Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)
Les Lectures d’Edi-Phil
Numéro 36 (septembre 2020)
Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones
sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…
A l’affiche :
un essai (Luc Dellisse), un récit (Jean Lemaître), trois romans (Stanislas Cotton, Patrick Dupuis/Agnès Dumont, Benoît Sagaro), un conte fantastique (Alex Pasquier) et deux recueils de poésies (Sylvie Godefroid et Carino Bucciarelli) ; les maisons d’édition La Lettre volée,Otium, Murmure des Soirs, Weyrich/Noir Corbeau, Les Nouveaux Auteurs, AEB, Le Scalde et L’Herbe qui tremble.
Préambule
A l’occasion de cette rentrée 2020, je me réjouis du nombre de numéros de ma mini-revue déjà édités par Les Belles Phrases, je voulais apporter mon obole au microcosme. Je vais poursuivre le sillon mais en amenuiser la programmation. C’est que, à côté de mes deux vies principales (la première est la création, en matinée ; la deuxième est normative, limitée aux soirées), la troisième (la médiation culturelle) s’est diversifiée et démultipliée.
Il y a mes articles, sur l’édition belge encore, dans Le Carnet, mais, dans Les Belles Phrases, il y a désormais un feuilleton sur les perles du patrimoine littéraire belge, en duo avec mon collègue Jean-Pierre Legrand, et la reprise d’un autre, sur l’histoire du cinéma, en équipe, avec Nausicaa Dewez, Daniel Mangano et Krisztina Kovacs (et d’autres, ponctuellement). Ajoutons l’envie de mener un feuilleton musical aussi. Hors Belles Phrases ou Carnet, je suis devenu chroniqueur littéraire sur Radio Air-Libre, j’ai accepté d’intégrer le comité de rédaction de la revue Marginales, été sollicité pour des présentations publiques, des jurys, etc.
Bref, et je le dis pour les auteurs et éditeurs qui souhaitent m’envoyer des livres, s’impose pour moi, pour survivre à la submersion et continuer à profiter au mieux de mes activités, la nécessité d’une alternance, sur cette plateforme, entre les différents sous-ensembles. Qu’on devrait donc retrouver chacun tous les trois ou quatre mois.
Magnifique ! Avec l’auteur en filigrane sur la couverture. Le bleu pâle de celle-ci transfiguré par le bordeaux qui glisse depuis la quatrième de couverture.
L’auteur
Luc Dellisse est l’un de nos meilleurs auteurs. L’un de ceux qui possèdent le CV le plus passionnant artistiquement. L’un des rares écrivains ou romanciers belges francophones qui puissent interroger le monde, leur art, leur vie d’une manière analytique, philosophique. En clair ? L’un des collègues dont j’apprécie le plus savourer un paragraphe, une poignée de pages, un chapitre. Pour me sentir compris ou, au contraire, bousculé, incité à une réflexion nouvelle. Pour le pur plaisir aussi de me couler dans une langue belle et inventive mais sans pesanteur, d’une fermeté rare.
Le livre
Un sang d’écrivain me semble prolonger le travail méditatif découvert dans Robinson. Ce dernier ouvrage questionnait le monde, ce qu’il est devenu, la manière dont nous pouvons encore y trouver une place, un sens, résister. Ce nouvel opus resserre la focale sur la manière dont Luc Dellisse appréhende son métier d’écrivain, le pouvoir des mots, la langue. Le texte avance au gré de chapitres courts, intenses, de « petites touches où se mêlent l’analyse, le témoignage, l’humour et l’imaginaire, la situation réelle d’un écrivain dans le premier quart du XXIe siècle » (selon la quatrième de couverture).
Quelques plongées pour effleurer les contenus
Dans Introduction, Dellisse rappelle une vérité qui échappe à la plupart : l’écriture n’est pas un hobby ou une manière de gagner sa vie. Il s’agit d’une activité difficile, souvent ingrate, lourde de conséquences sur la vie de celui/celle qui s’y adonne, son interaction avec le réel, et celle-ci relève de la nécessité. Somme toute, d’un Chemin de Damas, d’une Pentecôte. Et tant pis si le tombé en écriture possédait les talents menant à une vie matérielle confortable, ils doivent céder, reculer.
Dellisse assène un éloge de la lecture ultrarapide. Qui va à rebours de ce que l’on a souvent enseigné. C’est, selon lui, la meilleure manière de saisir la portée réelle d’un ouvrage. Il faut « lire tendu ». Il affine ensuite et reconnaît les mérites, différents (complémentaires ? et il faudrait alors s’offrir de luxe de doubles lectures ?), de la lecture très lente. Ce qu’il condamne ? La « vitesse moyenne », « la flânerie », qu’il assimile au « péril des fausses profondeurs », au danger de « ne capter rien de l’essentiel ».
Dans Le grand jeu, Dellisse évoque l’écriture comme « un moment de retrait, d’absence, de maquis ». Il faut « pouvoir vivre simplement, et presque pauvrement » mais « sans devoir s’en soucier ». Un équilibre, une tranquillité sobre qui était au cœur de Robinson. L’écriture, malgré ses embûches et ses âpretés, en devient une porte d’accès au bonheur, donnant un sens à une mise à distance des corvées et autres soucis matériels qui encombrent nos esprits et corrompent la saveur de nos vies.
Dans Le cadran solaire, l’auteur va plus loin :
« Les mots servent à fixer les choses pour qu’elles existent. (…) La plupart du temps, on est vague, c’est-à-dire rien. On comprend vaguement l’histoire, on éprouve vaguement des sensations heureuses ou malheureuses ».
Les mots apporteraient du poids aux éléments du réel, un supplément d’âme. Un sens, dessiné par une « flèche noire » (quelle belle formule !). L’écriture aiderait à passer de la vie à l’existence ?
Une réflexion sur l’anticipation des faits par les inventions de l’écrivain me rappelle une conversation avec Jacques De Decker, qui croyait aux signes, à la capacité des créateurs de les repérer. Une soirée récente avec un ami d’enfance philosophe aussi : il me citait Jung et son attention à l’égard des synchronicités. Il ne faudrait pas oublier Freud, qui a évoqué les convergences comme indices d’une vive intelligence jusqu’à un certain point, d’une névrose au-delà dudit point.
Décrochage temporel interroge le dédoublement qui s’opère chez un véritable créateur. Les endroits ou les époques imaginaires dans lesquels il se réfugie (enfant, adolescent mais adulte aussi), sont « intenses et stimulants », bien plus que ceux de la vie réelle, à tel point qu’ils introduisent une autre réalité, qui est peut-être plus réelle car plus puissante/imprégnante, chargée de sens, de souvenirs, de propulsion vers la construction d’un avenir.
Et la suite…
N’en disons pas plus. Chaque chapitre (et il y en a plus de 60 !) apporte son lot de réflexions et d’interrogations, d’émotions aussi. Qu’il s’agisse du rapport à « un vieux coffre de pirate littéraire » surgi des limbes avec sa « masse sans fin de papiers griffonnés » au fil des années. Ou de celui à une langue, le français. Du rapport aux aléas du métier aussi (les séances de dédicaces, pour la grande majorité des auteurs, renvoient à une prise de conscience répétée de leur « obscurité »). Du rapport à un monde, un environnement qui n’a jamais été aussi hostile à la démarche intellectuelle, artistique. Etc.
Ah, encore. Le livre se conclut sur une annexe bien singulière, 4 pages de « Remarques sur la machine littéraire » qui livrent 33 réflexions, qui ont un goût d’aphorismes :
« (…) On crée pour faire des beaux objets avec les échecs de sa vie. Et le secret, c’est sa connaissance intime de l’échec mise au service de victoires invisibles. » ;
« (…) la seule chose qui compte ce n’est pas de commencer mais d’aller jusqu’au bout. (…) Apprendre à finir EST apprendre à écrire. »
Ce livre de grande qualité doit se déguster chapitre par chapitre. Ou alors… ? Au grand trot, selon la théorie initiale de l’auteur ?
Pour en savoir davantage sur Luc Dellisse
Avec mes collègues Jean-Pierre Legrand et Julien-Paul Remy, nous avons consacré un feuilleton en trois épisodes à son remarquable (je l’ai classé dans mon Top 5 de l’année 2019) « petit traité de vie privée » Libre comme Robinson :
Il est très positif. Belle couverture. Belle mise en place. L’éditeur, Otium, conjugue un projet idéaliste avec une orchestration soignée : coproductions, impression à Barcelone (choix qui marie la qualité d’une façon à un ancrage symbolique, la ville s’étant opposée au totalitarisme franquiste), suivi du texte, préface d’un historien/professeur d’université, insertion dans une collection, Les taupes, qui métaphorise « ce qui chemine obstinément, des résistances souterraines et des irruptions soudaines ».
L’auteur
Jean Lemaître (ce nom pour quelqu’un qui écrit sur l’anarchie !), se retire une partie de l’année en Alentejo (un tiers de la superficie du Portugal mais seulement 700 000 âmes), ce qui lui offre un créneau original : il peut nous parler de réalités portugaises méconnues avec les bénéfices du recul et de la sympathie engrangée auprès des autochtones.
Le projet
Il s’agit de révéler une « voix étouffée », l’épopée d’un homme et d’une utopie. Le sous-titre donne les clés du contenu : « Portugal, 1918. Une utopie libertaire. » Nous allons plonger dans la réalité (méconnue) d’un pays, ou d’une vaste région, l’Alentejo, au sud de Lisbonne. Pour suivre l’épopée d’un homme et d’un rêve. Antonio Gonçalves Correia.
Le décor
Nous sommes transportés dans un monde qui évoque le film 1900, de Bertolucci :
« En Alentejo (NDLR : en 1916), les habitants ne peuvent même plus se payer un pain quotidien, parce que ces messieurs les latifundistes préfèrent stocker le blé plutôt que de le vendre aux habitants, n’hésitant pas à affamer des villages pour faire grimper les prix sur des marchés extérieurs, les villes, et davantage porteurs. »
Une société fossilisée, à deux vitesses. La majorité des habitants sont des paysans journaliers exploités sans vergogne, à 90 % analphabètes. Ils n’ont aucun droit social, ne passent que trois ans à l’école avant de travailler, ils n’ont pas accès aux soins de santé et leurs enfants courent pieds nus.
Plus largement, Jean Lemaître, en quelques pages, brosse le tableau de la situation du pays entier, le Portugal. De sa naissance à sa mort, le héros du livre, Antonio Gonçalves Correia, va connaître la monarchie, le coup d’Etat de 1910, la république (espoir puis déception), la présidence autoritaire de Sidonio Pais (1917-1918), un régime militaire (dès 1926) et la dictature de Salazar (dès 1933), soit l’avènement du fascisme, avec son flot d’horreurs : règne de la surveillance et du contrôle de la pensée, des paroles, des écrits ; délations, arrestations arbitraires, etc.
Quelques réticences…
Ce livre n’est pas une étude historique ou un essai, mais ce n’est pas un roman, une fiction. Un récit ? Le style est peu littéraire, avec des familiarités/naïvetés : « être grondés », « comment une chatte pourrait-elle retrouver ses petits ? », « il lui fallait bien gagner sa croûte », etc. Côté fond, le cliché riche/exploiteur et pauvre/généreux effleure à un moment ou l’autre (« Voilà pour le cannibalisme des grands bourgeois de ce monde ! »). Or beaucoup de nantis et d’éduqués, à travers l’histoire, ont quitté leurs rangs pour vouloir un bien plus général, se préoccuper des opprimés, améliorer leur sort (mon beau-père gynécologue, un grand bourgeois, consacrait une partie importante de son temps à soigner les plus pauvres ou à se battre pour les droits de la femme) ; d’autre part, tous les types de comportement se retrouvent à tous les niveaux de la société, l’exploiteur, le délateur, le tortionnaire, l’abuseur peuvent être un chef de rayon, un sergent, un ouvrier, un chômeur, etc.
… mais évacuées dans un deuxième temps
Jean Lemaître a peut-être commis une maladresse d’expression ou je donne trop d’importance à une intervention ponctuelle. A la vérité, l’auteur, comme son héros d’ailleurs, se situe dans la vie au-delà des clichés et clivages, hors fanatisme et dans l’intégrité. Il ose nous montrer un curé anticonformiste, s’interroger sur la complexité d’un meurtrier (celui du tyran Pais) ou sur l’intimité de son personnage principal, nimbé jusque-là dans l’idéal :
« Antonio s’est toujours prononcé en faveur de l’égalité et de la liberté entre les deux sexes. Aurait-il accordé à Ana ou à Adelia la même liberté qu’il s’est attribuée à lui-même ? »
Cette phrase, dans sa simplicité apparente, est très percutante. Et engage au recul, à la nuance, à la sortie du binaire et de l’angélisme. Et me rappelle cette anecdote, lue dans ma jeunesse, d’un militant héroïque de la lutte civique des Afro-Américains… qui refusait l’émancipation de son épouse.
Ce qui emporte l’adhésion
J’ai délaissé mes paramètres habituels pour me concentrer sur le principal : ce livre concerne des notions essentielles et s’avère profondément utile, il informe, émeut, fait réfléchir et pousse à agir, tout en étant d’un abord aisé.
Le style est simple ? Il se met au service de ses objectifs. S’adresser à des gens simples (mais pas que) pour leur parler d’autres gens simples (mais pas que), en leur rappelant qu’il n’y a pas de fatalité ou de ténèbres absolues. A toutes les époques et en tous lieux, des hommes se dressent et résistent, se préoccupent d’améliorer le sort de leurs congénères, étant les relais nécessaires de la vraie humanité, lovée au fond de nos cœurs plus qu’au sein de la réalité quotidienne.
Le style est simple ? Il est naturel, vivant, dynamique, il contribue à nous offrir une présentation claire de la situation. Il est agréable, les pages défilent sans ennui ni difficulté, on a très vite assimilé le contexte et les décors, les forces en présence et les enjeux, les personnages, en un coup de crayon, ont acquis un relief.
Il y a une mise en abyme du choix d’écriture, l’auteur du livre rejoint ce que son héros, journaliste ou orateur, a lui-même pratiqué :
« Pour se faire comprendre, il n’est point besoin de pontifier : il utilise des images suggestives, des exemples fondés sur le vécu. (…) Une manière d’écrire conviviale, directe, populaire, qui tape dans le mille ?»
Antonio Gonçalves Correia (1886-1967)
Une vie édifiante. Excellent élève, il est arraché à l’école à dix ans et expédié au loin en quête de travail. Un traumatisme. Il se réalise une première fois, épousant Ana à 19 ans (ils auront dix enfants) et brillant comme représentant de commerce : lettré, d’une bonne humeur à tout crin, pédagogue et convivial, il s’attire le respect et la sympathie des populations.
Mais l’homme veut offrir davantage, apporter son obole à la mutation du pays, à l’amélioration des conditions de vie des gens. Avant d’agir, il va se préparer (un peu sur le modèle de Las Casas, ce Dominicain défenseur des Indiens). En lisant beaucoup, se familiarisant avec les idéaux des anarchistes : Léon Tolstoï, Pierre Kropotkine, Elisée Reclus, Francisco Ferrer… Il affine son personnage (végétarien) et sa philosophie : non-violence, égalité et liberté, émancipation, collaboration, partage…
La Question sociale
Son premier grand engagement consiste à animer un journal, La Question sociale. Il veut toucher un maximum de monde, éveiller les consciences, préparer le terrain d’une révolution pacifique, progressive.
Ses principes ? Il faut prêcher par l’exemple, tenter de convaincre mais sans forcer quiconque. A défaut de persuader, semer le doute dans un esprit est essentiel. Il faut être cohérent, large et ouvert : vouloir l’émancipation des femmes, l’abolition des frontières et la fraternité universelle. Intégrer la nuance, la tolérance : un curé peut, à l’encontre de la hiérarchie catholique, vouloir le bien de ses ouailles les plus défavorisées voire mépriser la propriété privée.
La Commune des lumières
Ereinté, il finit par céder le relais côté Question sociale. Ce n’est pas qu’il baisse les bras devant les difficultés. Il veut aller plus loin, concrétiser ses idées au sens le plus fort. Son idée ? Créer un village anarcho-communiste dont la réussite inspirera, fera tâche d’huile.
La Comuna da Luz, près de Vale de Santiago, voit le jour en 1916, dans une propriété achetée avec ses pauvres réserves. 15 hommes et 15 femmes y travailleront la terre ou fabriqueront des chaussures, une institutrice quitte tout pour les suivre, les soutenir, éduquer leurs enfants. Solidarité, frugalité, amour de la nature… Les valeurs qui se développent paraissent soudain très modernes, quand l’écologie ou la décroissance sont in, quand l’ultra-libéralisme patauge dans ses impasses et écœure.
La suite ?
Je vous laisse la découvrir. Cette communauté sera-t-elle, comme tant d’autres utopies, minée par des conflits internes ? Les autorités vont-elles rester les bras croisés devant une expérience qui peut donner des idées à toute une région, un pays ? Qu’adviendra-t-il de notreAntonio Gonçalves Correia, dont la silhouette (grande barbe et chapeau noir à large bord) va s’apparenter, au fil des années, à une figure de légende de l’Alentejo ?
Un très court roman ! Voilà qui me rassure comme auteur, en 2019, d’une macro-nouvelle de 35 pages et d’un micro-roman de 60. Il n’y a pas de bon volume a priori, il faut dire ce qu’on a à dire sur un sujet, un récit et ses personnages, puis en rester là, sans gonfler artificiellement, se répéter.
De quoi est-il question ? Sur le site de l’éditeur, le critique Thierry Detienne nous offre les grandes lignes du livre :
« (…) L’auteur y narre à sa demande l’histoire d’un auteur dont il est devenu l’ami et à qui il a promis de la publier après sa mort. (…) le récit écrit à la première personne semble sorti tout droit de la bouche de l’ami perdu et il débute alors que celui-ci a 16 ans et qu’il découvre l’amour avec la belle Anja. (…) Des miliciens douteux ont envahi le village et ils ont pénétré dans les maisons où ils s’adonnent à des exactions innommables. (…) le confident n’a jamais plus parlé de cet événement qui hante pourtant ses nuits et ses jours. N’y peuvent rien le procès de guerre et les témoignages de survivants, les discours d’empathie. (…) »
Un drame. Situé dans « ces plaines que l’on dit sans fin, dans les territoires situés à l’Est ». Qui survient il y a plusieurs décennies. L’auteur Ariel Bildzek, à son décès, doit avoir dépassé les quatre-vingt ans. Malgré le voile ténu qui imprécise l’ensemble pour lui conférer davantage d’universalité, notre esprit se tend en direction de la Pologne et des exactions nazies commises sur les Juifs.
Un procès. Retentissant et d’envergure. Une Commission d’enquête, organisée par le Concert des Nations, se penche sur les faits, appelle des témoins à la barre, l’horreur déferle à nouveau, jusqu’à déformer l’appréhension du monde des uns et des autres. Comment vivre le monde, les humains après… ça ? Réminiscences !
Un vieil homme en quête d’une clé sur son passé. Qui semble avoir vécu une parenthèse désenchantée entre les 16 ans du drame et sa fin prochaine, une vie qui love ses mystères en marge d’une carrière lumineuse (réussite comme écrivain, gloire, reconnaissance, retraite sur un île italienne).
Trois temps. Trois mouvements pour notre auteur mélomane (Bach, Gould). Amoureux de culture, devrait-on élargir, tant les allusions fusent, au cinéma (Laurel et Hardy, Ingrid Bergman et Casablanca, Fellini et Sophia Loren, etc.), à la littérature (Beckett, Neruda, etc.).
Mes impressions ? Elles sont contrastées. Ou, plus exactement, un premier flux (de restrictions) a cédé progressivement devant un second (de notes positives), voire même un renversement de perspective.
A charge.
Ce récit, de par ses thématiques et ses décors, renvoie aux deux romans de Marcel Sel, Rosa et Elise, parus chez Onlit. Qui offrent d’amples épopées, des personnages approfondis et bouleversants, des narrations fermes, nourries, rebondissantes, de nouveaux angles de vue sur des sujets a priori rabâchés.
La structuration ajoute son poids à la mise à distance. Dès le départ, au lieu de plonger dans le récit (j’en reviens à Sel et au cri initial d’Elise), on se confronte à un récit-cadre (voire même à un double cadre) : un auteur A’’ raconte un auteur A’, qu’anime Stanislas Cotton/l’auteur A. A’’ instille le doute sur la véracité de son roman, son approximation, ses libertés. L’auteur A/Cotton) a, en sus, derrière lui, une grande carrière de dramaturge, et ses présentations, ses mises en place s’apparentent souvent à des didascalies. Et il y a le découpage, très marqué, musicalisé, pour ses trois parties (d’un texte déjà si court).
Au niveau des contenus, je partage la plupart des élans de l’auteur (A, A’ ou A’’ ?) tout en étant embarrassé de les voir plusieurs fois assénés de manière appuyée : la race humaine est pourrie, l’Europe est une abomination (cf son attitude face à l’émigration), etc. Ce qui n’est que partiellement vrai et donc faux. Il y a à toute époque et en tout lieu des flambeaux de l’humanité, qui cachent des enfants juifs, refusent de commander un peloton d’exécution, donnent des cours gratuits à un adolescent défavorisé, etc.
A décharge. Malgré mes restrictions, j’ai lu les pages avec plaisir. L’écriture est belle et chargée (de réflexion, d’émotion). J’y ai retrouvé des fragrances de mes lectures de jeunesse préférées, ces pièces philosophiques de Camus, Sartre, Giraudoux qui virevoltaient tout en conférant du poids aux mots, aux situations :
« – Je ne le crois pas, Mademoiselle. Avec les barbares meurt l’esprit et le doute n’est plus permis. Si le doute n’est plus permis, la mort danse et les mouches engraissent. C’est une énorme cochonnerie. »
On a donc de très bons dialogues :
« – Une croqueuse de morts…
Pardon ?
La hyène sort le soir.
Je ne comprends pas.
Je ne suis pas guide au musée des horreurs. Je ne veux pas déterrer les cadavres. Regardez-moi au fond des yeux. Qu’est-ce que vous voyez ? Regardez bien au fond de mes yeux, je doute que vous y trouviez autre chose que le cadavre de Dieu. »
Et puis… Stanislas Cotton se contredit pour le meilleur. Ou plutôt… il ME contredit, il contredit MA lecture ! Cet écrivain est subtil, ce que disent les deux auteurs (A’ et A’’) de SON roman n’est pas ce qu’il dit, lui (A). Ce qu’il ressent et pense est plus nuancé. L’humanité est pourrie ? Lara et Joop sont de belles personnes, en construction, qui renvoient à ma théorie des flambeaux contrepointant l’horreur du panorama. Joop, photographe lors du procès, n’adopte-t-il pas Ariel et ne tente-t-il pas ensuite de lui offrir le meilleur ?
Une tradition moderniste traverse ce livre – repérons et savourons – et redistribue les cartes, dans la foulée des codes. Il faut accepter la volonté du pointillé et du concis, de la fulgurance, l’évacuation du grand ensemble romanesque classique. Ce qu’on perd à droite (en n’étant pas emporté par un élan orchestral), on le gagne à gauche en ayant l’occasion de se focaliser sur une poignée d’enjeux majeurs :
« Comment parler de ce qui est indicible ? Non, la question n’est même plus comment raconter ça, tout ça. Mais tout simplement pourquoi. Tu comprends, Joop, pourquoi ? Tu peux me dire à quoi sert tout ce cirque ? Ça ne sert à rien, strictement à rien. »
In fine ? Un livre qui peut frustrer ou exalter. Mais un auteur à découvrir, à fréquenter. D’une élévation certaine. Je coche son nom.
(4)
Alex PASQUIER, Le cerveau électrique, conte/micro-roman fantastique, AEB, Bruxelles, 2020. Texte (de 1917) établi par Frédéric Vinclair, avec une introduction et quelques documents (photographies de l’auteur ou de pages du manuscrit, etc.).
L’auteur
Alex Pasquier (1888-1963) était un docteur en droit, qui s’est spécialisé dans les procédures de divorce. Dans le milieu des Lettres belges, son nom perdure à travers l’attribution d’un prix décerné par l’AEB, l’Association des Ecrivains belges.
L’AEB
Pasquier en a été le président, après y avoir assumé diverses fonctions. Or l’idée a germé tout récemment de prendre en compte les archives de cette association, de redécouvrir des textes oubliés, parfois à tort, par malchance. Saluons le travail d’orpailleur de Frédéric Vinclair (par ailleurs, un rouage essentiel du fonctionnement de l’AEB), sous l’égide de la présidente Anne-Michèle Hamesse.
Le livre et son contexte
La première pièce exhumée est un conte de jeunesse qui paraît comme Hors-série n° 1 de la revue de l’AEB Nos Lettres. Et appelle donc d’autres découvertes. Dans son introduction, Frédéric Vinclair nous révèle le lancement, en 1919, chez Polmoss, à Bruxelles, d’une collection belge de « romans scientifiques ». La première peut-être, selon l’Encyclopédie de l’utopie et de la science-fiction. Cette collection, hélas, ne livrera qu’un seul titre, Le secret de ne jamais mourir, signé… Alex Pasquier. Le cerveau électrique eût dû suivre mais… Les aléas de l’édition, dont le détail, ici, nous échappe, ont fait que le texte est resté dans un tiroir pour finir par aboutir (mystérieusement) dans les collections de l’AEB.
Il est émouvant d’observer un tel sommeil, plus d’un siècle, une résurrection, qui est ici comme une première vie véritable. Il est émouvant de se pencher sur un confrère du passé, d’entrevoir ses espoirs et ses déceptions, publications et lettres de refus. Nonobstant, il réalise un parcours intéressant : il fonde une revue, il édite divers livres et change de registre, aborde le roman historique (la Première Guerre mondiale et l’occupation allemande), le conte, l’essai (trois sur Maeterlinck !), le grand reportage, la biographie.
Le cerveau électrique
Le manuscrit d’origine date de 1917. Il comptait quarante-sept feuillets qui deviennent une trentaine de pages. Le texte n’est pas une longue nouvelle, il y a cinq chapitres et différentes temporalités. On parlera plutôt de micro-roman pour le gabarit et de conte fantastique pour la tonalité.
Le pitch ?
Le narrateur, un professeur de psychophysiologie réputé, Georget, nourrit une profonde estime pour son collègue savant Fortier et se montre très dépité de ne pas le croiser au Congrès de Psychologie de Paris. Il décide d’aller prendre de ses nouvelles chez lui, à Moulins. Or la villa bucolique et ses dépendances sont en cours de transformation. Une usine semble s’y bâtir. Fortier a déménagé ? Non. Georget découvre que son ami se consacre corps et âme à un projet fou : créer une machine à penser, un cerveau électrique. Que va-t-il advenir de cette tentative prométhéenne digne d’un apprenti-sorcier ?
Le style est vivant, fluide. La narration est aisée, agréable. Même si l’on peut regretter la disproportion entre la description/restitution et l’action proprement dite. Le lecteur sera soufflé par l’anticipation de notre ordinateur :
« La machine, à présent, sait tout ce qu’il est donné à l’homme de savoir. Bien plus : par la rigueur infaillible de son investigation, elle a déjà dépassé l’état actuel de nos connaissances en bien des domaines. »
Pour rappel, Alex Pasquier rédige son Cerveau électrique en 1917. On songera cependant à des textes plus anciens, le Frankenstein de Mary Shelley ou L’Eve future de Villiers-de-L’Isle-Adam.
Nous attendons avec intérêt la prochaine édition de Frédéric Vinclair. Et applaudissons sa démarche.
Quel bel objet-livre ! Le grain du papier, de la couverture, la photographie d’Antoine Peuchmaurd sur celle-ci, la quatrième de couverture, la mise en page, tout est très réussi. Et je suis heureux de retrouver un vieux camarade des années Indications/Karoo à la barre de la collection, Thierry Horguelin.
Paris ? Il y a pourtant un soutien du Fond national de la littérature… belge et les auteurs publiés sont Luc Dellisse, Jan Baetens, Laurent Demoulin, des compatriotes (du meilleur acabit). Cette maison, spécialisée en poésie contemporaine, a-t-elle épousé le concept appliqué par Le castor astral ou Le bord de l’eau, à savoir adosser une collection belge à une maison française ? Un concept que j’aimerais voir se multiplier, une synergie du meilleur aloi en théorie.
Quid du recueil ? Il réunit trois ensembles de poésies de Carino Bucciarelli, qui est aussi romancier (Mon hôte s’appelait Mal Waldron, chez M.EO., en 2019) et nouvelliste (Dispersion chez Encre rouge en 2018). Quelques visages réédite des textes écrits entre 1985 et 1992. Dix étincelles livre des textes émergeant de la pause singulière opérée par notre auteur durant une quinzaine d’années (il se montre énigmatique à ce propos dans un liminaire : « Les raisons exactes de mon attitude feront peut-être l’objet d’explications. Ou peut-être pas. »), après des débuts remarqués, une belle carrière qui l’avait mené à L’Age d’homme, une maison suisse très prestigieuse. Enfin, Couleurs inouïes correspond à son actualité (ou presque : janvier 2019).
Je me réjouis du retour affirmé (5 livres en deux ans, que j’ai tous évoqués en ces pages) de cet auteur… singulier. Ses Singularités interpellent les lecteurs en en répandant une atmosphère trouble, inquiétante, tamisée par l’humour.
Choisissons trois extraits, un par sous-ensemble.
(1)
« Ne vous étonnez plus qu’un pas familier
résonne à vos côtés
quand vous cheminez l’après-midi dans les rues
une présence invisible est amicale compagnie
élevez alors la voix la voix sans crainte
une oreille bienveillante écoutera vos confidences
avec une chère discrétion »
(2)
« Mon interlocuteur a retiré sa jambe de bois
« Sans cette foutue prothèse
je pourrai mieux me confier ! »
Il me regardait
avec ce sourire narquois
que l’on voit sur les visages des forains
J’ai gardé un seul souvenir de cette soirée
mais lui aussi je l’ai oublié »
(3)
« En ce jardin aux couleurs inouïes
nous cherchons le moment propice pour pénétrer
dans la mort
Plus les feuilles éclatent de leur vert huileux et
luisant
plus nous nous approchons du seuil de nos vies
Le jardin est commun
je ne suis pas seul
d’autres « moi »
c’est-à-dire d’autres « vous »
errent en souriant
le cœur envahi
par une sérénité inattendue »
Voir nos précédents articles sur l’auteur, où je commente ses talents, son style, son univers :
« Que vient faire, chez des pauvres comme nous, si toutefois vous êtes vraiment pauvres, que vient faire tout cet or dans le sanctuaire ? » Cette apostrophe de Saint Bernard situe bien le débat qui se noue au premier tiers du XIIeme siècle entre ceux qui veulent manifester la toute-puissance de Dieu en entourant le rituel liturgique d’ un environnement de splendeurs semblable à celui des rois et ceux qui se demandent si ce Dieu qui a pris le visage du Christ, s’accommode vraiment de tels fastes. Ce sont ces derniers, écrit Georges Duby, que la parole de Saint Bernard a touché.
« Saint Bernard. L’Art cistercien » n’est certainement pas une biographie. Le parcours de vie de Bernard de Clairvaux est à peine entrevu et sa personnalité esquissée en quelques brèves notations qui suggèrent le profil d’un « homme tumultueux, brutal, injuste, au corps brisé d’abstinences ». Ce n’est pas non plus une étude exhaustive des chefs d’œuvre de l’art cistercien. Duby se défend d’œuvrer en historien de l’art.
Alors ? En réalité, la visée de Duby est d’essence sociologique, voire même anthropologique. Il s’agit pour lui de saisir l’art cistercien comme une des composantes de l’expression de la société de ce temps telle qu’elle se définit par ses croyances et l’image qu’elle se fait d’elle-même. Il s’agit aussi, dans une perspective qui n’est pas étrangère aux analyses marxistes, d’établir le lien entre l’évolution de la production artistique et le transfert des centres de pouvoir, politiques ou économiques qu’elle accompagne. Duby installe son poste d’observation au croisement de l’idéologie de l’époque axée sur la théorie des trois ordres et la pensée d’un homme, celle de Bernard de Clairvaux.
« L’intention de ce livre, écrit Duby, est de découvrir quelques-unes au moins des consonances entre la pensée d’un homme, les formes qui cherchèrent à donner de cette pensée une autre expression que verbale, le monde enfin qui environnait cette pensée et ces formes ».
A son origine, le monachisme est intimement lié à une vision de la société en trois ordres : « Ici- bas, les uns prient, d’autres combattent, d’autres encore travaillent ». Sur cette base, le monachisme s’est établi au centre d’une société qui croyait fermement que les renoncements et les prières de quelques-uns pouvaient sauver le peuple entier des vivants et des morts.
Très vite, au sein des monastères et des églises, la fête liturgique s’est accompagnée d’un foisonnement artistique,
Entre autres fonctions l’œuvre d’art au sens large (architecturale, picturale, …) remplit rapidement une mission à la fois sacrificielle et oblative : elle enveloppe les rites du christianisme d’un environnement de splendeurs, manifestant la toute-puissance de Dieu par les signes mêmes du pouvoir temporel des rois. Par là-même, elle est sacrificielle, car consécration d’une partie des richesses arrachées à la terre par la peine des hommes. L’œuvre d’art est aussi offrande ; car « rendant grâce, l’œuvre était sensée attirer d’autres grâces, de même que dans la société de ce temps, tout don appelait un contre-don ».-
L’ostension de fastes, de luxe et de grandeur culmine dans les travaux menés par Suger dans l’abbatiale de Saint Denis : Suger est convaincu qu’aucun luxe n’est de trop s’il s’agit de rehausser la pompe des liturgies. C’est à peu près au même moment (les deux hommes s’opposeront violemment) que Bernard avance une autre vision des choses, nourrie d’une exigence de dépouillement. Place est faite à l’oraison privée : le rite au plus profond, s’intériorise ; l’ornementation est bannie, laissant voir la pierre nue. Tous les miroitements de la Jérusalem de l’Apocalypse que Suger convoquent par tous les moyens de l’Art, c’est, pour Bernard, à l’intérieur de l’âme qu’ils doivent resplendir.
Saint Bernard n’a pas fondé l’ordre de Cîteaux mais a puissamment contribué à son développement à partir de l’abbaye de Clairvaux qu’il accepte de reconstruire en 1134. Aux yeux de Duby cette date est décisive car tout bascule alors : avec des talents de véritable écrivain, Bernard poursuit ses Sermons sur le cantique des cantiques. Il y développe une pensée, une morale, qui inspirent le chapitre général de Cîteaux qui, précisément en 1134 et pour la première fois, édicte des règles relatives à l’art sacré. Sont désormais interdits le décor sculpté et peint ainsi que l’usage des vitraux de couleur. La lumière conserve une charge symbolique intacte, mais c’est une lumière non fardée : les bâtiments seront éclairés de verrières en grisaille sans autre décor que celui des réseaux de plomb. L’illustration des livres est aussi strictement limitée : la grande Bible de Clairvaux sera exécutée dans une rigueur et une austérité qui tournent le dos aux riches enluminures passées.
Georges Duby (1919-1996)
La thèse de Duby est que s’il n’a rien bâti lui-même, saint Bernard a joué un rôle déterminant par sa pensée et ses écrits sur le premier art cistercien. « Sa parole a gouverné, comme le reste, l’art de Cîteaux. Parce que cet art est inséparable d’une morale qu’il incarnait, qu’il voulait de toutes ses forces imposer à l’univers, et en particulier, aux moines de son ordre ».
La pensée de Saint Bernard est une pensée conquérante mais aussi conservatrice. L’homme est issu d’un bon lignage et, à l’exception des moines convers issus de la paysannerie, ce sont essentiellement des chevaliers convertis qui vont le rejoindre. Duby souligne avec brio la connivence entre l’élan des moines de Cîteaux et l’esprit de chevalerie. Il faut dit-il, « voir en Cîteaux la chevalerie transfigurée ». Ceci explique l’échec de Saint Bernard sur le long terme : son impulsion se heurte très rapidement sur des points majeurs au monde en pleine mutation. Les progrès de l’économie de la fin du XIIeme siècle et du début du XIIIeme siècle provoquent l’effritement de la société d’ordres et l’émergence d’une autre image mentale de la société faite d’un assemblage plus souple de conditions multiples. L’idée se fait jour « qu’il appartient à chacun de faire son propre salut, que celui-ci ne saurait s’acheter, s’obtenir par l’entremise d’autrui mais qu’il se gagne. Avec le reflux de Cîteaux, c’est le monachisme qui se clôt ».
Le livre de Duby laisse par endroit percer le soupçon que les faits sont subordonnés à la thèse de l’auteur et qu’il lui arrive de leur faire quelque violence. A la lecture, on peut conclure à une unité un peu outrée du modèle de Cîteaux qui ne laisse guère de place à la diversité de ses applications. Toutefois, l’ensemble est écrit avec un réel bonheur d’écriture. Duby est de ces historiens trop rares qui réservent toujours un plaisir du texte même si, à l’occasion il force sur certaines figures de style ou frôle le risque d’un ton solennel à l’excès. Fidèle à l’idée que les représentations mentales et la sociologie d’une époque ont une influence très concrète dans les domaines les plus éthérés, il lui arrive aussi d’être gentiment caustique. Par exemple lorsqu’il souligne la bonne noblesse de Bernard de Clairvaux : « Un bon sang est le seul jugé capable à l’époque de faire un saint ».
Curieusement, c’est dans l’un de ses autres livres (L’Europe au Moyen-Âge) que Duby formule le mieux la conclusion que l’on peut tirer de ses réflexions: « Une volonté de rigueur, de simplicité qui vient de Cîteaux, une volonté d’illumination qui vient de Saint-Denis. De cette conjonction est né le principe de ce que les gens ont nommé l’art de France ». Pas de meilleure mise en perspective de l’art gothique.
Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)
Un webinaireorganisé par le Service général des Lettres et du Livre (Fédération Wallonie/Bruxelles)
Les nouveautés en littérature belge
Un reportage d’Edi-Phil RW pour Les Belles Phrases
Il y a quelques semaines, l’équipe des Belles Phrases a été invitée à participer à un nouvel événement organisé par le SG des Lettres et du Livre. Nos interlocutrices étaient Nausicaa Dewez, la rédactrice en chef du Carnet et les Instants, et Marie Baurins, la responsable du portail Objectif plumes, soit deux organes qui tentent de propulser le faire-savoir de nos Lettres.
Un webinaire sur les nouveautés en littérature belge ?
Il s’agit d’une rencontre virtuelle (ZOOM, au contraire de SKYPE, permet de voir de nombreux intervenants simultanément, l’écran se fragmentant) : des éditeurs belges (francophones) présentent les publications de leur rentrée littéraire face à un public de professionnels (journalistes et bloggeurs culturels), d’amateurs de littérature.
Cette belle initiative me fait penser au Printemps du livre organisé depuis deux années à la Maison européenne des auteurs et des autrices par quatre éditeurs associés : Weyrich, Onlit, Les Impressions nouvelles et Espace Nord. J’avais réalisé un long reportage sur la première saison en ces pages des Belles Phrases.
Trois sessions
Trois dates ont été arrêtées, nécessitant une inscription préalable (qui permet l’envoi d’un lien d’accès à la rencontre), suivies par des questions des spectateurs :
. le 17/08 (11h-12h) est axé sur le roman, l’essai et la nouvelle, avec la participation annoncée des éditions du Cerisier, Espace Nord, Genèse, Les Impressions nouvelles, M.E.O. et Quadrature ;
. le 18/08 (14h-15h) est axé sur la poésie, le théâtre, l’essai et le roman avec la participation annoncée des éditions L’Arbre de Diane, Esperluète, Lansman, Midis de la poésie, Tétras Lyre et Weyrich ;
. le 19/08 (11h-12h) est axé sur la littérature jeunesse et la bande dessinée avec la participation annoncée des éditions A pas de loups, Versant Sud Jeunesse, FRMK et Les Éditions du Tiroir.
La rencontre du 17 août
Malgré ma submersion du moment, je me suis inscrit à la première séance, par curiosité mais par éthique aussi. Il faut se tenir au courant et soutenir des initiatives qui promeuvent la création littéraire belge. Malgré mes limites dramatiques en matière de technologie, je parviens aisément à rejoindre le webinaire et aucun incident technique ne sera à déplorer (à moins que l’absence des Editions du Cerisier ne relève de ce registre).
Valériane Wiot, Danielle Nees, Emelyne Béchet, Gérard Adam et Patrick Dupuis vont se relayer et présenter leurs sorties avec enthousiasme et talent :
. Argentine de Serge Delaive et Nous deux/Da solo de Nicole Malinconi chez Espace Nord (qui republie les perles de notre littérature) ;
. Les années d’or (volet III de la trilogie Salles des pas perdus) de Michel Claise et Les mardis d’Averell Dubois de Frank Andriat chez Genèse ;
. Le pub d’Enfield Road de Rossano Rosi (que j’ai déjà évoqué dans Le Carnet et Les Belles Phrases) et Consoler Schubert de Sandrine Willems aux Impressions nouvelles ;
. A propos de Pre (Prefontaine, le champion) de Daniel Charneux, Pas faite pour de Véronique Adam et Une histoire belge de Robert Massart (deux premiers romans) chez M.E.O. ;
. On n’entre pas comme ça chez les gens de Jean Pierre Jansen, chez Quadrature (le spécialiste de la nouvelle).
Le modus operandi est excellent. J’avais lu et recensé plusieurs livres dans la foulée du Printemps du livre, divers ouvrages ont cette fois encore suscité mon appétit. Même si mon temps est désormais happé par une série de projets en cours.
Une intervention de Jean-Claude Vantroyen
A la fin de la rencontre, notre éminent collègue du Soir interroge les éditeurs sur l’impact de la crise covid.
Emelyne Béchet reconnaît une réduction de titres aux Impressions nouvelles mais balaie tout défaitisme : il est trop tôt pour mesurer l’impact réel de la crise et il faut poursuivre, être présent. Elle se montre volontariste, positive : un éditeur doit se montrer, montrer ses auteurs, on produit de belles choses actuellement en Belgique francophone (NDR : je renchéris !), il y a une volonté nouvelle de la part des acteurs de la chaîne du livre (NDR : oui, il y a un frémissement au cœur de notre microcosme).
Gérard Adam poursuit l’élan positif et se montre modérément optimiste. Ce nouveau type de présentation n’est-il pas une réaction constructive face au covid ? Il confirme l’impression d’un réveil, d’une prise de conscience nouvelle des libraires, médias, etc. à l’égard de ce qui se fait chez nous.
Il termine en remerciant le Service de la FWB qui nous reçoit (David Dusart est notre hôte, Nausicaa Dewez assure le lien entre les intervenants, Marie Baurins a géré les inscriptions, etc.) et qui promeut ainsi éditeurs et auteurs.
J’interviens alors. La présence de Jean-Claude Vantroyen me semble fondamentale et indicielle. Il y a quelques mois il se fendait d’un billet d’humeur dans Le Soir pour évoquer la nécessité de se pencher sur notre création, il s’y applique concrètement. Sa démarche, l’intérêt d’un grand média référentiel, laisse espérer. Il est temps de comprendre que de très belles choses peuvent se faire hors Paris (ce point de focalisation du monde francophone qui n’a pas d’équivalent dans le monde, à en croire le regretté Jacques De Decker).
Remercions toutes les personnes évoquées dans cet article et toutes les personnes présentes ce 17 août derrière leurs écrans, elles participent d’un frémissement, d’un élan. Qui doit être poursuivi, approfondi, démultiplié.
C’est qu’il est question de création et d’identité culturelle. L’identité. Au sens positif. Une identité bien construite intègre plus aisément l’altérité. Comme le relevait si brillamment Amin Maalouf dans Les identités meurtrières.
Au cours des dernières semaines, j’ai eu la chance de lire trois livres écrits par des auteurs ayant un rapport direct avec l’excellent magazine littéraire numérique La Cause littéraire. J’ai lu En avant la chronique ! de Philippe CHAUCHÉ, directeur-adjoint de ce magazine, premier opus publié par les Editions Louise Bottu dans sa nouvelle collection dédiée à la chronique littéraire. J’ai enchaîné avec Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? de Stéphane BRET, membre de l’association produisant le magazine et pour terminer, Zoran BELACEVIC, membre du Club de la Cause littéraire sur Facebook, m’a adressé de sa Serbie natale : Debussy pour toujours. Un belle occasion pour rendre hommage à l’équipe qui assure les mises à jour quotidiennes de cette revue et de sa page Facebook.
En avant la chronique !
Philippe Chauché
Louise Bottu éditions
Toujours partant pour une nouvelle aventure littéraire ou une innovation éditoriale, Jean-Michel Martinez Esnaola lance une nouvelle collection chez Louise Bottu éditions, Alcahuete, destinée à l’édition d’ouvrages consacrés à la chronique littéraire. Pour inaugurer cette collection, il a sollicité un des maîtres de la spécialité, Philippe Chauché, un des piliers de la Cause littéraire l’un des tout meilleurs sites littéraires sur la Toile. Dans cet ouvrage inaugural, Philippe Chauché, après une introduction de l’éditeur consacrée à l’art de la critique, propose une trentaine de chroniques, critiques, commentaires ou recensions, difficile de choisir un terme : le titre évoque la chronique, la préface évoque la critique, la quatrième de couverture parle de recension mais « peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » littéraire bien sûr.
L’auteur a judicieusement choisi les ouvrages qu’il présente, évitant de tomber dans le piège de la surmédiatisation, il a savamment multiplié les éditeurs concernés, mêlant les grandes maisons reconnues avec des maisons beaucoup moins connues mais tout aussi talentueuses. De la même manière, il a choisi des auteurs reconnus, connus, peu connus ou connus surtout dans le milieu littéraire. Son choix semble toujours avoir été guidé par le seul talent des auteurs qu’il a souhaité présenter. Les chroniques proposées ne sont pas systématiquement formatées, même si l’auteur introduit presque toujours son commentaire par une extrait du texte qu’il présente. Son propos consiste surtout à mettre en évidence ce qu’il a retenu du texte, ce qui a guidé son choix, mais il ne s’arrête jamais à cette première impression, il analyse, décortique, le texte tout en le resituant dans son contexte littéraire, historique ou éventuellement philosophique, décryptant le projet littéraire de l’auteur. Il s’attarde aussi bien sur le fond que sur la forme du texte évaluant le style, l’écriture, dégageant d’éventuels liens intertextuels avec d’autres œuvres plus connues. Chaque chronique est comme un piège tendu au lecteur qui risque, au moment de fermer ce recueil, de se laisser prendre en se précipitant chez son libraire attitré pour acquérir une pile de livres choisis parmi ceux présentés par l’auteur tant celui-ci est convaincant.
Pour compléter ce recueil, lui donner encore plus de fond, l’éditeur a convoqué quatre contributeurs : Josyane Savigneau, auteure, qui évoque le parcours de Philippe Chauché et surtout la justesse de son jugement et de son approche de la critique : «On analyse le livre, on veut donner envie de le lire, on a un désir de partage, on ne craint pas d’admirer » ; Léon-Marc Lévy, directeur de la Cause littéraire, qui évoque Philippe Chauché, pilier de la Cause littéraire, et dont j’ai retenu cette citation : « La pluralité des points de vue est la seule aune possible du regard littéraire » ; Frédéric Aribit, écrivain, qui évoque l’art de la critique pour conclure par ces quelques mots si éloquents : « Critiquer ? … Oser livrer sa lecture à la lecture des autres ? » ; Carles Diaz, maître de conférences, éditeur, poète, qui évoque l’importance de la critique pour toute œuvre artistique à condition qu’elle soit exercée avec sagacité, intelligence, curiosité….
Et comme j’ai eu l’audace de commenter les commentaires d’un maître de l’art de la critique, je voudrais juste ajouter quelques mots trouvés au cours de mes nombreuses lectures qui ont souvent guidé mon propos. Je me souviens de Marcos Malavia qui écrivait dans Tragaluz : « C’est alors que j’ai compris qu’à chaque lecteur que je serais susceptible de croiser surgirait une histoire différente… Il y aurait autant de variantes que de lecteurs » (C’est le manuscrit qui parle ainsi et j’ai accepté ce point de vue). Ce propos de Paul Valéry dans La Renaissance de la liberté a inspiré aussi ma réflexion : « Entre l’auteur tel qu’il est et l’auteur que l’œuvre a fait imaginer au lecteur, il y a généralement une différence qui ne manque pas de causer les plus grands étonnements… ». Et d’autres avis encore dont j’ai un peu perdu la trace, il me reste cependant cette injonction de Frédéric Jaccaud dans Vagabondage : « Il faut lire Vollmann pour toutes les raisons qui incitent à ne pas le lire ». Quelques mots qui peuvent interpeller tous les commentateurs ….
La Belle Epoque, c’est peut-être ce qu’a voulu nous raconter Stéphane Bret en mettant en scène des héros dont le prénom commence toujours par « A ». des héros qui traversent tous les événements qui marquent cette époque si florissante et en même temps si cruelle. « C’était le monde des grandes inventions : le cinéma, l’automobile, le téléphone, la construction du métropolitain ; c’était aussi celui de la tuberculose, de la prostitution, du manque d’hygiène dans certains quartiers, des inégalités sociales, de la souffrance du monde du travail et celui de l’inégalité entre hommes et femmes… ». Aude, la jeune couturière, découvre le monde des travailleurs, la CGT, la SFIO, le féminisme, les suffragettes l’homosexualité et son amante Adèle. Adrienne préfère le monde de la nuit, des plaisirs tarifés, au bras de son client le plus assidu : Arnaud le banquier qui s’enrichit en investissant dans les nouvelles colonies. Le choc de deux mondes dans un bouillonnement scientifique, intellectuel et culturel. Un bouillonnement si intense qu’il provoque la guerre qu’on qualifiera de Grande car on pensait qu’il ne pourrait y en avoir une plus terrible.
Mais, le projet de Stéphane Bret ne s’arrête peut-être pas à ce rappel historique, il est certainement aussi un cri d’alarme qu’il lance à la jeunesse actuelle en lui montrant combien cette Belle époque était semblable à celle que nous vivons actuellement : une période charnière entre deux époques, un monde qui se meurt avec la bourgeoisie impériale, un monde naissant avec la fée électricité, l’automobile, le téléphone…Comme aujourd’hui, le monde issu d’une autre guerre, avec ses Trente Glorieuses, se meurt sous les assauts de la mondialisation et du couple infernal formé par la fée informatique et le diable téléphone.
L’assassinat de Jean Jaurès, pour beaucoup, a marqué le départ du déchaînement de violence conduisant à la Grande Guerre, le massacre de Charly Hebdo ou le bien triste sort de George Floyd pourrait-il marquer l’entrée dans une nouvelle ère de violence mondialisée ? Stéphane Bret lance un avertissement, notamment à la jeunesse, pour lui rappeler que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement même si certains pensent qu’elle ne repasse jamais les plats. Et avec Jacques Brel, il chante :
Gabrielle Dupont, Gaby aux yeux verts pour le demi-monde parisien, a déjà soixante-dix-huit ans, elle vit à Orbec non loin de sa maison natale de Lisieux où elle est née quelques années avant Sainte Thérèse. Il ne naît pas que des saintes à Lisieux, elle se souvient quand elle avait vingt-cinq ans qu’elle était belle, jeune, dynamique, débordante d’énergie, ambitieuse, prête à tout pour réussir à Paris. Réussir pour elle qui n’a aucune fortune, pas plus de culture et d’instruction, consiste à s’attacher un amant fidèle et fortuné qui peut lui procurer le train de vie digne d’une grande dame. Une entremetteuse lui trouve un comte pas très séduisant mais suffisamment riche pour qu’elle lui soutire de quoi se montrer à son avantage dans les soirées parisiennes. Mais un jour elle faillit à sa règle fondamentale, elle tombe amoureuse d’un compositeur parfaitement inconnu qui vit dans une mansarde et la misère.
Ce compositeur encore inconnu n’est autre que Claude Debussy qui s’évertue sur ses premières compositions vivant de quelques expédients : cours de piano, copies de partition, etc… Entre les deux jeunes un amour charnel se noue, ils n’ont rien en commun, elle est pratique et pragmatique, il est rêveur et intuitif. Elle l’abandonne mais à chaque fois revient pour vivre de nouvelles galères, de nouvelles querelles, nourrir de nouvelles rancœurs, « Cependant, même dans les périodes les plus obscures, le sexe ne les abandonne pas. Il représente leur salut, leur opium, l’aimant qui les maintient ensemble ». Malgré de nombreux sacrifices et moult efforts, elle n’arrivera jamais à concilier son besoin charnel de son amant avec ses besoins matériels, son envie de paraître, son goût du luxe et du confort. Lui, « Pauvre Claude, il n’aura jamais d’argent. Il vivra toute sa vie dans les nuages. Pour lui, la musique aura toujours la première place ».
En filigrane de cette passion tumultueuse, tapageuse, parfois violente, remplie de conflits et de réconciliations sous la couette, qui durera presque une dizaine d’années, Debussy compose une bonne partie de ses œuvres maîtresses à un rythme si lent qu’il désespère tous ceux qui croient en son génie et croupit toujours dans la misère ou dans sa bordure. Peut-être que la belle aux yeux verts l’a inspiré pour certaines œuvres, la mélodie du Prélude à l’après-midi d’un faune, lui serait venue brusquement lors d’un déjeuner sur l’herbe avec Gaby.
Zoran Belacevic, dans son avant-propos, rappelle que la français est, en Serbie, une des trois langues obligatoires à l’école primaire et que par conséquent la culture française y est très présente, de nombreux artistes comme Debussy y sont donc très connus. Lui-même a eu envie d’écrire ces pages de la vie du compositeur après avoir écouté et aimé ses œuvres mais surtout après avoir découvert cette intrigue amoureuse hors du commun. Elle était forte, déterminée, têtue, il était plutôt bon bougre et peu rancunier, ils aimaient les étreintes charnelles passionnées, ils avaient tout pour écrire une histoire d’amour explosives que Zoran a bien vite saisie. L’amour charnel peut-être dévastateur quand il rencontre des forces contraires mais il n’a jamais pu porter atteinte au talent de Debussy et à la qualité de son œuvre.
Dès l’entame de son nouveau recueil, le poète confie :
Je n’aurai jamais ni d’anneau
Ni d’enfants ni de vue à long terme
Debout seul dans un fier marécage
Qui ne mange de l’intérieur et déborde
Seul si seul à tenter d’écrire le poème ultime
A défricher l’espace fantôme du rien (…)
Il développe ensuite son programme, cherchant à ouvrir la clé de son être, creusant ciel et terre pour y parvenir.
Le ciel demeure à creuser
Si l’on veut atteindre le côté
Préhensible de l’âme
Il le fait dans une poésie dense, fort belle. Les énigmes qu’il (se) pose, les comptines métaphysiques, les maximes allégoriques n’ont pour but que la mise à nu de son être. C’est la lutte avec l’ange du langage, dans le fracas raisonné et résonnant des ailes de la poésie. D’où les traits d’humour et l’autodérision ne sont pas exclus, loin s’en faut.
Il se frotte, pour ce faire, au tranchant des mots, aux arêtes du réel, là où l’être bute, là où par ailleurs l’âme décolle.
Il faut faire métier d’angle
Si l’on veut respecter l’arête
Qui lie la mélancolie à l’espoir
Le provisoire à l’infini
Et que la vie soit d’équerre
Dans la permanence
Des solitudes trop apprises
Pascal Feyaerts
C’est dans une quête forcément solitaire qu’il se lance pour trouver ce poème ultime « où l’on ne connaîtrait plus de lui que l’infusion d’un être », comme l’écrit Jean-Michel Aubevert.
Le poète, débarrassé, dans l’élan poétique, des affres du quotidien, se concentre sur les éléments, surtout l’eau et le ciel, entre mer et cosmos, entre deuil et espoir. À la lueur du poème, il dénoue les rets dans lesquels le cœur est pris, il ranime la flamme du sens. En dégageant l’âme de sa gangue, en l’ouvrant au ciel, il libère le corps et la mémoire, s’en fait des alliés.
Du chant seule l’aspérité persiste à luire
Quand sa lumière a rejoint la tiédeur
Des murmures et qu’aujourd’hui
Avance avec l’instant pour mémoire.
Dans l’impossibilité de se rendre invisible au temps qui passe, il sensibilise son présent au passé. En veinant son verbe, en ramifiant ses vers… Traversé par le sang de la poésie, abreuvé à la source d’une éternité retrouvée, son corps-écriture épouse les plis d’un monde redevenu vivable.
Je n’ai qu’un corps à te donner
J’ai tellement épluché mon âme
Qu’elle s »est mise à neiger
En quelque éternité de soie
La préface est de Jean-Michel Aubevert et les illustrations sont de Catherine Berael