2020 – LECTURES POUR COMMENCER L’ANNÉE : BALADES TOKYOÏTES / La chronique de Denis BILLAMBOZ

Le TOP 5 de DENIS BILLAMBOZ
Denis BILLAMBOZ

Un roman, un récit de voyage, un livre illustré en forme de guide culinaire, trois invitations à découvrir Tokyo en dehors des circuits touristiques. Partir dans le métro avec Jirô Asada où son héros fait un AVC. Mettre ses pieds dans les pas du grand auteur Atukagawa avec Alexandre Bergamini essayant de faire le deuil de son frère disparu depuis longtemps ou accompagner Yôko Hiramatsu dans sa recherche des endroits où l’on mange le mieux à Tokyo. Tout un programme que je déroule dans cette chronique inspirée par des livres édités chez Picquier.

 

L’ombre d’une vie

Jirô Asada

Editions Picquier

 

Ombre d'une vie

 

Jeune employé, j’ai connu un collègue plus âgé victime d’un accident cardiovasculaire resté plusieurs jours dans le coma sans pouvoir faire comprendre à son entourage qu’il entendait tout ce qui se disait autour de lui. Masakazu Takewaki connaît cette même mésaventure quand il est lui aussi victime d’un AVC dans le métro de Tokyo en rentrant chez lui après le pot organisé par ses collègues pour son départ à la retraite. A l’hôpital, il entend la voix du Directeur Général, un ancien voisin et ami ; celle de son gendre et de son employeur meilleur ami de Masakazu ; et aussi celle de sa femme qui le supplie de ne pas partir maintenant. Ses proches racontent leur vie, sa vie, les morceaux qu’ils ont partagés ensemble, évoquent ce que les autres ne savent pas et ce qu’eux-mêmes n’ont jamais su mais seulement supposé. Ces monologues et les réponses que le moribond adresse aux lecteurs, en italique dans le texte, sont l’occasion d’évoquer l’autre face de la vie, la face dégagée de toutes les obligations professionnelles, de montrer la puissance de l’emprise du monde du travail sur les citoyens japonais.

Et, un jour, Il se réveille en présence d’une élégante vieille dame qui dit s’appeler Madame Neige, il ne connait pas cette étrange grand-mère, elle l’invite à boire un café hors de l’hôpital. Il sort alors de son corps moribond pour l’accompagner. Cette aventure se renouvelle avec une belle femme au bord de la mer puis avec Katchan, son voisin de lit, avec lequel il va au bain comme autrefois et enfin avec la jeune et superbe Fuzuki Koga. La femme qui l’accompagne est de plus en plus jeune, comme s’il remontait le temps, comme s’il retournait vers ses origines inconnues. L’auteur fait alors dire à son héros :  ces personnages ont été « créés afin que mon histoire soit plus empreinte de naturel que dans la réalité virtuelle. Je parierais que telle est la véritable nature des « anges » et des « fées », ces entités à l’ambiguïté autant religieuse qu’ésotérique ». Comme si l’auteur lui-même était convaincu qu’il existe un autre monde où les morts existent et attendent ceux qu’ils ont connus et aimés.

Asada conduit son récit avec maestria, trouvant dans le présent ceux qui racontent l’histoire complexe de cet employé parti de rien qui a masqué ses origines pour ne pas entacher son curriculum vitae et ne pas prendre le risque d’être rejeté pour ses origines nébuleuses. Ceux aussi qui racontent comment il a fondé une famille solide et soudée, surmontant son éducation dans un orphelinat, épousant une fille de divorcés, sauvant l’honneur de tous par son courage, sa détermination, son obstination, cachant qu’il ne sait rien de ses géniteurs. Dans le Japon d’Asada, il faut avoir une famille bien nette, bien propre, honorable pour accéder à un bonne situation professionnelle et ainsi donner les meilleures chances à sa famille. La boucle qu’il faut sans cesse reboucler.

« Je suis l’homme de la famille et c’est moi le responsable. Il est vraisemblable que notre génération sera la dernière à invoquer des principes aussi désuets. Il se peut que je sois le seul, qui sait ? Pourtant, je m’obstine à croire en ce schéma de paternité hérité du passé… »

Et, c’est dans l’autre monde qu’il trouve les personnages qui vont accompagner le héros sur le chemin de son enfance pour, peut-être, mieux comprendre ses origines. Un autre monde où le héros se déplace souvent par le métro qui semble être le réseau vital qui irrigue cet autre monde et lui permet de se déplacer aussi bien dans l’espace que dans le temps pour rencontrer ceux qui l’ont accompagné tout au long de sa vie. L’aspect fantastique de ce récit est peut-être le plus concret, le plus réel, celui qui évoque des réalités même s’il s’agit de réalités virtuelles comme l’écrit l’auteur.

Ce livre est un véritable plaidoyer pour la famille que même les aléas de la guerre qui fabrique des orphelins en quantité, que même l’insouciance des parents qui divorcent sans se préoccuper du sort des enfants, ne peuvent pas contester. La famille restera toujours le cocon où chacun peut se ressourcer et où tous peuvent afficher leur honneur si précieux dans la société japonaise. C’est un portrait de cette société qui n’a pas oublié son passé, un portrait où j’ai retrouvé des traits de plume de Kawabata, de Oé, d’Inoué, de Kafu et de nombreux autres auteurs japonais que j’ai eu la chance de croiser dans ma vie de lecteur insatiable. C’est aussi un puissant message adressé aux jeunes génération pour que jamais elles n’abdiquent même devant les pires difficultés, à l’image du jeune homme qu’il était « grâce à toi, j’ai pu racheter entièrement mon triste passé et il me reste même encore de la monnaie ».

Ce livre c’est aussi un roman d’amour plein de tendresse, d’émotion et de spiritualité. La scène de nativité dans le métro est merveilleuse et bouleversante, elle transcende la tradition en faisant intervenir des GI, en forme de rois mages, qui chantent en anglais la fameuse chanson de Noël, « Silent night, holy night, » qu’on chante partout dans le monde à l’occasion de cette fête, donnant ainsi une dimension universelle et biblique à ce texte.

Le livre sur le site de l’éditeur 

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Vague inquiétude

Alexandre Bergamini

Editions Picquier

 

Vague inquietude

 

Trente-huit ans qu’il a perdu son frère et on a le sentiment qu’il n’a jamais fait le deuil de ce frère adulé. Ce cinquantenaire français entreprend alors un voyage au Japon, un pays qu’il aime particulièrement, où fleurit une littérature qu’il admire, notamment les textes de celui qui a laissé son nom au principal prix littéraire japonais : Ryünosuke Akutagawa. C’est donc sur les pas de ce grand écrivain qu’il parcourt les rue de Tokyo, principalement dans le quartier où est érigé le Kokugikan, le temple du sumo, où a longtemps résidé Akutagawa. Il ressent la même douceur, la même tranquillité, la même paix que celle que Yôko Hiramitsu dépeint dans sa déambulation gastronomique : « Un sandwich à Ginza ». Atteint, comme son idole japonaise, d’une hypersensibilité des cinq sens, l’auteur ressent des « sensations douloureuses, vibratoires, thermiques et tactiles » fortement affectées. Il se dépeint comme Akutagawa se décrivait : « Un hypersensible asocial. Je n’ai pas de principes, je n’ai que des nerfs… ». Cette hypersensibilité qui l’a sans doute empêché de faire son deuil, ce deuil qu’il voudrait accomplir à travers ce voyage dans le Japon traditionnel dépeint par les grands auteurs classiques : Kawabata, Inoué, Kafu, Soseki, Mishima et bien d’autres encore, comme le pays de la sérénité, du calme et de la beauté naturelle.

« Je n’ai jamais trouvé une terre où vivre en paix ; j’ai vécu difficilement ailleurs alors que je me serais épanoui au Japon », où paradoxalement son idole n’a pas pu vivre puisqu’il s’est donné la mort, confie l’auteur qui ajoute : « « Tout est à la fois si réel, incarné, et correspond tellement à mon désir le plus profond, le plus enfoui ». Et c’est rempli de ces sentiments et impressions qu’il entreprend un voyage initiatique au pays des ours agressifs dans la montagne centrale, une région rude, presque désertique mais où la nature est restée pure comme à l’origine. Une nature et un voyage qui évoquent la fameuse nouvelle de Schichirô Fukazawa : « Etude à propos des chansons de Narayama »  que tout le monde connait depuis qu’elle a été portée à l’écran.

Ce voyage c’est une confrontation de l’auteur avec lui-même, avec le deuil qu’il n’a pas pu, su, faire, un ressourcement, une régénération, une expédition thérapeutique, une introspection curative au contact de la beauté originelle : « Nous sommes ce que nous regardons. Ce que nous regardons nous regarde à son tour. Nous devenons ce que nous contemplons ». Mais aussi une redécouverte de la littérature nippone, de ses chefs-d’œuvre et un retour vers l’écriture, l’acte d’écrire, l’envie d’écrire, le besoin d’écrire. « Ecrire un livre qui s’ouvre au monde, un livre qui ouvre le monde en soi et vous serre le cœur ». Un livre pour faire la paix en soi, pour faire enfin son deuil, vivre dans le calme et la sérénité, vivre en paix avec soi-même. Oublier cette « Vague inquiétude » qu’aurait évoquée, selon certains, Akutagawa avant de se donner la mort.

Ce livre c’est une allégorie du Japon traditionnel, du calme et de la sérénité qu’il dégage, de la quiétude qu’il peut insuffler à ceux qui savent le contempler. Mais, ce Japon n’est pas le seul Japon que j’ai rencontré dans mes nombreuses lectures nippones, il existe, face à ce pays idyllique né de la tradition sanctuarisée par les shoguns, un autre Japon beaucoup moins irénique : le Tigre asiatique qui cherche encore à dévorer l’économie mondiale même si, sur ce terrain, désormais la Chine et ses satellites le concurrencent férocement.

Le livre sur le site de l’éditeur 

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Un sandwich à Ginza

Yokô Hiramatsu

Editions Picquier

 

Un Sandwich à Ginza

 

L’auteure, critique culinaire de profession, revisite dans cet ouvrage les chroniques qu’elle a écrites pour une revue japonaise. A mi-chemin entre un recueil de recettes de cuisine et un guide de voyages gastronomique, cet ouvrage se présente comme une déambulation gourmande dans les établissements de Tokyo et autres villes réputées pour leur tradition culinaire. Il « rassemble les douze premiers épisodes d’une série publiée dans la revue All Yomimono sous le titres « Saveurs d’aujourd’hui ». Il est parsemé de dessins présentés comme les cases d’une bande dessinée matérialisant les plats que l’auteure essaie de décrire avec la plus grande précision. Yokô Hiramatsu, l’auteure, remercie très chaleureusement le dessinateur :

« Les mots ne suffisent pas à exprimer ma gratitude à Taniguchi Jirô, qui a accepté d’illustrer cet ouvrage. Chaque trait et chaque blanc de ses dessins lui insufflent une puissance indicible ».

Chacune des chroniques présentées est composée d’une description très sensuelle du lieu où l’auteure a mangé ou bu ou encore qu’elle a simplement visité pour transmettre au lecteur la mémoire du site, sa légende, la cuisine qu’il proposait ; parfois une indication sur la végétation et plus souvent une autre météorologique. Cette publication est une véritable œuvre de mémoire, de nostalgie gustative, la perpétuation du Japon légendaire avant qu’il s’enfonce dans la consommation effrénées de produits standardisés et banalisées. L’auteure donne avec un luxe de détails et de précisions la composition des divers menus proposés, ils sont très nombreux dans les restaurants japonais, la constitution de chacun des plats allant parfois jusqu’à la recette complète, divulguant même certains secrets de fabrication. Yokö Hiramatsu ne se contente pas d’évoquer la cuisine, elle évoque aussi abondamment des boissons, bière (elle consacre un passage fort élogieux à la bière belge) et saké surtout, qu’elle déguste avec beaucoup de gourmandise mais avec mesure bien évidemment. Elle est tellement enthousiaste, si convaincante, si gourmande qu’elle pourrait convaincre un Occidental comme moi très peu attiré par la nourriture orientale même quand elle est dite gastronomique.

Yokô Hiramatsu prône une cuisine composée de produits naturels qu’ils soient végétaux ou animaux. C’est une écologiste mais une écologiste gourmande, elle vante la consommation de produits naturels, meilleur gage de bonne santé et de bon goût. Elle ne pense pas que manger de la viande soit une insulte au règne animal, au contraire, pour elle « manger de êtres vivants, c’est pour l’homme une façon de marquer son respect envers la nature, de lui dire sa gratitude, de l’accompagner ». Elle est bien loin des différents courants alimentaires qui envahissent nos médias sans le moindre respect pour l’avis des autres. Les « végans » et autres chipoteurs feraient bien de lire attentivement ses conseils culinaires avant d’asséner ce qu’ils croient être des vérités universelles. En lisant ce livre et celui de Lu Wenfu, le célèbre auteur chinois de « Vie et passion d’un gastronome chinois », le lecteur aura un autre regard sur la gastronomie orientale et, plus généralement, sur la manière de se nourrir.

Ces chroniques sont écrites avec douceur et sensualité, elles évoquent une gourmandise très raffinée, très raisonnable, l’auteure décrit l’art de bien manger, de manger avec plaisir sans jamais se goinfrer même si son assistant fait parfois preuve d’un solide appétit. Elle semble toujours baigner dans une ambiance onirique et bienheureuse comme si le fait de se nourrir en respectant la tradition japonaise assurait à chaque jour joie et bonne humeur. Ce livre c’est un véritable manuel de la conservation des arts et traditions culinaires : « … les goûts qui nous attirent sont tous élaborés autour d’une constante qui entre en résonance avec notre palais. C’est cela qu’il nous faut savourer. Et préserver ». Yokô Hiramatsu présente la gastronomie japonaise comme une composante incontournable de la culture et de la civilisation nippone. Manger n’est pas que se nourrir c’est aussi s’imprégner de la culture des ancêtres et des arômes, des goûts, des saveurs, …, du pays pour perpétuer l’art d’y vivre en harmonie avec la tradition. Ces chroniques culinaires sonnent comme un petit rappel à la raison et au bon sens des valeurs ancestrales après l’explosion économique du Japon qui a provoqué le déferlement de produits et de mœurs peu compatibles avec les coutumes ancestrales.

Le livre sur le site de l’éditeur

 

2020 – LECTURES POUR COMMENCER L’ANNÉE : UN ÉCRIVAIN ENTOMOLOGISTE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

 

Le titulaire du Prix Nobel de littérature 1911, Maurice MAETERLINCK, était aussi un apiculteur averti, il a consacré une bonne partie de son temps à l’étude de la vie sociale des abeilles, il a publié dès 1901 un essai sur ce sujet complété en 1927 et 1930 par deux autres essais concernant la vie sociale des termites et des fourmis. Pour la rentrée littéraire 2019, Bartillat a réédité ces trois essais, ils m’ont passionné, je regrette seulement de ne pas disposer aujourd’hui d’une étude mise à jour un siècle plus tard tant ces textes laissent des questions tellement mystérieuses et si préoccupantes en suspens.

 

La vie des abeilles

Maurice Maeterlinck

Bartillat – Omnia poche

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Maurice Maeterlinck est non seulement un écrivain dont le talent a été reconnu par l’Académie suédoise qui lui a décerné le Prix Nobel de littérature en 1911, il est aussi un grand admirateur et un vrai spécialiste des apidés. il maîtrise la pratique de l’apiculture et connait la science des « apitologues ». Il a écrit cet ouvrage, publié en 1901, pour exprimer sa passion pour ce monde très mystérieux et surtout pour le faire mieux connaître de tous ceux qui ne le considèrent encore trop souvent que comme le fournisseur du miel dont les membres peuvent, à l’occasion, user de leur dard pour infliger de douloureuses piqûres. Il précise lui-même : « Je n’ai pas l’intention d’écrire un traité d’apiculture ou d’élevage des abeilles ». Il en existe suffisamment.

Il a construit cet ouvrage en suivant le cycle de la vie d’une colonie s’éveillant à la fin de l’hiver quand les toutes premières fleurs titillent les sens des butineuses. La ruche se met alors en mouvement, une sorte de frénésie s’empare des abeilles et le cycle annuel recommence « « la formation et le départ de l’essaim, la fondation de la cité nouvelle, la naissance, les combats et le vol nuptial des jeunes reines, le massacre des mâles et le retour du sommeil de l’hiver ».

Maurice Maeterlinck est un écrivain talentueux, il raconte la vie des abeilles avec passion et précision, rendant son texte accessible à tous même si le monde des abeilles et fort complexe et qu’il n’est pas facile d’essayer d’en percer les mystères et même seulement de les exposer sans pouvoir réellement les comprendre. Il connait toute la littérature sur le sujet et il a lui-même, pratiqué de nombreuses expériences pour conforter des données déjà connues ou pour valider des choses qu’il avait constatées sans qu’elles soient encore démontrées. Mais c’est aussi un poète qui voit dans le monde des abeilles beaucoup plus qu’une simple société d’insectes très structurée autour de deux grand principe : la collectivité qui prime sur tout et l’avenir du monde des apidés, la perpétuation de l’espèce. J’ai ressenti dans son texte une sensibilité, une certaine tendresse, dépassant ces simples notions scientifiques et existentielles.

Dans sa préface, Michel Brix éclaire un autre aspect de cet essai : son sens philosophique. Il écrit : « Dans la vie des abeilles, le modèle de l’écrivain belge est clairement Novalis représentant de la Naturphilosophie, et dont l’œuvre allie sciences naturelles poésie et spiritualité ». Maurice Maeterlinck n’est pas qu’un écrivain qui se pique de passion pour la science et plus particulièrement celle des « apitologues », c’est aussi un poète, comme je viens de l’écrire, et un philosophe qui cherche dans ses observations à comprendre le fonctionnement d’une société d’insectes dont il pourrait étendre les conclusions à l’humanité. Il a cherché chez les abeilles non seulement le comment mais aussi le pourquoi de la vie humaine et des grands mystères qui en dictent tous les moments critiques décidant de l’existence terrestre même. Mais qui est donc le décideur supérieur qui commande aux abeilles de se mettre en vol pour trouver une nouvelle demeure et ainsi perpétuer l’avenir de l’espèce ? Et, des questions comme celles-ci, Maeterlinck en soulève un certain nombre en les projetant au niveau du genre humain.

Ce texte est un véritable plaidoyer pour le travail collectif et l’instinct de conservation de l’espèce que les abeilles démontrent dans toutes les phases de leur existence mais cette abnégation et ses conséquences ont un prix. « A mesure que la société s’organise et s’élève, la vie particulière de chacun de ses membres voit décroître son cercle. Dès qu’il y a progrès quelque part, il ne résulte que du sacrifice de plus en plus complet de l’intérêt personnel en général » (propos de l’auteur cités par le préfacier). Alors quels sont les enseignements que les hommes peuvent retirer de l’observation de l’organisation et du fonctionnement du monde des insectes qui vivent en colonies organisées ? Ceux qui liront ce texte en tireront peut-être quelques enseignements sans pour autant emprunter les sentes du mysticisme parcourue par l’écrivain philosophe et scientifique belge. Il n’a pas résolu les grandes énigmes de la vie mais il a ouvert des portes pour ceux qui voudraient poursuivre ses réflexions.

Intelligence collective, spécialisation des individus, sélection naturelle, sens de l’avenir, …, sont des éléments essentiels de l’étude de l’auteur et, pour conforter ses analyses et ses projections sociales, philosophiques et même mystiques, il a plus tard, vers la fin des années vingt du siècle dernier écrit deux autres ouvrages consacrés à des insectes vivant en colonie : « La vie des termites » publiée en 1927 et « La vie des fourmis » parue en 1930, construisant ainsi une trilogie consacrée à l’étude des insectes dont les trois parties sont souvent regroupées. Bartillat vient de rééditer les trois tomes séparément mais simultanément, je commenterai les deux autres dans les semaines à venir.

 

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La vie des termites

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Passionné d’apiculture, Maurice Maeterlinck a voulu essayer de comprendre comment s’organisent les insectes qui vivent en colonie, sonder les mystères de la ruche, de la termitière et de la fourmilière pour percer les secrets des lois et principes qui régissent la vie des abeilles, des termites et des fourmis. Dès 1901, il a publié un essai sur la vie des abeilles et, en 1927, il a publié le second tome de sa trilogie qu’il consacre aux termites. La démarche est un peu différente, il connaissait bien les abeilles et il pratiquait lui-même des expériences. Concernant les termites, il nourrit sa réflexion à la source des études pratiquées par les grands entomologistes spécialisés dans l’étude de leur organisation sociale et de leurs mœurs et en récoltant des témoignages de voyageurs ou d’expatriés ayant séjourné dans des pays où les termites sont implantés.

A l’époque à laquelle Maeterlinck a écrit ce livre, on estimait qu’il existait, sur la planète, entre douze et quinze cents espèces de termites dont on ne connaissait les mœurs que d’approximativement une centaine. Cette multitude d’espèces implique qu’il existe des différences conséquentes entre ces diverses espèces qui ne semblent pas toutes être au même stade de leur évolution. L’auteur a donc principalement concentré son étude sur les espèces les plus connues et les mieux étudiées.

Le termite est un destructeur dévastateur, les colonies sont très peuplées, les individus se comptent par millions, elles peuvent anéantir en un temps record des constructions monumentales, des plantations complètes, des objets divers composés de cellulose ou de matériaux à base de cellulose, …. C’est un véritable fléau qui pourrait prendre d’autres proportions avec le réchauffement de la planète et Maeterlinck avait déjà émis une hypothèse dans ce sens. Et pourtant cet insecte est des plus vulnérables, la fourmi son grand prédateur en vient très facilement à bout. Sa seule défense est de calfeutrer totalement la termitière afin que la fourmi ne trouve aucune faille pour s’introduire dans la termitière. « Il n’est pas être plus déshérité que le termite. Il n’a pas d’armes défensives ou offensives. Son ventre mou crève sous la pression d’un doigt d’enfant ».

La termitière héberge une ou plusieurs reines totalement hypertrophiées ne servant qu’à pondre en continu des millions d’œufs, un ou des rois chétifs, asservis, reclus dans un recoin de la case de la reine qu’il féconde, des adultes ailés qui ne font qu’une apparition éclatante, tragique et éphémère, des ouvriers, estomacs et ventres de la communauté, des soldats handicapés au point de ne pas pouvoir se nourrir seuls, privés de sexe. Il semble que le pouvoir repose dans la collectivités des ouvriers qui ne poursuit qu’un seul objectif : la survie et la perpétuation de l’espèce. Ce système collectiviste poussé à son extrême a permis aux termites, malgré un système social moins élaboré que celui des abeilles, de surmonter tous les énormes chamboulements connus par la planète depuis l’ère primaire où certaines espèces sont déjà attestées.

Les termites sont aveugles et ne supportent pas la lumière, ils ne supportent pas plus les différences de température, ils ont donc appris à construire des tunnels pour se déplacer à l’extérieur et ils savent réguler la température dans la termitière dont la partie souterraine est souvent plus importante que la partie hors du sol. « Dans la sombre république stercoraire, le sacrifice est absolu, l’emmurement total, le contrôle incessant. Tout est noir, apprimé, oppressé. Les années s’y succèdent en d’étroites ténèbres. Tous y sont esclaves et presque tous aveugles ». Le repos n’existe pas dans la termitière, la maladie est immédiatement sanctionnée, toute défaillance est un arrêt de mort. Les termites ne jettent rien, ils mangent leurs déjections et les morts y compris les victimes de leurs sacrifices, ils ont inventé la communauté sans déchets. Au fil des millénaire, ils ont appris à ne se nourrir que de cellulose en faisant prédigérer celle-ci par des protozoaires dont ils mangent les déjections. A l’abri des prédateurs, et malgré leur fragilité, les termites sont autosuffisants et capables supporter des conditions extrêmement difficiles.

A travers l’étude des termites et de leur formidable capacité à traverser les ères géologiques et les époques, l’auteur s’interroge sur l’évolution des espèces qui plus elles approchent de leur idéal, plus leur système social se perfectionne, plus il est efficace, plus la notion de sacrifice semble se développer. La discipline devient plus sévère confinant à une tyrannie de plus en plus intolérante et intolérable. Maeterlinck comme il l’avait déjà fait en étudiant les abeilles, projette l’organisation sociale, les mœurs, le mode de vie des termites dans le genre humain et essaient d’en tirer des enseignements pour l’avenir de l’humanité. Il pousse très loin la réflexion, la conduisant même au-delà de la philosophie aux confins de la science-fiction et du mysticisme. La réflexion est passionnante, elle laisse la place à de nombreuses hypothèses et à l’imagination de chacun…

« Voilà des millions d’années que les termites s’élèvent vers un idéal qu’ils semblent à peu près atteindre. Que se passera-t-il quand ils l’auront entièrement réalisé ? » Une question qui conduit directement à s’interroger sur l’avenir et la fin éventuelle de l’humanité.

 

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La vie des fourmis

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Pour clore la trilogie qu’il a consacrée aux insectes vivant en société organisée, Maurice Maeterlinck, après avoir étudié la vie des abeilles et des termites, s’est intéressé à celle des fourmis qui est encore beaucoup plus complexe car il existe une diversité énorme de fourmis très différentes d’une espèce à l’autre, vivant selon des principes, des règles et des mœurs très différents eux aussi. « On en a décrit à ce jour six milles espèces qui toutes ont leurs mœurs, leurs caractères particuliers ». Il n’a pas étudié lui-même les fourmis comme il n’avait pas auparavant étudié la vie des termites, il a compulsé les meilleurs auteurs parcourant la presque totalité de la production sur le sujet à la date de la publication de son ouvrage. Rappelons que s’il a publié La vie des abeilles en 1901, La vie des termites n’est paru qu’en 1926 et La vie des fourmis encore plus tard, en 1930.

La fourmilière est peuplée par des reines, des femelles fécondées, vivant une douzaine d’années, d’innombrables cohortes d’ouvriers (ou ouvrières ?) asexués vivant trois ou quatre ans et de quelques centaines de mâles qui disparaissent au bout de cinq à six semaines. Dans une fourmilière peuvent cohabiter plusieurs colonies avec plusieurs reines et même parfois différentes espèces en plus ou moins bonne harmonie. La fourmilière héberge aussi une grande quantité de parasites, l’auteur écrit qu’on en comptait, au moment de la rédaction de son ouvrage, « plus de deux milles espèces, et d’incessantes découvertes, …, accroissent journellement ce nombre ». Je n’ai pas eu la curiosité de vérifier cette donnée auprès d’autres sources, la vie et l’histoire de ce monde en miniature sont pourtant fascinantes et permettent de formuler moult élucubrations plus ou moins fantaisistes mais, pour certaines, tout à fait plausibles. L’auteur s’est penché sur cette vie grouillante et pourtant très organisée qui peut évoquer l’humanité à une échelle réduite et peut-être même dotée d’une intelligence au moins comparable. C’est là un vaste champ d’investigation, de réflexion, d’imagination et surtout de recherche qui ne sera sans doute jamais exploré jusqu’à ses limites.

Pour suivre le préfacier, Michel Brix, nous retiendrons que l’auteur formulerait deux interrogations à travers cette trilogie : « Les insectes sont-ils heureux ? et quelle spiritualité serait susceptible d’éclairer et de conforter les humains dans leur marche vers une existence plus « sociale », marquée par le renoncement à l’intérêt individuel ». Toute la trilogie est empreinte de cette double question et principalement ce troisième opus consacré aux fourmis qui sont encore plus dévouées au collectif que les abeilles et les termites, leur l’esprit de sacrifice est absolu. Maeterlinck les considère un peu comme les infimes parties d’un tout vivant, à l’exemple d’une cellule d’un corps humain.

Certaines espèces de fourmis sont particulièrement évoluées, elles peuvent cultiver des champignons, élever des parasites, moissonner, …, elles sont encore plus ingénieuses et mieux organisées que les abeilles et les termites. Mais, comme si toute évolution impliquait un esprit hégémonique et conquérant, « Seules, entre tous les insectes, les fourmis ont des armées organisées et entreprennent des guerres offensives ». Certaines espèces peuvent aussi causer des dégâts cataclysmiques dans la végétation, dans les villages, partout ou leur énorme flot se déverse en un énorme fleuve tranquille mais dévastateur. Elles ont aussi inventé l’esclavage en réduisant les espèces les moins solides, les moins débrouillardes, à leur service.

L’étude de la vie des fourmis bute sur de nombreux mystères que la science n’a pas pu élucider avant la publication de cet ouvrage et certainement guère plus aujourd’hui même si la connaissance a probablement évolué depuis la publication de ce dernier opus. Un des problèmes fondamentaux réside dans l’expansion incessante du nombre des individus, la reine pond sans cesse à un rythme effréné sans qu’aucun système de régulation ne freine le processus de reproduction. Quel pourrait être le but d’une telle frénésie reproductrice ? L’auteur laisse cette question sans réponse. Pour clore cette trilogie, nous resterons sur une autre interrogation formulée aussi par l’auteur : « Les fourmis iront-elles plus loin ? », rien ne permet de le dire mais rien n’est impossible, l’accroissement exponentiel du nombre des individus reste une hypothèse plausible et, dans ce cas, l’étendue des dégâts qu’elles causent peut croître elle aussi de façon extraordinaire. Et si cette question n’appartenait pas qu’au domaine de la science ? A la lecture de la trilogie, on constate vite que Maeterlinck s’est très vite posée cette bien embarrassante question.

 

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Maurice Maeterlinck (1862-1949)

Maurice MAETERLINCK chez Bartillat

 

LES ATRIDES au THÉÂTRE ROYAL DU PARC de BRUXELLES / Un article de Jean-Pierre LEGRAND

JEANNE D'ARC AU BÛCHER d'HONEGGER au THÉÂTRE DE LA MONNAIE, vu par Jean-Pierre LEGRAND
Jean-Pierre LEGRAND

Jeudi dernier, c’était la première de la pièce « Les Atrides » au théâtre du Parc à Bruxelles. Mise en scène par le très talentueux Georges Lini, la tragédie est une libre adaptation de la malédiction des Atrides telle qu’elle nous est parvenue via Eschyle, Euripide, Sénèque et Sophocle.

La pièce se joue jusqu’au 15 février.

La mise en scène est résolument moderne : ponctué ou accompagné d’illustrations musicales fort réussies (bravo aux musiciens également excellents acteurs), le texte, souvent brillant, est sublimé par un décor dépouillé mais très évocateur. Le fond de scène est occupé par une grande toile sur laquelle sont projetés des motifs nuageux et tourmentés irisés d’une lumière changeante selon le déroulé de la tragédie. De part et d’autre de la scène, sont disposés des gradins où se tiennent des spectateurs : ils symbolisent le chœur traditionnel de la tragédie ; les musiciens sont leur coryphée .

Sous la réserve d’une Wendy Piette à mes yeux un peu faible dans le rôle d’Iphigénie (elle se rachète dans celui de Chrysothémis qu’elle joue aussi), la distribution est excellente : on retrouve Itsik Elbaz dans le rôle d’Agamemnon et Daphné d’Heur dans celui de Clytemnestre tous deux à leur meilleur niveau et fort bien entourés. Dans la petite plaquette de présentation, le metteur en scène nous annonce : « Ici, point de bruit et de fureur ». C’est un peu vite dit : l’hystérisation voulue dans le jeu des acteurs, soulignée encore par la sonorisation (un peu défaillante au début du spectacle) dément largement ce propos… C’est tant mieux : cette tension qui, par moment paroxystique, éclate en monologues véhéments, m’a fait songer à l’Elektra de Strauss : il y a quelque chose de cette musique sauvage dans ce spectacle aux résonances opératiques qui m’a profondément séduit. Par moment on reste scotché par l’expression froide du pouvoir à laquelle répond la pulsion brutale du désir de  vengeance qui, par deux fois, sombre dans l’assouvissement presque orgasmique du crime.

Régénérées au prisme de notre modernité par le metteur en scène, ces Atrides posent de multiples questions : comment échapper à l’emprise capiteuse de la vengeance et à l’engrenage du crime ? Quel est le fond de notre humanité ? Le ressort de la vengeance est bien suggéré. Clytemnestre et Electre sont emmurées dans leur douleur, « leur âme voudrait se pendre et tous les membres de leur corps aspire à la mort » ; la poursuite hallucinée de la vengeance est leur dernière raison de vivre, de survivre.

La pièce se termine sur cette interrogation d’un des musiciens-coryphée : « Mais nous, nous tous, sommes-nous meilleurs par hasard ? »  La question est ouverte. J’ajoute : sommes-nous fondamentalement meilleurs ? N’y a-t-il pas en chacun de nous et qui agite l’humanité entière, un Agamemnon qui, inlassablement sacrifie ce qu’il a de plus cher ou de plus précieux à un souffle de vent ?

Le spectacle sur le site du Théâtre Royal du Parc 

 

LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 : FRAGMENTS DE L’HISTOIRE DE LA CHINE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

Aujourd’hui, je vous propose une chronique historique et chinoise à la fois, je vous propose deux textes qui évoquent des époques très éloignées de l’Empire du Milieu : la période de transition entre la Chine féodale et la Chine impériale qui court de 722 avant JC à 468 avant JC, et la période qui fait suite au départ de Mao. Ces deux périodes bien que particulièrement différentes ont, toutes les deux, profondément marqué l’histoire de la Chine et resteront à jamais des époques déterminantes pour la vie d’un milliard et demi d’individus.

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Petites chroniques des printemps et automnes

Li Jingze

Editions Picquier

Petites chroniques de printemps et automnes

Les Chroniques des printemps et automnes ne sont pas seulement un titre ou une façon de dénommer les notes consignées par les scribes chinois de la période courant de 722 à 468 avant JC, elles sont aussi le nom donné à cette période qui court entre le début du déclin de l’empire des Zhou, l’empire féodal, et la période des royaumes combattants, le fameux basculement du V° siècle avant JC qui vit naître la démocratie à Athènes et connut bien d’autres bousculement dans le monde.

« Ce livre est donc l’histoire de l’anéantissement d’un ordre ancien et de la naissance d’un monde nouveau. Il retrace la transition entre l’époque féodale et l’époque impériale ».

C’est à cette époque que vécurent Confucius et Lao-Tseu et certains, aujourd’hui encore, prétendent que Confucius aurait lui-même corrigé des passages de ces chroniques. Il est impossible de l’infirmer mais pas plus possible de l’affirmer.

Les Chroniques des printemps et automnes doivent leur nom au fait qu’à cette époque en Chine on considérait qu’il y avait deux saisons : une pour désigner celle où les jours croissent vers le zénith de l’année solaire et l’autre qui, à l’inverse, en est le déclin. elles ont été écrites par des scribes du royaume de Lu mais concernent tous les royaumes de la plaine du Fleuve Jaune (Hoang ho) qui occupaient les actuelles provinces du Shaanxi, du Shanxi, de Hubei et surtout celle de Henan, mais d’autres encore presque jusqu’à la plaine du Fleuve Bleu (Yang tsé kiang). Ecrites sur des plaquettes de bouleau, ces chroniques sont très abrégées, elles n’utilisent qu’un très petit nombre de caractères et sont rédigées de façon très succincte, laissant un espace important à l’interprétation des exégètes. Elles ont été complétées ultérieurement par des ajouts et commentaires apportés notamment par le grand historien antique Zuo Qiuming auquel l’auteur se réfère le plus souvent.

Confucius prétend que cette période fut très négative mais les autres sources, notamment archéologiques, démontrent que malgré l’effervescence et le bouillonnement ambiants qui dégénérèrent souvent en guerres et en massacres, selon l’auteur, « Les Printemps et Automnes sont la source spirituelle de la Chine ». La Chine impériale semble puiser ses origines dans cette période trouble de mutation et de transformation. Une nouvelle classe accédait au pouvoir, des rites et des traditions disparaissaient laissant la place à un pouvoir plus dynamique moins éclaté, plus efficace et plus efficient. Ayant, dans ma jeunesse, suivi des études d’histoire médiévale, je serais tenté de comparer cette période à celle de l’histoire de France qui connut la déliquescence de l’empire carolingien avant de s’éteindre avec l’affirmation du pouvoir capétien. Un pouvoir se dilue et se meurt un autre naît dans le chaos et le tumulte.

Le texte présenté par Li Jingze comporte des extraits des chroniques qu’il explique souvent à l’aide des interprétation laissées par les historiographes qui les ont décryptés et qu’il complète par ses propres explications. Les scribes doivent rapporter tout ce que le roi dit, il est l’interprète des dieux, sa parole à valeur de vérité absolue. Comme dans la féodalité médiévale, l’histoire chinoise de l’époque se compose surtout de batailles, de rivalités, de guerres de succession, de trahisons, de félonies, d’intrigues de palais, de complots, de cabales, … Le principal objectif est d’assurer la pérennité du lignage et d’éliminer les prétendants trop empressés. Les royaumes (Lu, Wei, Qi, Jin, Chu, Cao, Wu, et plusieurs autres encore …)  se battent aussi pour élargir leur territoire, assurer ou améliorer leur rang, se rapprocher de l’empereur très affaibli mais toujours détenteur de la légitimité et de la capacité de dire le droit ancestral. Comme dans notre bonne vieille féodalité, les rois, les princes feudataires, les hégémons qui peuvent conduire des coalitions à la guerre, les grands ducs, minent de plus en plus le pouvoir féodal qui à la fin de cette période changera de dynastie passant des Zhou aux Qin fondateurs de la Chine impériale. Ce livre raconte notamment les rivalités sanglantes qui opposèrent les prétendants au trône de du royaume de Jin, cette lutte fratricide fut l’élément décisif qui provoqua les transformations profondes que la Chine connut à cette époque.

« Ils firent de Jin un hégémon durable mais ce furent aussi eux qui, pour finir, firent éclater leur Etat et firent entrer la Chine dans la période des Royaumes combattants ».

La Chine impériale est donc née vers le début du VII° siècle avant JC dans le royaume de Jin au cœur de l’actuelle province du Henan.

Dans « Etranger dans mon pays » paru récemment chez Picquier aussi, Xu Zhiyuan se désole en constatant que les Chinois ont perdu leur passé, il leur suffirait peut-être de lire ce livre de Li Jingze pour comprendre comment est née leur immense nation et sur quels principes et valeurs elle s’est constituée.

Le livre sur le site de l’éditeur

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Etranger dans mon pays

Xu Zhiyuan

Editions Picquier

Etranger dans mon pays

« Notre société a connu des bouleversements d’une telle violence et d’une telle rapidité que le pays tout entier semble être un grand arbre déraciné. La Chine a oublié ses origines ». Le changement est si brutal et si important que Xu Zhiyuan ne reconnait plus son pays où il se sent comme un étranger. Il a donc décidé de partir à sa redécouverte en commençant par parcourir la diagonale qui sépare la Chine des Han de la Chine des minorités, la Chine du pouvoir de la Chine des oppressés, la Chine des riches de la Chine des pauvres…

« Si l’on trace une diagonale rejoignant ces deux villes (Aihui à la frontière russe en Mandchourie et Tchengchong à la frontière birmane au Yunnan), on observe qu’elle correspond à une ligne de démarcation géographique : côté est, à peine 43% du territoire, mais qui est occupé par 90% de la population ; à l’ouest, une immensité relativement inhabitée ».

Son livre ne se contente pas de décrire ce qu’il a vu et entendu lors de ce périple, il l’a complété par d’autres textes assez divers.

« Ce livre est donc un mélange. On y trouve des notes de voyage, des portraits ou des commentaires, mais le thème est toujours le même : il s’agit du sentiment de profonde rupture éprouvé dans la société chinoise contemporaine. »

Ce mélange comporte des notes de voyage aux Trois Gorges, une excursion de Shanghai à Xi’an, des histoires pékinoises, une incursion dans l’histoire au sud du Yangtsé, une excursion à Taïwan, un voyage à la rencontre des jeunes dans les trous paumés, une brève biographie de Chen Danqing, la vision de la Chine post Mao de Liu Xiangcheng et pour terminer un rencontre avec Yu Hua. Une somme de documents importante permettant à Xu Zhiyuan de jeter un regard sur ce que fut la Chine, sur ce qu’elle est devenue et surtout sur cette fameuse rupture qui relie l’ensemble des textes présentés. En faire le détail reviendrait à réécrire une bonne partie du livre, je me contenterai d’en tirer les principaux enseignements.

Ce qui semble, au premier abord, frapper le voyageur c’est le grand bouleversement qui s’est opéré dans les villes chinoises. Elles ont toutes été modernisé, les centres historiques ont souvent disparu, de grands immeubles uniformes et des tours standards ont pris la place. « En Chine, qu’on soit dans le nord, au sud à l’est ou à l’ouest, c’est la même ville qui est partout dupliquée ». Une ville qui grouille d’une foule énorme qui court en tous sens. « C’est sur notre masse humaine pullulante que nous nous sommes appuyés, bien plus que sur le génie individuel ». Cette source inépuisable de main d’œuvre qui permet de remplacer rapidement tous les défaillants et de ne pas se préoccuper de la santé des travailleurs.

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XU Zhiyuan

La Chine d’aujourd’hui offre le spectacle d’« un bouleversement gigantesque, anarchique, sans égard pour les individus, au point que l’apathie ou l’indifférence y sont devenue des stratégies de survie ». Le régime qui a sévi avant l’explosion économique a anesthésié les Chinois, ils ont oublié leur passé, ne sont pas encore capables de se projeter dans un avenir structuré, ils vivent au présent sans se préoccuper de ce qui pourrait leur arriver, ne pensant qu’à accumuler de l’argent pour s’offrir le rêve qu’ils ont en eux après les longues privations : imiter le modèle de consommation des Occidentaux, pouvoir vivre comme eux, manger leur part du gâteau maintenant, très vite et sans retenue. Cette société vénérant le dieu argent s’est construite autour d’une rupture de plus en plus profonde entre ceux qui réussissent et ceux qui triment comme des bêtes pour payer la réussite des vainqueurs. Les touristes qui nous bousculent sur tous les sites touristiques de la planète sont les petits vainqueurs des réformes économiques.

« Leur fierté, ils l’ont souvent conquise au prix de leur santé, et surtout de leur esprit : leur vision du monde est le plus souvent aussi étroite qu’imbue d’elle-même ».

Le niveau de vie des Chinois a enflé rapidement mais seulement pour ceux qui réussissent, pour les autres, notamment ceux de la Chine de l’ouest, des minorités, la vie est beaucoup moins facile. Les villes ont explosé, les campagnes se sont appauvries, les nouveaux riches flambent, les autres sont repoussés toujours plus loin dans la marge, ravalés au rang de simples moyens de production. Cet essor doré touchant ceux qui ont osé et pu entreprendre a un prix : « Qu’il s’agisse des individus ou du corps social chinois dans son ensemble, ce pays est dévitalisé : l’argent, lubrifiant social ou stimulant exclusif, y occupe un rôle prééminent ». Le régime maoïste a lavé le cerveau des Chinois, ils n’ont plus aucune conscience politique, ils ont perdu toutes leurs valeurs sociales et se moquent comme de l’an mil de l’avenir de la planète. Et, Xu Zhiyuan de conclure : « … chacun de nous porte aussi le fardeau d’une vie dont toute signification est absente ». Selon Chen Danqing, la Chine aurait perdu toute estime pour sa propre culture, dévorée par l’obsession de l’imitation dont ne résulterait, la plupart du temps, que des copies de mauvaise qualité.

Et l’auteur s’interroge en lisant Qian Mu, grand historien du XX° siècle : le ritualisme de l’ancien régime ne permettait-il pas au moins d’assurer une certaine solidarité entre les hommes et l’existence de valeurs collectives qui semblent aujourd’hui disparues ? Comme si un léger vent de nostalgie soufflait déjà sur les intellectuels chinois… C’est du moins l’impression que j’ai eu en lisant ce mélange de textes, l’impression que la richesse qui ruisselle aujourd’hui sur la Chine réclame en contrepartie un lourd tribut humain, social, culturel…

Le livre sur le site de l’éditeur

LES ÉDITIONS PHILIPPE PICQUIER 

 

 

 

EN SON ABSENCE de ARMEL JOB (Robert Laffont) / Une lecture de Nathalie DELHAYE

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Nathalie DELHAYE

Bénédicte se rend à l’école un matin, et ne rentre pas après sa journée de cours. Sa famille, les amis et voisins sont inquiets, et tout le village bientôt partage la peine des parents et essaie de se rendre utile pour comprendre ce qu’il s’est passé et en découdre avec certains…

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Le drame est identifiable, les lieux, un petit village de l’Ardenne belge, brossé comme un tableau par l’auteur, nous semble familier, et le mal-être ambiant nous renvoie à nos propres craintes et nos sombres pensées en de telles circonstances.

M. Job, avec une plume plaisante, nous emmène aux confins de son thriller psychologique. Tout au long de l’ouvrage on s’interroge, voyant défiler les personnages dont il appuie ostensiblement les traits, telle Mme Maca, qui voit tout, sait tout du village, donneuse de leçons, aux idées bien arrêtées, ou encore Julien, chauffeur de bus en proie à de drôles de sentiments, perdu depuis la mort de sa fille, amie de la disparue. Les hypothèses fusent, les enquêteurs, caricaturés comme il se doit, sont bien en peine de trouver un véritable indice dans ce microcosme où chacun s’épie, se trahit, se hait parfois, se soupçonne. D’autres agissements auraient pu toutefois faire avancer l’enquête, un peu plus de transparence de la part de la Police, un peu moins de suspicion de la part des villageois, mais l’être humain est ainsi fait !
Le pire est envisagé, bien sûr, avec des images d’un passé pas si lointain, Dutroux et ses monstruosités, d’autres disparitions inexpliquées…

Un livre à l’ambiance pesante, le malheur d’une famille éclatée, l’incompréhension d’un village et le piétinement d’une enquête, de quoi offrir une lecture agréable pour les amateurs du genre, et découvrir d’autres ouvrages de M. Job.

Le livre sur Lisez ! (également disponible en Pocket)

ARMEL JOB sur le site de l’AEB

 

TOP 100 DES MORCEAUX DE MUSIQUE : ANNÉES 70>2020 / Une sélection de Phil RW

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Philippe REMY-WILKIN © Pablo Garrigos Cucarella

TOP 100 des MORCEAUX DE MUSIQUE

Une sélection approximative de Phil RW

Spécial Fêtes de fin d’année 2019

 

Episode 2, Spécial Nouvel An 2020 : années 1970>2020

PS Oui, j’ai beau avoir obtenu 100 % à l’examen cantonal fin de primaires en mathématiques, c’est très loin, ma deuxième partie compte… plus de 80 morceaux au lieu de 50 ! Bah, quand on aime, on ne compte pas ! Un Top 133 ?

 

Années 70

 

. Cat Stevens, Lady d’Arbanville (70, album Mona Bone Jakon) :

 

. Barbara, L’Aigle noir (70, album éponyme) :

Malgré Dis, quand reviendras-tu ?, Ma plus belle histoire d’amour

 

. The Carpenters, Close to You (70, composée par Burt Bacharach, écrite par Hal David, album éponyme) :

Une voix divine ! Karen Carpenter ! Et un duo d’auteurs mythique.
Malgré Sing a Song, We’ve only just begon

 

. Deep Purple, Child in Time (70, album In Rock) :

Ian Gillian et Ritchie Blackmore en duels voix/guitare !

Le deuxième groupe le plus puissant du rock derrière le Floyd. Ou c’est Led Zep ?

 

. Marvin Gaye, What’s going on (71, composée/écrite par MG, Renaldo Benson et Al Cleveland, album du même nom) :

De préférence à Let’s get in on, I heard it through the Grapevine ou Sexual Healing. Vraiment ?

 

. John Lennon, Imagine (71, composée par JL, écrite par Yoko Ono et JL, album du même nom) :

 

. America, A Horse With No Name (72, auteur : Dewey Bunnel, album éponyme) :

 

. Steely Dan, Do It Again (72, Donald Fagen/Walter Becker, album Can’t buy a Thrill) :

 

. Lou Reed, Walk on the Wild Side (72, album Transformer) :

Malgré Perfect Day ?

 

. Elton John, Rocket Man (72, composée par EJ/écrite par Bernie Taupin, album Honky Château) :

 

. Véronique Samson, Une nuit sur ton épaule (72, album De l’autre côté du rêve) :

 

. Françoise Hardy, Message personnel (73, composée par Michel Berger, écrite par FH/MB, album éponyme) :

 

. Rolling Stones, Angie (73, Jagger/Richards, album Goats Head Soup) :

Mais Under my Thumb, Satisfaction

 

. David Bowie, Lady Grinning Soul (73, album Aladdin Sane) :

Difficile de choisir parmi un répertoire formidable. Trop de belles chanson dans certains albums (Ziggy !).

 

. Pink Floyd, Us and Them (73, composée par Richard Wright, écrite par Roger Waters et chantée par David Gilmour, album The Dark Side of the Moon) :

Un groupe d’albums mais…
Malgré Confortly Numb, Another Brick in the Wall, Money, Time ou Shine on You Crazy Diamond (75, composée par Rick Wright/David Gilmour et Roger Waters, écrite par RW, album Wish You were here) :

https://www.youtube.com/watch?v=BW3gKKiTvjs&feature=share&fbclid=IwAR10LqE9EMfIY9ZBEt2AY4jeNOkbVcRwiMxMCKSCLxvg2zQjE0AXzj04Wqo ?

 

. Santana, Samba Pa Ti (73, composée par CS, album Abraxas) :

Malgré Europa (76, composée par CS et Tom Coster, album Amigos), plus formaté :

 

. Genesis, Cinema Show (73, album Selling England by the Pound) :

Un groupe d’albums mais…


. The Sparks, This Town ain’t big enough fort the Both of Us
(74, auteur : Ron Maël, album Kimono House) :

Vous avez compris. J’ai un fond très baroque ! Très peu pour moi le gars qui joue seul à la guitare un air gentillet. Je veux du souffle, de la folie, de la démesure ! Enfin, souvent.

 

. Supertramp, Hide in your Shell (74, auteur : Roger Hodgson, album Crime of the Century) :

 

. E.L.O., Can’t get It  out of my Head (74, A/C : Jeff Lynne, album Eldorado) :

 

. Queen, Bohemian Rhapsody (75, composée/écrite par Freddie Mercury, album A Night at The Opera)

Mon morceau préféré de tous les temps ? Dès les premières notes, je suis devenu autre, re-né. Après deux albums sans équivalent et un morceau monstrueux, Queen avait tout réussi artistiquement, ils décidèrent d’innover… commercialement.
A noter que mon deuxième morceau préféré GOAT est sans doute… Somebody To Love, qui m’a projeté pour la première fois dans le délire Queen/Mercury. Mention à Love of my Life, etc.

 

. Rod Stewart, Sailing (75, album Atlantic Crossing mais reprise d’un morceau composé en 72 par Gavin Sutherland) :

La version des frères Sutherland n’était pas entrée dans les charts !

Plutôt que le disco-rock Da ya think I’m sexy ? :

. Pavlov’s Dogs, Julia (75, album Pampered Menial) :

 

. Led Zeppelin, Kashmir (75, Page/Plant/Bonham, album Physical Graffiti) :

Machine de guerre ! Comme Stairway to Heaven. Mais ça cache une richesse d’inspiration (musiques classique, marocaine…).


. Nino Ferrer, Le Sud
(75, composée/écrite par NF) :

Malgré La Maison près de la fontaine (71, composée/écrite par NF) :

 

Succès… tragique. Nino s’est investi dans la réussite d’un album conceptuel, Métronomie, qui mêle rocks progressif et psychédélique, blues et jazz mais le public boude, ne retient qu’une chanson, en fait un tube, coule la carrière d’un créateur pour le confiner dans le 45T.

. Murray Head, Say it ain’t so (75, composée/écrite par MH, album du même nom) :

 

. Bruce Springsteen, Born to Run (75, composée/écrite par BS, album du même nom) :

Malgré The River (80) :

 

. Mike Oldfield, Ommadawn Part I (75, album éponyme) :

Un homme d’albums mais…

 

. 10 CC, I’m not in Love (75, composée/écrite par Graham Gouldman/Eric Stewart, album The Original Soundtrack) :

 

. Kiss, Beth (76, Peter Criss avec Bob Ezrin et Stan Penridge) :

Ne riez pas !

 

. Chicago, If You Leave Me Now (76, auteur : Peter Cetera, album Chicago X) :

Ça m’a toujours rendu dingue !

 

. Abba, Dancing Queen (76, A/C : Bjorn Ulvaeus/Benny Anderson/Stig Anderson) :

https://youtu.be/xFrGuyw1V8s?list=TLPQMjcxMjIwMTn8aKiUKQj3FQ

Mon premier sex-symbol : Agnetha ! Plusieurs airs mémorables (Fernando, Mamma Mia, etc.) mais un côté inconsistant aussi dans le fond du truc.

 

. Robert Charlebois, Je reviendrai à Montréal (76) :

https://youtu.be/g4NXUo8qipM

 

. Iggy Pop, The Passenger (77, album Lust for Life) :

https://youtu.be/hLhN__oEHaw

Il y a une communauté David Bowie/Iggy Pop/Lou Reed qui me laisse sans voix.

 

. Eagles, Hôtel California (77, composée par Don Felder, écrite par Glenn Frey/Don Henley pour l’album éponyme) :

https://youtu.be/EqPtz5qN7HM

Possible de ne pas aimer ?

 

. Meat Loaf, Paradise by the Dashboard Light (77, composée/écrite par Jim Steinman, album Bat out of Hell) :

https://youtu.be/C11MzbEcHlw

Pièce montée d’un baroque échevelé en plein règne des punks !

 

. Yes, Wonderous Stries (77, album Going for the One) :

https://www.youtube.com/watch?v=1pf1vuVF79E&feature=share&fbclid=IwAR19fMmj0Kha_xb8lYgDDETJ05CbIHOcr2BWUwqKfCn6ZUgRNuyh5pwS1CY

Mieux vaut écouter l’album Close to the Edge, mais…

 

. Kansas, Dust in the Wind (77, Kerry Livgren) :

https://youtu.be/tH2w6Oxx0kQ

La voix de Steve Walsh et le violon alto de Robbie Steinhardt ! Il y avait Carry on Wayward Son aussi… Le groupe ricain le plus anglais.

 

. Kate Bush, Wuthering Heights (78, composée/écrite par KB, album The Kick Inside) :

https://www.youtube.com/watch?v=BW3gKKiTvjs&feature=share&fbclid=IwAR10LqE9EMfIY9ZBEt2AY4jeNOkbVcRwiMxMCKSCLxvg2zQjE0AXzj04Wqo

Des effluves de magie ?

 

. Arvo Pärt, Spiegel im Spiegel (78) :

https://youtu.be/VHeYRo7omVY?list=PLp5dbjQSLjRypBkcuo_F60Zx99fWyw6TZ

Interprétée ici par le duo belgo-français Gemini (J.F. Molard au violon et J.N. Remiche au piano), dans les années 2010. Un contemporain soft, accessible, beau tout simplement.

 

. Machiavel, Rope Dancer (78, album Mechanical Moonbeams) :

https://youtu.be/LOQQ_sMZ1As

Quand un groupe belge se prenait pour Genesis ou Yes… Avant un triste virage pop…

 

. Blondie, Hearth of Glass (78, Debbie Harry/Chris Stein, album Parallel Lines ) :

https://youtu.be/WGU_4-5RaxU

Malgré Call Me, Denis, Atomic

 

. The Allmann Brothers Band, Just ain’t easy (78, composée/écrite par Gregg Allmann, album Enlightened Rogues) :

https://youtu.be/DlffilyLeaU

Dicky Betts avait sans doute passé lui aussi un pacte avec le diable.

 

. Claude Dubois, Le blues du businessman (78, composée par Michel Berger/écrite par Luc Plamondon, album Starmania) :

https://youtu.be/PRGU0NFUSu0

 

. Fabienne Thibeault (78, composée par Michel Berger/écrite par Luc Plamondon, album Starmania) :

https://youtu.be/k5c9yAeWZRw

 

. Julien Clerc, Ma préférence (78, composée par JC/ écrite par JL Dabadie, album Jaloux) :

https://youtu.be/p92pXFgCKUg

 

Années 80

 

. Roxy Music, Jealous Guy (81, composée/écrite par John Lennon) :

https://www.youtube.com/watch?v=hRzGzRqNj58&feature=share&fbclid=IwAR2mreZVNnUa7KAHTP8hapf-R8NSCDY5IFZVgPX9nHDWlN3-ohFDfYW8anE

Supérieure à la version originale ! Une des meilleures reprises of all the times.

 

. The Cure, All the Cats are grey (81, album Faith) :

https://youtu.be/hpgNx89B8Y4

J’ai vécu une Curemania ! Mais si !

 

. Chet Baker, Almost Blue (82, auteur : Elvis Costello) :
https://youtu.be/z4PKzz81m5c

Un dieu du jazz et de la trompette.

Qui a inspiré un ami poète :

« Born to be blue »
Almost blue

Rideau de perles grises fouetté par les vents
la pluie tombe en lignes qui hachurent l’atmosphère
troublant climax en infinité de points d’orgue
qui ne font pas de pause jusqu’à l’orgasme du tonnerre.
Chet beugle dans son bugle sous le ciel d’Amsterdam
qui pisse comme le ciel pleure sur les hommes infidèles
ange déchu, âme damnée sous le gris du crachin
la gueule cassée par l’héroïne.
Sa balade sans égale douce et tendre comme Saudade
se répand comme un nuage bas, lourd de spleen
tente en vain de s’arracher du sol luisant comme un lac d’huile.
La litanie de sa trompette entre profondément en nous
visite tout notre corps et n’en ressort jamais
bercé par le souffle languissant, effilé comme un scalpel.
Poésie dans l’espace avec inconnue
d’oxygène nourri d’hélium
de ce qui vient, qui part et qui demeure.
Baker dresse sa figure tragique au devant des éclairs
et sa musique céleste accompagne l’orage tonitruant
noyée dans la brume épaisse des pluies du nord.

©CeeJay.

 

. Dire Straits, Private Investigations (82, auteur : Mark Knopfler, album Love over Gold) :

https://youtu.be/KcXUiNHFngI

 

. Roxy Music, More than this (82, Brian Ferry, album Avalon) :

https://youtu.be/kOnde5c7OG8?list=TLPQMjcxMjIwMTn8aKiUKQj3FQ

 

. Eurythmics, Sweet Dreams (83, Annie Lennox/David Stewart, album éponyme) :

https://youtu.be/qeMFqkcPYcg?list=TLPQMjcxMjIwMTn8aKiUKQj3FQ

 

. Talk Talk, It’s my Life (83, A/C : Mark Hollis/Tim Friese-Green, album Colour of Spring) :

https://youtu.be/cFH5JgyZK1I?list=TLPQMjcxMjIwMTn8aKiUKQj3FQ

 

. Simply Red, Holding Back the Years (85, composée par Mick Hucknall/Neil Moss, écrite par MH, album Picture Book) :

https://youtu.be/yG07WSu7Q9w

 

. Prince, Purple Rain (84, Composée/écrite par P, album du même nom) :

https://www.youtube.com/watch?v=TvnYmWpD_T8&feature=share&fbclid=IwAR1IW3tA6G5muFF_Hl0mE6-ujMLUKHw1pQyAGErFXh0uR8daa-4rSZOprmg

Difficile de laisser de côté When doves cry, qui me semble plus moderne, osé, décapant mais…

. Simple Minds, Don’t Yoy (Forget about Me) (84, auteurs : Keith Forsey/Steve Schiff) :

https://youtu.be/CdqoNKCCt7A

Quel paradoxe ! Un morceau qu’ils n’ont pas écrit, imposé par le film The Breakfast Club, devient le tube ricain et mondial des auteurs du si raffiné A New Gold Dream. Que j’eusse dû citer ?

 

. U2, The Unforgettable Fire (84, composée par U2, écrite par Bono, album éponyme) :

https://youtu.be/Pdupbfgtclw

Le premier style d’un groupe majeur, lyrique, flamboyant. Devant Pride. Malgré d’autres titres de Josuah Tree, One

 

. Sade, Smooth Operator (84, auteurs : Sade Adu/Ray St John, album Diamond Life) :

https://youtu.be/4TYv2PhG89A

 

. Peter Gabriel/Kate Bush, Don’t give up (86, composée/écrite par PG, album So) :

https://www.youtube.com/watch?v=VjEq-r2agqc&feature=share&fbclid=IwAR0yIxqf-yxpvgO3_8PijQOtdV2lkSWe7C7IzlZJRk7-Md5W7hkU1iiimms

Peter ! Solsbury Hill, etc. Un Grand du rock. Une voix formidable. Une capacité à renoncer et à se réinventer. Un artiste citoyen aussi, qui a ouvert le sillon de la World Music.

 

. France Gall, Evidemment (87, A/C : Michel Berger) :

https://youtu.be/eXsox2-70VE?list=TLPQMjcxMjIwMTn8aKiUKQj3FQ

 

. Terence Trent d’Arby, Sign Your Name (87, album Introducing the Hardline according to TTdA) :

https://youtu.be/dluHzQhLcME

Malgré Wishing Well.

 

. Midnight Oil, Beds are burning (87, composée/écrite par Peter Garrett/Jim Moginie/Rob Hirst, album Diesel and Dust) :

https://youtu.be/ejorQVy3m8E

Le grand hymne écolo et anticolonialiste nous vient d’Australie. Pour faire plaisir à mon épouse.

 

Années 90

 

. Michel Berger, Le Paradis blanc (90, composée/écrite par MB, album Ça ne tient pas debout) :

https://youtu.be/Z2OawuAcIF4?list=TLPQMjcxMjIwMTn8aKiUKQj3FQ

Ce n’est pas ma tasse de thé a priori, Berger, mais, in fine, il faut bien avouer…

 

. Sinead O’Connor, Nothing compares to you (90, composée/écrite par Prince, album I Do Not Want What I Haven’t Got) :

https://www.youtube.com/watch?v=0-EF60neguk&feature=share&fbclid=IwAR1uUngVPrEcvjm7RYJqGFKndjcWAO0zxu2br4KYUAdKgrwGQmX6nxDvdyw

Reprise extraordinaire !

 

. Angelo Badalamenti, Theme from Twin Peaks (90) :

https://youtu.be/pXrjMaVoTy0

La musique plane autour d’une révolution artistique : le moment M où la série télé va dépasser le film de cinéma. L’an 0 du genre.

 

. Eric Clapton, Tears in Heaven (92, auteurs : EC/Will Jennings) :

https://youtu.be/cYTmfieE8jI

Ecrite pour son fils défenestré. On aurait préféré en rester à Layla.

 

. R.E.M., Everybody Hurts (93, album Automatic for the People) :
https://youtu.be/5rOiW_xY-kc

 

. Jeff Buckley, Hallelujah (94, Leonard Cohen, album Grace) :

https://youtu.be/svitEEpI07E

Mort après un seul album studio mais vénéré par Radiohead, Muse, Coldplay, etc. Mais par Jimmy Page, Robert Plant aussi.

 

. Portishead, Glory Box (95, album Dummy) :

https://youtu.be/dluHzQhLcME


. Eels, Novocaïne for the Soul
(96, composée/écrite par Mark Everett, album A Beautiful Freak) :

https://www.youtube.com/watch?v=V2yy141q8HQ&feature=share&fbclid=IwAR2ZGqQjgSWV5TQWT_pI3s_tLPh0GZr15Vi1Ja4HymY6Tdc2DGf2a4iClPM

 

. Radiohead, No Surprises (97, Thom Yorke, album OK Computer) :

https://www.youtube.com/watch?v=u5CVsCnxyXg&list=RDu5CVsCnxyXg&start_radio=1

Un extrait parmi d’autres du meilleur album des années 90 ? On parle du meilleur groupe des années 90 ? Du meilleur chanteur ?

 

. The Verve, Bitter Sweet Symphony (97, album Urban Hymns) :

https://www.youtube.com/watch?v=1lyu1KKwC74&feature=share&fbclid=IwAR3eyjDDIla0yBCysnLyFZsnQtUOxKzwprMRBp9AgstfdT5tYxdqHSIq7Zg

 

. Deus, Instant Street (99, composée/écrite par Barman/Ward/Mommens, album The Ideal Crash) :

https://youtu.be/uyA01nH72NI

Le meilleur groupe rock belge de tous les temps ?

 

. Blur, Tender (99, album 13) :

https://youtu.be/SaHrqKKFnSA

 

Années 2000

 

. Coldplay, Trouble (2000, album Parachutes) :

https://youtu.be/FPzI4dpEcF8?list=PL00176FD3DE99A115

La voix de Chris Martin !

 

. Air, Playground Love (2000, extrait de la bande sonore du film Virgin Suicides, de Sofia Coppola) :

https://youtu.be/hFuu5wPFv1M

Plutôt que La Femme d’argent, Sexy Boy ?

Pink Floyd, sors de ce corps !

 

. Radiohead, Idioteque (2000, album Kid A) :

https://www.youtube.com/watch?v=AWtn4Kt05_Y&feature=share&fbclid=IwAR1ag17pW6C58RIIinLG8m2IcmcVJjnS8Mx1BDfTfJMsFI9unJCTYWNRjvc

Inspiré par Paul Lansky/Arthur Kreiger. Tellement osé, leur changement de cap, que je fais une exception pour eux et les cite une deuxième fois mais pour une autre décennie, qu’ils transcendent aussi. Ce qui est rare. Les Beatles amarrés aux années 60, Bowie ou les Floyd aux années 70, etc. Sont-ils ce que le rock a offert de meilleur en termes d’accomplissement artistique et éthique ?

 

. Goldfrapp, Lovely Head (2000, auteurs : Alisson Goldfrapp/Will Gregory, album Felt Mountain) :

https://youtu.be/ITi6uat0BuQ

 

. Muse, New Born (2001, A/C : Matthew Bellamy, album Origin of Symmetry) :

https://youtu.be/qhduQhDqtb4?list=TLPQMjcxMjIwMTn8aKiUKQj3FQ

 

. Amy Winehouse, Back to Black (2007, composée par Mark Ronson/écrite par AW, album éponyme) :

https://youtu.be/TJAfLE39ZZ8

 

Années 2010

 

. Adele, Someone like You (2011, Adele Adkins/Dan Wilson, album 21) :

https://youtu.be/hLQl3WQQoQ0

 

.  Julie Armanet, L’Amour en solitaire (2017, composée/écrite par JA, album Petite Amie) :

https://www.youtube.com/watch?v=_wlnRatglSo&feature=share&fbclid=IwAR3UCHVMwMoS4-_mq06q7mMAFw1UwXkpOrAn_yi4lrW58wtnaxfhrYBrTXU

Ou Manque d’amour, L’Indien… du même album. Là, on a le nez sur le guidon mais…

 

. Clara Luciani, Pleure, Clara, pleure (2017, composée par CL/Ambroise Guillaume, écrite par CL) :

https://youtu.be/t4xfpuY0yyg

Ou alors La Grenade, Qu’est-ce que t’es beau en duo avec Philippe Katherine, Nue.

 

LE COUP DE PROJO D’EDI-PHIL #24 SUR LES LETTRES BELGES FRANCOPHONES

TOP 10 2019 d'Edi-PHIL RW
Philippe REMY-WILKIN (photo : Pablo Garrigos Cucarella)

Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 24 (janvier 2020)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

 

A l’affiche :

deux romans (Adeline Dieudonné et Francis Groff), un récit de vie (Marianne Sluszny), une BD/Doc (Arnaud de la Croix) et une pièce de théâtre (Jacques De Decker) ; les maisons d’édition L’Iconoclaste, Petit à Petit, Academia, Weyrich et L’Ambedui.

 

(1)

Cour de cœur du mois !

Adeline DIEUDONNE, La vraie Vie, roman, L’Iconoclaste, Paris, 2018, 266 pages.

On a beaucoup parlé de ce livre, il a décroché de nombreux prix, dont le Rossel, le plus prestigieux en Fédération Wallonie/Bruxelles., il s’est même beaucoup vendu. Je vais réserver mon énergie exploratrice pour des sentiers moins fréquentés, vous renvoyer à ce que dit mon collègue Pascal Blondiau dans Le Carnet. Une relation élargie, qui resitue la trajectoire d’Adeline :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2018/08/29/dieudonne-la-vraie-vie/

 

Je vous livre quelques impressions en surplomb.

 

Il est très très rare qu’un talent fasse si rapidement, si globalement l’unanimité. Lisez son parcours ! Un conte de fées. Et sachez que son livre est à l’opposé (quoique…) : un conte de monstres.

Faisons comme si l’on appartenait aux grincheux et jaloux, si courants. « Des talents démarrent fort qui s’étiolent rapidement. » Ou : « Nul doute qu’Adeline a été favorisée par un physique avantageux, la jeunesse et la sympathie dégagée. » Et encore : » Nos médias sont si frileux qu’un prix en entraîne un autre… ». Etc.

Je passe la balle à la défense : « Sa nouvelle ou son roman sont arrivés scellés, anonymes, c’est son seul talent qui a été récompensé ! » Dans un premier temps. Pour l’essentiel. Et tant mieux pour elle si elle a pu assurer ensuite. Mais mon exemple en dit long, mes préjugés. Légitimes mais balayés. Je n’avais pas d’appétit particulier pour le livre, je voulais jeter un œil par curiosité, dénicher des arguments pour l’une de mes théories sur le succès, etc. Et, de fait, lors des premières pages, j’ai soupiré. « Pff ! Encore une émule de Ferrante ! Une autre… Le monstre de départ me rappelle… »

Mais. Je suis vite passé à un « Tout de même, ce n’est pas si mal ! ». Dans la foulée, un « Non, soyons honnête, merde, c’est bien ! Ça louvoie même vers mon Murakami adoré. Ce zeste de fantastique, cette animation du réel, de la nature… ». Et j’ai terminé en mode soumission au talent de la collègue. « Très bien ! ». Respect, estime, affection.

 

Adeline donne de l’eau au moulin d’une de mes théories. Une autre ! Ouf ! La poésie, le plus souvent, a quitté les limites d’un genre pour en ensemencer d’autres, graver sa labellisation sur un album de BD (Le Nid des marsupilamis), des films (Mizoguchi !), des romans. En clair, son écriture, globalement très fluide, aisée à lire, distille mille notations poétiques. Ce qui veut dire chargées d’une intensité, d’une inventivité décapantes :

« L’atmosphère y était devenue si oppressante qu’elle nous mastiquait tous les quatre, broyant ce qui restait de santé mentale à mon père, ma mère et mon frère. Dès que j’entrais dans le hall, je pouvais sentir ses mâchoires se refermer sur moi. »

Pourquoi est-ce à la fois simple et fort ? Parce qu’il y a quelque chose de la créativité naturelle de l’enfant, qui n’a jamais le côté ampoulé de l’adulte, le côté délire masturbatoire de laboratoire (NDLR : cette rime !) :

« Je n’ai jamais vu les doigts du soleil sur ma maison. »

 

Le récit, lui aussi, est simple et fort. Il n’y a pas mille personnages et mille décors. Il y a un minimalisme situationnel. Mais ce peu est nourri d’une manne d’informations, de rebondissements. Et finit par déboucher sur un suspense haletant. Ou plusieurs. Comment dire ? Un plein narratif sans descriptions, digressions, explications. J’ai alors pensé – et c’est un sommet du compliment dans ma bouche ! – à un autre Rossel, Le Chant des Gorges du très talentueux Patrick Delperdange.

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Adeline Dieudonné

Il y a en sus une richesse thématique, non qu’il y ait pléthore de thèmes (quoique) mais ils sont excellemment communiqués. L’enfance amniotique et synergique. L’adolescence et sa mutation tectonique. Les peurs primales. Les tuteurs de résilience. Tout est dans tout, le meilleur et le pire se trouvent derrière la porte des voisins. Enfin et surtout, cette philosophie que je voudrais embrasser sous toutes ses coutures, qui m’a rappelé de troubles échos de vie :

« Je n’avais plus pleuré depuis l’épisode du jeu de nuit. Quelque chose s’était fossilisé à l’intérieur. Je me suis dit que c’était mauvais signe. Je refusais d’être une proie ou une victime, mais je voulais rester vivante. Vraiment vivante. »

Avouerai-je avoir in fine considéré l’héroïne/narratrice comme une sœur ? Parce qu’elle ose aller au-delà de l’interdit ? Parce qu’elle affronte le clivage majeur auquel se confronte tout être ? La nécessité de faire exploser la bulle qui nous a enfantés mais peut ensuite nous tuer ? Le syndrome Léopold Mozart.

 

In fine ? Le conte dépasse ses qualités apparentes et s’aventure en haute mer, se faufilant entre les récifs, pour ouvrir le Grand Large de la réalisation intime. Une mise en abyme de la condition humaine.

Un très beau livre ! Et que les grincheux/jaloux aillent se balader sur Mars !

 

(2)

Arnaud De La CROIX, Bruxelles, Des Celtes aux ducs de Bourgogne, BD/Doc, Petit à Petit, Rouen, 78 pages.

Nous avions beaucoup aimé le tome 3 (final) de cette histoire de Bruxelles. Et avons manœuvré pour retrouver les tomes 1 et 2 sous le sapin 2019/2020. En double même, pour nous épargner la confiscation par notre fils.

Nous avons retrouvé les qualités évoquées dans notre précédente recension :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2019/10/31/les-lectures-dedi-phil-21-coup-de-projo-sur-les-lettres-belges-francophones/

Cette salve offre un défilé de légendes bruxelloises. Plusieurs nous étaient inconnues : le passage de l’évêque de Cambrai Vindicien en 695, la persécution de la Bloemardinne au XIVe siècle.

Nous avons apprécié la mise au clair de diverses controverses. En premier lieu, Bruxelles n’a pas été fondée en 979, il faut plutôt s’attacher au rôle de Lambert II, comte de Louvain, vers 1040 (édification d’un castrum, suivi d’un castellum/château proprement à la fin du XIIe siècle). Apprécié revivre ce qui a fait le quotidien, la spécificité de notre capitale (ou de notre pays): les étuves, les chartes, les arbalétriers, le rôle des maçons et des brasseurs…

Image associée
Arnaud De La Croix

Et puis, au détour d’un paragraphe où il est question des conquêtes de Jules César, on a soudain retrouvé le polémiste Arnaud De La Croix, qui ferraille sur Facebook pour dénoncer ce qui lui paraît, à tort ou à raison, dérives de la démocratie :

« On voit que la politique contemporaine dite du droit d’ingérence humanitaire s’inspire directement de la stratégie interventionniste romaine. »

C’est aussi cela, l’Histoire, et même au premier chef, offrir une grille de lecture du présent, pouvoir prévenir (hum hum… ô utopie ?) l’avenir en observant les erreurs, les dérapages, les stratégies du passé.

Miam ! Je vais pouvoir savourer le tome 2, De Charles-Quint à la Révolution brabançonne, entre les réveillons.

 

J’ai évoqué d’autres livres d’ADLC précédemment :

https://karoo.me/livres/treize-livres-maudits-hublots-demultipliant-lhorizon

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2018/10/02/le-coup-de-projo-dedi-phil-sur-le-monde-des-lettres-belges-francophones-5-octobre-2018/

 

(3)

Marianne SLUSZNY, Le banc, récit, Academia, Bruxelles, 2019, 179 pages.

Couverture Le banc

Academia est adossée à L’Harmattan, maison d’édition très controversée, attaquée par divers auteurs en son temps pour des pratiques douteuses (voir les controverses sur le Net), j’ai pris quelques informations, entendu des échos rassurants, cédé à l’envie de découvrir un récit autobiographique. L’autofiction ? Oui, le sillon m’inspire des préjugés souvent confirmés, verse dans une asexuation du narratif, paramètre que j’estime majeur (toute identité, individuelle ou collective, nécessitant l’inscription dans une histoire depuis l’aube des temps).

Alors ? Il faut refuser l’amalgame et les étiquettes, éviter la caricature en se contrepointant soi-même. Puis l’autrice m’inspire des ondes positives : Marianne Sluszny fut, comme scénariste/productrice RTBF, la représentante d’un rapport des médias à la culture, à la création qui n’a plus guère d’équivalent aujourd’hui, qu’on regrette amèrement.

Plongeons dans le livre !

 

Un récit de deuil. L’autrice évoque la disparition de son époux (sans le nommer, choix indiciel), lui offre une sortie rêvée, un chant d’amour et de recréation. Un prologue et un épilogue ramènent au banc, à l’endroit où les cendres ont été répandues, au fond du jardin, là où le décédé aimait à rêver, contempler, discuter, là où Marianne Sluzny aime à se recueillir désormais :

« Je te murmure des mots doux et je devine les tiens à travers les bruissements des feuillages. Un charme étrange se répand alors pour envelopper la douleur de ta longue absence. Je pense à l’énergie que, tout jeune, tu as dû déployer, pour devenir ce que tu fus. (…) »

 

Deux récits sont menés à la première personne du singulier. Dans le premier, la parole est transmise au décédé, il retrace sa vie, ses axes, ses réussites et ses échecs, ses compétences et ses limites, ses interrogations et ses doutes. Dans le deuxième, l’autrice reprend la parole, narre la perte de son point de vue, les différentes étapes de la chute, de la révélation jusqu’aux derniers moments.

Globalement, le livre se lit très agréablement, il est bien écrit et bien narré, il recèle des perles d’écriture, d’émotion, de réflexion.

Marianne Sluszy a évité un écueil majeur, trop croisé dans l’autofiction : elle ne verse jamais dans l’égocentrisme, le narcissisme, la vanité. Sa sincérité, son humilité, son intégrité laissent sans voix, de plain-pied à ses côtés, la larme au coin de l’œil. Elle réussit la gageure de faire aimer le disparu sans le muer en superman, d’en fixer à jamais une image profondément humaine, qui nous parle.

Image associée
Marianne Sluzny

Il y a davantage.

Une réflexion se dégage. Sur le Beau, le Bien, le Bon. Entrevus, à travers la sobriété du dire : les goûts artistiques, l’engagement citoyen, la capacité à s’émerveiller devant la nature ou l’art, la présence forte d’une sœur, d’une fille ou d’un fils, d’un ami, etc.

L’autrice restitue l’histoire familiale du protagoniste. En quelques touches, le père et la mère, la fratrie acquièrent une consistance puissante qui interroge sur nos liens au clan originel, constructeurs et destructeurs. Elans et entraves pour l’accomplissement. C’est qu’il est ici question d’un homme qui se rêvait cinéaste mais qui n’aura réalisé (!) sa vocation qu’à demi, excellant dans le documentaire télévisuel mais renonçant à mener au bout son projet créatif (sur Charles de Coster). Sa mère ne lui a pas insufflé suffisamment d’énergie, de confiance, d’amour ? Une mère de conte de sorcières, qui fait interner son frère durant leurs vacances, culpabilise régulièrement l’un de ses fils pour les errements de l’autre :

« Yves, le pauvre, n’est pas tout juste… Et c’est de ta faute, oui de ta faute… Tu as volé toute l’intelligence… »

Une mère odieuse. Qui méprise les inclinations de son fils, ne suit aucune de ses émissions. Un monstre. Qui m’a soudain projeté dans un décalage absolu (mais heureusement fort bref) avec le narrateur :

 « C’était mon devoir d’aller chaque jour au home visiter ma mère. Mon frère (était-ce la réponse du berger à la bergère ?) ne s’y rendait jamais. Ma petite sœur non plus. (…) Je fus donc un bon fils. »

Y a-t-il là un second degré ? Le narrateur insiste, il est vrai, sur le matraquage de « Il faudrait » qui l’a partiellement formaté, sur ses propres erreurs vis-à-vis de ses enfants, interroge ses sentiments profonds.

A noter : le thème des mères prédatrices/suceuses de fluide vital traverse mes derniers ouvrages (Matriochka et Vertiges ! publiés en 2019) ou l’une de mes recensions pour Le Carnet (le remarquable Onnuzel de Thierry Robberecht, chez Weyrich).

 

Terminons en beauté et dans l’empathie, rejoignons Marianne sur son banc, et son mari aussi :

« Nos dernières semaines.

Solde du mauvais coup de dés, elles furent du même registre que nos liminaires étincelles. »

Ou :

« Tes dernières semaines.

Feignant d’ignorer l’imminence du naufrage, tu avais vogué en eaux troubles, avec une simplicité désarmante.

Tu fus aimable, attentif, amoureux et ouvert aux autres. »

 

(4)

Francis GROFF, Vade retro, Félicien !, roman policier, Weyrich, Neufchâteau, 2019, 204 pages.

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Je vous renvoie à ma recension dans Le Carnet, que l’auteur estime, sur sa page Facebook, « taillée comme un diamant » (!) :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/12/24/brouillon-autogroff-vade-retro-felicien/?fbclid=IwAR1SYemgct7zJO6L7drt8sR-yEQ-OoTMozIOei2lz6w2pdTQB7rhLw46r1A

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Francis Groff

J’ai donc lu les 5 premiers livres de la collection Noir Corbeau !

 

(5)

Jacques DE DECKER, Fitness, texte d’une pièce de théâtre illustrée par Roland BREUCKER, L’Ambedui, Bruxelles, 1994, 50 pages.

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Pour évaluer mon estime de l’œuvre de JDD, il suffit de se reporter à mon feuilleton, quatre épisodes parus ces derniers mois en ces pages (et même un cinquième/bonus). En 2019, j’ai lu son œuvre romanesque et… l’ensemble de son œuvre dramaturgique. Une pièce m’échappait, l’auteur me l’a fort aimablement offerte (et à mon fils, qui se passionne pour son théâtre).

Une comédie-solo, annonce la couverture. J’en retiens une information qui accrédite mes théories : JDD se renouvelle sans cesse, innove. Passe d’un genre à un autre, d’un traitement du genre à un autre. Côté théâtre, solo, duo, quatuor, etc. Qui plus est, le texte est drôle, dynamique, ludique aussi avec sa mise en évidence des différentes parties du corps de l’héroïne au fil des scènes, c’est-à-dire des séances de fitness.

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Jacques De Decker 

Mais, à force de voir se multiplier les clins d’œil, les jeux de mots, etc., j’en ai été distrait de ce que l’auteur cherchait à distiller, des interrogations sur la condition d’une femme en 1994, les origines, le sens de celle-ci :

« Elles (NDLR : nos arrière-grands-mères) n’étaient bonnes à rien, cernées de bonnes à tout faire, même l’amour que leurs maris allaient glaner dans les soupentes. 

Elles se sont mises à singer les mecs, à envier leurs hochets, le pouvoir, la polémique, la comédie que se jouent les gros lards qui n’ont dans la panse que de quoi digérer ce dont ils s’empiffrent.
Mais pardi, c’est bien sûr ! Bobonnes et superwomen, même combat ! »

 Polémique ?

 

Edi-Phil RW.

 

LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 : VERS SUR LES FEUILLES D’AUTOMNE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 : LE GRAND CHOIX / La chronique de Denis BILLAMBOZ
Denis BILLAMBOZ

Dans cette chronique, j’ai réuni deux poètes qui proposent des vers (ou de la prose) bien différents mais qui ont le grand mérite de m’être fidèles depuis plusieurs années. J’ai presque tout lu et commenté l’œuvre de THIERRY RADIÈRE, pour cette fois ce sera un petit recueil de poésie : « Tercets du dimanche » qui évoque ce jour tant attendu, dans la campagne de Thierry comme dans la mienne, et si vite épuisé. Le second recueil est l’œuvre de SALVATORE GUCCIARDO qui propose des vers et de la prose aussi flamboyants que ses tableaux, on y devine les mêmes couleurs enflammant aussi bien les pages que les toiles.

 

Tercets du dimanche

Thierry Radière

Gros Textes

Les courtes poésies en vers libres exprimant souvent la vie quotidienne, les rites familiaux, la campagne de son enfance, la douceur familiale, la vie lente et paisible contrastant avec l’agitation citadine, sont vraiment le domaine de prédilection de Thierry Radière, il y excelle particulièrement. Après « Les samedis sont au marché », il évoque ici les dimanches paisibles qu’il passait, enfant, dans sa campagne ardennaise. Et brusquement, après la lecture de quelques tercets seulement, des tercets comme des images, j’ai été immergé dans ma propre enfance passée elle aussi dans une autre campagne sur les plateaux jurassiens. Et j’ai revu mon père tellement heureux de partager la sacro-sainte partie de carte du dimanche après-midi avec ses enfants et des voisins.

« Le jeu de carte après le café

sur la nappe à fleurs

claquait les poings »

C’est une image très forte, elle fait partie des dernières que j’ai partagées avec mon père, comme les balades dans la campagne que nous avons prolongées quand nous sommes devenus nous-mêmes parents.

« le chemin derrière la maison

dès qu’il n’y a plus rien à faire

nous invite à retrouver les pas de notre enfance ».

Ce recueil, ce sont tous les souvenirs que Thierry a mis en mots harmonieux, en couleurs, en saveurs et en odeurs, tout ce qui a construit notre mémoire familiale, celle que nous avons partagée avec nos parents et que nous avons transmis à nos enfants et petits-enfants. Ces fameux dimanche où il fallait sortir « les habits du dimanche »

« C’est le jour du tergal

au pantalon lors de la messe

des sourires d’anges démangent »

Ces dimanches rythmés par les programmes de la télévision quand il n’y avait que deux ou trois chaînes, selon les époques, et que tout le village vivait au même rythme, celui de la télévision.

« Quand à la télé

à l’heure du goûter

les cow-boys mouraient subitement »

C’est aussi le repas du dimanche élaboré avec les produits de la ferme, un festin comme on n’en mange plus, les produits de nos cultures et de nos élevages n’existent plus. On ne savait pas ce qu’était la diététique mais on connaissait bien la gourmandise.

« La cuisine est un musée

du dimanche olfactif

elle a laissé des traces dans les rides. »

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Thierry RADIÈRE

Le dimanche c’est le jour après le samedi qui souvent laissait les stigmates de la fête dans les têtes embrouillées et le jour avant le lundi générateur du spleen du dimanche soir qui sonnait comme un air de fête qui se termine.

« Et la grasse matinée

dans ses habits du dimanche

sait bien que ce n’est qu’une répétition »

 

« Et enfin le dimanche arriva

dans ses habits du soir

avant même que la journée ne débute »

Ce jour tellement attendu, si vite passé, achevé dans une ambiance empreinte d’une pointe d‘amertume. Je laisserai la conclusion à Thierry avec la question qu’il nous adresse et à laquelle je ne sais pas répondre.

« A-t-on inventé ce jour

Pour donner une pointe d’espoir à la vie

Des travailleurs jamais tranquilles ? »

Le recueil sur le site de GROS TEXTES

Sans botox ni silicone, le blog de Thierry RADIÉRE

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Ombres et lumières

Salvatore Gucciardo

L’Harmattan

Couverture Ombres et lumières

Avant d’avoir lu le premier mot de ce recueil, j’ai été ébloui par sa qualité éditoriale, un vrai livre d’art : le papier est de belle qualité tout comme l’impression, la couverture est illustrée d’une peinture de l’auteur lui-même et les dessins à l’intérieur sont aussi de l’auteur. Salvatore manie les pinceaux et le crayon avec autant de talent que le clavier dont il tire de la poésie, en prose ou en vers, brillante comme les peintures qu’il enflamme de couleurs chaudes, brûlantes, flamboyantes. Des couleurs qui évoque l’astre solaire dispensateur de lumière et de vie.

Ses illustrations représentent presque toujours un cercle, comme un univers clos, comme une planète, qui enserre un visage souvent serein exprimant la vie ou une partie de visage tout aussi sereine ou alors d’autres figures toutes géométriques que j’interprète comme des allégories de la faune ou de la flore qui peuple notre monde. Il ne manque que la couleur flamboyante que Salvatore utilise habituellement pour exprimer la luminosité et l’incandescence solaire qui génèrent la vie sur notre planète.

« La voie lactée exulte en composant la symphonie des courbes. L’espace transcrit sur le livre des étoiles le parcours primitif ».

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Salvatore GUCCIARDO

Sa poésie en prose ou en vers dégage la même lumière, la même flamboyance, la même incandescence que ses peintures. Elle raconte la genèse du monde, la mythologie fondatrice, le passage de l’ombre à la lumière sous l’effet de l’incandescence solaire.

« Je me souviens du grain de lumière sortant de l’obscurité. L’éclat primitif avait rejoint la réalité, l’embrasement gigantesque… ».

Elle dépeint avec un minimum de mots d’un maximum d’intensité l’origine de la vie.

« Tu as embrassé la lumière en poussant un vagissement fougueux en sortant du vagin du néant ».

Et la vie débordant de son cadre natal envahit l’univers.

« On va coloniser les terres sidérales. Atteindre le rêve initial. Créer une nouvelle vision. Tous les bâtisseurs se sont unis pour que le fantasme devienne réalité ».

Et la vie va déborder l’univers sidéral pour coloniser tous les mondes virtuels qui germent dans les systèmes sensitifs, végétatifs, biologiques, intelligents qui peuplent l’univers.

« La spirale m’aspire. Le verbe m’échappe. Tout est émotion ».

Et avec ses mots, ses dessins, ses couleurs, sa foi en la vie, Salvatore nous convainc que « Nous représentons l’histoire de l’humanité ».

Avec ce recueil, il en a écrit le premier chapitre …

Le livre sur le site de L’HARMATTAN 

Le site de Salvatore GUCCIARDO

LETTRE À RENÉ CHAR SUR LES INCOMPATIBILITÉS DE L’ÉCRIVAIN de GEORGES BATAILLE / Une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

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Jean-Pierre LEGRAND 

En mai 1950, dans la revue Empédocle, le poète René Char pose à la cantonade une question à première vue absconse : « Y a-t-il des incompatibilités ? ».  Il éclaire (un peu) la portée de la question en précisant  que “ certaines activités contradictoires, peuvent être réunies par le même individu sans nuire à la vérité pratique que les collectivités humaines s’efforcent d’atteindre. C’est possible mais ce n’est pas sûr. La politique, l’économie, le social et quelle morale ? ».
En fait, Char interroge la position de l’artiste face à l’engagement. Le problème n’est pas neuf : il a divisé les surréalistes avec lesquels Char a fait un bout de chemin.

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Sous la férule (au propre comme au figuré) du génial, autoritaire et insupportable Breton, les surréalistes ont, jusqu’à l’obsession, voulu voir dans la poésie non plus un divertissement mais une activité de connaissance ouverte à tous et expression de toutes les facultés réunies en une seule ; au nom même du primat de la poésie sur toute autre activité, ils ont exécré toute poésie qui négligerait l’action révolutionnaire mais refusé de soumettre l’expérimentation surréaliste à un quelconque contrôle extérieur, fut-il communiste. Après bien des oscillations, le mouvement surréaliste a donc dégagé un positionnement opposé à toute littérature de propagande ou de circonstance et fondée, selon la belle formule de Nadeau, sur « un art qui porte en lui-même sa force révolutionnaire quand il est le produit d’hommes qui sentent et pensent en révolutionnaires » tout en laissant la direction de l’action aux politiques. En somme, une sorte de laïcité littéraire.

On sait que certains compagnons de Breton, comme Aragon, firent un autre choix : excessif et un brin théâtral, un temps contempteur de « Moscou la gâteuse », Aragon  fit donc le voyage de Kharkov, puis nous torcha l’extravagant Front rouge puis l’accablant Hourra l’Oural. Au-delà de cette triste palinodie – qui ne l’empêchera de produire une des œuvres majeures de la littérature française – Aragon, dont la sincérité révolutionnaire n’était pas en doute, se heurtait à une question pour lui cruciale : comment assurer à la poésie une prise sur la réalité ? A quoi bon une poésie ou une littérature « qui s’enchantent de leur propre insignifiance » ?

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Georges BATAILLE

Ami de Char, l’écrivain Georges Bataille – aujourd’hui bien oublié –  reprend  le débat à nouveaux frais en relevant  le défi lancé par l’interrogation de Char. Il y répond par sa  « Lettre à René Char sur les incompatibilités de l’écrivain ». C’est cette lettre accompagnée des dessins de Pierre Alechinsky que les éditions Fata Morgana ont eu  la bonne idée de rééditer.

Resserrant la focale sur la figure de l’écrivain, Bataille marche sur des œufs… Ces années-là, Sartre exerce sa toute-puissance sur le monde intellectuel ; sa conception de la littérature engagée tend à s’imposer : rejetant le purisme esthétique, il lui oppose la nécessité d’une littérature « utile ».

Prudent, Bataille semble tout d’abord vouloir mettre tout le monde d’accord : « J’aperçois, dit-il, chaque jour un peu mieux que ce monde où nous sommes, limite ses désirs à dormir. (…) Nous avons assisté à la soumission de ceux que dépassent une situation trop lourde ». Mais ajoute-t-il finement : « ceux qui crièrent étaient-ils plus éveillés ? ».

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René CHAR

Bataille en vient au rôle de la littérature. L’écrivain doit-il être un homme d’action ? (Pour Sartre cela ne fait aucun doute, parler étant déjà agir.) Doit-il être utile ?  Si on ne peut se passer de l’action utile ni se soustraire à la nécessité d’assurer les subsistances, il n’en demeure pas moins que l’œuvre de l’écrivain demeure pour lui étrangère à cet ordre prosaïque. Le domaine de la littérature est celui du langage par-delà  les contraintes et comme le rêve, elle est l’expression du désir, de « l’insubordination légère ». C’est par la littérature que l’homme apprend qu’à jamais il est insaisissable, « étant essentiellement imprévisible, et que la connaissance doit finalement se résoudre dans la simplicité de l’émotion ».

Dans ce contexte, la subordination de la littérature à une fin prédéterminée, sa soumission à l’utile lui ôte précisément ce qui fait son prix.

« L’incompatibilité de la littérature et de l’engagement, qui oblige, est donc précisément celle de contraires. Jamais homme engagé n’écrivit rien qui ne fût mensonge ou ne dépassât l’engagement. S’il semble en aller autrement, c’est que l’engagement dont il s’agit n’est pas le résultat d’un choix, qui répondît à un sentiment de responsabilité ou d’obligation, mais l’effet d’une passion, d’un insurmontable désir, qui ne laissèrent jamais le choix ».

La littérature est et doit demeurer souveraine.

L’engagement « qui oblige » tel est le maître mot : adversaire de toujours de toute littérature de propagande, Bataille dénie toute authenticité à la plume asservie à un maître, à une idéologie, à toute contrainte imposée de l’extérieur. On n’écrit jamais sur commande : si engagement il doit y avoir, il se doit d’être dégagé de tout sentiment de responsabilité ou d’obligation ; l’écrivain n’écrit et son engagement éventuel ne vaut,  que mû par l’effet de la passion, d’un insurmontable désir. S’il survient une  raison d’agir, « il faut la dire le moins littérairement qu’il se peut ». L’écrivain peut donner à une cause l’autorité de son nom mais « l’esprit sans lequel ce nom n’aurait pas de sens ne peut suivre ; (…) l’esprit de la littérature est toujours du côté du gaspillage, de l’absence de but défini ».Soucieux d’éviter l’engagement sous la forme d’une fidélité politique sans vérité, Bataille se laisse sans doute trop gagner par une certaine « euphorie de la création artistique apolitique ».

Le lettre de Bataille est courageuse et lucide à une époque où bien des intellectuels prennent pour le souffle de l’avenir le  « vent de crétinisme » qui leur vient d’URSS (puis de Chine).

A notre époque moins travaillée (en apparence) par les idéologies, l’engagement ne paraît plus répondre à une obligation. Il est simplement une possibilité. Aujourd’hui comme hier l’écrivain, le poète ou l’intellectuel ne doivent se laisser enfermer dans aucune catégorie politique : dégagé du carcan militantiste ou partisan, il doit, comme le souligna l’essayiste Denys Mascolo, se découvrir une manière individuelle d’être révolutionnaire ou plus simplement inadapté au monde tel qu’il tourne (mal).

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