
Les Lectures d’Edi-Phil
Numéro 25 (février 2020)
Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones
sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…
A l’affiche :
deux romans (Michel Torrekens et Myriam Leroy), un bookleg/monologue (Céline de Bo), une DB/doc (Arnaud de la Croix), une BD (Frank et Bonifay), une revue (Traverses) ; les maisons d’édition Zellige et Seuil, Maelström, Petit à Petit et Dupuis, Traversées.
(1)
Michel TORREKENS, L’Hirondelle des Andes, roman, Zellige, 2019, 197 pages.
Le pitch ? Je préfère renvoyer à la quatrième de couverture, très complète, offerte par le site de l’éditeur :
http://zellige.fr/collections/vents_nord/vents_nord/Michel-TORREKENS-L-hirondelle-des-Andes.html
Michel Torrekens est un auteur que je suis depuis une vingtaine d’années. Qui s’est abord distingué comme nouvelliste (trois recueils) avant de passer au roman. Qui mérite notre admiration aussi comme médiateur, ayant beaucoup œuvré au service du faire-savoir de nos Lettres, ce que nous avions évoqué à la fin du numéro 5 de cette mini-revue :
Ce texte est son deuxième roman, toujours chez Zellige, un éditeur français (Roger Tavernier) qui a eu l’excellente idée de consacrer une collection (Vents du Nord) aux auteurs belges (Pascale Toussaint et Jacques Richard, Marc Meganck, etc.).
On est surpris et curieux, Michel Torrekens nous a habitués à l’intime. Que nous réserve son sierra movie ? De l’intime, toujours, conjugué au grand large d’un voyage transatlantique ! La quête de l’héroïne, Pauline, ses remises en question (de sa vie, de son vécu traumatique – l’abandon de sa mère partie chercher… dieu sait quoi… de l’autre côté du monde -, de ses priorités), son lâcher-prise progressif s’inscrivent dans une douce odyssée à travers un univers exotique :
« Les hautes crêtes de la Cordillère défilent comme si elles glissaient sur les notes qui emplissent l’espace. Le paysage forme un océan de collines pris dans une houle visuelle. (…) Insensées de beauté, les steppes de la Puna s’étendent à l’infini. La conductrice aperçoit un aigle, un condor (…) »
Le ton est feutré. On distingue les effets de la violence, des guerres entre autorités et révolutionnaires (qui se rejoignent en prédation, haine de l’autre, destruction aveugle des beautés de la vie, abandon/maltraitance des populations fragilisées), mais l’action spectaculaire, les grandes articulations géopolitiques se tiennent à distance.
Feutré mais alerte. Chaque rencontre, chaque étape du voyage offrent leur lot d’émotions, d’aventures sensuelles, spirituelles, morales.
Le récit se lit agréablement et aisément, entrecoupé par des textes de la mère, des incises qui contrepointent le fil narratif premier, orchestrent une esquisse de dialectique. Une écriture poignante :
« Comment savoir si l’on a fait les bons choix ? Oui, j’ai menti. Menti à mes enfants. Menti à mon mari. Menti à moi-même. Est-il possible qu’il y ait plusieurs vérités, que la vérité soit comme les couleurs changeantes du jour ? Qui ai-je voulu protéger ? (…) Je voudrais revivre les choses, revenir en arrière, poser un autre choix (…) L’existence se résume à un brouillon. »
Il y a quelques subtilités notables.
Le récit se décompose en trois parties (Les temps finis, Les temps suspendus, Les temps infinis).
Il s’intègre aussi (ce n’est pas annoncé mais…) dans un diptyque. Le premier roman de Michel Torrekens évoquait la fin de vie d’un Monsieur Jean entré dans une maison de repos et visité par sa fille Pauline, leurs rapports complexes, la disparition d’une épouse. Et ce deuxième opus nous embarque dans la foulée d’une Pauline qui, après avoir fait ses adieux à son père, un Monsieur Jean, en Belgique, a décidé de retrouver sa mère, une épouse disparue – ou plutôt, celle-ci étant présumée morte (victime du Sentier lumineux de triste mémoire), d’enquêter sur ses mystères, ses motivations, son parcours.
Une thématique nuancée se faufile en filigrane et remet en question la… sainteté. Hélène, la mère de Pauline, est d’abord, officiellement, une sainte laïque à la manière des héros de La Peste de Camus. Elle a risqué mille fois sa vie pour soigner, mettre au monde, soutenir les déshérités du Pérou. Mais, dans une autre perspective (familiale, privée), elle apparaît égocentrique, égoïste, lâche même.
La dernière partie offre un suspense croissant. Pauline va-t-elle découvrir le fil d’Ariane qui la mènera vers sa mère ? La rédemption est-elle possible ? Pour laquelle des deux ?
PS
SPOILER !
Le texte, derrière moi, continue à me parler. À m’interroger. Et recoupe diverses lectures récentes, deux de mes ouvrages aussi, sur le rapport à la mère, à ce qui, dans un parent, peut construire ou détruire.
Pauline ayant vécu hors vie, on peut se demander jusqu’à quel point la mère, Hélène, est responsable. Mais, a contrario, la mère, dans son absence, nourrit un élan qui, propulsant sa fille vers un Ailleurs radical, la reconnecte à la vie. A l’insu de son plein gré ? Ou pas. Il y a une confrontation au Sens. Ce Sens qui est le cœur d’une vie. Un Graal, somme toute, qui colorie nos parcours ou, en son absence, les laisse décharnés, délavés.
L’épilogue est infiniment subtil, il renvoie dos à dos la nécessité de la quête et l’impossibilité de son aboutissement… au premier degré. Ce qui renvoie à l’idée que la destination, l’objectif d’un voyage est moins important que le voyage lui-même. Comme de poser les bonnes questions sans obtenir nécessairement les réponses.
(2)
Myriam LEROY, Les Yeux rouges, roman, Seuil, Paris, 2019, 188 pages.
La curiosité ! Je n’avais pas aimé le premier roman de notre jeune vedette des médias, Ariane, que je n’ai pu achever, n’ayant aucune empathie pour ses personnages, mais la rumeur, la deuxième chance, le thème…
Le thème ! Facebook. Ou le harcèlement via les réseaux sociaux. Alors que je me suis moi-même, naguère, essayé, dans une nouvelle, au pastiche des débats Facebook. Que j’évoque, dans de récents/prochains chantiers, l’abus de pouvoir, le harcèlement.
Plus précisément ? Myriam Leroy s’est inspirée de son expérience personnelle (son harceleur a été poursuivi en justice) pour nous offrir un cas édifiant de dérive insinuée par les réseaux sociaux.
Le pitch est fort simple, une transposition de ces trames lues mille fois dans des romans policiers, des thrillers.
Une chroniqueuse en vue, bien faite de sa personne mais décapante dans ses avis, attire l’attention d’un névrosé, qui lui écrit, clame son admiration, elle répond, ils échangent, elle perçoit progressivement une distorsion (le type est malsain, professe des convictions dignes du RN ou du Vlaams Belang), elle veut prendre ses distances, il s’accroche, il renâcle, rentre par la fenêtre (mail, sms) quand elle l’expulse par la porte (blocage Facebook).
Le malaise croît, se transforme en menace. Il se voit en rejeté, en victime, elle en étouffée, en victime. Appel aux réseaux de chacun. A la justice. Les réactions des entourages. Jusqu’à ce que…
Dans la première partie de ma lecture, je suis déchiré entre deux flux de sensations contrastées. Qui m’assimilent à deux types de réactions face au livre. Celles qui ont mené à son succès. Celles qui ont poussé des gourmets du microcosme à esquisser une grimace.
On n’est pas dans Proust, Modiano ou Bergen. Mais tant mieux pour un public qui se laisse emporter par une prose très directe, la volonté de faire simple mais vivant, alerte, jeune :
« Il avait envie slash besoin d’un sparring-partner, comme à la boxe. (…) il avait misé tous ses jetons sur mon numéro. Acceptais-le défi ? Topais-je là, emoji poing ? »
Et tant pis pour d’autres, qui caleront face au côté pop punk de l’écriture, face à la restitution (les faits, actes et paroles, nous parviennent décalés), la répétition des emoji ceci ou cela :
« Il s’appelait Denis. Il était enchanté. (…) Que je ne me méprenne pas surtout, il ne me faisait aucun gringue. Il était en couple depuis perpète (…). »
La restitution. Une grande éditrice parisienne me l’a enseignée comme un défaut létal. Qui met le lecteur à distance, glisse le récit dans la naphtaline. Une simulation de dialogue eût-elle été plus vivante, aérée, dynamique ?

Pourtant, soudain… Me voilà convaincu que beaucoup de lecteurs auront aimé, adoré, détesté en passant à côté des desseins, des forces souterraines du texte. Méditant sur les ratés de nos perceptions : nous passons parfois/souvent à côté de l’essentiel en lisant trop vite, en renonçant trop vite. Nous sommes des éjaculateurs précoces de la vie, incapables, pour la plupart, de nous projeter dans le temps long, l’immersion, la perception pleine et entière.
Revenons en arrière. On lit la lamentation d’une jeune femme (qui pour placer le Lamento d’Ariana en bande-son ?) face à une mésaventure à dérive dramatique. On lit ou on croit lire ? L’autrice raconte Facebook mais ne nous offre pas ses échanges. Du tout. Le récit est transmis par une instance tapie dans l’ombre, qui est la narratrice mais… Comment dire ? Relisons :
« C’était gentil de lui avoir répondu. Vraiment. Il en était très heureux. »
L’autrice, qu’on assimile à la narratrice (en oubliant une question essentielle : dans quelle proportion se situe l’identification ?), la pousse pourtant en marge, ne lui donne pas une parole directe. Ni à elle ni au présumé harceleur ni à personne.
Une instance narrative, donc. Qui infiltre un ton particulier, original, un trouble. Qui répond sans doute à une injonction intime : brouiller la perception, le jugement et, ce faisant, nous obliger à mieux appréhender un phénomène sous toutes ses coutures, une époque et ses dérives.
Le livre n’est plus le récit d’une anecdote sombre mais drôle, de par le ton, les mots. On quitte l’autofiction et ses limites pour embrasser un espace beaucoup plus large. Où l’autrice balaie sa caméra en mode destroyed. La narratrice nous est-elle présentée si avantageusement ? On la pensait forte, mordante… On la voit faiblir, s’effondrer. Mais les tergiversations ont été dénoncées rapidement. Ainsi, dès la page 45 :
« Mais enfin mais pourquoi ne virais-je pas ce mec de mes contacts Facebook s’il me faisait chier à ce point, s’exaspérait Salomé ? »
Le conflit la ronge, la transforme, la rend littéralement malade, lui conférant (à ses yeux) des allures d’Elephant Man (alors qu’elle reste jolie, à peine diminuée – les yeux rouges !). Comment interpréter ses passages chez divers thérapeutes (Caro Diaro ! Moretti, sors de ce corps !), souvent farfelus ? Les conseils du compagnon, des proches, qui restent lettre morte ?
Le lecteur perd ses repères, ses appuis. Au fond, tout nous parvient de manière si indirecte… la restitution fait sens, dans sa subjectivité. Et s’il s’agissait d’une reconstruction tronquée de la réalité ? Les indices s’accumulent. La narratrice part dans des délires haineux contre son entourage, personne ne l’aurait comprise, soutenue :
« Qu’ils crèvent. Les toubibs, les flics, les collègues, le juge, le procureur, le journaliste (…) tous les confrères (…) ceux qui conseillaient de penser à autre chose (…) et puis toi qui n’avais rien vu (…) toi qui me ramènes sans cesse à la Syrie (…) je te crache à la gueule (…) une bile acide comme du Destop (…). »
Elle va plus loin. Elle envisage l’enlèvement, le meurtre de son présumé tortionnaire… Offre une mise en abyme du roman avec ce qui pourrait s’apparenter à un premier jet, une esquisse… ou une autre perspective. Le sol tremble sous les pieds du lecteur à la lecture de la nouvelle rédigée par la narratrice (NDA : je n’ai pas dit « par l’autrice » !). Un texte où elle questionne les troubles raisons de sa dépendance, passe aux aveux. C’est elle qui s’est jetée sur lui lors d’un concert. Elle savait qu’il était odieux sur Facebook avant de l’accepter comme ami (NDA : ils avaient 48 amis communs).
Quelles surprises nous ménage la fin du roman ? Où le suspense se déploie selon deux perspectives, le sort de la narratrice, le rapport au réel.
In fine ? Myriam Leroy a dépassé le règlement de comptes égocentré pour nous révéler une part réelle (réelle !) du monde d’aujourd’hui, nous a envoyés au cœur d’une problématique, d’un phénomène. Auquel nous apportons notre obole. Qui nous échappe, nous dépasse. Elle arrache le voile qui masque encore, pour d’aucuns/bisounours, la société dans laquelle nous vivons avec son explosion à découvert de racisme, de sexisme, ses multiples régressions face aux institutions (NDA : souvent supérieures aux citoyens, et méfiez-vous des référendums et autres subterfuges populistes à prétention démocratique !) mais sa confrontation, aussi, avec les dérives paranoïaques, égocentriques, narcissiques, complotistes.
Déstabilisant ! Le propre de l’Art, non ?
(3)
Céline DE BO, En raison du mauvais temps, dansons !, Maelström, monologue, 2019, 21 pages.
L’autrice, outre qu’elle aime voyager aux quatre coins du monde, est une (jeune) femme de théâtre. Nulle surprise, donc, à ce que son bookleg, se présente comme un long monologue, entrecoupé de didascalies (ou apparentées).
Un bookleg ? Un livre-témoignage (souvenir d’un happening musical, d’une performance, d’une lecture) édité dans l’urgence, à coût réduit. En l’occurrence, celui-ci s’inscrit dans une salve de huit, au sein d’une collection Bruxelles se conte initiée par la COCOF (Commission Communautaire Française de la Région Bruxelles-Capitale). Chaque fin d’année, depuis onze ans, l’éditeur bruxellois Maelström réalise un tel tir groupé, jumelé désormais avec l’anniversaire de la librairie adossée à sa maison éditoriale.

Dans En raison du mauvais temps, dansons !, l’autrice s’adresse à sa fille, décédée quelques jours après sa naissance. Un drame qui a entraîné le naufrage d’un couple uni et amoureux, la perte de l’appétit de vivre, du sens.
Loin d’un lamento, Céline de Bo recrée avec dynamisme cette enfant, l’imagine inscrite dans l’animation bruxelloise à diverses pages de son parcours, elle lui rêve une vie et, à travers le prisme du dire, de la création, elle redonne des couleurs à l’existence, finit par s’offrir la chance de revivre.
Le texte est émouvant, très bien écrit, alerte, fluide, et faufile de jolies images :
« Et puis, Bruxelles te manque, tu reviens, c’est ta ville. Tu aimes tellement nager sur les toits à la vue panoramique, boire une bière légère en terrasse, ne pas payer d’avance et partir discrètement, rentrer la nuit à pied sous la pluie dans les rues désertes. »
Qui plus est, Céline de Bo intrique l’intime dans un grand large bienvenu, un regard sur la ville (sa ville, LEUR ville, Bruxelles), la société, le monde qui attendaient sa fille… et ses combats.
Un beau texte, qui fait sens.
PS
Nous avons évoqué durant trente minutes la salve de booklegs sur Radio Air-Libre, au micro de Guy Stuckens :
https://www.mixcloud.com/guystuckens/les-rencontres-litteraires-de-radio-air-libre-200120/
Notre collègue Denis Billamboz y a consacré plusieurs articles sur des plateformes littéraires françaises, notamment à propos du texte de Luigi CAPUANA (traduit par Alexandra Charpentier, supervisé/édité par Marcelo Oro, mis en page/conçu graphiquement par Johann Soibinet, relu/corrigé par Benjamin Porquier) :
https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/57179
http://mesimpressionsdelecture.unblog.fr/2020/01/24/un-cas-de-somnambulisme-luigi-capuana/
Quant à l’éditeur, on en saura plus sur le fondateur David GIANNONI en découvrant ces deux portraits, publiés en 2007 et 2017 :
https://karoo.me/livres/entretien-avec-david-giannoni
https://karoo.me/art-ko/david-giannoni-interview-autour-du-fiestival-11
(4)
Arnaud DE LA CROIX et Cie, Bruxelles, De Charles-Quint à la Révolution brabançonne, BD/Doc, Petit à Petit, Rouen, 2018, 78 pages.
Nous avions beaucoup aimé les tomes 1 et 3 de cette Histoire de Bruxelles. Et nous l’avons exprimé lors de précédentes éditions. Ce tome 2 nous a offert le même plaisir. Ces livres sont des cadeaux idéaux ! De beaux objets, où l’on apprend beaucoup en s’amusant.
Une image valant parfois plus que de beaux discours, l’épisode de la destruction de Bruxelles en 1695, sous les canons du maréchal de Villeroy, a imprimé durablement notre rétine et notre conscience. La Grand-Place anéantie (sauf l’Hôtel de ville et des poussières), un tiers de la ville ! L’indignation de toute l’Europe face à une barbarie qui confine à l’absurde, rappelle l’irruption allemande de 1914. Une apocalypse du temps incroyablement peu traitée par nos auteurs, négligée par la mémoire collective.
Voir nos recensions des tomes 1 et 3 :
(5)
FRANK/BONIFAY, Zoo, BD, Dupuis, trois tomes publiés entre 1994 et 2007.
J’avais adoré le tome 1. Il m’a fallu plus de vingt ans pour découvrir la suite et l’épilogue. M’étonner aussi du temps qui sépare les parties du diptyque, sans connaître l’histoire secrète du projet, de la collaboration.
Bonifay est un scénariste français, Frank un remarquable dessinateur belge. Ensemble, ils ont créé un univers qui s’inscrit durablement dans l’esprit, le cœur. Un univers duel, qui mélange l’onirisme (le passé fantastique d’Anna, l’une des héroïnes, mutilée, qui croit avoir perdu son âme avec son nez ; l’utopie du zoo, un cocoon de bonté, de bienveillance entre humains et animaux, qui survit en marge du monde) et le réalisme (la guerre 14-18 et ses horreurs).
Cette lecture permet de passer un long moment avec de belles personnes, un parfum post-68, tout en stimulant les neurones, en esquissant des récits en creux. Fort ! Et frustrant, pourtant. L’épilogue m’a en effet paru un peu fade ou convenu après tant d’élans créatifs.

(6)
TRAVERSÉES, numéro 91 de la revue trimestrielle, Virton, printemps 2019, 170 pages.
Patrice Breno m’a envoyé un numéro de sa revue, fort aimablement. J’en connaissais l’existence, j’en avais lu jadis l’un ou l’autre exemplaire. Avec ses comparses Paul Mathieu et Jacques Cornerotte, il a le grand mérite d’avoir offert un point d’appui consistant à l’existence des Lettres belges au Luxembourg et ce depuis près de trente ans. Traversées, somme toute, est une sorte de phare en nos terres les plus méridionales, elle a publié des centaines de nos auteurs au fil du temps, reçu diverses distinctions, engendré une maison d’édition. Chapeau !
Ce numéro offre des dizaines de textes, des poèmes surtout, et quelques nouvelles. Me frappent positivement la discrétion/humilité des responsables (Patrice Breno se limite à un édito fort sobre en dernière page), leur ouverture aussi (des textes ont été traduits du roumain, de l’anglais d’Australie), les bonus graphiques (photographies d’art, illustrations, micro-BDs avec mise en évidence d’aphorismes…

Me manquent une animation plus présente, une mise en situation des auteurs et des textes. La rédaction nous l’offre exceptionnellement pour l’Australien Henry Lawson (une nouvelle émouvante sur la vie dans le Bush) mais ne situe pas le Roumain Marin Sorescu, limité à ses dates naissance/décès. C’est sans doute un choix conscient. Du texte, rien que du texte. Un passionné de poésie n’a pas besoin de ces béquilles. Mais, à l’heure du temps compté, de la nécessité de la discrimination (en son sens positif) pour qui survient sans expertise attiré par la curiosité, je ne me sens pas guidé vers telle poétesse ou tel nouvelliste.
On ne s’étonnera donc pas que mon regard se soit arrêté, avec plaisir, sur le poème Shakespeare du Roumain Sorescu (traduit par Dominique Ilea) :
« Shakespeare créa le monde en sept jours.
Au premier jour il fit le ciel, les monts et les gouffres de l’âme.
Au deuxième jour, il fit les fleuves, les mers, les océans
Et les autres sentiments –
Qu’il donna à Hamlet, à Jules César,
A Antoine, à Cléopâtre et à Ophélie,
A Othello et à bien d’autres,
Pour que ce soient leur royaume, et celui de leurs descendants,
Dans les siècles des siècles.
Au troisième jour il rassembla tous les hommes
Et leur apprit les goûts :
Le goût du bonheur, de l’amour et du désespoir,
Le gout de la jalousie, de la gloire, et ainsi de suite,
Jusqu’à épuiser tous les goûts.
Etc. »
PS
Via Facebook, je découvre in extremis que la revue Traversées offre aussi des recensions de livres. Ce qui relève de l’animation ! J’en déduis que mes conclusions, à la lecture d’un seul numéro, doivent être relativisées.
À SUIVRE…
Dans Le Carnet, des articles sur les derniers livres de Morgane VANSCHEPDAEL, Claude FROIDMONT et Jean-Marc RIGAUX. Une relecture de Charlie Chaplin, Le rêve, d’Adolphe NYSENHOLC, superbement réédité par Didier DEVILLEZ. Une nouvelle plongée dans l’univers de Véronique BERGEN.
Edi-Phil RW.