
À l’automne venant, l’auteur sort, rien ne peut l’empêcher de sortir : aucun accident climatique, aucune épidémie. Ses sorties sont exemplaires, récurrentes, attendues, (dés)espérées. De la fin août au début novembre, l’auteur court les prix, il espère une récompense en novembre pour son effort, parfois son talent. Il n’y aurait plus de lecteurs que l’auteur sortirait encore son nez, ses feuillets, son porte-plume à dédicace. Il se dit même que l’auteur publie plus qu’il n’écrit – mais ce sont-là des racontars. S’il ne sort pas à l’automne, on a vu des auteurs s’étioler, faner, disparaître, jusqu’en janvier. J’en voyais déjà se réjouir mais non : au Nouvel An, les fêtes passées, l’auteur qui n’est pas sorti en automne sort au cœur de l’hiver, puis à Pâques et à la Trinité. C’est l’auteur des quatre saisons, il joue de toutes les occasions, pour surprendre le lecteur.
Après ce trop long préambule (pour des opérateurs de formation plus enclins à compulser des programmes de cours que des textes un tant soit peu écrits), entrons dans le vif du sujet !
Le désauteuriseur est donc particulièrement apprécié lors la rentrée littéraire où les auteurs se rassemblent en tout lieu et en toutes circonstances (les plus insolites et farfelues ayant leur faveurs) et bouchent volontiers les couloirs tortueux des espaces culturels. On ne fait pas un mètre sans rencontrer un auteur et ce qui lui fait cortège : mordus de lecture, éditeurs mordus, critiques décomplexés, bibliothécaires complexés, libraires libres, bouquinistes boudeurs, Busnel de plateau télé, flagorneurs et écornifleurs mêlés.
C’est pompant, cela empêche de se consacrer pleinement aux grandes œuvres de salut public qui nous attendent, à la défense des minorités licencieuses, à la préservation des espèces de bières en voie de digestion, à la lecture en pleine conscience, en position de lotus ou non, d’ouvrages sur le yoga (non écrits par Carrère) ou sur la méditation lynchienne. Cela nous égare des auteurs présents ou passés qui vivent confinés, sous terre ou dans leur retraite, barricadés par des centimètres de béton, loin des espaces livres réels et numériques.

Le désauteuriseur agit avec méthode et sens du devoir (c’est un ancien socialiste), il commence par attaquer le gros cou de l’auteur qui, généralement, fond tout entier, avec l’encolure, se répand en flaques, disparait dans les entrailles de la littérature routinière ou se volatilise dans les grands airs, c’est selon. (Comme il existe peu de littérature expérimentale, le risque de désauteuriser un novateur littéraire est minime).
Autrement dit, l’auteur quitte l’avant-scène du livre pour s’occuper enfin de ses proches, quand il leur en reste, ayant fui l’importun uniquement attaché à polir les différentes facettes de son œuvre en devenir, à explorer le sable de son inconscient à la recherche d’une pépite de génie.
Si la fourmilière d’auteurs résiste, le désauteuriseur emploie les grands moyens : une équipe de critiques indépendants, purs et impitoyables (il en reste), non embarrassés par le sens de l’amitié (les salauds), ou les renvois d’ascenseur (ce sont des escaladeurs à l’ancienne mode, avec piolets et crampons), payés amplement, cela dit, par La Fabrique des métiers pour leurs qualités mercenaires et un rien cyniques, il faut bien le dire (au risque de les fâcher).
Un psy (ayant des notions voire des fonctions littéraires, il s’en trouve) spécialisé dans le traitement des auteurs déconfits(-nés) intervient pour éviter le pire, la disparition physique de l’auteur que personne ne veut vraiment, sauf les antinatalistes littéraires primaires (il s’en trouve). Il faut garder les auteurs dans la vraie vie. Bien qu’on puisse difficilement les retraiter (la plupart, comme ils le déclarent volontiers, n’étant faits que pour l’écriture) pour leur faire suivre une formation d’utilité publique : enleveur des ordures après striage des déchets, rabaisseur du niveau des océans, gardien d’ours polaires gris, teneur de clous dans un atelier de construction de maillets, mainteneur d’icebergs en équilibre précaire.
Le désautauriseur (c’est ce qui fait tout son prix) vous épargne bien des achats inutiles et des déconvenues à fréquenter des auteurs contaminants, qui vous pousseraient bien dans leur vice, histoire de n’être pas seuls à galérer contre le sens du courant, il faut bien dire.
Il permet surtout, à terme, de renforcer l’immunité auteuriale en augmentant sa résilience aux attaques perfides de la critique (et aux couteaux dans le dos des collègues) en produisant une littérature d’exception, dure comme le diamant et faite pour durer – comme un plug de métal pur dans un anus d’airain -, et aussi résistante qu’un Covid-19 face à une armée d’épidémiologistes sans état d’âme. Une littérature faite pour vivre cent ans, à l’exemple de celle de Stendhal, à l’abri de toute toute réinteprétation contingente, greffée sur l’air du temps. Une littérature propre à servir de grille de lecture au réel (et non l’inverse), imperméable à la pluie de l’événementiel et aux fuites de l’informationnel.
Bref, désautaurisons le littérair ambiant pour assainir le secteur et, accessoirement, le lecteur !
Existera bientôt en spray (le Laboratoire de recherche de la Faculté de Lettres de l’ULB y travaille) !
