VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE
100 films à voir absolument
analyse décennie par décennie/feuilleton en 12 épisodes
qui court des débuts du cinéma aux années 2010
par Ciné-Phil RW et ses contre-pointeurs Nausicaa DEWEZ et Krisztina KOVACS, Daniel MANGANO et Thierry DEFIZE.
(II)
Les années 1910
(ère du muet)
Pour le Top 100, je m’octroie une entorse (unique) et retiens 2 films d’un même cinéaste dans une même décennie. C’est qu’il me semble impossible d’offrir les fondations d’une Cinéthèque idéale sans présenter le socle monumental sur lequel repose la statue du 7e Art, comme explicité ci-dessous.
(3/100) Naissance d’une nation/Birth of a Nation (D.W. Griffith, Etats-Unis, 1915).
Voir l’article sur Naissance d’une nation
(4/100) Intolérance (D.W. Griffiths, Etats-Unis, 1916).
Voir l’article sur Intolérance
D.W. Griffith !
David Wark Griffith est-il l’inventeur du cinéma moderne ? Ses deux chefs-d’œuvre, des longs-métrages, constituent un diptyque entre lesquels se situe l’an 0 du 7e Art. L’oscillation entre ces deux films se retrouve dans les classements de l’AFI (American Film Institute) : elle classe Naissance 44e film américain de tous les temps en 1998 mais le fait disparaître de son top 100 en 2007, le remplaçant par Intolérance, positionné 49e.
Intolérance est l’un des films culte de mon adolescence, du temps où je visionnais tous les vieux films possibles au ciné-club de la Radio-Télévision Belge, le vendredi soir. Quant à Birth of a Nation, avec son apologie du KKK (Ku Klux Klan), il fut considéré comme le meilleur film de tous les temps avant de concourir désormais pour le titre de « film le plus polémique de l’Histoire ».
Au premier regard, deux films aux antipodes, le racisme contre l’humanisme. Au deuxième, la perspective s’affine, se nuance.
D’autres chefs-d’œuvre plébiscités par la critique ?
En France :
. J’accuse d’Abel Gance/version 1919 ;
. Les vampires de Louis Feuillade/1915, une série de 10 courts et moyens métrages, de préférence sans doute à ses 5 excellents Fantômas ou à ses 12 Judex. La naissance des séries B, une anticipation des séries télévisées ?
Lien vers l’article consacré la série de films Les Vampires
En Italie :
. Quo vadis ? d’Enrico Guazzoni/1912) ;
. Cabiria de Giovanni Pastrone/1914.
Deux prototypes du long-métrage et du péplum, moins pour leurs qualités intrinsèques (quoique…) que pour leurs conséquences sur l’Histoire de la Culture, les deux ayant boosté l’envie de Griffith d’oser raconter large.
NB : Cabiria a donné son décor au magnifique musée du cinéma de Turin, bien des idées à Jacques Martin (BD Alix) ou à Fellini (Les nuits de Cabiria), et l’un des premiers super-héros, Maciste, protagoniste de dizaines de films.
Daniel : Cabiria, effectivement. Mais, côté italien, j’ajouterais Les derniers jours de Pompéi (Caserini, 1913), un autre péplum. Et peut-être des futuristes, comme Thaïs (Bragaglia, 1917).
Aux States :
Daniel : Les films de Tom Mix ! Dont le cheval a dû inspirer Morris pour Jolly Jumper.
Nausicaa : À côté des deux monuments de D.W. Griffith, Forfaiture (Cecil B. DeMille, 1915) figure lui aussi souvent dans les classements des plus grands films de l’époque. Il s’agit d’une variation sur un triangle amoureux, entre une femme endettée, un homme qui accepte de rembourser ses dettes si elle se donne à lui, et un mari qui ne devrait rien savoir de l’opération. Évidemment, rien ne se passe comme prévu.
Spoiler ! Une scène particulièrement mémorable est celle où le wannabe amant (Sessue Hayakawa) marque au poinçon l’épaule de la femme (Fanny Ward) qui se refuse finalement à lui. À noter aussi la fin du film, avec le procès du mari…
Phil : Un – presque – cocu magnifique, émouvant, qui prend sur lui le coup de feu de l’épouse à son agresseur/harceleur.
…et la tentative de lynchage (de la… victime asiatique !) qui s’en suit. Avant les films bibliques pour lesquels il reste célèbre aujourd’hui (Les dix commandements, dont il tourna une version en 1923 et une autre en 1956), Cecil B. DeMille se montre déjà virtuose dans l’art de filmer les foules.
Phil : Narration tendue et esthétisme (clairs-obscurs, gros plans). Un bémol pour la morale affichée en toutes lettres : on ne se mélange pas entre Occidentaux et Orientaux ! La tentation du lynchage final en dit long.
Mais encore…
Thierry : L’étudiant de Prague est une merveille ! Mais j’ai un doute : ai-je vu l’original de 1913 (Allemagne, Stellan Rye et Paul Wegener) ou son remake de 1926 (Allemagne, Henrik Galeen) ?
Who knows ?
. CHARLOT.
Nausicaa : C’est au cours de cette décennie que naît le personnage de vagabond campé par Charlie Chaplin, connu en francophonie sous le nom de Charlot. D’excellents courts-métrages préparent les grands films de la décennie suivante.
Phil : Chaplin débute sous la direction de Mack Sennett à la Keystone, un studio hollywoodien qui lancera aussi les gagmen Harry Langdon et Harold Lloyd. Il invente son personnage dès sa première saison et son deuxième court-métrage (1914). Kid Auto Races at Venice est une fabuleuse mise en abyme. On y voit Charlot gêner une équipe de tournage, qui tente de capter l’événement sportif, jouer avec la caméra apparente (une caméra filmée par une caméra), comme s’il voulait l’apprivoiser, entrer de force dans l’usine à rêves du cinéma.
. LE SEPTIEME ART.
Phil : L’expression naît en deux temps via un critique franco-italien. Ricciotto Canudo salue la naissance du cinéma comme 6e art en 1911, ce qui est déjà l’élever au rang d’art. Puis il apprend à calculer/préciser sa pensée hors Hegel (qui avait proposé une liste de cinq arts) et milite pour un 7e art en 1923. Les autres arts ? Vers 1835/1838, Hegel avait évoqué l’architecture, la sculpture, la peinture/les arts visuels, la musique, la poésie/littérature. Il avait négligé les arts de la scène, la danse, le théâtre…
. L’EPOUVANTE.
Krisztina : Le premier Frankenstein est réalisé par James Searle Dawley (Edison Studios) en 1910. Le court-métrage muet se présente comme « une adaptation libérale » et s’ouvre avec Victor Frankenstein partant pour l’université. Le reste de l’histoire est fidèle au roman de Mary Shelley : le monstre, en guenilles et affublé d’une perruque effrayante, cherche la reconnaissance de son créateur et le frappe de son amère vengeance lorsqu’il ne la reçoit pas.
. LA CARRIERE AMERICAINE D’UNE FRANCAISE.
Phil : Alice Guy, évoquée dans notre chapitre Préhistoire, a vogué vers les Etats-Unis pour suivre son mari. Mais elle y réalise une deuxième carrière, remarquable. Il fallait se pencher plus avant sur cette pionnière, dont les apports ont été aussi magistraux qu’oubliés et, pis encore, occultés. Nausicaa Dewez a mené l’enquête et nous offre un passionnant dossier aux allures de réhabilitation, qui, au-delà d’une information décapante, émeut et révolte :
LIEN vers l’article sur ALICE GUY
. FEMME FATALE et VAMP.
La beauté fatale (cette femme qui séduit et détruit qui succombe à ses charmes) est un thème qui remonte à l’antiquité. Ishtar, Circé ou Calypso, voire les sirènes (dont la beauté se devinait à leur chant ?). Au cinéma, Theda Bara incarne sa première manifestation, dès 1915, aux Etats-Unis, dans A Fool There Was/Embrasse-moi, idiot !, de Frank Powell. La même année, en Europe, le terme vamp se répand pour désigner une réalité assez proche. Vamp comme vampire ? Il y a une analogie : le vampire attire/subjugue et affaiblit sa victime en prélevant son sang. Et il y a Irma Vep (anagramme de vampire), cette égérie du gang des vampires, qui, dans le film… Les vampires, de Louis Feuillade, en 1915, ensorcèle le public des salles obscures en collant noir ô moulant :
LIEN vers notre article sur LES VAMPIRES
Nausicaa Dewez et Krisztina Kovacs, Thierry Defize et Daniel Mangano, Ciné-Phil RW.