LES LECTURES D’EDI-PHIL #26 de MARS 2020 : COUP DE PROJO sur les LETTRES BELGES FRANCOPHONES

LES LECTURES D’EDI-PHIL #25 : COUP DE PROJO SUR LES LETTRES BELGES FRANCOPHONES

Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 26 (mars 2020)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

 

A l’affiche :

un essai (Adolphe NYSENHOLC) et trois romans (Jean-Marc RIGAUX, Claude FROIDMONT, Patricia HESPEL) ; les maisons d’édition Didier Devillez, Murmure des Soirs, Weyrich et Mols.

 

(1)

Adolphe NYSENHOLC, Charlie Chaplin, Le Rêve, essai, Didier Devillez Editeur, Bruxelles, 2020, 211 pages.

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Adolphe Nysenholc est un auteur majeur. Polyvalent. On lui doit des essais mais un beau récit de vie aussi (Bubele, l’enfant à l’ombre, réédité par Espace Nord et élevé donc au statut patrimonial) et deux pièces. Il a été professeur à l’université (ULB). Il a surtout voué une partie de sa riche carrière à Chaplin, auquel il a offert une première thèse de doctorat et un premier colloque international, dont il est devenu un expert de renommé mondiale.

Le Rêve ! Cet ouvrage constitue une réédition d’un essai paru en 2018 chez MEO. Nous y avons consacré un article/coup de cœur dans Le Carnet :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/03/03/nysenholc-charlie-chaplin-le-reve-devillez/

La nouvelle édition frappe d’emblée par son esthétisme. Le livre est un très bel objet. La couverture, déjà ! Charlot endormi et rêvant, peut-on le supposer. Parfaite mise en abyme. On feuillette. Le format est supérieur ; la mise en page, l’iconographie ont été superbement travaillées. On ouvre. Le commentaire déposé sous une photographie en page de garde confine au sublime :

« (…) Chaplin éminence grise de Charlot manipulé par lui, le masque tragique sur un corps comique, Charlot « sentimental puppet », l’empathie distanciée, l’auto-ironie de Chaplin, la chorégraphie comme écriture de songe, le créateur d’images à jamais mémorables, le poète comique, l’auteur en abyme, le rêve dans le rêve… ».

Deuxième mise en abyme ! Toutes les qualités de l’auteur sont anticipées : une écriture inventive, habitée ; une expertise ample sinon vertigineuse ; une faculté d’analyse au rayon X ; une empathie profonde qui anime la matière brassée. Ce que confirme la préface, courte mais percutante, de Francis Bordat.

On le pressent, l’essai remplira les attentes du genre (bibliographie fournie, filmographie complète) mais il les dépassera, déployant un supplément d’âme, une densité confinant à l’art poétique.

Les 17 chapitres constituent autant de micro-essais, chacun s’apparente à une somme, une synthèse qui offrent matière au débat, à l’analyse, passerellent vers le rêve aussi. Mais nous n’allons pas exploser le gabarit de notre mini-revue, nous allons offrir une idée du Tout en braquant notre caméra sur quelques fragments, quelques chapitres ou thèmes exemplatifs d’un art total. A lire comme des bonus de notre première recension, plus synthétique.

 

La légende du siècle.

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Chaplin est-il né le 16 avril 1889 ? Aucune trace officielle ne le confirme.

Ses parents sont des artistes de music-hall, son père quitte le foyer, sa mère est internée, il est placé dans un orphelinat, en sort enfant pour intégrer des compagnies artistiques itinérantes. Auprès de Fred Karno, dès 1908, il apprend tous les arts de la scène, tourne à travers le monde en compagnie de… Stan Laurel.

Lors de son passage aux States, Mack Sennett met le grappin sur le jeune talent. Qui s’ancre à Hollywood, chez Keystone. Une deuxième excellente école, qui le voit tourner un film par semaine. Il s’y affranchit. En diverses étapes. Accélérées. Comme dans le temps d’un film plus que d’une vie. Il invente son personnage dès sa première saison (1914), dans Kid Auto Races at Venice : Charlot joue avec une caméra qui filme, comme s’il voulait l’apprivoiser, entrer de force dans l’usine à rêves du cinéma. Une mise en abyme, encore ! Très vite, Chaplin se met à écrire les histoires de Charlot puis à les mettre en scène.

Troisième étape. Il quitte Sennett et ses saynètes pour un meilleur salaire, la possibilité de perfectionner son art (en passant à un film par mois). Avant de s’affranchir des majors en créant United Artists avec Griffith, Pickford et Fairbanks (1919), ce qui lui offre une liberté artistique totale. Dans la foulée, il allonge ses métrages, le comique quitte l’apéritif d’une séance pour devenir plat de consistance.

La suite relève de l’Histoire et du parcours parfait.

Un chef d’œuvre absolu dès 1921, The Kid/Le Gosse, pourrait mettre fin à sa carrière. Il est déjà immortel, son long-métrage couronne une première carrière vouée aux courts-métrages (innombrables).

Il persévère ! A Woman of Paris/L’Opinion publique (23), incompris sans Charlot, annonce Lubitsch et tout un nouveau registre.

The Gold Rush/La Ruée vers l’Or (25) le confirme grand cinéaste.

Après The Circus/Le Cirque (28), moins connu, City Lights/Les Lumières de la Ville (31) est un sommet côté sensibilité, dont on oublie l’audace : il reste fidèle au muet alors que le parlant est né en 28.

Modern Times/Les Temps modernes (36) critique le modernisme, l’asservissement des travailleurs, le travail à la chaîne (des EU, de l’URSS, de l’Axe, etc.).

The Great Dictator/Le Dictateur (40) est son film le plus engagé, quand Hollywood se tait sur le nazisme. Avec ce point d’orgue d’une fin où il quitte le muet et Charlot.

 

Un créateur et sa créature. Chaplin et Charlot.

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Chaplin est un imagier, un créateur d’images. Il invente Charlot hors de tout scénario, comme un fantasme, une synthèse de vécu. Charlot ? Un vagabond, un gentleman déchu, un poète, un rêveur, un solitaire épris d’aventures, de romanesque. Charlot vient de nulle part et s’en va n’importe où, il ne semble pas ancré dans le réel.

Chaplin, physiquement, est à l’opposé de Charlot : imberbe, cheveux plats grisonnants, dandy. Sa vie est tumultueuse, faite de conquêtes nombreuses, qui défraient la chronique. Chaplin est haï comme Charlot est adoré, il sera d’ailleurs interdit aux States entre 1952 et 1972.

De l’image Charlot, Chaplin tire une substance, qui irrigue et génère le cycle (d’images). Un riche joue un pauvre qui le rend riche. Une catharsis ? Chaplin recrée son enfance misérable, la rejoue sans cesse pour en rire ? Mais Charlot évolue. D’abord sauveur/sauvé, il finit par se limiter à un sauveur auto-immolé, ce qui entraîne des épilogues amers. Dans The Circus, l’écuyère lui préfère un rival plus viril. Dans City Lights, l’aveugle ne va peut-être pas lui offrir son amour. Dans Le Dictateur, on peut s’interroger sur le sort du petit barbier juif après son discours et la chute du The End (faussement final ?).

Ensuite, pour exister plus pleinement, Chaplin, qui s’est déjà libéré des producteurs, doit se libérer de Charlot, une créature qui lui fait trop d’ombre ou le réduit comme créateur. Chaplin perçoit-il Charlot comme un dobbelgänger ? Selon Freud, le double renvoie à l’amorce de notre propre mort/négation, l’autre nous rendant étranger à nous-même. « On élimine sa mort pour devenir immortel. »

Il le fera en trois étapes :

. Les Temps modernes (36). La dernière scène voit Charlot s’éloigner, de dos, son baluchon sur l’épaule, main dans la main avec sa compagne Paulette Goddard, vers la liberté, un avenir radieux, porte-drapeau d’une utopie inversée (il va vers l’Est, à l’encontre du Rêve américain).

. Le Dictateur (40). Charlot n’est plus vraiment Charlot mais un avatar, un barbier juif. Surtout, Chaplin (mèche grise et rides en gros plan), dans le discours final, se substitue au dernier Charlot, abandonne son personnage et son premier art (le muet).

. Les Feux de la rampe (52). Le comédien Chaplin a pris la place et se moque de Charlot, la défroque ne fait plus rire. Une mise en abyme, oui encore, d’une puissance extraordinaire !

La voie est dégagée. Chaplin se réalise hors Charlot comme réalisateur et comédien, impose son nom après avoir imposé son prénom (Charlie est le nom de son personnage Charlot en anglais !).

 

Ses films…

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Monsieur Verdoux (48), victime de sit in fanatiques, est un film dérangeant : un serial killer à la Landru y apostrophe la société.

Un Roi à New-York (57) dénonce le maccarthysme et l’utilisation guerrière de l’atome.

La Comtesse de Hong-Kong (67), son seul film en couleurs, met un point final à sa carrière. Il se limite à l’écriture et à la réalisation, il ne joue pas (hormis une courte apparition à la Hitchcock), laisse la place à ses stars Sophia Loren et Marlon Brando.

Hors compétition : The Freak, un film en chantier/work in progress jamais terminé, un film fantôme (NDA : comme David Lean, etc.) à la charge onirique puissante. Sarapha, une femme-oiseau (freak = petit monstre) jouée par sa fille Victoria, y aurait plané au-dessus du Pacifique. Ultime métaphore ?

 

Self-made myth.

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Chaplin est à peine arrivé aux EU, à peine entré en cinéma, en 1914, il crée son personnage de Charlot et obtient une renommée mondiale. Puis une richesse, une indépendance artistique jamais vues chez un acteur. On comparera avec Méliès ou Griffith, qui ont été rapidement mis de côté, Tati ou Welles, tant d’autres, qui ont peiné à tourner. Comment expliquer une telle réussite, qui va à l’encontre de la théorie des génies incompris ?

« Le rêve est la basse continue de l’âme. Il est la pensée en images silencieuses d’avant les mots. Le rêve a des caractéristiques d’un film muet. Et le paradoxe de Chaplin fut d’avoir pu projeter hors de lui la fantaisie issue de son être obscur et complexe, avec une exigence de grande lisibilité. Ce souci d’être compris par tous, souhaité par Hollywood qui visait la rentabilité, l’a amené, comme d’autres confrères de la dream factory, à forger un cinéma transparent, qui fera le succès du 7e art. »

Un « être obscur et complexe ».

D’un côté, une enfance dévastée, « orpheline », avec un père ivrogne qui abandonne le foyer, des fils en interrogation sur les paternités, la pauvreté, une mère internée après ses échecs comme chanteuse. Plus tard, un pessimisme philosophique (Schopenhauer est sa lecture de chevet), un rapport conflictuel avec le milieu d’adoption (Etats-Unis), un rapport trouble à la féminité (il sera poursuivi suite à son attrait pour les très jeunes femmes), la perte de son premier enfant, la haine féroce du directeur du FBI (selon Hoover, il profite des EU tout en les critiquant, vu qu’il dénonce la pauvreté et l’injustice, l’envers du rêve américain).

De l’autre, la lumière, la lisibilité de l’œuvre : « un cinéma transparent ».

Adolphe Nysenholc compare Chaplin aux enfants exposés de l’antiquité (Romulus et Rémus, Œdipe, Cyrus, Moïse…) : « Ce qui ne te tue pas te rend plus fort. »

 

Un parallèle en filigrane avec Hergé.

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Mêmes mystères quant à la filiation, même drame d’une mère profondément malheureuse qui finit internée, même paradoxe d’une créature adulée et d’un créateur traqué par la justice, la morale.

D’autres convergences attirent notre attention. Chaplin aurait été influencé par la BD : Charlot joue sur le noir et blanc, à l’encontre des habitudes (les clowns sont bariolés). Or Hergé a bâti son art sur sa passion pour les premiers gagmen du cinéma ! On a donc une inversion du fléchage des influences.

« Muet, il est compris quasi par tous. Il abolit Babel. »

Un autre adepte de la ligne claire ?  La clarté de l’œuvre pour protéger, équilibrer, mettre de l’ordre dans une âme en peine ?

Adolphe Nysenholc (AN) ne cite jamais Hergé mais évoque souvent la ligne claire. Comme Hergé élimine les ombres ou les décors tarabiscotés, Chaplin évacue les digressions, coupe mille détails au montage. Tous deux visent une lisibilité maximale. Ainsi, la création de leurs personnages se fonde sur un coup de crayon : une moustache à droite, une houppe à gauche, des allures de logo.

Plus subtil. AN emploie l’expression « rêve blanc » dans son chapitre consacré au film non réalisé mais fantasmé, The Freak. Là encore, on songe à Hergé qui, lui, a pu concrétiser, via Tintin au Tibet, un rêve freudien. AN évoque le thème du vol et, en délirant un peu côté interprétation, on se rappellera de la scène de lévitation (forme d’envol) d’un moine tibétain chez Hergé.

 

La rivalité Hitler-Chaplin.

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Chaplin cherche de grands sujets, songe à Napoléon et Jésus (si !), aux figures de rédempteurs et de dictateurs (qu’il voit comme des hommes de paille des magnats de l’économie).

Dans The Great Dictator, en 1940, « Chaplin réussit à incarner dans un même film la figure la plus aimée de l’humanité, en Charlot, et l’être le plus haï en Hynkel (alias Hitler). » Le tyran et le prophète aussi.

Le sujet, qui nous paraît évident aujourd’hui, ne l’est absolument pas alors. Hollywood n’ose pas s’y aventurer, désirant vendre en Italie et en Allemagne. Les producteurs juifs (la majorité) ne veulent pas risquer de fâcher Hitler, d’aggraver le sort des Juifs d’Allemagne.

Alors ?

En aval.

Il y a un hommage à son frère Sydney et à son épouse Paulette, juifs (ou présumé tel pour le frère) ; un encouragement discret du Président F.D. Roosevelt (le cinéma peut préparer la population à une intervention militaire américaine) ; l’appréhension d’un génocide à venir ; l’envie de déployer une matière déjà utilisée par son frère Sydney.

En amont.

Adolphe Nysenholc développe la thèse d’une « grande rivalité sourde » entre les deux hommes durant l’Entre-deux-guerres, avec le film en climax. Ou remet sur la table la théorie freudienne du dobbelgänger.

A y voir de plus près, Chaplin, jadis adulé en Allemagne, est vu comme juif par l’Allemagne nazie et abhorré. Il est ce que Hitler a voulu être, un artiste, ce qu’il veut acquérir, la gloire universelle. Hitler a volé la moustache de Charlot (bien que… à y regarder de plus près, celle de Charlot est en trapèze, celle de Hitler en carré) et interdit ses films (Charlot lui ressemble trop). Hitler, comme Charlot, a été un tramp. Il est né la même année et le même mois que Chaplin. Il se passionne pour le cinéma (il voit deux films par jour), suit des cours d’art dramatique, se met en scène avec l’aide de Leni Riefenstahl.

Mais l’un s’engage pour les faibles, l’autre pour la loi de la jungle, l’extermination du faible, du différent.

  1. Hitler s’est offert des séances privées du Dictateur et aurait ri, été honoré de se voir reconnu par Hollywood. Sur le modèle de nos politiques actuels qui se plaignent quand un humoriste ne les caricature pas ?

 

Romanitude et judéité.

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Adolphe Nysenholc (AN) y consacre un chapitre passionnant, qui décline deux niveaux d’information/réflexion. L’un appartient à la petite histoire : le mystère des racines (juives ou roms ?) de Charlie. Le second est bien plus intéressant : l’universalité du créateur, sincère et profonde.

Un homme, né en Grande-Bretagne mais aux origines obscures, réalise la plus grande partie de sa carrière aux Etats-Unis, n’en prend jamais la nationalité, revient finir sa vie en Europe, en Suisse, le pays neutre par excellence, et universel par contamination. Cet homme ne s’offusque pas des rumeurs qui courent sur lui et les renforce. Comme s’il voyait dans les Juifs ou les Gitans une métaphore de la condition humaine. Donc une sorte de quintessence de cette humanité qu’il veut représenter, défendre.

Chaplin était-il juif ?

Les antisémites (clichés : il était très riche et en quelque sorte apatride) et les philosémites (son côté juif errant, sa mise en valeur du persécuté, du marginalisé, son statut de phare à ranger à côté de Freud et Einstein) l’ont revendiqué.

Le Dictateur voit l’affirmation la plus nette : Charlot y est un barbier juif vivant dans le ghetto, le discours final est digne d’un prophète de l’Ancien Testament.

Des convergences troublantes ? Son (demi-)frère Sydney, dont il est très proche, est désigné comme juif par leur mère ; il fréquente Einstein et Eisenstein, qui l’admire et le comprend comme personne ; l’une de ses épouses, Paulette Goddard, est une Lévy de naissance (judéité par proximité).

Selon AN, la judéité est pourtant des plus douteuses. Il n’y a aucune preuve. Il voit plutôt Chaplin comme un citoyen du monde qui, à l’inverse d’un Eisentein, revendique une identité qui n’est pas la sienne, sans doute de manière empathique et métaphorique.

« Tant mieux si Chaplin n’est pas juif ! », dit AN, lui-même juif, la méprise renforce l’universalité, l’intérêt pour l’autre, la générosité, la richesse intérieure (être soi et autre). Et tant mieux s’il est gitan, « un autre grand peuple nomade, aussi marginal, antique, créatif, pourchassé, dispersé parmi les nations – aussi universel ». Il n’est « pas nécessaire d’être juif pour être un frère, leur frère, un grand frère ».

Mais, justement, était-il gitan ? Les indices vont dans cette direction, ses grands-parents ont vécu en roulotte, Chaplin ou d’autres le confirment.

NB : un Gitan est aussi appelé Rom/Romany en anglais, suite à une confusion entre les diverses origines (Roumanie, Egypte, Bohème…) attribuées à un peuple qui est pourtant issu des Indes. Romanité est déjà pris par l’Eglise de Rome, AN ose le beau Romanitude, sur le modèle négritude, qui enfanté belgitude dans les années 70.

 

On sort de ce livre étourdi. Je ne puis que reprendre une partie des conclusions de mon précédent article.

Une mise en abyme matriochkée ! Nysenholc rêve Chaplin rêvant Charlot. L’osmose Chaplin/Charlot/Nysenholc est à couper le souffle et nous interroge quant à notre humanité, aux moyens de nous y investir loin de la médiocrité, de l’égoïsme, du clanisme.

Ah, vouloir être, comme Chaplin, citoyen du monde, émancipé mais dans l’empathie avec qui souffre, construit, rêve, quels que soient l’âge ou le sexe, l’ethnie ou la confession, la catégorie sociale ou la couleur de peau !

Description de cette image, également commentée ci-après
Adolphe Nysenholc

PS

On parlera de ce livre en duo avec Jean-Pierre LEGRAND au micro de Guy STUCKENS dans un prochain épisode des Rencontres Littéraires de Radio Air-Libre (lundi 23 mars, dès 18h) :

https://www.facebook.com/profile.php?id=651047755384427&ref=br_rs

Je présenterai ce livre et son auteur en public le mercredi 18 mars, à l’AEB, à 18h, durant 45’, partageant la soirée avec Corinne HOECKX :

https://www.ecrivainsbelges.be/

 

(2)

Jean-Marc RIGAUX, Kipjiru 42… 195, roman, Murmure des Soirs, 2020, 413 pages.

Dans Le Carnet, j’ai pu déroger et obtenir une recension longue, qui fut maximale (6000 espaces). J’y ai donc dit l’essentiel. :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/03/04/rigaux-kipjiru-42-195/

 

Le livre se rangeant dans ma top-liste de 7/8 romans belges francophones supérieurs de ces dix dernières années, je désire lui réserver un traitement spécial et vous livrer…

 

UN BONUS.

Comme dit supra, ce roman marie la force narrative du thriller et une envergure littéraire, il y a le mouvement du Grand Tout et la réussite de parties qui pourraient se déguster indépendamment de la trame centripète, comme des nouvelles.

 

Un exemple.

Lors du chapitre 4, le héros et son ami Léon se retrouvent à Liège et ont beaucoup de choses à se dire. Un épisode se faufile sur quelques pages à peine : une étonnante course à pied en duo à travers la cité, qui varie rythmes et tons.

Narration simple :

« En guise d’échauffement : une centaine de marches puis un long faux plat jusqu’à l’hôpital militaire Saint-Laurent, au faîte de la colline Saint-Martin. »

Interaction lieux/vie du personnage :

« Nous avions coupé le boulevard d’Avroy, près de mon ancien cabinet d’avocats. Qu’y avait-il encore comme archives maudites dans les caves voûtées ? Dossiers morts mais qui sommeillaient en moi et s’inscrivaient à l’improviste dans mes cauchemars. »

Considérations sur Liège :

« Nous empruntâmes les berges. Je retrouvai, au fil de l’eau grise, les ponts familiers. Une ville étroite. Ecrasée entre ses flancs et ses quais. Incapable de pousser vers le ciel. Comme une plante mal exposée. »

 

Un autre exemple, d’un acabit supérieur.

Le chapitre 9, Bubutu, élève la barre de la littérarité du thriller. A deux niveaux.

SPOILER !

A l’échelon du Grand Tout, l’auteur conclut son roman vers la page 300 mais il lui offre, dans la foulée, une survie, une sur-vie. Le lecteur repart pour un tour, un long tour (une centaine de pages), qui creuse une autre dimension des mystères du livre, plus essentielle. A l’image de la future ascension du mont Elgon (chapitre 11), des allures d’apothéose narrative, où se trouveront réunis tous les ingrédients d’un récit passionnant : suspense, rebondissements, confrontation à l’irrationnel africain, aux mythologies du continent, enquête qui se double d’une quête où se noue le sens d’un destin individuel (ou de deux destins, ceux de Kipjiru et du narrateur/héros), métaphorisations.

Mais Bubutu, dans sa perception première, constitue un morceau d’anthologie dans tous les sens de l’expression. Qui peut se savourer indépendamment du récit premier. Comme un basculement progressif, immersif, submersif dans la vie des Sebei, jusqu’à vivre de plain-pied une cérémonie de circoncision :

« Arrêt à cinq centimètres. Jambes écartées. Raides. Le tronc. Raide. Les bras écartés. Raides. Vers le ciel. Les plumeaux serrés. Dans les paumes noires. Le visage terreux. Craquelé de boue. Séchée. Seuls les yeux crevassent. Blancs. Fixés vers un horizon invisible. Qui, pourtant, ne tient plus que sur l’épingle d’un bout de chair. »

Le héros appréhende les ressorts du rituel, il s’abandonne à une remise en question de sa civilisation, à une empathie vis-à-vis de l’altérité (qui précède la mue finale) :

« Ici, je venais de voir une violence assumée, désirée, partagée, consubstantielle à la vie elle-même. Injustifiable mais truffée des raisons qui nous animent. Intégration dans le groupe, fierté parentale, future union, économie activée, lien social, appartenance au corps d’armée qui protège. »

 

Bien d’autres épisodes investissent nos imaginaires, y incrustant des plongées journalistiques, de micro-essais sur des univers méconnus ou, a contrario, des envolées lyriques, fantastiques. Le cocktail est si puissant, si dépaysant au sens le plus fort du terme qu’il m’est arrivé de penser à La Ligne noire (thriller français référentiel de Jean-Christophe Grangé) ou à… Apocalypse Now (film sommital de Francis Ford Coppola).

 

Nous évoquerons également ce livre lors de notre rendez-vous mensuel des Rencontres Littéraires de Radio Air-Libre, au micro de Guy Stuckens, le lundi 23 mars.

 

(3)

Claude FROIDMONT, un Belge installé du côté de Bordeaux, nous a offert, c

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hez Weyrich, un roman historique original, Perversus, qui rappelle le moment de bascule constitué par L’Encyclopédie, peut-être le plus beau projet de l’Histoire du génie humain. Je l’ai présenté dans Le Carnet et les Instants :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/02/13/froidmont-perversus-ou-lhistoire-dun-imprimeur-liegeois-au-temps-des-lumieres/

On a évoqué ce livre (le deuxième de l’auteur après un premier ouvrage paru aux Impressions Nouvelles) lors des Rencontres Littéraires de Radio Air-Libre, au micro de Guy Stuckens, en début d’émission (lundi 17 février 2020) :

https://www.mixcloud.com/guystuckens/les-rencontres-litt%C3%A9raires-de-radio-air-libre-200217/?fbclid=IwAR1BGiCJvoifUKXneSODsXD8Pv3wioECE8723HKUwPOBGrdehMAg0nkQ-CY

 

(4)

Patricia HESPEL a abandonné le droit il y a une dizaine d’années pour se consacrer à l’écriture. Je me suis penché sur son troisième thriller, La dernière maille, paru chez Genèse. Voir dans Le Carnet :

https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/02/20/hespel-la-derniere-maille/

Mon collègue Julien-Paul Remy (Carnet, Belles Phrases, Karoo) m’a livré ce commentaire :

« Problématique passionnante : la souvenance de soi. Comment ne pas s’oublier (1) et comment se souvenir de soi (2) une fois qu’on s’est oublié ? Enjeu particulièrement criant dans notre société actuelle où on s’oublie soi-même, à force d’extérioriser notre moi et notre vie en public, par écrit et sur les réseaux sociaux, à force de déléguer le travail de mémorisation et de réflexion sur notre trajectoire de vie. Comme l’invention de l’écriture a diminué notre capacité de mémoire, d’ailleurs. »

 

Edi-Phil RW.

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