
En poésie, c’est comme en gastronomie, on peut concocter et déguster les produits sous différentes formes, ainsi j’ai composé cette chronique avec des recueils regroupant des poèmes bien différents : de la poésie brève d’influence japonaise enseignée par IOCASTA HUPPEN dans ses ateliers d’écriture et dans le manuel présenté ci-dessous, de la poésie en prose comme en écrit CELINE DE BO pour raconter une touchante histoire, et de la poésie influencée par l’écriture automatique comme en publie JASMINE NGUYEN dans son dernier recueil. Quelle que soit la forme, la poésie est toujours un mets à déguster avec gourmandise, à condition que les artistes, comme ceux cités dans cette chronique, maîtrisent bien leur art et soient inspirés par les muses.
Poésie brève d’influence japonaise
Iocasta Huppen
L’harmattan
Iocasta Huppen est une « haïjin » confirmée (terme japonais qui désigne une personne qui écrit des haïkus), elle est même experte en la matière, constatant la confusion qui règne dans ce domaine, elle a rédigé ce livre pour définir clairement les différentes formes de poésie brève d’influence japonaise éditées partout dans le monde maintenant. Elle voudrait notamment apporter toutes les indications nécessaires à ceux qui auraient l’envie de s’adonner à cet art.
« Ce livre est un atelier, un guide d’écriture de la poésie brève d’influence japonaise. Il ‘inspire des différents ateliers que Iocasta Huppen anime ». « Il a été conçu comme un atelier d’écriture de style classique revisité, doublé d’une sélection de poèmes brefs d’influence japonaise ».
Dans son introduction, elle rappelle brièvement les origines de cette forme poétique. La paternité du haïku tel qu’il est conçu dans ce manuel, est attribuée à Matsuo Basho au XVII° siècle mais sa forme définitive est due à Masaoka Shiki au XIX° siècle, il a conçu le mot « haïku » en contractant « haîkaï » (amusement) et hokku (court). Mais le haïku devient vraiment populaire seulement à partir des années mille-neuf-cent-quatre-vingt.
Pour la présentation des différentes formes de poésie concernant le sujet de ce livre, ne souhaitant pas prendre le risque de créer la confusion, j’ai choisi de reproduire son propre propos :
« Les différents genres de poésie brève ont été répertoriés en deux grands groupes.
Le premier groupe réunit les poèmes écrits sur trois et deux lignes, à savoir : le haïku et le senryu. Un chapitre à part a été consacré au tercet. Le tercet n’étant pas un poème bref d’origine japonaise, sa présence ici est justifiée par l’envie d’expliquer la différence entre haïku et tercet.
Le deuxième groupe, quant à lui, réunit les poèmes écrits sur cinq lignes, à savoir : le tanka et le gogyoshi. »
Pour chacune de ces formes, elle énonce les règles concernant la composition, la métrique, la nécessité ou non d’évoquer une image, de préciser la saison et si oui les termes pouvant être utilisés pour définir celle-ci. Ces règles sont plus ou moins précises et rigoureuses selon la forme poétique, elles sont encore complexifiées par de nombreuses exceptions. Pour faciliter la compréhension de ces explications, Iocasta a regroupé toutes ces règles dans des tableaux synoptiques très didactiques. Et, pour que chacun puisse s’adonner à ce genre poétique avec les meilleures armes, elle propose dans ce manuel pratique des analyses et des exercices à faire à la maison. Alors vous n’aurez plus aucune excuses si vous ne composez pas les meilleurs haïkus, senryus, tankas ou gogyoshis. Et vous ne confondrez plus vos tercets avec des haïkus.
Toutefois, « avant de vous lancer dans l’écriture de la poésie brève d’influence japonaise, vous devez garder à l’esprit l’idée que cette écriture se fait en employant un langage simple et des mots simples »
La simplicité a un pouvoir universel, celui de s’adresser directement à l’esprit ». Alors, n’oubliez pas la simplicité en toute chose et un trait d’humour !
Le livre sur le site de l’éditeur
En raison du mauvais temps, dansons !
Céline De Bo
Maelström
Ils étaient jeunes, ils ne savaient pas la vie, la vie qu’on donne et qui peut s’enfuir. « On était bête avec ton père… ». L’enfant est arrivé mais il n’est pas resté. « Tu n’avais que quelques jours. On n’a pas eu le cœur à surmonter l’épreuve ensemble ». « Quand tu tombes amoureuse tu ne prévois pas ça ». Et comme certaines femmes font une grossesse nerveuse, la mère mène une vie de maman attentionnée. « Je nous ai vu ton père, toi et moi… ». Elle raconte cette maman déboussolée, comment elle aurait vécu avec sa petite fille qui deviendrait grande qui ferait des bêtises, qui fumerait de joints mais ne boirait pas d’alcool – comme sa maman peut-être -, qui se révolterait comme tous les ados en colère devant les délires de notre civilisation, qui partirait voir ailleurs si l’air est plus frais, moins faisandé, « Pour recoudre ton cœur tu pars humer les odeurs du monde ». Mais Bruxelles lui manquerait et elle reviendrait…
Elle raconte la maman par petite touche, des réflexions, de la poésie en prose souvent triste mais toujours belle, sensuelle, charnelle, elle dit la souffrance, la joie, la frustration, ce deuil qu’elle n’arrive pas à faire tant elle culpabilise.
« Parfois, essayer de convaincre de me pardonner. Me pardonner ! Comme ses mots sont misérables. Si ce n’est pas la faute d’une mère d’avoir perdu son enfant, sur qui d’autres frapper ? ».
C’est sa vie qu’elle raconte, c’est la vie que sa fille aurait eue, deux vies que se mêlent dans les mêmes douleurs, les mêmes colères et les mêmes espoirs.
« Je t’ai imaginé pleurer la mort de Kurt Cobain en chantant « Hallelujah » de Jeff Buckley… ».
Il faudra de longues, très longues, années à cette mère dévastée pour faire le deuil de cette fille qui n’a vécu que dans ses rêves, que dans sa poésie. Un jour elle comprendra « … qu’en perdant tout, elle n’a pas tout perdu. A présent elle sait que les enfants meurent. L’amour aussi. Que personne n’est protégé. Et comme on lèverait son verre, elle swingue ». Il restera ses textes mis bout à bout pour faire une histoire de chair et d’amour, d’illusion et d’émotions, une belle histoire écrite dans la douleur, pour dessiner un message d’espoir. Comment se réjouir devant une telle douleur ? Mais comment ne pas fondre en lisant ses mots qui ne sont pas que des mots mais aussi des miettes de vie qui s’assemblent pour construire le deuil et réinventer l’espoir ?
« Peut-être faudra-t-il que je quitte la ville, cet appartement. Embraser le berceau, embrasser la vie et te laisser partir ».
Le livre sur le site de l’éditeur
Po’aime-moi
Jasmine Nguyen
Bleu d’encre
J’ai reçu les premiers vers de ce recueil comme on ressent une légère brise vespérale un soir de canicule, comme on boit une menthe à l’eau sur une terrasse ombragée, … ces vers frais, légers, arachnéens, libres comme l’air dans le feuillage apaisaient mon cœur et mon corps. Et, puis quelque chose a attiré mon attention dans la façon d’écrire, de composer les vers, quelque chose que je ne savais pas définir, quelque chose que j’ai découvert en lisant la biographie de l’auteure placée à la fin du recueil. Cette petite phrase qui semble contenir la source de mes interrogations : « … poésies intimistes, très influencées par l’écriture automatique ». J’avais bien senti tout ce que ces poésies contenaient d’intimité mais je n’avais pas pensé à l’écriture automatique, je connais trop mal cet exercice mais cette fois je comprends pourquoi ma lecture a été un peu différente. J’ai découvert une autre façon de transmettre des émotions.
En contrepartie, le nom de l’auteure, certaines allusions dans les poèmes et cette opposition que j’ai cru déceler dans le texte entre l’évocation d’une nature dans toute la pureté de sa splendeur virginale et la violence de sa destruction par les hommes, m’ont entraîné vers un autre monde dans une autre époque. Pour l’exemple je ne citerai que ces deux très courts quatrains :
« Le soleil plane
La mer danse
La terre vit
La ciel caresse »
Qu’elle est belle et apaisante cette nature où le soleil brille, la mer tangue doucement, la terre grouille de vie animale et végétale et le ciel n’est que caresse. C’est le monde que j’ai imaginé à la lecture de ce quatrain, celui qui a été détruit comme l’indique le quatrain suivant …
« Le feu brûle
L’eau ravage
Le métal dévore
L’air étouffe »
Par le feu des canons, les poisons qui enveniment les eaux, le métal des bombes qui déchirent tout et le feu du napalm qui rend l’air irrespirable. Oui, Jasmine, j’ai ressenti la douleur immense que ceux qui étaient au Vietnam à une certaine époque ont dû subir. J’ai eu l’impression qu’au fond du fond de ton intimité le souvenir de ces victimes hante encore ton être et se faufile dans tes textes.
La biographie évoque deux inspirations, l’une scientifique l’autre plus artistique, moi je proposerais une autre lecture, une autre dichotomie : une évocation idyllique de la nature originelle et sa destruction par la folie humaine… Ce texte est assez riche pour supporter plusieurs lectures.
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