PETITES NOTES SUR LE CONFINEMENT. ÉBAUCHE / PHILIPPE LEUCKX

Confinement : quelques idées pour investir votre balcon tout au ...

 

L’AUZOU, dictionnaire, trace deux acceptions : action de tenir ou de se tenir enfermé dans un espace restreint; l' »enceinte de confinement » est une installation destinée à empêcher la dissémination des produits radioactifs d’un réacteur nucléaire.

La réflexion sur les diverses composantes de ces définitions nous amène à proposer quelques pistes.

1. Si le confinement, historiquement réservé aux malades dits pestiférés, et à la clôture conventuelle (ah! ces Carmélites qui ne laissaient entrer personne, foi de la « clôture, grille » de leur ordre : cf. le beau « Thérèse » de Cavalier, sans doute le plus grand cinéaste français vivant, Chèvre de 1931), s’est imposé, pour des motifs sanitaires à tout un chacun, il donne à réfléchir sur les échanges intérieur/extérieur que nous assumons sans cesse. Nous voilà confinés, coupés des autres, de l’extérieur; masqués pour (me, les) protéger.

Ferrat, dans sa plus belle chanson, « On ne voit pas le temps passer » décrivait, dans un achélème de ces années-là, 1965-1966, l’espace restreint, la portion congrue entre fenêtre et cuisine, dévolu à une ménagère, pauvre, travaillant chez elle, coincée entre mica, armoire et tablette de cuisine.

On diffusait, il y a deux jours, un reportage, où une famille en terre de confinement subissait, à cinq personnes, l’espace « restreint », étroit, d’onze mètres carrés. Souchon dénonçait, pour une seule personne, emprisonnée, les « Huit mètres carrés » de sa détention… Nous ne ferons pas de commentaires.

 

2. La liberté de se mouvoir, la voilà interdite. On voulait causer à qui de droit. Masque; distancement physique. On voudrait. Non. Confinement des âmes qui souhaiteraient en dire plus, toucher l’autre, échanger. Non. Lex dura sed lex, disaient les Romains, aujourd’hui bien touchés dans le nord surtout de la péninsule.

 

3. L’être, par essence, échange, communique, dissémine, sème.

Le voilà emprisonné. Le voilà réduit à jouer du virtuel comme on rêve.

Le voilà frustré. D’échanges. De tendresse. D’amour. Le baiser, ce sera pour novembre, madame !

On voudrait tant se con-fier ! On se confine.

 

4. Le pouvoir, pour des motivations sanitaires, a imposé – et c’est de bon aloi, et c’est une sécurisation collective – des règles qui nous briment, qui nous handicapent, font de nous des « porteurs de masques » puisque je suis un potentiel agent du mal et que l’autre aussi l’est. La culpabilité joue à plein tube son effet destructeur.

Il faudra, déconfinement venu, assurer cette souffrance d’un baume réparateur.

 

5. Le confinement a porté ses fruits. Les gens ne prenaient plus le temps de parler, de s’arrêter, de se soucier de l’autre. Et l’altérité en avait pris pour son grade : le silence, l’échange vrai, la demande, le simple souci d’autrui ont franchi le mur de l’égoïsme. Grands dieux : d’un mal, un bien ; la leçon philosophique est plus vraie dans les faits que l’adage éculé !

 

6. Métaphysiquement, l’être, confiné, c’est l’ordinaire de sa pensée. La solitude du vivre et de la pensée, n’est-ce point, à lire dans tous les sens, un confinement?

Vivre : c’est se confier chaque jour au confinement, cette réflexion secrète, inavouée, attentive, intérieure, bref, confinée. La conscience est l’extrême, selon moi, du confinement : on pèse, on pense, on balance (au sens de pesée morale) les charges. La conscience déroule pour soi seul – dans l’étroitesse d’un confinement porteur – la beauté de sa tâche.

 

7. Et notre mémoire, ce confinement des paradis perdus. Dans la ferveur du souvenir sous le front, sous les tempes, dans cet espace confiné de ce qu’il est possible de regagner de l’exil, de l’exclu, du perdu…

 

8. Au cinéma, que de séquences de confinement qui emballent l’émotion : Antonietta, dans sa cuisine de l’immeuble de rapport Viale Ventuno Aprile, que Scola l’admirable propose d’investir – grue faisant au tout début de l’opus -; le petit garçon confiné derrière la vitre d’un train, entouré de deux sœurs qui se détestent, l’une tuberculeuse, l’autre nymphomane dans l’univers sans issue d’un Bergman du « Silence »; le confinement du berger Ledda, qu’un père patron dictateur enserre dans les griffes de la tradition bêtifiante que les frères Taviani enrobent d’une musique inoubliable – poste jeté par le père dans l’étroite cuisine, chant repris par le fils victorieux de ce nabab des pauvres -; …

 

9. On a perdu un peu le mot de « quarantaine » pour celui de confinement. La mise à l’écart et le retrait. Qui se met à l’écart protège l’autre et se met à l’abri de toute intrusion.

L’occasion donnée de réfléchir à cette sorte de repli sécuritaire, sanitaire.

De longtemps, plus personne n’avait pris le temps de scruter l’intimité, l’intime vérité de son « chez soi », avec ou sans balcon, de regarder à l’aise de sa fenêtre, de ralentir ainsi la fuite du temps que presse la civilisation.

 

10. La réclusion imposée aura donné des concerts improvisés, d’une terrasse l’autre, des hommages concertés aux soignants de première ligne, aux victimes, des gestes de convivialité retrouvée.

Certain(e)s auront tiré profit de ce confinement contraint et accepté pour réfléchir un peu plus loin que le simple déroulé du temps d’action.

(à suivre)

L'IMPARFAIT NOUS MÈNE de Philippe LEUCKX (Editions Bleu d'Encre ...
Philippe Leuckx

 

L’APPÂT de BERTRAND TAVERNIER / Une chronique de Philippe LEUCKX

TANTAS ALMAS de NICOLÁS RINCÓN GILLE / Une chronique de Philippe LEUCKX
Philippe LEUCKX

Terrifiant.

Dans un Paris souvent nocturne, trois amis, Eric, Nathalie et Bruno mettent en pratique un plan pour détrousser les riches rencontrés lors de soirées, cocktails. La jolie Nathalie sert d’appât.Il n’y a plus qu’à « visiter » les demeures. Mais.

Tout ne se passe pas comme souhaité.

L'appât - film 1995 - AlloCiné

Trois jeunes comédiens que le film a véritablement, comme une photo, révélés, endossent avec charisme, brio, vérité ces trois personnages prêts à tout pour un peu de thune.

Nathalie est vendeuse, les deux compères glandent, s’édifient des châteaux en Espagne…de vrais projets foireux.

La caméra de Tavernier fouille la vanité des soirées, les stratagèmes gluants, les coups, la violence.

Si Sitruk joue avec aisance de ses gestes, de son corps, l’interprétation de Bruno Putzulu tranche par une volonté de planter la lourdeur du corps, de baisser la tête comme si quelque chose de pesant lui traversait l’esprit. Gillain étonnante aussi par ses rebonds, sa facilité à emporter la mise devant des hommes-pantins tout à leur désir mais vrais aveugles de ce qui se trame.

La mise en scène privilégie les portes, les serrures, des coins de pièces désordonnées, avec une lumière basse, et un souci réellement ethnographique dans la description des rues, des bars, des porches.

L’air y est irrespirable; les ambitions démesurées et l’épilogue aussi baveux que le « pipi de chat » lancé par Jouvet dans « Quai des orfèvres ».

L’un des meilleurs Tavernier avec L627, Coup de torchon, L’horloger de Saint-Paul.

Tavernier. L’appât. 1995. Bruno Putzulu, Marie Gillain, Olivier Sitruk, Berry, Berléand, Torreton, Comart.

 

 

POURQUOI LES HOMMES FUIENT ? de ERWAN LARHER (Quidam) / Une lecture de Nathalie DELHAYE

AVANT QUE J'OUBLIE d'ANNE PAULY (Verdier) / Une chronique de Nathalie DELHAYE
Nathalie DELHAYE

Bulles de gaieté

Jane, jeune fille d’une vingtaine d’années, serveuse pour un traiteur parisien, ou hôtesse au Salon du Livre, se trouve un soir en compagnie de l’Ecrivain, qui cherche à apprivoiser cette petite, toute fraîche, et pourquoi pas, plus si affinités…

Pourquoi les hommes fuient ?

C‘est sans compter que Jane a bien d’autres préoccupations, loin de toute romance naissante, beaucoup plus terre à terre qu’il n’y paraît.

Elle a un gros souci, voudrait connaître son père, se trouvant seule suite au décès de sa mère. Et elle met tout en oeuvre pour arriver à ses fins…

Au-delà de la quête de la jeune fille pour connaître son père, et un peu de son histoire, ce livre est d’une gaieté formidable. Non pas que les moments dramatiques soient bannis, il y en a, et pas des moindres, mais la légèreté, l’esprit facétieux et la gouaille de Jane nous emmènent dans son univers.

Erwan LARHER

Dotée de beaucoup d’humour, elle mène son combat façon guerrière, appelant un chat un chat, ne s’attristant guère de son sort, et balaie sur son passage tous les gens qu’elle peut croiser. Elle s’accorde quelques instants de répit, de douceur, de sexe quand l’occasion se présente, mais ce petit oiseau libre et envieux de poursuivre sa route ne s’embarrasse pas de fardeau ! Sachant bondir et rebondir, pleine de vie, elle fonce à cent à l’heure vers le but qu’elle s’est fixé.

On la talonne, le sourire aux lèvres, à l’affût de la prochaine vanne, suivant son regard sur les choses qui l’entourent, les gens qu’elle rencontre, écoutant les informations susceptibles de l’intéresser dans sa quête, et c’est une perpétuelle course que le lecteur mène, à petites foulées.

Des chapitres en aparté, pensées profondes d’autres protagonistes, permettent de reprendre un souffle plus régulier, l’écriture se distingue et le ton est plus grave.

Choc des cultures, des traditions, des générations, des langages, ce livre a été pour moi une belle surprise.

Le livre sur le site de Quidam

ERWAN LARHER sur le site de Quidam 

2020 – LECTURES POUR CONFINÉS : PETITS MAIS TALENTUEUX / La chronique de Denis BILLAMBOZ

LA SAISON LITTÉRAIRE 2019-2020 : MES CARNETS DE POÉSIE / La chronique de Denis BILLAMBOZ
Denis BILLAMBOZ

Ils n’occupent pas des kilomètres de rayonnages dans les librairies et autres commerces distribuant des livres, ils défraient rarement la chronique littéraire, ils raflent peu de prix dits littéraires et pourtant les éditeurs dits petits éditent des livres, pour la plupart, de grandes qualités. Petits par la quantité, ils sont grands par le talent qui ruisselle dans leurs ateliers. Pour ma part, je préfère les qualifier d’indépendants car ils tiennent, avant tout, à leur liberté de choix et d’expression à travers les livres qu’ils publient. Pour leur rendre hommage, j’en ai réuni trois dans cette chronique : Gros Textes avec un recueil de textes courts de Jean-Claude MARTIN, Louise Bottu éditions avec un recueil de textes de Christophe ESNAULT et Bleu d’encre avec un recueil de poésie de Liliane SCHRAÜWEN.

 

Ne vous ABC jamais

Jean-Claude Martin

Gros textes

Comme un encyclopédiste Jean-Claude Martin a rassemblé le savoir sous forme d’un abécédaire. Pour chaque lettre, il a écrit une sorte de présentation, mettant en valeur tous les qualités et défauts qu’il lui semble bon de prêter à chacune d’elles. Pour l’exemple, j’ai pris au hasard la présentation de la lettre « P », voici donc comme il la définit :

« Doit-on lâcher P et l’abandonner en rase campagne, pour qu’il n’incommode plus personne ? Ce serait lâche, et on y perdrait aussi paix et paie. Entre paillasse et purin, il y a des P qui méritent qu’on les entende, qu’on les sente, qu’on les fête, qu’on les honore ! Oublions donc pétoire, pétaudière, et le triste maréchal Pétrin, pour laisser P s’envoler comme un papillon au paradis des passiflores, pénard comme un pélican, pétillant tel Dom Pérignon, poétique et pyramide, pénétrant … »

Jean-Claude Martin a beaucoup d’humour mais aussi un brin d’impertinence, il joue avec virtuosité du jeu de mots, du calembour, de l‘allusion, de l’assonance, de l’allitération. Il sait débusquer la moindre faille dans le langage, dans son utilisation, pour introduire un double sens, un contre sens, une incongruité, un paradoxe, une inconvenance, un fou rire, …, et même parfois un éclat de rire. Mais il ne limite pas son chant à la rigolade, il déverse aussi dans ses définitions son immense culture et son grand savoir et beaucoup de poésie.

Jean-Claude Martin / Maison des écrivains et de la littérature
Jean-Claude Martin

Il mobilise toutes sa riche culture et tout son talent poétique pour définir les mots qu’il associe à chacune des lettres, les mots le plus couramment usités ou au contraire des mots presque disparus comme « frusquin » qui ne sort plus sans son saint. Pour vous montrer un exemple, j’ai choisi un mot bien courant, utilisé à plusieurs fins : « gorge », en voici sa définition selon Jean-Claude Martin :

« Gorge, hélas, attire tout, « dans » et « sous » : un chat, le cœur, un couteau, un pistolet… On la prend, on la serre, on l’échaude, on lui fait rentrer des mots dont elle n’a pas besoin, on la fait rendre… Heureusement on inventa… soutien-gorge. Elle put alors se déployer, rire et exposer aux yeux du monde sa beauté. Certains décolletés sont de véritables sopranos. « Gorgeous » disent les Anglais. A déguster par longues, lentes et tendres gorgées. Gorge est sauvée… »

Lire cet abécédaire, c’est non seulement mesurer toute l’étendue des capacités de notre langue, c’est aussi constater comment son usage la fait évoluer et la rend vivante, de plus en plus vivante. Merci Jean-Claude de nous avoir prêté, le temps de cette lecture, une part de ton immense érudition.

Le recueil sur le site de Gros Textes 

 

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Ville ou jouir et autres textes navrants

Christophe Esnault

Editions Louise Bottu

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Christophe Esnault, je l’ai déjà croisé notamment lors de la lecture de Neuroleptie dans lequel il exprime sa dépendance aux médicaments, son angoisse, ses frayeurs, sa lutte, son courage, son espoir et sa volonté de s’en sortir. Dans ce recueil, j’ai retrouvé le poète et son écriture claire, nette, précise, fluide, dépouillée, même s’il écrit surtout en prose, révolté, mais surtout misanthrope, un peu aigri.

Apologie du revuiste par Christophe Esnault, le site des revues ...
Christophe Esnault

Ce recueil se compose de :

  • deux textes qui se complètent pour raconter l’histoire d’un gars qui a raté son suicide et qui retrouve la vie en fuyant dans les paradis artificiels : drogue, alcool, sexe sans amour, débridé et très éclectique (hétéro, homo, trans). Rejetant la société dans son ensemble, n’acceptant pas l’autre, il se passionne pour le collage d’aphorismes monumentaux à travers la ville.
  • Dans une seconde partie rédigée en petits textes de quelques vers, il précise sa réflexion sur les sujets qui le préoccupent.
  • Suivent ensuite une série de réflexions, aphorismes, définitions, slogans, revendication, contre les autres, et tout ce que la société propose à travers ces autres.
  • Les mots d’Antonin, un texte sur la culpabilité.
  • Un bonus à l’usage des prétendants à la publication complète le recueil, il m’a rappelé, à l’inverse, les courriers adressés à Raymond Queneau alors chez Gallimard, que Dominique Charnay a rassemblé dans un ouvrage intitulé « Cher Monsieur Queneau» et sous-titré : « Dans l’antichambre des recalés de l’écriture ».

Toutes les composantes de ce recueils s‘articulent autour de la misanthropie du narrateur, qui n’est pas forcément l’auteur, de son rejet de la société, de tout ce qui a été créé, inventé, décidé, construit, … par l’autre. Un rejet viscéral de la société, du monde tel qu’il est et même s’il était autrement car il serait toujours le fruit des autres qu’il ne tolère pas. Quelques expressions, quelques réflexions, quelques principes ou maximes illustrent bien cette misanthropie :

« Je n’aime pas les gens et je n’ai jamais eu besoin d’eux pour vivre ma vie. »

La rejet de l’autre va jusqu’à la peur de lui ressembler :

« La peur de ressembler un peu

A mes contemporains

Est un monde de terreur… »

La répulsion conduit jusqu’au cynisme :

« Qu’est-ce qu’il peut être merveilleux 

De penser à tous ces gens

Qu’on a la chance

De ne pas connaître »

Jusqu’au rejet de la vie des autres, laissant penser que seule la vie qu’il voudrait mener aurait un sens :

« Quand je dis votre vie, je suis gentil avec vous car je sais bien que vous n’avez pas de vie. »

Le narrateur connait certainement une autre façon de vivre, d’aimer, de se nourrir, de créer, de s’évader ailleurs, plus loin, plus haut…, alors pourquoi ne pas l’écouter ?

Le livre sur le site des Ed. Louise Bottu 

 

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Nuages et vestiges

Liliane Schraûwen

Bleu d’encre

Dans des vers aussi libres que le vent, empreints d’un romantisme lyrique, Liliane Schraûwen chante sa ville, les arts, le patrimoine, la nature, …, tout ce qui l’entoure, tout ce qui pourrait faire de Bruxelles la plus belle des villes pour les touristes, la plus romantique pour les amoureux, la plus enchanteresse pour la poétesse et pour toutes les femmes qu’elle raconte, plusieurs femmes, une seule femme ? On ne sait, une ou plusieurs femmes qui résumeraient le sort de toutes les femmes ayant vécu toutes les aventures, tous les drames qu’elle met dans ses vers inondés de désillusion et de désespoir. Elle veut

« Ecrire écrire écrire

Et l’encre coule

Comme du sang

Comme du sang sur le papier

… »

Elle veut écrire pour dire tout ce qu’elle a subi, tout ce qu’on lui a fait subir, sa lassitude, son envie d’en finir :

 « …

Cela fait mille ans que j’y vis

Que j’y survis toujours plus seule

Toujours plus triste plus perdue 

…»

Elle se souvient de son enfance de ses parents, de ses amours de ses amants, de ses échecs, des abandons accablants qui l’ont torturée, elle ne supporte plus la solitude qu’on lui a infligée.

À DEUX PAS DE CHEZ VOUS de LILIANE SCHRAÛWEN – LES BELLES PHRASES
Liliane Schraüwen

Dans ce recueil de poèmes tous différents, l’auteure dévide un fil rouge en racontant une histoire, une histoire triste douloureuse, une histoire d’abandon, une histoire de solitude, une histoire d’enfants partis, emmenés même, une histoire d’amour évanoui, une histoire de violence, une grande désillusion, un profond désespoir, un désir de fin. Le sang inonde les vers, le sang de la défloraison, le sang de l’enfantement, le sang qui coule sous la lame qui court sur la page

« Je suis vieille aujourd’hui

Plus seule que jamais

Mais chaque nuit je te retrouve

Je redeviens petite fille

Mais au matin

Je regrette ces rêves

Où tu étais vivante

Jamais aussi présente

Que depuis ton absence ».

Un vie de femme pleine de douleur, de souffrance, de violence, de trahison, d’abandon, un vie de désillusion et de désespoir. Une vie comme trop de femmes en ont subie. Une vie de femme mise dans des mots mis en vers, des poèmes pour dire l’inacceptable.

Le recueil sur le site des Editeurs Singuliers 

Le groupe de la revue et des Editions BLEU D’ENCRE sur Facebook

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JE VERBALISE / AUTOPORTRAÎTRE en PQ

6 rlx de papier hygiénique 400 feuilles ECOLABEL Papeco

 

 

Je pactise avec un diable entre les rayonnages de l’Enfermarket

Je pagine n’importe comment pour affoler mon récit

Je paillette les pages d’un livre d’éclats de lecture

Je pâlis à l’ombre des grands arts

Je pâlis pour ne pas briller inconsidérément

Je pallie le défaut de hasard en forçant le jeu

Je palpe la palissade des sensations à la recherche d’une porte sur l’invisible

Je panache de fumée mes feux follets

Je panse les plaies du prolétariat avec des promesses électorales

Je papillonne d’une fleur de liberté à l’autre

Je parade devant un paon des Lettres (par mimétisme)

Je parais vingt ans de vin de plus que mon cru

Je paralyse mon public venu me voir me planter

Je parcours le dos du fakir avec des chaussures à crampons

Je parcours le spectre éditorial en en voyant de toutes les couleurs

Je pare au juge le plus pressé quand j’ai un gros besoin de justice

Je parie sur le grand capital de régurgitation du petit d’homme mon bavoir

Je pare aux éclats de pitre avec des blagues crasses

Je parle avec les mots autour d’une table d’écriture

Je parle avec les nymphes du bout des lèvres

Je parque diverses espèces d’auteurs menacées dans un zoo littéraire

Je parraine un noteur de bas de page qui montera haut

Je pars en vrille faire des tours

Je partage un sentiment de solitude avec le plus grand nombre

Je participe à la paupérisation de la littérature pour me faire rééditer

Je participe de la débandade générale après la chute du désir

Je participe passé à un souvenir collectif

Je parviens au plaisir après avoir beaucoup désiré

Je parviens au plaisir après mille chemins de caresses

Je patauge dans la seule mouille qui m’aille

Je patiente dans la sciure avec une branche d’étoile

Je pave de mauvaises inventions le palais de la Découverte

Je pave de mauvaises suspensions le paradis du pneu

 

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Je passe de paresse en paresse semer la bonne fatigue

Je passe pour une clenche (aux yeux de cet enfonceur de portes ouvertes)

Je passe pour un passeur auprès des auteurs qui passent

Je passe pour un exhibo aux yeux des voyeurs

Je passe pour un penseur dans la rue des idées fixes

Je passe pour un pisseur aux yeux des chieurs

Je passe pour un paresseux sur la branche des babouins

 

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Je peins sur voile des marines

Je peigne la girafe avant de faire cracher le python

Je pelote une petite laine boutonneuse

Je peins un reflet d’argent sur le miroir-caisse

Je peins sur les seuils des natures portes

Je pèle les pommes de fée tombées des arbres à contes

Je penche à tort du côté de la raison

Je pénètre le rêve par son ouverture sur la nuit

Je pense aisselle donc je sue

Je pense les blessures mentales

Je pense vaisselle dont j’essuie

Je perce dans la minuscule édition mon petit trou littéraire

Je perche en haut d’une lance avec des têtes de pique célèbres

Je perds le fil de mes idées noires quand je tue le temps

Je perds pied quand je dois rimer trop longtemps

Je perds pied sur le chemin de la poésie métrique

Je perds pierre sur pierre dans la carrière minérale

Je perds toujours à la roulette russe

Je pérennise avec l’aval de la science le catastrophisme des origines

Je permets beaucoup de prose à mon modèle de poésie

Je permute les vers pour affoler mon poème

Je pérore pour qu’on ne prête pas l’oreille à mes murmures

Je persévère dans mon aire en spinoziste du premier carré

Je persiste dans la prière sans jamais me signer

Je pèse sur le coeur d’un poète le poids d’une plume

Je pète la forme et je perce le fond

Je pète les plombes quand le temps a sauté

 

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Je piaille, piaffe d’impatience à l’idée de plumer un poulet

Je piège un rat de bibliothèque avec un fromage en forme de livre

Je pince les crabes pour toucher leur corde sensible

Je pipe les dés gradés

Je pique un aphorisme urticant à un recueil cactusien

 

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Je place mes écologies à tempérament

Je plagie des chefs d’oeuvre d’insignifiance pour me faire démarquer

Je plains mes valises sous les yeux d’être à portée de vue

Je plais (au soir tombant) aux femmes de l’ombre

Je plais aux bonnes poires et aux petites pommes

Je plais aux flammes faciles avec mes grands feux

Je planifie mes dépenses d’énergie verte

Je planche sur un vague problème

Je plane au-dessus de tout soupçon de plagiat car

Je plante mes proches devant une jardinerie

 

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Je plante un noyer un bord de l’eau

Je plaque les filles plates au mur de mes fantasmes

Je plie bagage mais ne romps pas la liaison

Je plisse les cieux pour mieux croire

Je plisse les dieux pour croire au ciel

 

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Je plombe l’atmosphère au volant de mon SUV

Je plonge dans le malheur d’aimer avec un gilet pare-larmes

Je plume un auteur fécond pour avoir de quoi lui acheter son oeuvre

Je polis la statue de l’amabilité

Je pompe mon entourage pistonné

Je porte le masque de la révolte pour échapper à la guillotine

Je pose la première bière du mur de l’ivresse

Je pose un lapin pour échapper à une souris

Je poste des statu quo

Je poursuis en justice un auteur et son éditeur pour quatrième de couverture mensongère

Je pousse mes soupirs jusqu’aux pleurs

 

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Je précède le cortège littéraire avec un groupe de préfaciers

Je préfère ne rien lire de mal

Je préfère tirer à la ligne qu’être trait

Je préserve la rature de toute intervention humaine

Je presse le pas du citron dans son dernier quartier

Je presse le pull jusqu’à la dernière goutte de laine

Je prétexte un mal de texte pour ne pas écrire

Je préviens quand je postpose

Je privilégie un auteur de bas de gomme à un auteur effaçable

 

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Je procède par excès et aigreurs

Je procure un sentiment de plein air quand je suis inspiré

Je produis un vain bon mot par heure sur Twitter

Je profite de la disparition de l’Auteur pour écrire des polars

Je progresse dans l’art de raccourcir ses jours

Je projette l’ombre d’un spaghetti sur un plat de nouilles chinoises

Je projette mes ombres marines sur des jonques chinoises

Je promène ta libido au bout d’une laisse de chasteté

Je promeus un auteur minuscule superstar de la pico édition

Je promulgue la fin de l’état de droite à une centaine de points alignés

Je prononce mal quand j’ai ton bien sur la langue

Je protège la retraite d’un sourire de l’arrivée des larmes

Je prouve par âne plus bête la supériorité de l’ongulé sur l’enculé

Je proviens d’une famille de mots doux

 

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Je puise dans mes réserves de gaz inflammable la force de péter le feu une dernière fois

Je puise l’aube à la source du soleil

Je punaise mes cafards au mur de ma lente

Je punis la personne qui me corrige

Je publie au bas mot une livre de phrases par mois

Je purifie l’art que je conspue

 

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Je quadrille le lecteur en quartiers de livres à lire

Je quadrille le secteur littéraire volatil pour dénicher l’oiseau rare

Je quadruple le nombre de mes publications par an & quintuple celui des invendus (chercher le rapport)

Je quémande l’avis du grain de sel sur la saveur de la mer

Je questionne la Dame blanche sur l’Âge de glace

Je quintessencie trop pour être sensible au super flux

Je quitte la table de nuit après avoir rêvé

Je quitte le sable avant d’avoir fini mon château

Je quéris vite

 

 À SUIVRE (sur un autre support) !

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 47. COUREUR DE JURONS

Le Yéti existe ! : : Le Dinoblog

 

Le coureur de jurons saute d’un gros mot à l’autre. Aucun ne le satisfait. Aussitôt a-t-il fait son fiel de l’un d’entre eux qu’il jette son dévolu sur un autre.

Il passe allègrement de Merde chier con à Fumier fiotte couille, il saute d’Âne bâté à Bête à bêcher de la flotte, de Putain de ta race à Enculé de ta mère. De la large assise de Grosse truie bleue, il bondit sur Gueule de merlan frit et, après avoir usé à la corde des Gueule de raie et autres Face de rat, on l’entend user à foison des Tête de gland ou Trou duc. Lassé des Pelle à brin, il lance à la ronde des Balai à chiotte et Raclure de bidet et après n’avoir eu à la bouche que des Branleurs de cafards à Kafka, il n’a plus qu’Épouvantail à gilles de Binche sous le masque de confinement. Dans l’intervalle, il a étoffé ses injures.

Le coureur de jurons, on l’aura compris, est moins un métier noble qu’une maladie honteuse qui peut cependant trouver un défouloir dans un cadre professionnel strict, une cellule familiale contraignante, un cercle religieux puritain, un mouvement de jeunesse vertueux, un corps de métier bâillonné, une administration publique policée, une société secrète corsetée…

Si le coureur de jurons à haut potentiel n’est pas dépourvu d’imagination verbale, le coureur de jurons moyen se contente, lui, des lots en ligne du Capitaine Haddock ou de James Ensor.

Le coureur de jurons, c’est là qu’il touche la fibre sensible du citoyen responsable, n’a pas de mots assez gros et assez forts pour qualifier les hommes et femmes de pouvoir qui oeuvrent à l’accroissement des inégalités entre les humains et à la destruction progressive de la planète.

Seuls les putes et les clochards, sans distinction de genre, ont ses faveurs. La preuve, une de plus, que, derrière son langage de charretier, ses manières injurieuses, le coureur de jurons couve un cœur d’or et une libido alerte.

 

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À lire aussi : LES HAUTS MOTS

 

2020 – LECTURES POUR CONFINÉS : LES CACTUS FLEURISSENT AU PRINTEMPS / La chronique de Denis BILLAMBOZ

2018 – RENTRÉE LITTÉRAIRE : IN MEMORIAM, par Denis BILLAMBOZ – LES ...
Denis BILLAMBOZ

Honnêtement, je ne sais absolument pas quand fleurissent les cactus, je sais seulement que les P’tits cactus de CACTUS INEBRANLABLE Editions fleurissent toute l’année sur les rayons des librairies et bien ailleurs encore. Je voulais simplement parler de ceux qui ont fleuri sur mon bureau au cours de ce printemps calamiteux pour en faire profiter tout ceux qui se morfondent sans savoir comment meubler le temps qu’on les oblige à passer à la maison. Je leur conseille donc une bonne cure d’aphorismes des P’tits cactus à laisser fondre doucement sur la langue à raison d’un recueil par semaine, je suis sûr que ceux qui suivront attentivement ce régime, supporteront beaucoup mieux le confinement.

 

Le souverain poncif

Massimo Bortolini

Cactus inébranlable

Massimo Bortolini a remarqué, lui aussi, que le poncif est devenu omniprésent, incontournable, qu’il envahit le langage, et que notamment « En politique, le poncif est souverain ». Il devient même la matière première de la langue de bois que nos dirigeants manient avec un si grande habilité à n’importe quelle occasion et même le plus souvent possible.

Mais Massimo n’est pas qu’un censeur, il est aussi un poète, après lecture de quelques pages de ce recueil, j’ai vite été bercé par une certaine forme de poésie, il sait faire court, même très court, tout en conservant une délicatesse, une finesse et une forme allusive que Polymnie aurait certainement agréées et acceptées dans son art.

« Il faut toujours garder un désespoir pour la soif ».

Mais qui dit poésie ne dit pas mièvrerie, sentimentalité ou autre sucrerie littéraire, les piquants du cactus de Massimo sont parfois chargés de venin urticant destiné à stigmatiser certaines cibles ayant bien méritées une bonne démangeaison.

« Pour s’informer, on a souvent le choix entre la presse et le choléra ».

Dans son art d’aller au plus court pour en dire le maximum, Massimo ne perd jamais de vue le bon sens populaire négligé, même méprisé, par certains et, pour leur rappeler, il décoche quelques flèches qui font mouche à tout coup :

« Avis de recherche : perdu occasion de se taire ». Il doit y a voir foule dans tous les bureaux des objets trouvés…

« Quand on écrit autre chose que ce qu’on s’apprêtait à dire, on fait volte-phrase ». Dans leur bouche certains n’ont rien à faire tourner.

« La rentrée littéraire, ce moment où tant de livres paressent chez les libraires ». Son éditeur a eu assez de bon sens pour éviter cette période.

De toute façon, un auteur qui écrit qu’« Au prêt-à-porter, j’ai toujours préféré le prêt à enlever » et rapporte que « Je lui ai dit tout net à mon médecin : Vous n’aurez pas ma liberté de manger ! », ne peut-être qu’un brave homme cachant mal le talent qu’il démontre en dissimulant quelques jolies formules de style parmi les picots de son cactus, comme ce petit zeugme pétillant :  « Il tourna la page et le coin de la rue ». Ce que nous ferons pour atteindre la fin du recueil non sans avoir bien noté qu’« il est défendu de défendre ».

Le recueil sur le site de l’éditeur 

 

Cactus | Design poster, Graphic et Gif animé

 

La nuit porte jarretelles

Béatrice Libert

Cactus inébranlable éditions

Je n’ai pas pour habitude de comparer les textes les uns par rapport aux autres, mais, pour une fois, je me hasarderais à dire que ce recueil de Béatrice Libert est certainement celui qui est le plus poétique parmi tous eux que j’ai lus dans cette prolifique collection. Certains aphorismes sont de vrais morceaux de poésie :

« La clef du poème ne loge pas dans la serrure de l’idée »

« Sur le toit de l’enfance, l’aube d’un poème. »

A travers d’autres aphorismes, l’auteure évoque sa passion pour la poésie comme si elle était au centre de sa vie, à la pointe de ses préoccupations, dans les tiroirs du haut de sa pharmacopée :

« N’essaie pas de forcer l’ennui : c’est le sentier qui mène à la poésie. »

« Le poème du Rien passe par le chas du grand Tout qui cadenasse nos vies. »

Dans sa préface, Jean-Pierre Verheggen écrit : « Béatrice Libert est d’abord ici – d’abord et avant tout ! – une étonnante détourneuse » de fond et de forme ajouterai-je !

« Ce que les écrivains on dit :

« On ne fait pas d’hommes de lettres sans caser des bœufs. » »

Avant de conclure son recueil, Béatrice Libert adresse un fort bel hommage à la mémoire du poète liégeois Jacques Izoard à qui elle dédie deux pages complètes dont cette définition choisie parmi les autres dédicaces :

« Izoardent : qui éprouve un élan vital à la lecture des poèmes de l’auteur. Ant. : izoardeux. / De plus en plus de Liégeois sont izoardents. »

J’ai choisi l’angle de la poésie mais il y aussi dans ce recueil beaucoup d’adresse et de finesse, de pertinence et d’impertinence car l’une sans l’autre n’est que soupe sans sel ou baiser sans moustache !

Et pour termine, n’oublions jamais que « Quand le poème est tiré, il faut boire les vers. »

Le recueil sur le site de l’éditeur

 

Cactus | Design poster, Graphic et Gif animé

 

L’obstination du liseron

Olivier Hervy

Cactus inébranlable éditions

Dans ce recueil Olivier Hervy rassemble des aphorismes comme de véritables petites nouvelles, des miettes d’existence, des fragments de vie, des instants figés, directement inspirés de son quotidien notamment de ses relations avec sa charmante vieille voisine toujours impeccable, son bruyant voisin bricoleur, sa boulangère revêche, … Il relève les contradictions, les incongruités, les stupidités qui agrémentent l’existence mais aussi les distorsions, les disparités, les ambiguïtés qui fleurissent entre le langage et la réalité que ses personnages cherchent à décrire. J’ai noté ce qui est peut-être la plus petite tranche de vie du recueil : « Même chez lui, le petit voisin joue au foot dans mon jardin ». J’ai vu ce gamin taper trop fortement dans son ballon qui franchit la clôture entre son jardin et celui de l’auteur, je l’ai vu enjamber cette clôture et piétiner le jardin de l’auteur pour récupérer son ballon avant que le propriétaire du jardin intervienne toute vindicte dehors pour houspiller le môme. Avec seulement quelques mots l’auteur aura raconté cette petite histoire.

Olivier Hervy est aussi un bon pédagogue, il explique sa démarche. « l’aphorisme est une proposition. De difficultés différentes, certains très simples, d’autres plus compliqués. Le lecteur doit accepter de ne pas tous les comprendre ». Voilà qui me rassure, je suis sûr de sortir de cette lecture sans nourrir un complexe d’infériorité inutile. Comme un metteur en scène particulièrement clair et prévenant, avant de faire jouer les mots, il explique le jeu auquel il va les soumettre. Il expose le contexte dans lequel il a été amené à formuler presque chacun d’eux. Il livre ainsi une véritable leçon de création d’aphorismes à l’usage des amateurs qui voudront bien comprendre que « l’aphorisme s’approche plus du ski alpin que du ski de fond que l’aphoriste laisse volontiers aux romanciers. Nous, on va droit au but ! » Ainsi armé, le lecteur pourra débouler tout schuss dans ce recueil en prenant tout de même le temps de réfléchir car si l’auteur est généreux, il ne donne cependant pas tout. « Eh ! Je ne vais tout de même pas dire d’où vient chaque aphorisme, non mais ! »

Pour ma part, j’ai noté quelques extraits qui pourraient me concerner, comme cette pique un peu vacharde qui m’a bien fait rire : « C. qui sait tout faire est également toujours le mieux habillé et le plus cultivé d’entre nous. Aussi, cette fois, je me réjouis qu’il nous serve un rôti trop cuit ». J’avoue que j’ai eu parfois ce petit éclair de jouissance. « Le mode d’emploi illisible et compliqué m’indique surtout que je vais devoir me débrouiller tout seul ». J’ai bien senti, trop souvent hélas, moi aussi cette terrible solitude. Et pour finir, je voudrais rassurer l’auteur, il n’est pas seul à confondre, ou à oublier, des personnes qu’il est censé connaître, je suis aussi un excellent client de ce petit travers. « Je m’agace que ce voisin qui ne me reconnait jamais quand je le salue dans la rue soit si peu physionomiste, jusqu’à ce que ma femme m’informe que ce n’est pas lui, même s’il lui ressemble un peu ».

Et merci à l’auteur pour toute la pédagogie dont il a su faire preuve !

Le recueil sur le site de l’éditeur

 

 

ROSA de MARCEL SEL (Onlit) / Une chronique de Jean-Pierre LEGRAND

JEAN-PIERRE LEGRAND – LES BELLES PHRASES
Jean-Pierre LEGRAND

« Tu vas écrire un roman qu’il m’a dit. C’était un ordre »
Le roman de Marcel Sel, Rosa démarre en trombe ; mise sur orbite immédiate : on ne le lâche plus.

Marcel Sel, Rosa

Vivant au crochet du « Père », Maurice, «  le Fils » se voit donc intimer l’ordre d’écrire un roman. Il sera rémunéré 30 Euros la page. Ecrire, c’est bien beau, mais sur quoi ?  « On écrit toujours contre » nous dit Aragon. Après quelques tâtonnements Maurice trouve sa machine de guerre : il va resservir à son père, l’histoire de Rosa Molinari, sa grand-mère. Depuis que Nonno, le grand-père est mort, Maurice est en effet le seul à savoir que Rosa est morte en déportation, victime du régime fasciste italien, non sans avoir d’abord été, comme des millions de concitoyens, subjuguée par le Duce.

C’est Nonno qui lui a tout dit sous le sceau du secret, lorsqu’il avait quatorze ans. Albert Paliomberi , le Père, n’en a jamais rien su. Il croit qu’un jour, Rosa, sa mère, est partie. Alors le Père va payer, à chaque ligne.

« Et je sais moi,  s’exclame Maurice, pourquoi Nonno s’est tu toute sa vie. Albert le saura lui aussi en temps utile. Je le lui écrirai. S’il peut me lire. S’il peut m’entendre. Je n’ai pas eu le père que je voulais mais aujourd’hui, j’ai une chance de le lui faire savoir ».

Le récit en abîme  qui reconstitue l’histoire de la famille du narrateur nous replonge dans l’Italie fasciste puis nous permet de suivre le parcours de l’immigration italienne en Belgique. De manière très subtile, via le récit à la première personne de Maurice, l’auteur explore la tension entre l’amour fantasmé de la patrie d’origine et la tendresse refoulée pour la patrie d’accueil, inconsciemment vécue comme territoire de la chute.

En évitant l’écueil de la couleur locale, l’auteur, parvient par un style simple mais très imagé, à nous faire ressentir le charme si particulier de l’Italie, perceptible dès les premiers pas sur son sol. Ainsi l’arrivée à Vernazza, minuscule port de pêche engoncé entre mer et montagne : « Ils arrivèrent à la grande maison rouge. Elle était entourée de deux bicoques étroites qui semblaient s’y adosser pour ne pas s’écrouler. Il n’y a d’ailleurs que ça dans la rue principale de  Vernazza : des maisons ivres ». Cette description par petites touches gagne aussi les personnages et singulièrement celui de Rosa que le travail de mémoire saisit dans ce qu’elle a de plus impondérable et pourtant la caractérise le mieux : le mouvement, l’énergie : « J’arrive dans la pièce, je vois sa robe qui se redresse et virevolte, une robe pleine de couleurs ».

Marcel Sel. Le blogueur le plus lu à Bruxelles - Brusselslife.be
Marcel Sel

En imbriquant la temporalité de Rosa et celle du narrateur, Marcel Sel suscite une intéressante méditation sur la transmission. Quand les choses se passent bien, la vie circule au sein de cette galaxie qu’est une famille. Chez les Paliomberi et les Molinari tout se passe comme si le séisme fasciste puis le drame de la déportation, avec son poids de culpabilité et de trahison, détournaient le sang de sa source. Le non-dit envahit la scène familiale, plus rien ne circule, les échanges sont fonctionnels à l’image de cette fausse connivence entre Albert et son fils aîné ; seuls quelques gestes de tendresse – la façon furtive de Nonno de serrer deux fois la main de son petit-fils comme on le faisait dans la famille – ont subsisté, maigre héritage des années révolues. Un rapport névrotique au  passé s’installe et contamine les générations suivantes. Le roman le montre bien ; en faisant de son petit-fils son confident, Nonno lui a imposé sa douleur et son désespoir tout en lui insufflant un paralysant nihilisme.

Insérée dans le cadre narratif, la séquence fasciste est abordée avec beaucoup de naturel par la réfraction des souvenirs d’enfance de Rosa qui donne, au personnage de Mussolini, une coloration presque mythologique : « Rosa pestait contre ce figlo di putanna de Mussolini. Ils avaient un contrat, depuis ses neufs ans, quand il l’avait saluée au Decennale et qu’elle avait chanté pour lui. Elle lui avait donné sa foi presqu’aussi forte que celle qu’elle avait pour le Tout-Puissant. Mais le 5 décembre 1943, le Ministère de l’intérieur avait ordonné l’arrestation de tous les juifs (…). Elle, menacée de déportation avait décidé de résister ». L’innocence trompée d’une enfant recoupe le sentiment de trahison de tout un peuple dont le retournement est saisissant. On peut y voir une versatilité opportuniste ; j’incline davantage à y reconnaître l’heureuse fatalité qui, tôt ou tard, abat les dictatures et les tyrannies de toutes sortes, déjà décrite par Lamennais voici près de deux siècles :« S’enfonçant toujours plus loin dans le mal, elles rencontrent enfin aune autre nécessité, supérieure à celle qui les pousse, l’invincible nécessité des lois qui régissent la nature humaine. Arrivés là, nul moyen d’avancer ni de retourner en arrière ; et le passé les écrase contre l’avenir ».

Le roman de Sel explore enfin le rapport entre la sublimation de l’œuvre où tout se tient et l’apparente banalité de l’existence réelle. De quel roman sommes-nous le héros ; quel est la densité d’être de toutes ces personnes  – simples protagonistes ou personnages ? – que nous côtoyons. Y a-t-il un sens dans la grisaille apparente de nos vies ?  Par la catharsis de l’écriture et la perspective nouvelle que celle-ci va dessiner, le narrateur assumera enfin son destin d’homme.

Rosa (format poche)

Le roman sur le site d’ONLIT (en format poche)

Un blog de sel, le blog de Marcel SEL

 

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 46 : ORGANISATEUR D’ÉTIREMENTS

Exposition De Vinci: la justice italienne suspend le prêt de l ...

L’organisateur d’étirements est un organisateur d’événements confiné qui a la bougeotte. C’est un coach qui œuvre dans le physique, alors que l’autre partie des coaches oeuvrent dans le spirituel ou l’intellectuel.

L’organisateur d’étirements a un don pour la géométrie, pour la position du corps confiné dans l’habitacle. Tout ce qui dans la matière humaine tend à occuper plus de place le concerne. L’organisateur d’étirements voit grand. Mais n’y voyez pas malice : jamais l’organisateur d’étirements ne se mêle de l’entrejambe de son client ! Ne confondons pas l’organisateur d’étirements avec un accompagnant sexuel.

L’objet de l’organisateur d’étirements, ce sont, comme vous l’aurez compris, les quatre membres si le client n’a pas été séparé de l’un d’eux. Il étire jusqu’à ne plus pouvoir : quand le corps occupe toute la place de la pièce ou de la salle, il a atteint son but. C’est dire si certains étirements prennent du temps et de l’espace.

L’organisateur d’étirements veille à la distanciation sociale entre les quatre membres. Un mètre cinquante minimum. Les extrémités des membres, ongles des doigts et des orteils sont circonscrits dans un cercle parfait à égale distance du nombril de l’homme ou de la femme. Il veille à ce que la tête ne prenne pas son pied ou sa main et que, réciproquement, mains et pieds ne se prennent pas la tête. On peut se figurer l’homme étiré comme il sied en visualisant l’Homme de Vitruve, le célèbre dessin de Leonard de Vinci.

Ne confondons pas l’organisateur d’étirements avec l’écarteleur même si, pour mettre du beurre dans ses épinards (c’est meilleur), il n’est pas rare que l’organisateur d’étirements écartèle dans les règles de l’art et parfois même qu’il y met, nous a-t-il été rapporté, du cœur à l’ouvrage.

L’écarteleur ne disjoint, n’arrache pas toujours. Il ne fait pas de l’excès de zèle. Le corps est démembré mais pas amputé ; sinon l’organisateur d’étirements doit faire appel à l’organisateur d’enterrements qui est un organisateur d’événements confiné qui a trouvé le filon.

Enfin, ne confondons pas l’organisateur d’étirements et l’organisateur d’évitements. Même si les lettres ont tendance à se chevaucher, il faut garder en toutes circonstances la maîtrise de la monture verbale : l’organisateur d’évitements règle la circulation des personnes alors que l’organisateur d’étirements distend le confinement aux dimensions de la personne.

 

 

2020 – LECTURES POUR CONFINÉS : CHEMINS DE TRAVERSE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

2020 - LECTURES POUR CONFINÉS : FANTASMAGORIE FERROVIAIRE / La chronique de Denis BILLAMBOZ
Denis BILLAMBOZ

Pour construire cette chronique j’ai réuni deux auteures qui ont confié leur plume, plutôt leur clavier, à des narratrices qui ont raconté, comment mal aimées de leurs parents et mal acceptées par beaucoup d’autres, souvent sous la contrainte, elles ont dû emprunter des chemins de traverse pour se construire un vie qui correspondait mieux à leur choix qu’à ceux de leurs parents. Ne connaissant pas ces deux auteures, je précise bien que ce sont les narratrices qu’elles ont créées qui racontent leur vie. Je fais toujours bien la différence entre auteure et narratrice. L’auteure invente la narratrice qui écrira le texte, parfois les deux peuvent se confondre.

 

Les beaux jours

Annie Préaux

M.E.O.

Les beaux jours - Annie Préaux - Babelio

Sa grand-mère l’a prévenue ses beaux jours sont révolus, quelques gouttes de sang tachent le fond de sa culotte, elle va passer du stade d’enfant à celui de femme pubère. Tout ça elle ne le sait pas encore, elle ne sait pas ce que c’est, elle n’y comprend rien et on ne veut rien lui dire.

La narratrice, je ne sais pas si cette histoire est autobiographique ou non, c’est la raison pour laquelle, je l’attribuerai à la narratrice et non à l’auteure, a choisi un habile processus littéraire pour raconter son adolescence, comment elle l’a conditionnée pour aborder sa vie d’adulte et la vie de senior qui l’attend peut-être en racontant celle de sa cousine qu’elle accompagne sur le dur chemin du grand âge. Elle raconte en alternance son adolescence et ses visites à s vieille cousine établissant ainsi une sorte de pont entre les deux bouts d’une vie.

C’était dans un village du Borinage, à l’époque où cette riche région minière devenait une immense friche industrielle, où les fortunes se défaisaient beaucoup plus vite qu’elles s’étaient constituées. Ainsi, après le décès de son père, la mère fut obligée de fermer la petite fabrique que la famille exploitait, en laissant une vingtaine d’ouvrières sur le carreau. Annette, la narratrice terrorisée par les prédications sataniques de sa grand-mère refuse de devenir une femme, ne s’aime pas, se déteste même au point d’en devenir anorexique.

« Contrairement aux vraies anorexiques, je ne me pèse jamais, je ne contrôle rien. Je ne souhaite pas être mince ou grosse. Je hais tout simplement cette chair qui recouvre mon squelette et qui saigne irrégulièrement. Je déteste mes points noirs, mes boutons, mes poils. Ma peau. Mes os. »

Annie Préaux
Annie Préaux

Elle se révolte contre tout, contre sa famille qui ne lui dit rien, qui la traite comme une enfant, contre l’école où, bien qu’elle soit une élève brillante, la maltraite et l’accuse d’être l’instigatrice de tous les mauvais coups fomentés au sein l’institution. C’est une rebelle, on la considère et la traite comme telle. Elle s‘oppose surtout à la religion, notamment celle pratiquée par sa grand-mère qui, restée au temps des rites et croyances le plus obscures, les plus contraignants, les abscons, ceux qu’elle l’oblige à pratiquer comme elle.

Cette religion que sa cousine Jeannette, un peu plus vieille qu’elle, respecte pointilleusement jusque dans ses plus obscures pratiques, quitte à inventer d’autres pour paraître encore meilleure catholique et être sûre d’aller directement au Paradis. Mais Jeannette subit la dégénérescence qui affecte de nombreuses personnes âgées, Annette décrit sa lente mais inéluctable dégradation physique et mentale. En pensant certainement dans un petit coin de sa tête que le début de sa descente, à elle, se rapproche de plus en plus. Je l’imagine aisément, je partage le même âge que l’auteure…

Un roman court, plein d’humanité et d’émotion qui survole, d’une adolescence douloureuse à une fin de vie dégradante, tout ce qui peut constituer une vie, la sienne peut-être, consacrée à de multiples engagements dont la défense de la cause des femmes très présente dans ce texte. Cette biographie est aussi un plaidoyer contre toutes les contraintes imposées aux jeunes filles, aux femmes, aux personnes âgées par des religions bigotes, castratrices, liberticides… dont des familles et des institutions usent et abusent encore pour maintenir leur pouvoir.

Le livre sur le site de M.E.O.

Bio-bibliographie d’Annie Préaux

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Au fond un jardinet étouffé

Morgane Vanschepdael

Maelström

BSC #84 Au fond un jardinet étouffé

« Je sors tous, les pensées, les viscères, les souvenirs, les contes élaborés dans les limbes… J’éclos lentement sous des trombes de phrases qui s’attachent à moi et je m’accroche à elles. »

L’auteure raconte comment l’écriture, la mise en mots de ses mésaventures bruxelloises l’a libérée du poids pesant sur ses épaules depuis qu’elle a quitté sa Gaume natale. Elle est née dans cette campagne, « Ici » où une héroïne de Christine van Acker s’est réfugiée pour oublier les affres de la capitale. Elle a travaillé dur, nettoyant les box, charriant le fumier mais elle a aussi bien profité de la nature, du grand air et de la forêt. Comme les loisirs n’étaient pas très fréquents, elle a beaucoup lu du théâtre et des romans notamment d’Oscar Wilde et de Samuel Beckett ses auteurs fétiches.

Elle était bonne élève, alors on l’a mise incitée à poursuivre ses études à la capitale mais elle n’était pas prête à affronter, la ville, la foule, le confinement, les règles de toutes sortes, …, elle a échoué, recommencé dans une autre école où elle ne s’est pas mieux intégrée. Heureusement, elle est partie en stage à Malte où elle a retrouvé la liberté et découvert la fête qui ne s’achève que lorsque le soleil se lève. Mais toutes les belles choses ont un terme, il a fallu rentrer à Bruxelles, retrouver la grisaille, les contraintes, les amies et amis pas tous très francs.

Morgane Vanschepdael (morgouille) sur Pinterest
Morgane Vanschepdael

Alors, elle a jeté sur ses pages avec encore plus de fougue des mots qu’elle griffonnait depuis longtemps déjà pour raconter son histoire, ses mésaventures, ses doutes, ses terreurs, ses angoisses devant son avenir. Et un beau jour, un petit matin après la fête peut-être, un lecteur a trouvé ses mots beaux, touchants, émouvants … il l’a incitée à écrire encore et encore et voilà le début d’une histoire qui conduit à la rédaction de cette première publication.

Espérons qu’il y en aura d’autres de la même verve, dégageant la même énergie, la même volonté de transcender la terreur en sensation artistique pour s’installer dans le monde du théâtre et des lettres. Et peut-être que nous avons mangé, le même soir, des crêpes avec les doigts au Kokob, en laissant la première bouchée à son voisin, par une froide nuit hivernale mais chaleureuse et enfiévrée.

L’ouvrage sur le site de Maelström

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