : le directeur/fondateur du Cactus Inébranlable, avec son épouse) que je suis depuis dix ans ou presque, puis Jean-Louis Massot (NDLR : le fort sympathique boss des Carnets du Dessert de lune), que je suis aussi régulièrement et puis, plus récemment, Bleu d’encre (NDLR : Claude Donnay aux commandes), M.E.O. (NDLR : Gérard Adam), Chloé des Lys (NDLR : Denis, le monde est petit ! Cette maison est basée dans le village où j’ai passé une partie de mon enfance, Barry-Maulde, à quelques km de Tournai), à travers quelques auteurs. Je connais personnellement un certain nombre d’auteurs et d’éditeurs, j’en connais encore plus virtuellement. J’espère bien être à Bruxelles début mars pour la prochaine Foire du livre. J’ai visité aussi, en touriste, Bruges et Gand et, en 2018, Liège. J’ai d’autres projets en tête…

 

Je ne suis pas du tout polémiste, je n’aime pas trop le militantisme querelleur, je m’investis plutôt dans l’action sur le terrain. Je ne me censure pas mais je ne cherche pas la querelle pour la querelle. Il ne faut pas oublier que quand on parle d’un livre, même en mal, on lui fait de la publicité, alors la meilleure punition est de l’ignorer. Mes idées sont claires, je connais bien la mécanique économique et je déplore depuis longtemps les errements politiques de nos partis, syndicats et divers opposants. Chacun ne se préoccupe que de son égo et de ses petits intérêts personnels, il faudra bien payer l’addition un jour.

 

Je suis fidèle par nature, quarante-six ans de mariage, un seul employeur, une seule ville, bientôt quarante ans que j’habite le même appartement, je ne change de médecin, de coiffeur, de dentiste… que par nécessité. Donc, je suis fidèle à mes auteurs, à mes éditeurs, à mes attachées de presse, qui sont souvent devenus des ami(e)s.

J’arrive au bout du système, au bout de mes capacités, les sollicitations dépassent le temps dont je dispose pour lire et écrire, c’est un arrache-cœur ! J’ai déjà refusé certains livres… Cette année, j’ai déjà lu et commenté cent trois livres ! J’arrive à mon maximum et j’ai quatre-vingts livres non lus en rayons. Et, je ne parle pas des problèmes de rangement… Mais, tant que mes yeux pourront suivre les lignes et que je pourrai taper sur un clavier, j’espère conserver mes amis et m’en faire d’autres encore.

J’ai évoqué mes amis belges, mais je suis aussi en relation avec des éditeurs français très fidèles et des attachées de presse très attentionnées. Je baigne dans ma passion, c’est presque comme un job mais c’est avant tout un énorme plaisir. »

 

Merci, l’ami ! D’être ce que tu es !

En espérant te rencontrer un jour de visu !

 

Edi-Phil RW.

 

TOP 10 2019 d’Edi-PHIL RW

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Philippe REMY-WILKIN (photo : Pablo Garrigos Cucarella)

 

UN.

L’œuvre romanesque de Jacques De Decker: La Grande Roue, Parades amoureuses et Le Ventre de la baleine, mon préféré (chez Weyrich, Neufchâteau). Hors actualité.

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DEUX.

Marcel SEL, Eliseroman, ONLiT, Bruxelles.

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TROIS. Ex-aequo :

. Véronique BERGEN, Kaspar Hauser (ou la phrase préférée du vent), roman, réédition augmentée, Espaces Nord, Bruxelles.

. Adeline DIEUDONNE, La vraie vie, L’Iconoclaste, Paris. Paru en 2018.

 

CINQ.

Luc DELLISSE, Libre comme Robinson, essai, Les Impressions Nouvelles, Bruxelles.

 

SIX.

Alexandre MILLON, 37 rue de Nimy, Les incroyables Florides, roman, Murmure des Soirs, Esneux.

SEPT.

Claude DONNAY, Un Eté immobile, roman, MEO, Bruxelles. Paru en fin 2018.

Un été immobile

 

HUIT.

La collection Noir Corbeau (Christian Libens, Francis Groff et Ziska Lerouge) chez Weyrich (Neufchâteau), dédiée au roman policier/thriller, introduite par un essai très réussi sur le genre en nos terres (Libens).

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NEUF.

Stanislas-André STEEMAN, La Maison des veilles, roman, réédition patrimoniale, Espace Nord, Bruxelles.

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DIX.

Ex-aequo :

. Evelyne WILWERTH, Tignasse Etoile, roman, MEO, Bruxelles.

Tignasse étoile

 

. Anne-Michèle HAMESSE, Le neuvième orgasme est toujours le meilleur, recueil de nouvelles, Le Cactus Inébranlable, Amougies.

. Carino BUCCIARELLI, Mon hôte s’appelait Mal Waldron, roman, MEO, Bruxelles.

Mal Waldron

. Daniel SIMON, Positions pour la lecture, balades littéraires, Couleur Livres, Mons.

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. Jean JAUNIAUX, Belgiques, recueil de nouvelles, Ker, Hévilliers.

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. Jean-Marc RIGAUX, L’Armistice se lève à l’Est, recueil de nouvelles, Murmure des soirs, Esneux. Paru en 2018 ?

Phil RW

 

TOP 100 des MORCEAUX DE MUSIQUE : Une sélection approximative de PHIL RW

        TOP 100 des MORCEAUX DE MUSIQUE

Une sélection approximative de Phil RW

Spécial Fêtes de fin d’année 2019

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Philippe REMY-WILKIN (photo : Pablo Garrigos Cucarella)

À noter : je ferai un jour d’autres Top 100 pour la musique classique, les albums rock (là, on sera dans le temps long), voire les BO de films ou séries. Et il me faudra approfondir le jazz. Etc.

 

Episode 1 : années 20>60

 

Années 20

 

. Bessie Smith, Nobody Knows You When You’re Down and Out (29, composée/écrite par Jimmy Cox en 23) :

On entend citer leurs noms, elles sont les déesses de nos déesses, on se doit d’aller à leur rencontre. Elles ont levé le flambeau de l’Art véritable dans la grotte musicale. Souvent, elles en sont mortes.

 

Années 30

 

. Billie Holiday, Easy Living (37, composée par Ralph Rainger, écrite par Leo Robin) :

Deux versions, en 37 et 47. Laquelle est-ce ?

 

. Judy Garland, Over the Rainbow (39, composée par Harold Arlen/Herbert Stothart, écrite par Edgar Yipsel Hartburg) :

Ah, une Blanche aussi peut avoir des tripes.

 

Années 40

 

. Edith Piaf, La Vie en rose (45, composée par Louiguy/Robert Chauvigny, écrite par Piaf) :

J’ai découvert le plaisir de chanter avec un 45 T de Piaf, Non, rien de rien, non, je ne regrette rien. Tout seul. Il est de pires débuts. Mon rapport à l’intensité, à sa nécessité, est-il né de cette immersion vers 9 ans ? Plus tard, les critiques rock de TL Moustique allaient dans ce sens et me faisaient réfléchir à la présence de l’authenticité, à sa disparition. La différence entre Judy, Bessie, Billie, Janis, Amy, etc., qui sont le beurre de la musique, face à la margarine Dion/Carey/Fabian ?

 

. Charles Trenet, La Mer (46, composée/écrite par Charles Trenet, arrangée par Léon Chauliac) :

Malgré Douce France (47, composée par Trenet/Chauliac, écrite par Trenet) :

Un peu le Grand Ancêtre de la (meilleure) chanson française. On peut ne pas aimer le gaillard mais son talent, novateur pour l’époque, est immense. Ses chansons donnent un sens au mot patrimoine.

 

Années 50

 

. Screaming Jay Hawkins, I put a Spell on You (56, composée/écrite par SJH et Herb Slotkin) :

Il donne un sens au légendaire Pacte avec le diable attribué au guitariste mythique Robert Johnson. Pour chanter comme ça, il fallait être allumé, fou, chargé. Il l’était.

 

. John Coltrane, Blue Train (57, album éponyme) :

 

. Dave Brubeck, Take Five (59, composée par Paul Desmond) :

Un de mes airs préférés GOAT. Un cas exceptionnel, ai-je lu, une irruption dans l’inventivité d’avant-garde qui rencontre le succès public. Bizarre qu’on oublie de citer Desmond, un Grand méconnu du grand public.

 

. Miles Davies, So What (59, composée par MD, album A Kind of Blue) :

J’en suis aux balbutiements de ma rencontre avec celui qui est présenté par les experts comme une sorte de Messie du jazz. Et de la musique, tout court.

 

Années 60

. The Shadows, Apache (60, composée par Jerry Lordan) :

Un petit côté kitsch ? Hum… Ils sont le Grand Ancêtre de la Pop anglaise des années 60, leur guitariste Hank Marvin une icône pour nos guitar-heroes préférés.


. Audrey Hepburn, Moon River
(61, composée par Henry Mancini, écrite par Johnny Mercer) :

Jamais pu écouter cette chanson sans visualiser Audrey Hepburn, sans être emporté dans une profonde mélancolie.

 

. Jacques Brel, Le plat Pays (62, composée/écrite par JB, inspirée par un poème du Suisse Jean Villard) :

Plutôt que La Fanette ? Une chanson qui m’a instillé un Credo : il faut écrire aussi sur TON pays. Il faut être d’un monde avant de pouvoir l’être de tous les autres (ou d’essayer, du moins).
Le syndrome Polanski/Céline a encore… passé son tour avec moi. Je n’aime pas l’homme (libéral pour lui-même, petit-bourgeois étriqué avec les femmes, ses filles, etc.) mais j’admire l’artiste, son intensité (Ferré et Brassens aussi sont intenses !), son inventivité, sa capacité à fixer des caps, à se réinventer.

 

. Serge Gainsbourg, La Javanaise (63, composée/écrite par SG) :

Ou…. La Chanson de Prévert (61, composée/écrite par SG) :

Pourquoi a-t-il été si malheureux ? Quand on a autant perlé ?

 

. Stan Getz/Joao et Astrud Gilberto, The Girl from Ipanema (63 dans cette version célébrissime mais composée par Antonio Jobim, écrite par Vinicius de Moraes en 62) :

La Bossa Nova ! Des musiciens exceptionnels et des voix descendues du ciel. Astrud ou l’art de faire des miracles avec peu d’ingrédients de départ. En caricaturant, une ménagère prend le micro et enterre une corporation au débotté. L’arbitraire divin, dirait le Salieri de Schäffer/Forman !

 

. Jean Ferrat, La Montagne (64, album éponyme) :

 

. Georges Brassens, Les Copains d’abord (64, album éponyme) :

Homme de musique et non de paroles, qui plus est baroque, épris de complexité orchestrale, j’ai épuisé des décennies pour percevoir son intensité, le voir s’éloigner à jamais de l’image du gentil guitariste chantant au coin du feu.

 

. Ella Fitzgerald, Laura (64, composée par David Raksin/écrite par Johnny Mercer en 1944) :

La chanson mythique du film mythique. Enregistrée aussi par Frank Sinatra, Nat King Cole, etc.

 

. Them, Gloria (64, Van Morrison) :

 

. The Animals, The House of the Rising Sun (64 mais d’après une chanson du folklore américain) :

 

. The Kinks, You Really Got Me (65, Ray Davies) :

La naissance du hardrock ! Mais Lola, Sunny Afternoon

 

. Nina Simone, Sinnerman (65, d’après un negro spiritual du début du XXe siècle, album Pastel Blues) :

Pour faire plaisir à Krisztina Kovacs, qui la considère la chanson GOAT.

 

. Bob Dylan, I Want You (66) :

 

. Frank Sinatra, Strangers in the Night (66, composée par Bert Kaempfert, écrite par Charles Singleton et Eddie Snyder) :

Malgré My Way (69, d’après une chanson, Comme d’habitude, composée par Jacques Revaux/Claude François et écrite par Gilles Thibaut/Claude François, adaptée par Paul Anka) :

 

. Beach Boys, Good Vibrations (66, composée par Brian Wilson, écrite par Mike Love, album Smile) :

La « petite symphonie de poche » (dixit Brian).  Baroque et sidérante d’inventivité ! Mais… supérieure à Heroes and Vilains et God Only Knows ?

 

. Simon and Garfunkel, Scarborough Fair (66, d’après une ballade traditionnelle anglaise du… XVIIIe siècle adaptée par Martin Carthy, album Parsley, Sage, Rosemary and Thyme) :

Nausicaa préfère la version, un peu antérieure, de Marianne Faithfull :

Mais… Ce morceau, malgré The Boxer, El Condor Pasa, Bridge Over Troubled Water, Mrs. Robinson… Ou le célébrissime/sublime The Sound of Silence (64) ?

 

. Louis Armstrong, What a Wonderful World (67, composée/écrite par George Douglas alias Bob Thiele et George David Weiss) :

Cette voix !

 

. The Association, Never my Love (67, auteurs : Don et Dick Addrisi) :

Look de Beauf pas possible mais harmonies vocales à Wilson ! Le 2e morceau le plus diffusé en radio/TL au XXe siècle, ai-je un jour lu.

 

. The Doors, Light my Fire (67, composée/écrite par The Doors (Robbie Krieger et Jim Morrison), album The Doors) :

Un de mes morceaux préférés ! Halluciné. Transcendant.

 

. Procol Harum, A Whiter Shade of Pale (67, composée par Gary Brooker/Matthew Fisher, écrite par Keith Reid) :

Inspirée par… Bach !

 

. The Moody Blues, Night in White Satin (67, composée/écrite par Justin Hayward) :

 

. Aretha Franklin, Respect (67, composée/écrite par Otis Redding) :

 

. The Velvet Underground and Nico, Femme fatale (67, composée/écrite par Lou reed, album éponyme) :

Malgré Heroïne, Venus in Furs

 

. Canned Heat, On the Road Again (68, auteurs : Floyd Jones/Alan Wilson, album Boogie with Canned Heat) :

 

. Janis Joplin, Piece of my Hearth (68, auteurs : Jerry Ragovoy/Bert Berns) :

 

. Barry Ryan, Héloïse (68) :

 

. Michel Polnareff, Le Bal des Laze (68, composée par MP, écrite par MP/Pierre Delanoë, album éponyme) :

La plus belle, malgré tant de perles : Ame câline, Love Me Please Me… Le seul Français à sonner pop mondiale dans les années 60.

 

. Leonard Cohen, Suzanne (68) :

 

. Bee Gees, I started a Joke (68, album Idea) :

Malgré Massachussetts, le disco How deep is Your Love, tant de perles pré-disco.


. Otis Redding, (Sittin’on) the Dock of the Bay
(68, composée/écrite par OR et Steve Cropper) :

Sortie après la mort d’Otis et premier cas d’une chanson posthume atteignant la première place des charts américains.

 

. Steppenwolf, Born to be Wild (68, composée/écrite par Mars Bonfire) :

La musique d’Easy Rider !

 

. Cream, White Room (68, auteurs : Jack Bruce/Pete Brown, album Wheels of Fire) :

God in action ! Mais Sunshine of Your Love, Cocaïne

 

. Georges Moustaki, Le Métèque (69, composée/écrite par GM) :

. Léo Ferré, C’est extra (69, album L’Eté 68) :

Magnifique et troublant : un vieux qui sonne jeune, en caricaturant, comme si Brel et le Floyd fusionnaient. Difficile de le préférer à Avec le Temps :

 

. Elvis Presley, Suspicious Minds (69, Mark James) :

 

. The Who, I’m Free (69, auteur : Pete Towshend, album Tommy) :

Ou alors See Me, Feel Me, Touch Me : https://youtu.be/NzuNJod_o7g

Ou My Generation, emblématique : https://youtu.be/NzuNJod_o7g

 

. Jethro Tull, Bourrée (69, album Stand Up) :

 

. Wallace Collection, Daydream (69, album Laughing Cavalier) :

Le meilleur morceau pop de l’histoire belge ?

 

. The Beatles, Something (69, composée/écrite et chantée par George Harrison, album Abbey Road) :

Issue de leur meilleur album (devant Sergent Pepper, Revolver…) et malgré Fool on the Hill, While my Guitar Gently Weeps, A Day in the Life… et tant d’autres.
. King Crimson, Talk to the Wind (69, composée par Ian Mac Donald, écrite par Peter Sinfield, album In the Court of the Crimson King) :

Sur l’un des plus beaux disques de rock progressif ?

 

. Joe Cocker, With a Little Help from my Friends (69, Lennon/McCartney, la version live de Woodstock) :

 

Phil RW

LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 : BALISES LITTÉRAIRES / La chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

Les Editions BARTILLAT ont édité, ou réédité, des textes un peu oubliés d’André SUARÈS et de Paul VALÉRY, des textes qui peuvent servir de balises dans l’histoire de la littérature, ils apportent de nombreux informations et témoignages pris sur le vif. Si je connais bien le second, j’avoue ne l’avoir que peu lu et le confesse volontiers n’avoir fait la connaissance du premier qu’à l’occasion de cette lecture. Ces éditions ont donc le mérite de faire connaître et faire revivre des textes pas, peu ou mal publiés.

 

Miroir du temps

André SUARÈS

Edition établie par Stéphane Barsacq

Bartillat Edition

M

Si Stéphane Barsacq n’avait pas établi cet important recueil de textes, si Bartillat ne l’avait pas publié, je crois que de très nombreux lecteurs assidus et passionnés seraient, tout comme moi, passés totalement à côté de cet auteur qui connut cependant une réelle notoriété dans la première moitié du XX° siècle. Il n’a pas, comme ses plus ou moins contemporains, Proust, Gide, Claudel, Valéry, …, franchit le seuil de la notoriété et il serait, sans cet énorme travail de recensement et de compilation, probablement tombé, à plus ou moins long terme, dans les oubliettes de la littérature comme beaucoup d’autres hélas. Mais Suarès, avec cet ouvrage, est désormais bien présent dans les rayons des librairies et des bibliothèques, du moins je l’espère vivement.

Dans cette sorte d’anthologie, Stéphane Barsacq regroupe tout un ensemble de textes inédits ou seulement dans des livres ou revues peu accessibles : des préfaces, des publications dans des revues, des articles dans la presse littéraire, des billets, des homélies, des lettres adressées à ses amis ou à ceux dont il appréciait le talent. Pour le situer comme écrivain, je citerai ce propos de Gabriel Bounoure que la préfacier a introduit dans son texte.

« Au moment où les symbolistes acceptaient la démission du vouloir vivre en s’adonnant à d’immobiles nostalgies, lui a voulu la grande action, la profusion et l’éclat, l’héritage des siècles amoureux et guerriers, les trésors de la passion et de l’art, le royaume de l’Homme renaissant, …, le triomphe de la personnalité accomplie, … ».

Sa culture était aussi vaste et variée que le champ artistique qu’il embrassait. Barsacq a regroupé les textes choisis en cinq grands chapitres inégaux : Littérature, Danse, Musique, Art, Mystique, qui montre bien toute la vastitude de son horizon culturel. Tous les chapitres n’occupent pas le même nombre de pages dans le recueil, la littérature, sa discipline personnelle, prend une place privilégiée suivie de la musique puis des autres arts ou de l’art vu dans globalité et enfin de la danse qui a trouvé un petit espace pour évoquer des grands danseurs et chorégraphes. Pour clore cette anthologie, l’auteur a réservé une place pour la mystique qui n’est certes pas un art mais qui occupe souvent une place importante dans le monde de l’art et Suarès l’évoque souvent. Il nous faut suivant les conseils du maîtres – « Il ne faut pas me lire pour me suivre mais pour se mettre en route. » – mettre nos pas dans les siens sur la route des arts et des lettres.

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Les textes sont classés par ordre chronologique des auteurs et artistes qu’ils évoquent. Pétrone et Suétone, dans des textes parallèles, introduisent le chapitre consacré à la littérature où figurent ensuite Voltaire, Goethe, Chateaubriand, Dostoïevski, Verlaine, Stevenson, etc., jusqu’à André Malraux et Gilbert Lely. Bach et Beethoven précèdent Wagner, le musicien tant admiré de l’auteur et Debussy autre idole de Suarès. Le chapitre consacré à l’art accueille Léonard de Vinci, Véronèse, Cézanne, Bourdelle et d’autres peintres dont certains sont peu connus et qu’il était très intéressant de découvrir.

Suarès n’a pas eu que des amis, c’est lui qui le confie, mais il dit souvent beaucoup de bien des artistes qu’il évoque, les couvrant de louanges, mais il sait aussi verser le vitriol sur ceux qu’il n’apprécie pas ou qui lui sont franchement hostiles. Il ne reconnait qu’une contrainte : sa liberté.

« Ma seule doctrine : je tiens pour l’individu contre l’automate et le robot, partout en dans tous les cas. La liberté est mon essence. Je préfère mourir libre à vivre esclave » (citation de Barsacq dans sa préface).

Il n’accepte aucune concession mercantile.

« Si on plait au public, tant pis. Nous en dépendons pour le succès, notre bonne ou mauvaise fortune ; nous n’en dépendons pas et ne voulons pas en dépendre en ce que nous sommes ».

Son choix a toujours été guidé par le talent au détriment de la notoriété : « Entre les hommes que j’ai connus, j’ai toujours préféré aux plus célèbres ceux qui auraient mérité de l’être et qui ne l’étaient pas ».

Sa vision de l’art et de sa place dans l’univers, car l’art dépasse notre monde, a particulièrement retenu mon attention. Barsacq a placé une citation de François Chapon en exergue au chapitre traitant de la musique, qui expose bien la conception de l’art de Suarès : « La notion de l’art, plus réel que le prétendu réel, est au centre de l’œuvre suarésienne dès ses origines et ne variera jamais ». Mais l’art n’est pas que concrétude, plus loin, il revient sur la place prépondérante qu’il accorde à la métaphysique – « Une philosophie qui proscrit la métaphysique est une philosophie sans philosophie. » – qui conduit à la mystique qui semble le marquer profondément.

« Être sans mystique n’est pas la marque d’une raison droite, mais d’un esprit borné et mécanique, privé d’antennes sur la vie ».

Alors, je retiendrai le juste équilibre qu’il semble trouver entre la science et la métaphysique : « La philosophie manque autant à la science de mil huit cent quatre-vingts, que la science manque à la philosophie de saint Thomas d’Aquin ».

Les marchands de technologie qui envahissent notre monde devraient s’inspirer des bonnes paroles de Suarès et réserver une place à la pensée et à l’art qui peuvent conduire le monde encore plus loin que leurs belles inventions.

Et malheureusement si on évoque l’écriture on peut comprendre qu’« A bien des égards, Suarès appartient à la légende, celle d’un âge d’or des lettres qui semble révolu, … ». Il appartenait à un monde où l’écriture était encore un art, un monde qui hélas a déjà disparu.

Le livre sur le site de Batillat

 

La renaissance de la Liberté

Paul VALERY

Edition établie par Michel Jarrety

Bartillat / Omnia poche

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Ce recueil a été établi, présenté et annoté par Michel Jarrety ; dans sa préface, il explique l’objet de cette publication, ce qu’elle comporte et comment il a procédé pour l’établir. Comme son sous-titre, Souvenirs et réflexions, l’indique de manière explicite, elle se compose de deux parties : une première regroupant des souvenirs que Paul Valéry a laissés dans ses nombreux écrits brefs, la seconde comportant des réflexions formulées sur son œuvre, la littérature, le langage, l’Europe qui le préoccupait fort surtout depuis qu’il faisait partie d’une commission de la Société des Nations. Pour présenter ce recueil, Michel Jarrety a regroupé quelques-uns des très nombreux textes de circonstances que l’auteur a écrits, parfois à la hâte, cédant à la pression de ses amis et autres personnalités jugeant utile d’user de sa gloire et de sa notoriété pour valoriser leurs œuvres ou leurs entreprises.

Dans ce texte, le lecteur trouvera donc des préfaces, des contributions ou des introductions à des conférences, congrès ou autres manifestations culturelles, des hommages, des témoignages, des discours, mais aussi des articles, des courriers, des notes plus ou moins personnelles, des notules, etc. Certains de ces textes ont été repris, parfois plusieurs fois, dans des publications précédentes et d’autres sont restés parfaitement inédits non pas parce qu’ils sont inintéressants mais plutôt parce qu’il y avait surabondance de matière et qu’ils ont été écartés faute de place pour eux. Tous ces textes ne sont pas de la même qualité littéraire, certains, manifestement, ont été écrits à la hâte, juste pour ne pas dire non à un ami ou à un personnage important, d’autres comportent des passages dignes des grandes ouvres de Valéry. Tous ne présentent pas le même intérêt, certains n’évoquent que des faits relativement banals, d’autre sont de profonde réflexions, souvent très pertinentes notamment quand l’auteur formule des projections sur l’avenir des lettres ou de l’Europe.

La première partie comporte, sous diverses formes, ses souvenirs dans un ordre chronologique ; ils commencent par un billet sur Montpellier en 1890 où il a rencontré Pierre Louÿs qui n’était encore que Pierre Louis. Il évoque ensuite ses divers séjours en Angleterre où il avait de la famille et où il rencontra de nombreuses personnes du monde des lettres notamment Joseph Conrad. Et ainsi de suite, de note en billet, de lettre en hommage, il évoque de très nombreux personnages, Rilke dans une lettre, Léon Paul Fargue dans une notule, tout un ensemble d’auteurs et gens de lettres gravitant dans le monde littéraire de la première moitié du XX° siècle en Europe ; Paul Valéry croyait fermement à une culture européenne vecteur de l’identité, du rayonnement et du développement de l’Europe.

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Dans la seconde partie consacrée à des réflexions formulées surtout à travers des interventions dans des manifestations culturelles, il évoque son œuvre, assez peu, ce n’est pas son sujet de prédilection. De manière générale, il parle peu de lui et de sa vie privée. En contrepartie, il intervient plusieurs fois sur l’avenir de la littérature qu’il juge bien sombre face à la montée en puissance de la presse écrite et de la radiophonie. Il formule même des conjectures qui auraient encore un sens aujourd’hui en remplaçant presse et radio par réseaux sociaux, Internet, téléphones androïdes, etc… Il juge que les lecteurs « ne lisent en général que des journaux ; or, au point de vue des formes et au point de vue des idées, une culture fondée sur la lecture des journaux uniquement, est une culture finie ». Il est encore plus inquiet sur l’avenir du langage, véritable nourriture de la littérature. « Il y a une foule de mots français qui ont disparu dans l’espace d’une génération à peu près, des mots précis, d’origine populaire, généralement très jolis ; ils s’effacent devant la mauvaise abstraction, devant les termes techniques qui envahissent notre langue ». là aussi son jugement était prémonitoire même s’il ne connaissait pas encore la création d’un jargon international incapable de véhiculer une quelconque culture, seulement des éléments de technologie basiques.

Il y aurait beaucoup d’autres choses à évoquer après la lecture de ces courts textes, on sait depuis longtemps que la forme courte permet de dire beaucoup en peu de mots, mais il faut laisser au lecteur le soin de soulever lui-même les idées qui l’intéressent. Pour ma part, j’ai noté avec un réel intérêt ce que Paul Valéry pense des chroniqueurs qui ont lu ses œuvres et qui en parlent. Pour lui l’auteur n’a que son propre point de vue sur son œuvre alors que les lecteurs peuvent en mettre en évidence d’autres et soulever d’autres questions. Le lecteur ne connaît, souvent, l’auteur qu’à travers ce qu’il écrit et non ce qu’il est réellement.

« Entre l’auteur tel qu’il est et l’auteur que l’œuvre a fait imaginer au lecteur, il y a généralement une différence qui ne manque pas de causer les plus grands étonnements… ».

Et Paul Valéry ajoute que l’auteur est souvent victime du message qu’il a voulu passer oubliant certaines idées figurant pourtant bien dans son texte.

« En un certain sens on peut dire que l’auteur ignore son œuvre ; il l’ignore en tant qu’ensemble, il l’ignore en tant qu’effet ; il ne l’a éprouvée qu’à titre de cause, et dans le détail ».

J’essaierai de ne pas oublier ces sains principes quand je m’aventurerai encore à parler des écrits des autres.

Le livre sur le site de Bartillat 

 

LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 : MES CARNETS DE POÉSIE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

En cet automne, pour remplir mon carnet de poésie, j’ai puisé dans ceux du Dessert de lune où j’ai trouvé de la très belle poésie en prose de JEAN-CLAUDE MARTIN, de la jolie poésie tout aussi joliment illustrée, de sa propre main, de LUCE GUILBAUD et de la poésie corrosive d’ERIC DEJAEGER qui stigmatise les faux poètes qui ne sont que « powètes » tout juste capables de commettre quelques vers présomptueux.

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Vies patinées

Jean-Claude MARTIN

Les Carnets du dessert de lune

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Elle est belle, fluide, imagée, dépouillée, élégante, la poésie de Jean-Claude Martin, elle respire la patine du poète qui a longtemps traîné sa plume sur le papier, remis cent fois sur le métier son œuvre et sa vie. Cette vie, on a l’impression qu’il l’avait imaginée autrement. « Notre vie tient de la flèche et du cerceau. Nous partons vers un but. Mais la plupart des vies passe à côté de la cible ou marque pas loin de zéro ». Alors lui aussi il serait passé à côté de la cible et en éprouverait un peu d’amertume et même une pointe d’aigreur. Sa vie, il l’aurait subie comme il l’écrit : « Pousser les jours devant soi, comme détritus au caniveau. Sans but, sans haine, sans désir… »

Le temps, celui qu’il écrit avec un « T » majuscule, le maître du grand jeu de la vie, lui aurait filé entre les doigts comme le sable entre les doigts de l’enfant sur la plage. « Tu l’as eu ? Il t’a encore filé entre les doigts, et sa peau en passant t’a râpé l’âme jusqu’à la corde… Le Temps ! ».

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Jean-Claude Martin 

A l’automne de sa vie, Jean-Claude Martin, je le comprends, nous appartenons à la même génération, nous avons envisagé les mêmes idéaux, ou presque, nous avons bercé les mêmes rêves, peut-être, mais ce qui est certain c’est que nous avons usé le même Temps, ce Temps qui nous a fui et dont il voudrait bien encore une petite tranche, comme l’écrit Hervé Bougel dans sa bien belle préface : il s’agit de « vivre encore un peu, encore un moment, encore un instant… »

Jean-Claude Martin est un virtuose du poème en prose et celui ci-dessous résume à merveille ce recueil, son talent, son désabusement devant la fuite du Temps qu’il n’a pas rempli comme il l’espérait, la puérilité, la futilité, de la vie mais aussi l’espoir qu’on lui offre encore un tour de manège si grisant malgré les déboires qu’il peut infliger.

« Ce n’est qu’un mauvais moment à passer, vieillir : ça n’ira pas mieux « après « ! … Perdre ses souvenirs, ou ne plus savoir où les mettre. Ajouter une maille à la fermeture éclair du Temps… Maman, tu n’as plus d’argent pour un nouveau tour de manège ? T’avais qu’à attraper la queue du Mickey ! »

Le recueil sur le site de l’éditeur 

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Qui va avec ailes

Luce GUILBAUD

Les Carnets du dessert de lune

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C’est tout petit, c’est joli, c’est mignon et c’est en couleur.

Est-ce de la poésie ? Est-ce un recueil de peintures aux couleurs pastel ?

Peu importe les questions, les définitions, les cases où l’on cherche à ranger les œuvres d’art. C’est un tout petit – c’est le format de la collection – recueil de poésies illustrées ou peut-être un petit catalogue de micro-peintures accompagnées d’une légende en vers libres et courts. Un petit opuscule qu’on lit, qu’on regarde, avec plaisir et attention pour ne laisser échapper aucun détail, aucune impression, mais qu’on écoute aussi, on l’a lu à haute voix, pour en apprécier la musique et voler avec les ailes de chacun au-dessus des pages de Luce Guilbaud.

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Luce GUILBAUD

Dans ce recueil elle, a regroupé trente peintures accompagnées chacune d’un poème, trente poèmes qui évoquent un être, un objet, ou même un esprit, ou autre chose encore et même des choses qui volent pas du tout, mais tout ce petit peuple a en commun la particularité d’avoir des ailes pour voler… ou pas. C’est très joli, les couleurs sont douces, presque toutes à dominantes vertes, couleur de la nature et de l’espoir, les textes sont légers somme le souffle d’air qui porte insectes, oiseaux et papillons, jouant une douce musique apaisante quand on les lit à haute voix. L’auteure raconte avec ses mots et ses couleur un monde irénique, un petit paradis dans lequel on voudrait pouvoir s’isoler de temps à autre pour oublier les vilenies du nôtre.

 

Mais, ce recueil n’est pas que lecture et peinture, c’est aussi un jeu, Luce ne nomme jamais ceux qu’elle peint, elle les dépeint dans son texte, et dissimule la première et la dernière lettre de leur nom dans la peinture figurant en regard du poème, invitant ainsi le lecteur à un petit jeu de devinette qui l’oblige à mieux regarder chaque illustration pour en percer le secret. Pour l’exemple :

« D’amour tendre

il aime son amie

mais s’ennuie parfois au logis

chargé de messages urgents

il voyage par tous les temps

sans jamais perdre le Nord. »

Vous l’aurez vite reconnu sans même utiliser le P et le N figurant dans l’illustration. Si vous voulez jouer encore, il faudra acquérir ce recueil !

Le recueil sur le site de l’éditeur

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Le violon pisse derechef sur son powète

Eric DEJAEGER

Les Carnets du dessert de lune

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 « Ecrire de la powésie parce que l’on se proclame powète est profondément ridicule. »

Dans un précédent recueil d’aphorismes, « Le violon pisse sur son powète », à coup de formules toutes plus aiguisées les unes que les autres, Eric Dejaeger dénonçait déjà les faux poètes, les « powètes » comme ils les désigne, les pauvres hères des lettres, qui posent, se pavanent, publient et croient avoir un don, mais la vraie poésie est un art de forçat, elle demande talent, travail et surtout humilité. Mais ça,  je l’ai déjà écrit après la lecture du premier recueil. Dans ce second recueil qui ne sera jamais le deuxième car l’auteur a promis que ce serait le dernier, il enfonce le clou en dégainant de nouveaux aphorismes, encore plus acérés, pour stigmatiser les poètes qui ne sont que des « powètes ». Ils n’atteindront jamais le statut de « poëte » comme l’écrit Paul Valéry dans « La renaissance de la liberté » (Bartillat/Omnia poche) que j’ai lu juste avant l’ouvrage du barde du Pays noir.

« Le powète ne se creuse jamais la tête, seulement le nombril ».

« Le powète n’a jamais dit la vérité, il ne doit pas être exécuté » ; (pour ceux qui ont plus de vingt ans depuis très longtemps : petit clin d’œil à Guy Béart).

« Le powète rêve d’absinthe mais ne peut s’offrir que du pastis sans alcool ».

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Éric DEJAEGER

Eric a la dent particulièrement dure à l’encontre des gâcheurs de vers qui dévoient les mots à grands coups de rimes bancales, ils comptent les pieds de leurs vers sur leurs doigts comme le dénonçait le grand Léo, Léo Ferré. Ces besogneux du pied et de la rime ne méritent aucun égard :

« Il ne faut pas protéger le powète : il est en voie de multiplication ».

Le powète ne sera sans doute jamais un poëte tel que le définit Paul Valéry dans le texte cité ci-dessus : « Un poète est en somme un individu en qui paraissent au plus haut degré l’agilité, la subtilité, l’ubiquité, la fécondité de cette toute-puissance économie (de mots) ».

Mais le poète peut écrire pour des raisons moins louables comme le dit si joliment Léon-Paul Fargue dans un court extrait de Tancrède que Paul Valéry cite dans l’ouvrage désigné ci-dessus : « Il était plusieurs fois un jeune si beau que toutes les femmes voulaient expressément qu’il écrivît ». Alors, il faut rester vigilant et peut-être qu’Eric Dejaeger devra écrire un nouvel opus pour dénoncer les bellâtres qui croient que poème rime avec Je t’aime.

Le recueil sur le site de l’éditeur

COURT, TOUJOURS, le blog d’Éric DEJAEGER 

 

CHOSES VUES de VICTOR HUGO / Une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

Le TOP 5 de JEAN-PIERRE LEGRAND
Jean-Pierre LEGRAND

Dans son petit et très précieux « Victor Hugo par lui-même », Henri Guillemin s’interroge : « Victor Hugo ? Lequel ? Les quatre syllabes de ce nom propre suscitent une collection d’êtres disparates ». Cette multiplicité de personnalités hébergées sous un seul crâne nous est rendue encore plus sensible par ce « livre-monstre » qu’est CHOSES VUES et qui a été réédité voici quelques années dans la collection Quatro. Composé de morceaux épars réunis après la mort de Hugo, l’ouvrage tient du journal intime, de la chronique, du témoignage et de l’archive. Il s’étend de 1830 à 1885 et nous entraîne dans cette période labyrinthique de l’histoire de France au cours de laquelle la Révolution française n’en finit pas de finir.

Tumultueuse comme le fut l’histoire dans laquelle elle s’inscrit, l’existence de Victor Hugo surprend par son parcours politique tourmenté qui nous le montre successivement légitimiste, orléaniste, bonapartiste puis républicain. Le plus curieux est que ces métamorphoses se marquent également sur le plan physique. Le jeune dandy un rien tête à claques de l’époque d’Hernani se mue fort tôt en un notable aux traits épaissis gagnés par la mollesse et au regard plus que satisfait. Il court les honneurs et devient académicien puis Pair de France. Sa maîtresse Juliette Drouet se moque de lui avec beaucoup de drôlerie : « Toto se serre comme une grisette. Toto se frise comme un garçon tailleur. Toto a l’air d’une poupée modèle ! Toto est ridicule ! Toto est académicien! » . Tout changera avec les années d’exil et l’affermissement de plus en plus net du combat de Hugo pour la liberté et la république : il devient celui que nous connaissons tous ; le cheveu court et dru, la barbe du patriarche, un regard ferme ombré de tristesse que surplombe un front magnifique. Vers 1867, dans une rue de Bruxelles, une prostituée l’accoste : « Tiens ! Vous ressemblez à Victor Hugo ». Il est entré dans sa propre légende.

Il est parfois de bon ton de fustiger la girouette Hugo que tous les vents de l’histoire auraient fait grincer sur son axe. En réalité « le siècle traverse Hugo autant que Hugo traverse le siècle ». Dès 1830 (il vient de tourner le dos au légitimisme) et, pressentant les soubresauts de l’avenir, il écrit : « Mauvaise éloge d’un homme que de dire : son opinion n’a pas varié depuis quarante ans. C’est dire que pour lui, il n’y a eu ni expérience de chaque jour, ni réflexion, ni repli de sa pensée sur les faits. C’est louer une eau d’être stagnante, un arbre d’être mort : c’est préférer l’huître à l’aigle ». Pourtant derrière les apparentes sinuosités d’un destin hors du commun une cohérence rare se devine puis s’impose au regard : tout au long de sa vie Hugo est l’homme de la liberté et de la défense des droits humains, avec en point de mire l’abolition de la peine de mort que tant de pays accompliront bien avant la France, décidément paradoxale patrie des droits de l’homme.

Progressivement, cet homme d’ordre que répugnent la violence populacière comme la répression aveugle de l’appareil d’Etat, prend conscience que la liberté sans l’égalité est un leurre. Il pressent l’agitation sociale qui monte, l’explosion inévitable. Un jour, Hugo croise un détachement militaire qui emmène un malheureux en haillons, accusé d’avoir volé un pain. Les hommes s’arrêtent devant la porte d’une caserne. Au même moment, une luxueuse berline armoriée stationne à côté d’eux.

« Le regard de l’homme fixé sur cette voiture attira le mien écrit Hugo. Il y avait dans la voiture une femme en chapeau rose, en robe de velours noir, fraîche, blanche, belle, éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant petit enfant de seize mois, enfouis sous les rubans, les dentelles et les fourrures. Cette femme ne voyait pas l’homme terrible qui la regardait. Je demeurai pensif. Cet homme n’était plus pour moi un homme ; c’était le spectre de la misère, c’était l’apparition difforme, lugubre, en plein jour, en plein soleil, d’une révolution encore plongée dans les ténèbres, mais qui vient. Autrefois, le pauvre coudoyait le riche, ce spectre rencontrait cette gloire ; mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait durer ainsi longtemps. Du moment que cet homme s’aperçoit que cette femme existe tandis que cette femme ne s’aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable ».

Hugo a très tôt compris que l’ombre s’allonge et que les riches sont en question dans ce siècle comme les nobles le furent au siècle précédent.

Le chemin est pourtant long entre le conservateur mâtiné d’humanisme réformiste et le républicain partageant les bancs de l’extrême gauche. Longtemps chez Hugo perdure un fond de cynisme voltairien friand de grandes causes mais méfiant à l’égard d’un peuple incontrôlable et peu instruit qui n’est pas sans parenté avec le mépris que suscite aujourd’hui les gilets jaunes, lorsqu’il écrit en 1847 : « Voici la situation de la société depuis la révolution française et la liberté de la presse : une grande lumière mise à la disposition d’une grande envie ». Hugo se reprendra et, en 1870, écrira en marge de cette note : « Et pourquoi pas ? Ceux qui souffrent ont le droit d’envier. Et au fond de cette envie, n’y a-t-il pas une grande équité ? Aujourd’hui, je refais ainsi la définition de la révolution ; une grande lumière mise au service d’une grande justice. Ah, pair de France, le proscrit te dit ton fait ». Ne nous laissons pas abuser cependant par la pose hugolienne : l’homme est retors. Il se méfie du socialisme qui pointe, condamne les insurrections de 1848 ainsi que la Commune (la Commune est une bonne chose mal faite) mais accueille les Communards en exil à Bruxelles, ce qui lui faudra son expulsion. En fait son idéal, serait une révolution qui ne fût point trop révolutionnaire…

Choses vues  est donc un formidable document historique sur cette bégayante période qui oscille entre le drame et le pastiche et rejoue inlassablement 1789, le passéisme des vieilles idées monarchiques affrontant l’hystérie des vieilles idées conventionnelles. Notre guide est particulièrement doué : par moment on a l’impression de suivre un reporter caméra sur l’épaule. On est étonné par cette instabilité que masque un temps, l’apparence pérenne du pouvoir en place. C’est singulièrement le cas de la monarchie de juillet qui semble s’évaporer plus qu’elle n’est renversée : c’est le lot des régimes sans élan que soude artificiellement le soutient passif des intérêts ; ils ne résistent pas à la première secousse. Nous ferions bien de nous en souvenir…

Nous suivons également Hugo dans sa vie de tous les jours, cueillant la poésie au détour d’une rue, prompt à rêver à la vue d’une pâquerette perdue derrière une palissade, parmi les gravas d’un théâtre dévasté par un incendie : « Que de choses, que de pièces tombées ou applaudies, que de familles ruinées, que d’incidents, que d’aventures, que de catastrophes résumés par cette fleur ! Pour tous ceux qui vivaient de la foule appelée ci tous les soirs, quel spectre que cette fleur, si elle leur était apparue il y a deux ans. Quel labyrinthe que la destinée et que de combinaisons mystérieuses pour aboutir à ce ravissant petit soleil jaune aux rayons blancs ». C’est parfois plus prosaïque : Hugo est d’une sensualité débridée ; il multiplie les liaisons jusque dans son grand âge, courant les aventures tarifées ou non, qu’il détaille en un amusant langage codé dans ses calepins.

Peu de vies font l’économie du drame : Hugo lui, est particulièrement malmené par le sort. Léopoldine, sa fille adorée, meurt noyée ; son autre fille Adèle, sombre dans la folie ; ses deux fils, Charles et François-Victor meurent dans la fleur de l’âge ; sa femme puis Juliette, l’amour d’une vie, le précèdent dans le trépas ainsi que deux de ses petits-enfants. Si ces malheurs ne le rapprochent guère de l’Eglise, ses prêtres, son Dieu pudibond et rôtisseur, ils approfondissent néanmoins la foi profonde de Hugo en un Dieu étranger à tout dogme, sorte de force infinie, créatrice et maîtresse de l’univers, immense immanence. Le chant du monde en perpétuel contrepoint de notre condition tragique ne cesse d’interpeller le poète comme lors des obsèques de Balzac : « Le prêtre dit la dernière prière et je prononçai quelques paroles. Pendant que je parlais, le soleil baissait. Tout Paris m’apparaissait au loin dans la brume splendide du couchant. Il se faisait, presque à mes pieds, des éboulements dans la fosse, et j’étais interrompu par le bruit sourd de cette terre qui tombait sur le cercueil ». Pas de désespoir chez Hugo mais une tristesse infinie qu’il conjure par la prière profane qui est la sienne, la certitude que rien ne finit ici-bas et que nous nous retrouverons dans l’ »Ouvert : « Je suis resté longtemps penché sur Victor ; je l’ai béni, et je lui ai dit de nous bénir et de nous prendre sous les ailes qu’il a maintenant ». Anticlérical certes mais pas irréligieux (au sens d’une religion naturelle) Hugo respecte le sacré : « Une pierre quelconque où cette grande anxiété qu’on appelle ta prière a marqué son empreinte n’est jamais raillée par le penseur, La trace des agenouillements devant l’infini est toujours auguste. Qui suis-je? que sais-je? »

Choses vues a la spontanéité, le disparate, le sérieux, la fantaisie, le drame, de toute vie. La notation dérisoire – « La laitue romaine a été importée d’Italie par Rabelais » – ou coquine y côtoient l’analyse politique la plus fine, le drame humain et la poésie. Un fil rouge court tout au long de l’ouvrage et partant de la vie de Hugo : l’espoir en la victoire de l’esprit ; « Que suis-je ? Seul, je ne suis rien. Avec un principe, je suis tout. Je suis la civilisation, je suis le progrès, je suis la Révolution française, je suis la révolution sociale (…) Un seul homme en qui la vérité s’incarne, fait jour autour de lui. »

LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 : PAROLES, MUSIQUE & IMAGES / La chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

Les petits ont eux aussi leur rentrée en livre mais la leur ne contient pas que des mots, elle offre en plus de la musique et des images. Une façon peut-être de les attirer vers les belles histoires qui insufflent souvent le goût pour la lecture et plus tard pour la littérature. Il est donc très important de nourrir nos enfants avec ces beaux recueils en musique et en couleurs qui sauront les conduire sur le chemin des belles lettres. J’ai rassemblé dans cette chronique trois livres-disques édités par Le Label dans la forêt et Didier jeunesse pour montrer ce que les éditeurs peuvent proposer aujourd’hui à nos chers petits.

 

Radio citius altius fortius

MERLOT

Benjamin GOZLAN (illustration)

Le label dans la forêt

Le Label dans la Foret - Radio Citius Altius Fortius - Merlot & Benjamin Gozlan

Comment aurai-je pu passer à côté de cette parodie d’émission de radio sportive après avoir présidé pendant trois olympiades le comité olympique de mon département et m’être investi pendant trente ans comme dirigeant dans diverses instances sportives jusqu’au niveau national ? C’est une excellente idée qu’ont eu l’auteur et l’éditeur de ce livre disque, il comporte tous les ingrédients d’une bonne émission de sport : une présentation des différentes familles de disciplines sportives : course, force, saut, jeux de balles, sports de glisse et d’eau, etc., sans oublier le sport pour les handicapés, celui sans qui aucune compétition n’est possible et qu’on honnit régulièrement et tout ce qui tourne autour du sport et qui fait l’objet de longues discussions dans les médias et au Café du Commerce.

Merlot a écrit les textes : une interview, une chronique, une présentation, … pour chacun des thèmes présenté avec une chanson humoristique adaptée à chacun d’eux. Benjamin Gozlan a, lui, dessiné pour chacune des séquences radio une page du livre qui contient le disque. C’est un bien joli objet audiovisuel : présentations radio, chansons, visuels sous forme de dessins humoristiques, tout ce qu’il faut pour ravir le jeune public et le préparer à subir l’assaut organisé par les médias à l’occasion des Jeux Olympiques de Paris en 2024.

Ce disque livre n’est pas seulement un objet ludique pour les enfants et leurs parents ou grands-parents, c’est aussi un outil éducatif qui permettra aux plus grands d’apprendre aux plus petits ce qu’est le sport et tout ce qu’il peut leur apporter : développement physique, éducation, respect de l’autre, dépassement de soi, entretien corporel… Une façon d’aborder la complexité du monde du sport tout en s’amusant et en développant son goût pour la musique, le dessin, la fiction, les belles histoires. Et surtout pour bien comprendre que le sport, ce n’est que des jeux qu’il ne faut pas prendre pour plus que ce qu’ils sont, c’est-à-dire avant tout un loisir. Merlot et Gozlan l’ont, eux, très bien compris et ont essayé de le faire comprendre aux plus jeunes afin qu’ils ne tombent pas dans les rets malsains de la compétition sans éthique.

« Aie confiance en toi et maîtrise ta colère. Reste concentré, garde l’équilibre. Et tu pourras vaincre ta peur. »

Si tu travailles bien en respectant les règles, tes adversaires et ton corps, si tu suis bien les conseils de Merlot, tu seras le plus heureux sur le stade ou au gymnase et tu seras peut-être le champion de ton quartier ou mieux… ?

À découvrir sur le site de l’éditeur (+ extraits des chansons)

 

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Mort de rire

Pascal PARISOT

Charles BERBERIAN (illustration)

Didier jeunesse

Mort de rire

Noir, tout noir avec une tête de mort gris sale et des petits personnages rigolards juste caricaturés, la couverture de l’album-disque de Pascal Parisot évoque plus l’ambiance d’Halloween que de la paisible musique pour enfants sages. Mais les petits, plus téméraires que leurs parents, n’hésiteront pas à tourner cette couverture pour découvrir des fantômes, des vampires, des squelettes, des cannibales, des têtes de mort, des grosses araignées poilues, … tous plus drôles les uns que les autres, un peu bonasses, qui terroriseront leurs parents mais ne feront que sourire les enfants mêmes les plus sensibles. Toute une iconographie qu’ils connaissent bien, dessinée, en la circonstance, par Charles Berberian.

Sous cette couverture, ils trouveront aussi le texte des douze chansons écrites et interprétées par Pascal Parisot, ils pourront les écouter ou on pourra les leur lire. Des chansons qui dénoncent le monde des adultes avec les gros bisous qui poissent, les piqûres du docteur, …, ou qui racontent tous les personnages du cirque Oscar dispersés dans l’album : le vampire qui a le blues, Oscar le squelette, Madame Bling, le coq aux haricots, le chat végétarien, …, tout un petit monde de la sphère enfantine que les parents ne connaissent pas bien. S’ils écoutent les chansons bien rythmées, mélodieuses, surtout drôles et plutôt surréalistes, ils comprendront mieux l’univers de leur petit bout. Ces chansons sont très visuelles, l’album est le prolongement d’un spectacle qui a été donné le 15 décembre à 16 h 00 à la Cigale à Paris. Et peut-être que ce spectacle aura un Oscar.

« Un Oscar, c’est fou !

Je ne m’y attendais pas du tout

Une statuette en or

Ça fait chic et ça décor. »

Alors « Mesdames et messieurs, ce soir, au cirque Oscar, dans son nouveau spectacle « Mort de rire », venez trembler, venez claquer des dents devant l’horreur. Fantôme, squelette, araignée, coq sans tête, chat bizarre, cannibales, freaks et vampire seront là pour vous accueillir ». Et si vous avez trop peur serrez fort la main de votre fillette ou de votre fiston, elle ou il saura cours rassurer.

Un bien joli album qui ravira les enfants en leur racontant le monde fantasmagorique qu’il comprenne tellement mieux que leurs parents enfermés dans un univers bien trop étroit. Et quand le livre est fini, il y a encore l’intégrale de l’instrumental de toutes les chansons sur le CD !

À découvrir sur le site de l’éditeur

 

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Chansons d’amour pour ton bébé

Julie BONNIE

Marine SCHNEIDER (illustration)

Le label dans la forêt

Le Label dans la Forêt - Chansons d'amour pour ton bébé - Julie Bonnie

« C’est l’histoire de la première nuit

De toutes les mamans,

De tous les papas,

De tous les humains-aimants

Et de tous les bébés glissants. »

C’est l’histoire du premier jour de bébé racontée en une dizaine de poésies et huit chansons par Julie Bonnie, Julie qui a déjà écrit et chanté dans « Lalala est là ! » l’histoire un peu fantastique d’une petite fille qui part à la découverte du monde avec son regard de nouveau-né. Dans ce présent livre-CD, elle décrit et chante comment bébé vit sa première aventure : le déboulé un peu brutal dans le monde des humains, la découverte de l’entourage, parents, objets alentours, décorations et tout ce défilé de personnes plus ou moins grandes, sans oublier ce petit garçon à l’air inquiet, qui viennent, se pencher sur son berceau. Elle chante le regard des parents, les douces caresses, les petits loups qui dévorent l’estomac,

« Mais tu pleures et j’y comprends rien

Mais tu pleures mon petit bohémien

Mais tu pleures mon bébé indien

Mais tu pleures et j’y comprends rien ».

la douceur apaisante du lait, l’espace brassé en agitant ses petits membres comme dans une première danse, la douceur réconfortante du doudou, les grands que ton arrivée a un peu bousculés.

Julie, c’est une maman qui sait tout faire, elle écrit les poésies et les chansons, elle compose les musiques et chante de sa douce voix ses jolies mélodies. Maman et papa, Mamie et papi et tous ceux qui aiment bébé ne résisteront au charme de cet album joliment illustré par Marine Schneider. Je suis bien placé pour en parler, moi qui ai, au début de l’été, accueilli dans ma descendance une adorable petite princesse qui écoutera avec grand plaisir ces chansons et les textes que je lui lirai, tout en regardant les belles images.

Tous ceux qui ont écouté et lu « Lalala est là ! » retrouveront avec plaisir toute l’équipe qui a réalisé ce nouveau livre-CD, seule l’illustratrice a changé, aux côtés de Julie Bonnie la maman chanteuse, poétesse et musicienne que tous les enfants voudraient avoir.

À découvrir sur le site de l’éditeur ( + extraits des  chansons!

 

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LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 : LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

La lettre est un procédé littéraire qui a été largement utilisé à l’occasion de cette rentrée littéraire, j’ai déjà publié une chronique comportant un recueil de lettres et, aujourd’hui, je vous propose deux textes fondés sur le principe épistolaire : les lettres que MAX JACOB a adressées à Jean-Jacques Mezure de 1941 jusqu’à sa mort tragique en 1944 au sinistrement célèbre camp de Drancy, et la réponse que MÉNÉCEE aurait pu envoyer, selon Frédéric Schiffter, à Epicure après la réception de sa Lettre sur le bonheur.

Lettres à un jeune homme 1941-1944

Max Jacob

Editions Bartillat – Omnia Poche

L

Au printemps 1941, Jean-Jacques Mezure terminait sa formation de céramiste à Vierzon quand un ami lui raconta sa rencontre avec Max Jacob, il décida alors de lui adresser une lettre pour lui exposer toutes les préoccupations qui le tracassaient, en espérant tout au plus une réponse de courtoisie. Mais le peintre et poète lui retourna une longue missive répondant point par point aux questions posées. Une longue correspondance venait de naître, le jeune homme avait 19 ans, l’artiste en avait 65. Jean-Jacques Mezure a conservé miraculeusement ces lettres reçues entre le 27 mai 1941 et le 20 janvier 1944, elles ont été retirées des débris d’un bombardement, cinquante et une ont été sauvées et ont pu faire l’objet d’une première publication en en 2009.  Celle-ci en est la troisième, elle a été établie par Patricia Sustrac.

Dans une note liminaire présentant cette correspondance, cette dernière précise les trois points principaux qui font l’objet de l’échange entre l’artiste âgé et le jeune homme à la recherche de son destin. Elle écrit : « Ainsi les trois piliers de sa vie, la peinture, l’écriture et la foi, entourèrent cet homme vieillissant » durant les trois dernières années de sa vie. L’amitié, l’affection, l’intimité qui se dégagent des lettres du peintre se sont progressivement développées entre les deux correspondants notamment quand ils ont échangé des avis concernant la vocation que le jeune homme pourrait avoir et que Max Jacob lui conseillait de ne pas suivre sans une certitude absolue. La foi et la piété semble des questions fondamentales dans la vie du peintre, plus que la spiritualité que son mysticisme semble avoir quelque peu éluder. Juif converti au catholicisme, il était extrêmement pieux, d’une piété janséniste qui empiétait largement sur sa vie et sur son art.

Ils ont aussi échangé longuement sur l’art, la beauté et l’esthétique, l’aîné recommandant toujours au plus jeune de se méfier de ceux qui monnaient les œuvres d’art. il parle plus de littérature que de peinture qu’il évoque surtout comme une forme de travail et de moyen d’existence. Ils parlent assez peu de la guerre sauf quand elle contrarie leur désir mutuel de rencontre. Jacob à Saint-Benoît-sur-Loire, en retraite mystique, et le jeune homme travaillant à Vierzon, ils sont relativement proches l’un de l’autre mais tout de même fort éloigné si l’on considère les moyens de locomotion existant à cette époque. Ils ne se rencontreront jamais, Mezure renoncera à sa vocation. Ils parleront alors plus d’art et de poésie.

La vie devenant de plus en plus contrainte par l’occupant et la pénurie, Max Jacob faiblit, il ne peut pas s’alimenter suffisamment. Il ne se plaint jamais, supporte la souffrance, l’appelle même.

« Je souhaite les fléaux qui feront de moi un être doux et humble de cœur…. Je souhaite aussi la mort car ma vie est finie et je n’ai plus que troubles et angoisses et déséquilibre aussitôt que je cesse de fixer Dieu ».

S’il ne craint pas la mort, il souffre de celle des siens. Du décès de son frère, de la déportation de sa famille… Sa piété lui permet de supporter la souffrance et la maladie avec une grande force de caractère et beaucoup de courage.

« La maladie est une preuve et une épreuve. Dieu fait souffrir ceux qu’il aime ».

En lisant ces lettres, on a grande envie d’admirer et même d’aduler cet homme de grand talent, d’immense culture, de profond humanisme, de grande générosité et de très forte piété semblant toujours être disponible pour son prochain, et pourtant certains passage de ses lettres le rendent beaucoup moins sympathiques. Il est profondément misogyne, quand Mezure lui parle de son mariage, il lui écrit :

« Il n’y a pas de jours où je ne me félicite de ne pas m’être marié, c’est tout. A cause de la stupidité absolue de toutes les femmes, stupidité reconnue par tous les hommes supérieurs et par l’Eglise ».

Des propos très durs et franchement inacceptables. De même quand il évoque ceux qu’il estime être de mauvais chrétien ou même carrément des mécréants, il écrit:

« Ce sont des Parisiens, un peu trop parisiens, travailleurs et indécents dans leur propos et leurs gestes. un vieux pécheur comme moi n’a pas à les condamner mais je pense que Dieu n’a pas raison d’éviter les malheurs à un peuple aussi peu respectueux de Sa Présence. Ah nous ne méritons pas mieux ! Il faut l’avouer ».

Chacun aurait ce qu’il mérite !

Ces taches ne m’empêchent cependant pas de dire que cette correspondance est très poignante, émouvante, pleine de piété, de foi et surtout de l’affection que Max Jacob éprouve pour ce jeune homme. C’est un excellent témoignage sur ce que fut cet artiste, sur l’esthétique telle qu’il la prônait, sur l’inspiration telle qu’il la concevait, sur sa conversion et sa vision de l’autre vie, celle d’après, et hélas aussi sur son déclin et sa fin tragique. Sa dernière lettre est datée du 20 janvier (1944), il serait décédé le 5 mars dans les prisons nazies alors que ses amis avaient obtenu sa libération pour le 7 mars et certains crurent pendant un moment que cette libération était effective.

Le livre sur le site de l’éditeur

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Le voluptueux inquiet

Réponse à Epicure

Frédéric Schiffter (Ménécée)

Louise Bottu éditions

Il ne reste que très peu d’écrits du philosophe grec Epicure, éponyme d’une philosophie dont la théorie est énoncée en quatre points dans le principal texte de lui qui nous est parvenu : « La lettre sur le bonheur » qu’il a adressé à son disciple Ménécée. Aucune réponse à cette lettre n’était connue jusqu’à ce que Frédéric Schiffter traduise une lettre soi-disant récemment trouvée dans des fouilles près d’Ankara, ou peut-être qu’il l’a tout simplement rédigée par lui-même. Peu importe l’origine du document, l’essentiel est de découvrir ce que Ménécée, ou celui qui a écrit à sa place, a apporté comme réponse au grand philosophe, comment il a argumenté pour contredire, les quatre principes de ce qui est devenu l’épicurisme.

Epicure invite son ami à mener une vie simple, sans excès, ni ambition démesurée pour atteindre l’ataraxie, la sérénité que chaque être humain espère connaître. Il lui enseigne comment éviter les pièges dans lesquels tombent trop facilement les « voluptueux inquiets », ceux qui se laissent tenter par la plaisir et la débauche. Sa théorie se résume en quatre pointes : « ne pas craindre les dieux, ne pas craindre la mort, faire le tri de nos besoins et de nos envies pour ne satisfaire que ceux qui sont nécessaires à notre corps et profitables à notre équilibre, savoir agir avec discernement dans un univers hasardeux en tenant compte de nos expériences ». Schiffter/Ménécée argumente successivement sur ces quatre points en essayant de démontrer que le respect de ces quatre principes n’offre aucune garantie pour atteindre la sérénité.

Ce texte retiendra l’attention de tous ceux qui s’intéressent à la théorie d’Epicure, ils trouveront à la fin de cet opus La Lettre sur le Bonheur et pourront ainsi la comparer avec les objections que l’auteur de la réponse lui oppose. Par-delà la quête de la sérénité, le bonheur tel que le conçoit Epicure n’est peut-être pas celui que l’ensemble des humains recherche, il manque un peu de sel et de piquant. La volupté est peut-être porteuse d’inquiétude mais elle est aussi génératrice de certains plaisirs dont d’aucuns sauraient se satisfaire. Chacun appréciera les objections présentées par l’auteur à la mesure de sa conception de la vie sur terre.

Le livre sur le site de l’éditeur 

 

 

LES LECTURES D’EDI-PHIL #22 : COUP DE PROJO SUR LES LETTRES BELGES FRANCOPHONES

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Philippe REMY-WILKIN (photo : Pablo Garrigos Cucarella)

Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 22 (décembre 2019)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

 

À l’affiche :

Deux pièces de théâtre (Charles Van Lerberghe), des promenades littéraires (Daniel Simon), trois romans (S.A. Steeman, Pierre Hoffelinck et Salvatore Minni), un récit de vie et de deuil (Isabelle Fable) ; les maisons d’édition Espace Nord, Couleur Livres, Librairie des Champs-Élysées, Murmure des Soirs, M.E.O. et Slatkine & Cie ; l’émission Les Rencontres Littéraires de Radio Air-Libre.

 

(1)

Cour de cœur du mois !

Charles VAN LERBERGHE, Les Flaireurs suivi de Pan, théâtre, Espace Nord, Bruxelles, 2019, 155 pages.

Un classique des Lettres belges !

 

Les Flaireurs.

La première pièce, très courte, tragique, ne m’a guère emballé, je l’avoue. Divers personnages viennent frapper à la porte d’une pauvre demeure où vivent une fille et sa mère alitée, malade. L’aînée veut céder aux lois de l’hospitalité, la cadette pressent le danger et s’y refuse… tant qu’elle le peut. Mais c’est la Mort qui s’invite !

 

Laissons la première œuvre publiée par l’écrivain pour nous pencher sur l’ultime (il y travaillait encore peu avant sa mort).

D’abord, un mot sur Charles Van Lerberghe, « un écrivain majeur du symbolisme belge », ce qui nous ramène vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe. On nous l’avait présenté à l’université (durant mes études de Lettres à l’ULB, j’avais un cours sur la littérature belge), mais il a été éclipsé par Verhaeren (en poésie), Rodenbach ou Lemonnier (côté roman), Maeterlinck (en théâtre).

 

Pan.

Eh bien, c’est… excellent ! Ce drame satyrique (avec un y !) en trois actes m’a rappelé la tonicité de La Fiancée du pirate, un film de Nelly Kaplan (1969), où Bernadette Laffont jouait les trouble-sens dans un village empuanti par l’hypocrisie bourgeoise. Ici aussi, l’irruption d’un élément de distorsion bouleverse le quotidien morne et veule d’une petite communauté enchâssée dans la morale et la religion (dans leurs versions les plus conformes et frelatées). Un élément osé, avouons-le : un dieu, ni plus ni moins, Pan, qui s’échappe des limbes où l’avait confiné l’Eglise triomphante pour rallumer la flamme du paganisme. Et l’amour de s’exhaler, les vêtements de voltiger, le vin de couler ! Et tous et toutes, progressivement envoûtés, de se mettre à danser, chanter, etc.

Nudité, ivresse, joie. Inadmissible pour le bourgmestre, l’instituteur, l’abbé, le garde-champêtre et les autres représentants de l’ordre. Pas pour les humbles paysans Pierre et Anne, qui ont accueilli l’étranger si étrange (ses oreilles pointues, sa queue, etc.) avec bonhommie puis allégresse, se sont attendris devant ses amours avec leur fille.

Pan nous demeure invisible mais nous percevons les effets de son passage, nous vivons surtout de plain-pied les mille et un échanges qui agitent l’assemblée des notables, des allures de procès en sorcellerie. Heureusement, l’air, ici, est comique. L’abbé a beau avoir une apparence de Torquemada, le bourgmestre rappelle le maire de Champignac. Et ajoutons une pincée de disputailles à la Peppone/don Camillo.

C’est enlevé et très amusant, même si le rire dissimule une fable sur la tolérance et la véritable humanité. Et puis il y a notre étonnement devant un brûlot anti-Vieux Monde qui date d’il y a plus d’un siècle :

« Dites-leur bien qu’il est défendu, sous peine de mort, je veux dire sous peine de péché mortel, de toucher aux fruits de ce jardin. »

Parbleu ! On se croirait projeté en pleine ère hippie. Peace and Love, tout ça. Tout ce qui est étriqué, figé, fermé est condamné. Il faut ouvrir portes et fenêtres, laisser entrer l’air et… l’errant :

« Je ne demande jamais le nom des gens. Leur figure me suffit. »

Cette pièce est un cri d’amour en direction de la nature. Un étendard pour les écolos, les partisans de Greta Thunberg et autres ? Disons : modernité, santé, humanité.

Au détour d’une page, j’ai même failli apercevoir enfin Godot :

« – Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici ?

  • Attendre quoi ?
  • Je n’en sais rien. 
  • C’est bon. Je ferai mon rapport. »

Bref, un texte remarquable qui réévalue le mot « classique », le recolore dans toute sa noblesse INTEMPORELLE.

 

(2)

Daniel SIMON, Positions pour la lecture, Couleur Livres, Mons, 2019, 136 pages.

Positions pour la lecture, une lecture de Martine Rouhart...

Le sous-titre renvoie à un contenu singulier. Il n’est pas question d’un roman ou d’un recueil de nouvelles, ni d’un essai ou d’un témoignage mais de Promenades, soit d’un ensemble de textes, d’articles tournant autour du rapport à la lecture ou à l’écriture, des ateliers d’écriture aussi. Avec, en guise de bonus, une micro-interview de l’auteur.

Je ne suis pas à l’aise face à ce type de livres, mes appétits et mon expertise se conjuguant au grand large, à la structuration ample, etc. Je dois donc m’adapter, quitte à perdre l’essentiel de mes compétences, quitte à perdre ma passion pour l’immersion. Comme si l’on m’arrachait à une journée de randonnée menant à 3000 m et à un col prestigieux pour m’offrir un sentier botanique. Apprendre à goûter autrement. Par petites bouchées. Qui peuvent, toutefois, être intenses.

Et de fait. On a ramassé au fil de la lecture, de ses bonds et rebonds, une manne de pépites d’or.

Il y a de purs bonheurs de lecture. Des gorgées où la voile du sens est gonflée par la notation poétique :

« Ecrire, c’est souvent se ramasser endolori de chutes infinies. » ;

« (…)  je m’allongeais un peu près de vous, dans la poussière, sans la matière, dans la poussière de Gutenberg . » ;

« Ecrire, et lire, ces temps suspendus, seraient une forme de barrage contre le temps mou, le temps moche, le temps émietté. »

En tant que créateur, j’ai eu plusieurs fois, et même souvent, la sensation d’un fanal allumé sur une autre bateau, celui du collègue averti, au creux du brouillard, des ténèbres, touché alors aux joies de l’empathie, de la sympathie :

« Ecrire long, c’est aussi une façon de marathon où toutes les qualités de l’écrivain sont requises : sa capacité technique à scénariser son récit, la construction des personnages, l’écho de l’époque, l’inscription d’un sous-texte, ample et généreux, un style aux multiples changements de vitesses. » ;

« Aimer la lecture…et les livres, s’en faire le berceau d’une vie jusqu’à son lit de mort, est une façon de tenir Fort Alamo contre les armées mexicaines du cynisme, de la vulgarité des rapports, de la grossièreté morale, des confusions de tous genres, des velléités de pacotille et des courages en papier doré de la politique estropiée par la peopolisation. »

Daniel Simon compare ici les lecteurs (et, plus loin, les auteurs) à des résistants, lui qui rechigne pourtant, habituellement, aux positions héroïques des acteurs du livre, arguant à raison, mais pas tout à fait, d’une disproportion entre les actes ou dangers celés derrière un fauteuil et les misères du monde réel.

Plus loin Daniel Simon creuse encore l’image Alamo, lyrique :

« Alors, nous, à Alamo, on regarde l’horizon et on se dit qu’on ne nous aura pas comme ça. On prend son temps, on se (re)fait des amis, on apprend à relire, on murmure un texte pour soi, tellement c’est beau et qu’on voudrait aussi l’entendre de l’extérieur de soi. »

Daniel Simon rejoint une métaphore qui nous est très chère, celle des flambeaux au milieu des ténèbres, en tout temps et à toute époque, qui brandissent l’étendard de l’espoir, préservent en une réserve comme qui dirait secrète, ou trop peu fréquentée disons, la survivance du Bien, du Bon, du Beau :

« Tout va bien. Il paraît que des Alamo un peu partout s’organisent, sans les corps intermédiaires de la Culture, eux, ils ont depuis longtemps rejoint l’armée mexicaine… »

Un combat aux résonances actuelles, quand on se réunit pour débattre du sort du livre en FWB, quand les politiques flamands songent soudain à détruire l’appui à la culture, à l’identité que nous envions à nos voisins et compatriotes les plus exotiques.

Daniel Simon, lucide et sans doute parfois amer, ose discriminer le bon grain de l’ivraie. Tantôt, à la manière d’un Eric Allard (Les écrivains nuisent à la littérature) : « (…) le plus curieux, c’est cette façon, à peine un texte est-il paru, de se présenter comme écrivain. » Tantôt nous désignant la voie : « Quittons les vrais purs menteurs et les vrais sincères faux-culs pour aller vers les hommes incertains et qui doutent. »

Notre art est interrogé :

« A quoi distingue-t-on toute décadence littéraire ?  A ce que la vie n’anime plus l’ensemble. Le mot devient souverain et fait irruption hors de la phrase, la phrase déborde et obscurcit le sens de la page, la page prend vie au détriment de l’ensemble : le tout ne forme plus un tout. »

C’est du Nietzsche (Le cas Wagner) et pas du Simon, mais la citation est ô combien heureuse ! Elle illustre notre conception du roman. Se dégager du détail mesquin pour s’ouvrir de grands horizons et d’amples perspectives. Elle met en évidence le danger d’une focalisation sur l’outil ou une information partielle au détriment de l’objectif, de la substance, du tableau complet.

Oui, l’écrivain est un frère, qui dit ceci : « Il y a deux sortes de lecteurs. Il me semble qu’il n’y en a que deux : les lecteurs qui vont vers ce qu’ils connaissent déjà et trouvent dans cette reconnaissance des signes, des sentiments des situations, des personnages, une sorte de consolation une forme de soutien ; et ceux qui picorent un grain encore inconnu, quitte à se piquer le gosier… »

Je diviserais la première catégorie entre les chercheurs de sympathie (et d’approfondissement du moi) et les auto-complaisants, qui ne souhaitent rien tant que de se voir conforter dans leurs certitudes, une tribu ô combien dangereuse, engluée dans le clanisme, l’égocentrisme et le narcissisme, la médiocrité. Daniel Simon semble rejoindre mon point de vue :

« Il existe des livres qui rendent des amours impossibles, qui nous forcent à reconnaître que si quelqu’un trouve plaisir dans cette littérature-là (ou aime les moules au chocolat, la langue basse des à peu-près, les passe que, à cause que, ou les vins en cannette…), pour nous, c’est foutu ! »

On terminera cette esquisse, avec une observation destinée à une élève d’atelier, Daniel y endosse des allures de Rilke s’adressant au jeune poète. Une vraie leçon de création, une initiation à sa mystique :

« Commencer un texte se passe souvent, que ce soit dans l’arrière-cour d’une longue préparation, de notes prises et projets, par une parole, une image, un dialogue qui font que, soudain, vous sortez de ce que vous prépariez, vous êtes surprise, vous devez profiter de cet étonnement, ne pas l’éteindre d’un effet, d’une secousse qui viendrait déranger cet instable moment que vous êtes en train de créer ; laissez- vous gagner par ce qui se creuse ou se déplie à l’intérieur de cet instant de début, le reste, la suite, viendront… »

Vous voilà mis en appétit ?

À déguster, comme un alcool fort ou un café rare, par petites gorgées, que vous laissez se faufiler lentement en vous.

 

(3)

Stanislas-André Steeman, Six Hommes morts ou Le dernier des Six, roman policier, Librairie des Champs-Elysées, Paris, 1941, 252 pages.

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Un classique du roman policier belge !

Mon ami Guy Stuckens, lors d’une précédente salve des Rencontres Littéraires de Radio Air-Libre, m’a offert un vieil exemplaire du Grand Prix du Roman d’Aventures 1931. Un livre adapté au cinéma, dont j’avais cependant et heureusement oublié la trame et le dénouement.

On parle d’un auteur aujourd’hui méconnu, le père de l’humoriste Stéphane Steeman, qui, en compagnie de Jean Ray et de Thomas Owen, est souvent cité dans les cénacles experts comme un représentant majeur d’un certain courant des Lettres belges francophones, ayant brillé dans une littérature de genre (policier pour celui-ci, fantastique pour les autres), dont les véritables héritiers ont peut-être été naguère en nos terres des auteurs de BD.

Steeman mérite, comme les deux autres, d’être redécouvert, loué, lu, transmis, réhabilité. Et, de fait, j’ai évoqué précédemment dans Les Belles Phrases un autre roman de S.A.S., que j’estime fort supérieur, qui a d’ailleurs été intégré à la collection patrimoniale belge Espace Nord, à propos duquel je confessais mon éthique littéraire et quelques références :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2019/01/19/le-coup-de-projo-dedi-phil-sur-le-monde-des-lettres-francophones-belges-8/

J’ai attaqué ce roman avec beaucoup d’appétit. Et plongé aisément dans l’intrigue. Très romanesque.

Six amis, cinq ans plus tôt, ont décidé de prendre le large, vers l’étranger et l’aventure, et se sont donné rendez-vous à une date qui coïncide avec les premières pages. Des retrouvailles fort singulières : connaissant l’aléatoire de la vie, ils additionneront les fortunes accumulées et les partageront en bons (NDA : excellents) camarades.

Le récit commence dans la foulée de Georges Senterre, l’un des Six, qui a acquis une immense fortune, des premières retrouvailles, avec Jean Perlonjour, qui est resté pauvre. Ils attendent les autres, en premier lieu Gernicot et Namotte, qui reviennent de Chine sur un paquebot. Mais ne voilà-t-il pas que tombe un télégramme annonçant la mystérieuse chute à la mer (et disparition) de ce dernier ? Ne voilà-t-il pas que le premier débarque affolé, persuadé qu’on a tué son ami, qu’une menace infernale rôde autour des signataires du pacte ?

On devine la suite (le titre dit tout !). Un assassin (un génie du crime même, à la Moriarty !) va s’évertuer à éliminer les six jeunes hommes pour accaparer leur fortune collective. Mais qui ? Un élément extérieur mis au courant du serment ? L’un des Six ?

Pour corser l’affaire, un brillant inspecteur, Monsieur Wens (personnage récurrent) et une femme fatale aux attraits exotiques, Asuncion.

C’est bien écrit, amusant ou angoissant, enlevé, fluide :

« M. Herbert Voglaire, juge d’instruction, avait pris place près de la fenêtre du salon, derrière une petite table sur laquelle il avait posé, bien en évidence et comme pour en prendre avantage, une serviette de maroquin bourrée de paperasses. »

On ne s’ennuie pas un instant, transporté dans une variante des aventures de Sherlock ou Rouletabille (qui me sont infiniment chères), distillant moultes scènes de suspense, d’action, de cogitation. Tous les ingrédients d’un film somptueux sont sur la table.

Ce récit, toutefois, fait bien pâle figure par rapport à La Maison des veilles évoquée ci-dessus. Les personnages et les décors sont en carton-pâte ; l’enquêteur et les victimes manquent sacrément d’imagination. Pour ma part, cocorico !, j’avais découvert le pot-aux-rose dès les premiers chapitres, les premiers événements, les indices m’explosaient au visage (ou au bon bout de ma raison). Mon esprit a été surentraîné/corrompu par la lecture/vision de milliers de policiers ou thrillers ? Certes, mais…

 

(4)

Pierre HOFFELINCK, Les Héritiers de Portavent, roman, Murmure des Soirs, Esneux, 134 pages.

Irina et Pavel ont passé leurs étés d’enfance/adolescence, des étés apparemment enchanteurs, dans le domaine de Portavent, auprès de Tante Olga. C’était il y a bien longtemps, plus de vingt ans, ils se sont perdus de vue, mais le décès de la propriétaire les mue en héritiers, ils se retrouvent sur place, seuls, à devoir décider du devenir des lieux. Et de leurs avenirs à tous deux, en corollaire.

Le roman débute de manière feutrée et sensitive, sur les pas d’Irina. L’écriture est travaillée, avec l’infiltration d’un vocabulaire rare sinon précieux (« jacquemart », « haridelle », « amatie »). La nostalgie souffle, le charme opère, entre madeleine de Proust et connivences/tonalités à la Hauts-de-Hurlevent. Même si la configuration du site alerte :

« La particularité du château était d’être construit sur un immense réseau de galeries souterraines – reliques, selon la légende, d’une ancienne abbaye troglodyte du haut Moyen-Age – auquel on accédait par les caves. C’était le terrain de jeu préféré de Pavel et il en connaissait tous les secrets. »

Une belle atmosphère, traversée de nuances gothiques, s’est insinuée mais il ne se passe pas grand-chose durant les trente premières pages : on revisite quelques souvenirs, qui se croisent ou se décroisent, on émet des considérations sur le temps qui passe, les vies qui s’effritent… On remarque aussi une irrégularité d’écriture, les dialogues s’avérant peu naturels :

« Mais je refuse de céder à la facilité des idées convenues. Notre Portavent, nous l’avons construit nous-mêmes. Et c’est par nous qu’il vit encore. Ne sens-tu pas comme une résonance entre lui et nous. »

Une maladresse accentuée par la longueur/pesanteur de trop nombreuses tirades. Contrebalancée par des beautés d’expression :

« C’était un silence sans intrigue, sincère et harmonieux, qui nous entraînait à la lisière d’une délicieuse somnolence. »

D’un coup, la narration se tend. Irina laisse entendre qu’elle ne vient pas s’installer à Portavent mais lui dire adieu, elle compte vendre, se reconstruire avec l’héritage. Premier basculement. Pavel ne s’y attendait pas et semble courroucé. Un peu plus tard, en l’absence de son cousin (lointain), elle s’aventure à jeter un œil à sa chambre, à ses affaires. Deuxième basculement : il cache un revolver sous son matelas. Et détail indiciel : il se teint les cheveux. Autrement dit : il n’est pas tout à fait ce qu’il s’évertue à paraître. Anodin ? Non, la distorsion va commencer, les souvenirs se craqueler, les personnages se démasquer, s’éloigner, l’utopie s’évanouir pour laisser s’infiltrer des notations de plus en plus glauques, un parfum de fantastique ou de thriller.

Mes conclusions ? Ce récit dégage du charme et des qualités, d’écriture et de narration, mais ses élans sont inachevés.

 

(5)

Isabelle FABLE, Ces Trous dans ma vie, récit, M.E.0. Bruxelles, 2019, 199 pages.

Ces trous dans ma vie

Il est difficile d’évoquer un livre dont le sujet est la mort des proches de l’autrice : ses parents, son mari et son fils aîné. Allez émettre des considérations sur l’écriture, l’équilibre des parties, votre intérêt pour certains passages et votre malaise face à d’autres !

Comme ce n’est pas un livre banal, comme chacun d’entre nous se retrouve un jour hélas confronté à ces drames et enjeux, je vais m’abstraire d’une analyse/recension et céder plutôt la parole à celui qui a choisi de publier cet ouvrage, Gérard Adam :

« La mort est, avec l’amour et la souffrance, un des grands thèmes de la littérature. Mais, curieusement, le deuil est rarement traité. J’ai apprécié ce cri d’Isabelle Fable. L’écriture n’est pas proustienne, mais elle est juste, et c’est rarement le cas dans la littérature francophone contemporaine, obnubilée par la recherche d’originalité. C’est un des grands défauts du parisianisme (« Je n’ai rien à dire, mais qu’est-ce que je le dis de façon géniâââle ! ») – bon, là, je caricature –, qui cadenasse la littérature française depuis le Nouveau roman et réduit année après année sa pénétration mondiale.

L’approche aussi est très juste, avec les modes de défense plus ou moins conscients, le rejet de l’impuissance sur l’incompétence ou l’inhumanité des soignants, le recours à une pensée magique (j’ai tout un temps évolué dans un milieu où la numérologie jouait un grand rôle, j’ai beaucoup réfléchi et observé). J’ai aussi, dans ma profession (NDA : Gérard a été médecin dans une autre vie), accompagné des deuils. Et j’ai pu constater l’obnubilation fréquente sur les derniers moments, au détriment des souvenirs heureux, qui remontent bien plus tard. La souffrance du manque occupe tout le terrain, se raccrocher aux bons moments vécus est comme une trahison.

Le récit (ce n’est pas un roman !) exprime remarquablement le sentiment d’impuissance et de fatalité. Il est aussi pour un lecteur qui serait confronté à un deuil pénible un point d’ancrage dans la résilience. Gabriel Ringlet, qui signe la belle préface et sait de quoi il parle, ne s’y est pas trompé. Il donne enfin – et ce n’est pas la moindre de ses qualités – un témoignage poignant sur la situation de l’artiste incompris. Et nombre d’écrivains belges d’expression non parisienne peuvent s’y retrouver. »

 

(6)

Salvatore MINNI, Anamnèse, roman, Slatkine & Cie, Paris, 2019, 281 pages.

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Voir ma recension du deuxième roman de ce jeune auteur, un thriller, dans Le Carnet :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/11/15/minni-anamnese/

Je relis, par curiosité, ce que disait l’excellent Nicolas Marchal du premier roman de Salvatore :

« Salvatore Minni a tout d’abord publié Claustrations à compte d’auteur, puis a proposé son livre aux éditions Nouvelles Plumes, après l’avoir remis sur le métier. Nous n’avons pu comparer les deux versions, mais il nous semble qu’il reste encore bon nombre d’adjectifs redondants, de passages un peu trop explicites, et de scènes de réveils après un cauchemar. Gageons qu’il ne s’arrêtera pas là, que l’expérience du premier roman sera sa plus solide leçon, et souhaitons-lui une belle route. »

La critique pouvant, dans le meilleur cas, assurer un rôle de coaching littéraire, je confirme le diagnostic d’un auteur plein d’allant qui n’arrive pas encore à s’extraire de ses modèles, qui cherche un peu trop à épater sans suffisamment raffiner ses effets.

Inter nos, Salvatore, n’écoutez pas les flatteurs et travaillez votre instrument, tous les ingrédients (écriture, personnages, scènes), vous pouvez/devez viser plus haut, à la hauteur de votre (excellente) idée de départ et de votre enthousiasme ! Et sachez que je suis passé par là avec mon premier roman, une sorte de grande bouffe du genre (thriller ésotérique dans mon cas), étonnamment applaudie par beaucoup (lecteurs et journalistes) : j’ai préféré retenir la leçon avisée du critique Ghislain Cotton, la seule à contre-courant pourtant, et j’ai franchi un premier palier. Avant un deuxième lors de mon troisième roman. L’expertise, en nos métiers, demande du temps, beaucoup de travail et une volonté d’en découdre, de progresser. Ceux qui sont en avance de maturité, souvent, calent très tôt et n’ont de cesse de se répéter.

 

(7)

Les Rencontres Littéraires de Radio Air-Libre.

Suivez nos chroniques littéraires radiophoniques, une fois par mois, le troisième lundi, en duo avec Daniel Simon, au micro de Guy Stuckens. Voir la page Facebook de l’émission (et n’hésitez pas à vous y inscrire !) :

https://www.facebook.com/groups/651047755384427/

 

Edi-Phil RW

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 44. METTEUR EN JOUE

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Le metteur en joue se distingue du metteur en nez qui ne pense qu’à humer et du metteur en bouche qui n’aspire qu’à bouffer.

Mais listons les différents metteurs en lice…

Le metteur en Seine plonge le spectacle (parisien) dans le fleuve (de la critique).

Le metteur en chaînes rockabilise le rendement.

Le metteur en liste multiplie les classements.

Le metteur en chair rapièce les vieilles peaux.

Le metteur en sphères fait tourner les boules ensemble.

Le metteur en jour roule sur l’aube.

Le metteur en vers coupe les phrases au tranchant de sa plume.

Le metteur en scène organise les regards.

Le metteur en joue, pour revenir à lui, n’est qu’un exécutant. Il tire et advienne que mourra.

Le metteur en joue n’en est pas moins un sensible qui aime le bruit de la détonation, l’effet de recul de l’arme contre l’épaule et l’ébranlement qui s’empare du corps à l’idée de délivrer un message frappant, fût-il mortel.

Non content d’être un tactile, un palpant (mais non un peloteur, il n’est pas lubrique), le metteur en joue est un bosseur. Si, par la force des choses, pour gagner son vin et vaincre sa timidité, il accepte un boulot manuel, nul doute qu’il éprouvera fugacement mais de manière vive et durable le contact de la crosse de fusil contre la joue avant d’appuyer sur la gâchette.

Pour combler l’attente le séparant d’une nouvelle exécution, il porte au visage tout ce qui lui rappellera ce doux moment : tasses, fruits, femmes, fleurs, livres, pierres, pommes, poires, smartphone… Pour en éprouver la douceur, le velouté, la chaleur, l’agrément.

Le metteur en joue est un délicat et un hypersensible, doublé d’un méticuleux, comme vous l’aurez compris. La preuve : son geste accompli, il pose la joue, en un geste tendre sur le cœur de sa victime pour s’assurer du travail bien fait, d’un sérénité retrouvée.