LES LECTURES D’EDI-PHIL #38 : COUP DE PROJO SUR LES LETTRES BELGES FRANCOPHONES

4cce3-image
Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 38 (décembre 2020)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

A l’affiche :

deux contes (Geneviève Génicot, Luigi Capuana), un recueil de nouvelles (Marianne Sluszny), un micro-roman illustré (Jacques De Decker/Maja Polackova), un thriller fantastique (Noëlle Michel), deux romans (Laurent Demoulin, Michel Corentin), une biographie (Jacques De Decker), un recueil de poésies (Luc Dellisse) ; les maisons d’édition Maelström, Ker, Lilys, Le Livre en papier, Le Cormier, Gallimard.

(1)

Geneviève GENICOT, Canicule, bookleg/micro-roman, Maelström, collection Bruxelles se conte, Bruxelles, 2019, 50 pages.

BSC#87 Canicule

Nous avons déjà écrit tout le bien que nous pensions des booklegs de Morgane Vanschepdael (dans Le Carnet) et de Céline De Bo (dans Les Belles Phrases). Eh bien, près d’un an après la sortie de la dernière salve de huit Bruxelles se conte, nous y revenons avec cet ouvrage.

Le directeur général des transports de la SNCB (la compagnie des chemins de fer belges) reçoit une lettre manuscrite expédiée depuis l’Argentine. Stupeur ! Celui qui l’a rédigée est un accompagnateur de train mystérieusement disparu depuis un an.

La suite ? Le récit de Thomas Kenisman, dont la lettre, fort longue, nous mène jusqu’à l’avant-dernière page du texte, narre tout ce qui lui est arrivé. Un parfum policier ou fantastique ? Un écho de toute une littérature (notamment des contes du XIXe siècle), avec récit-cadre donnant une allure de témoignage, d’authenticité à des faits dont on devine très vite qu’ils vont dépasser l’entendement ?

Oui et non. Amarré à des repères classiques ou romantiques, le récit décolle (littéralement) très vite dans une dimension passionnante de maîtrise, de souffle. Un souffle qu’on perd, à ne plus pouvoir le reprendre. C’est que le texte s’affiche en descente de toboggan. Pas de chapitre, pas de sous-chapitre, quasiment pas de retrait, pas de dialogue. Une narration pure, distillée par Kenisman, qui fonce, fonce, fonce. A travers Bruxelles. A partir d’un jour de canicule où tout semble dérailler, sauf les trains qui s’envolent dans les airs, plongent sous la surface. Mais comment décrire ce qui nous emporte ? Le narrateur et les lecteurs se retrouvent au sommet d’une vague lors d’un tsunami. Un tsunami littéraire aux allures de peinture surréaliste en mouvement, de kaléidoscope, de maelström. Kenisman vit mille aventures mais nous raconte Bruxelles aussi, au gré de ses cavalcades. Le Bruxelles d’hier et celui d’aujourd’hui, ses beautés et ses charmes, ses atouts, ses dérives et ses perversions aussi. Et la Senne, ce cœur d’eau de la ville, de surgir des profondeurs pour témoigner, se venger :

« Adieu, hommes rectilignes qui avez enfermé mes méandres ! Hommes honteux qui m’avez étouffée sous terre pour mieux cacher vos déjections dans mon lit, hommes sales oublieux des purifications, hommes cupides qui avez bâti des maisons de riches en chassant le peuple simple qui vivait sur mes berges et n’avait pas encore le droit de vous élire (…). »

Et Bruxelles de devoir rendre des comptes, assignée en justice.

A lire ! Absolument ! C’est très bien écrit et raconté, dense, lyrique, onirique, romanesque, avec des effluves sociologiques ou philosophiques :

« A mon avis, chacun de nous se fait simplement une illusion du monde, et c’est comme ça qu’on n’arrête pas de causer de ce qu’on pense et de ce qu’on voit, chacun dans son monde, chacun avec son illusion qu’il veut expliquer aux autres (…). »

On frôle la perfection. Une force centripète eût apporté la touche finale à cette réussite magistrale. Un enjeu narratif. Or celui-ci s’insinue en filigrane, avec les amours de Kenisman et d’une jeune touriste japonaise, Yu.

(2)

Marianne SLUSZNY, Belgiques (sous-titré Chemins de femmes), Ker, Hévilers, 121 pages.

Marianne Sluszny – Chemins de femmes

Chaque année, les éditions Ker de Xavier Vanvaerenbergh livrent une salve de trois recueils de nouvelles, tous intitulés Belgiques. Cette collection, dirigée jusqu’ici par Marc Bailly mais qui sera reprise par Vincent Engel en 2021, décline une vision de notre pays à travers le regard d’un auteur ou d’une autrice. Un concept qui offre un air de gémellité avec celui de Maelström évoqué supra. A souligner : le très bon travail graphique d’Eva Myzeqari (responsable des trois couvertures).

La salve 2020 réunit trois auteurs qui me sont chers : Michel Torrekens (dont je possède et ai lu tous les livres), Véronique Bergen (à laquelle j’ai consacré deux feuilletons) et Marianne Sluszny (dont j’ai beaucoup aimé un récit de vie et de deuil).

L’autrice du Banc épate ! Par la forme et le fond. Par le plaisir pur de la narration. 9 nouvelles nous content des tranches de vie de 9 femmes. Elles appartiennent à des milieux fort divers, socialement ou linguistiquement (elles sont flamandes, bruxelloises, wallonnes ou des cantons germanophones), toutes sont confrontées viscéralement aux affres de la Première Guerre mondiale, elles doivent y survivre, avant et après :

« Il est des équilibres subliminaux qui s’établissent en nous. Alors que la conscience patauge dans l’affliction, notre esprit puise dans ses abysses l’énergie d’assembler les morceaux éclatés de son destin. »

L’autrice du Banc épate ! Par la combinaison percutante de qualités contrastées, d’équilibres rassérénants.

L’écriture est belle, ciselée mais discrète, sans ostentation. Avec un faux paradoxe : je prends sans cesse plaisir au mot, à la phrase mais ne coche que peu de passages. Comme si l’harmonie du tout ne laissait filtrer qu’un minimum de saillies :

« Ma nuit de noces ? Des draps de soie pour emballer l’ennui. »

La sensibilité est omniprésente, le lecteur vit auprès de ces femmes et de leurs intimités, de leurs désirs et de leurs frustrations, dans un après-guerre étonnamment morose, incertain, loin des clichés triomphalistes :

« Oui, nous y étions, chacune à notre façon. Sur le chemin si escarpé des femmes. »

Les hommes y apparaissent le plus souvent volages ou ennuyeux, les parents peu fiables sinon cruels.

Il y a, tout autant, l’émergence de considérations intellectuelles. L’information nous restitue une époque, ses personnages et ses décors, ses balises : l’Hôtel de l’Océan, les massacres de civils belges par les troupes allemandes, les actes posés par le roi Albert, le travail volontaire, les mutilations (physiques et mentales), le mauvais accueil des réfugiés (un million de Belges en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en France) à leur retour au pays, les ravages de la grippe espagnole, le rôle du Comité National de Santé et d’Alimentation, etc. Plus profondément, la réflexion se faufile tout azimut. La psycho-généalogie, et ces traumatismes qui se transmettent à notre insu de génération en génération. La question du droit de vote des femmes, à un moment où une majorité d’entre elles sont sous la coupe des curés, ce qui pousse des démocrates à retarder ce qui serait intrinsèquement une avancée démocratique. La survie à quel prix sinon à tout prix ? La situation des populations vivant dans des régions limitrophes, à cheval sur deux identités (cantons de l’Est), etc.

Mon recueil préféré, parmi mes lectures de l’année 2020, derrière le Modèles réduits du regretté Jacques De Decker ?

Jacques ! Marianne Sluszny lui distille une dédicace, en bas d’une de ses nouvelles. Cet éternel médiateur, cet homme-orchestre et passerelle, l’a mise sur la piste du sujet dudit texte, « l’amour de la guerre » (et l’impossibilité de la réadaptation à une vie normale), assurément « un tabou qui mériterait tout un roman ».

Jacques De Decker. J’en reparle ci-dessous.

(3)

Dans Le Carnet, j’évoque avec enthousiasme un micro-roman de… Jacques DE DECKER, Suzanne à la pomme, réédité avec des illustrations de la plasticienne Maja Polackova :

Suzanne à la pomme

Jacques De Decker. Encore et encore !

(4)

Jacques DE DECKER, Wagner, biographie, Gallimard/Folio, Paris, 2010, 263 pages.

Wagner - Jacques De Decker - Folio biographies - Site Folio

Après mes deux dossiers (dont un en duo avec Julien-Paul Remy), mes neuf articles, notre émission radiophonique (avec Daniel Simon), quoiqu’ayant dit l’essentiel, je reviens vers le grand homme, brièvement, en découvrant cette biographie. La deuxième de JDD, après son Ibsen, qui m’avait beaucoup plu naguère.

Le livre est bien écrit, il se lit aisément et agréablement, j’y ai appris beaucoup de choses sur le musicien qui a bercé toute ma jeunesse (ma mère était wagnéromane), comme la raison de la rupture avec Nietzche. Pourtant, je reste sur ma faim. Côté fond, le livre ne me surprend pas, les enjeux évoqués me semblent à distance, comme les intimités (Wagner et ses femmes, ses maîtresses ; Wagner et ses amis ; Wagner et ses musiciens) – à l’exception de la relation avec Louis II – ou la musique elle-même. Côté écriture, JDD surprend à nouveau, adoptant une ligne classique à mille coudées de ses romans, de ses pièces ou de ses articles critiques, mais je regrette cette normalisation, singulière dans le chef d’un auteur qui s’évertuait à créer des prototypes.

Après avoir versé dans l’hagiographie, quasi, à propos du roman Le ventre de la baleine ou d’un parcours romanesque décapant, m’être extasié devant la pièce Tranches de dimanche, le recueil de nouvelles Modèles réduits ou le Bruxelles, guide intime, une biographie me ramène donc les pieds sur terre. Alors qu’elle concerne Wagner, celui qui nous emmène, auditeurs, au plus haut de l’azur, vers l’éther. Mais c’est peut-être là qu’est l’os : dans une attente trop forte ou dans le choix de l’auteur de s’effacer derrière son sujet.

(5)

Laurent DEMOULIN, Robinson, roman, Gallimard/Folio, Paris, 2016, 256 pages.

Robinson - Laurent Demoulin - Folio - Site Folio

Ce roman, qui n’en est pas un mais plutôt un récit de vie, de tranches de vie, a décroché le Prix Rossel 2017, soit le prix le plus prestigieux décerné en FWB (Fédération Wallonie-Bruxelles). Mérité ? Loin de mes prédilections naturelles, il affiche des qualités évidentes, de forme et de fond.

Le livre détaille les rapports entre un père et son enfant autiste, Robinson. Il nous plonge dans une réalité dure mais complexe, la gestion d’une différence au quotidien, quand mille et un moments de vie (aller à la toilette, faire des courses, prendre un bain, se balader) se transforment en épreuves, en mises en danger. Quand un père, qui s’offre quasi tout entier à la paternité, ne peut mesurer le retour de l’interaction, doit en guetter la trace, l’indice.

 Le ton oscille entre hyper-réalisme et humour, violence et délicatesse des sentiments, un style illumine le texte, conjuguant, ce qui est rare, littérature et témoignage :

« Mes grands-parents dans les frondaisons, dans les limbes, invisibles ; mes parents comme de la rosée qui flotte un peu partout dans chaque feuille, en haut, en bas, au cœur de l’absence, au gré du souvenir (…). »

Ce qui m’a le plus ému ? Paradoxalement, une réalité marginale… à première vue. Qui recoupe, somme toute, à une autre échelle, la nécessité de l’émergence de Justes face aux collaborateurs et aux lâches, aux tortionnaires. Laurent Demoulin met très subtilement, très généreusement en lumière la pure humanité. Qui peut jaillir du comportement d’une caissière de grande surface. C’est l’acmé du livre, selon moi, l’efflorescence de la Vie véritable, qui est empathie, inventivité, compassion, réaction, résistance. Il me semble que la poésie, alors, se déploie en actes, en êtres humains.

(6)

Luigi CAPUANA, Un cas de somnambulisme, bookleg/conte fantastique, Maelström, collection Bruxelles se conte, Bruxelles, 2019, 24 pages.

BSC #83 Un cas de somnambulisme

Je reviens encore à la cuvée 2019 de Bruxelles se conte !

A contrario des récits contemporains des 7 autres auteurs de la salve, cet opus est une réédition/traduction d’un conte paru en italien il y a plus d’un siècle. Et on se demandera ce qui a poussé Luigi Capuana (1839-1915), un écrivain/professeur/critique littéraire italien à situer l’aventure de son texte dans notre capitale. Mais tant mieux !

Comme pour Canicule, à peine a-t-on entamé la nouvelle, on songe à nos spécialistes français du XIXe (Mérimée, Villiers, Gautier, etc.), au duo Poe/Baudelaire. La traductrice Alexandra Charpentier a réalisé un très beau travail et parfaitement restitué un climat à la fois suranné et délicieusement envoûtant, le texte offrant un plaisir du mot et de la phrase tout en relatant avec vivacité et suspense une aventure fantastico-policière, qui flirte avec les énigmes criminelles en lieu clos, les crimes impossibles.

Au cœur du récit, le directeur général de la police belge, Denis Van-Spengel (pourquoi ce « – » ?), nous est présenté comme un individu hors normes, une sorte de Sherlock Holmes avant l’heure. Elève préféré du fameux Vidocq, un regard d’une acuité si pénétrante qu’il en pétrifie l’interlocuteur, soutenu par une singularité de son anatomie :

« Je me sentais (dit le docteur Croissart, qui fera office de narrateur) attaqué dans le sanctuaire de ma conscience (…) J’en arrivai même à imaginer qu’il se servait de ce nez (long, pointu, un tantinet tordu et retroussé, est-il dit plus haut) comme de la baïonnette des gardes douaniers aux portes des villes ; cherchant à débusquer chaque fibre de mon esprit et à s’y enfoncer plus loin encore. »

Or ne voilà-t-il pas que cet éminent enquêteur réalise un beau matin avoir rédigé durant la nuit (à son insu) le procès-verbal d’un carnage atroce qui n’a pas encore été découvert ! Un farceur a-t-il imité son écriture et tente-t-il de le renvoyer au somnambulisme dont il souffrit des années plus tôt ? On devine que Van-Spengel va se lancer à corps perdu dans la résolution de l’affaire. Et le lecteur de penser à Œdipe, le prototype du roman policier, où un homme se cherche lui-même. N’en disons pas plus. Tout n’est pas joué.

Un bon texte, et on saluera ici le travail de prospection des éditions Maelström (Marcello Oro, en l’occurrence). Tout en s’étonnant d’une singulière convergence du temps. L’AEB (l’Association des Ecrivains belges) vient de sortir de l’oubli et de publier un conte fantastique d’Alex Pasquier (voir notre Edi-Phil de septembre). Une nouvelle maison d’édition, Les Névrosées, se propose une exhumation à grande échelle de textes d’autrices belges des temps jadis.

(7)

Michel CORENTIN, Les violons de l’ivresse, roman, Le livre en papier, Strépy-Bracquegnies, 2020, 188 pages.

publier-un-livre.com_1764-les-violons-de-l-ivresse

Michel Corentin est le nom de plume d’Alain Michel, un ingénieur qui a traversé ma vie comme éditeur (Le hêtre pourpre), il y a une vingtaine d’années.

Parenthèse égocentrée. Trois éditeurs avaient retenu mon deuxième roman et j’élus Alain pour sa réputation, son catalogue, la sympathie qu’il dégageait. Mal m’en prit, il abandonna ses activités éditoriales peu avant la sortie de mon ouvrage, on imagine mon embarras. Mais, avant son retrait, il avait livré un très bon travail éditorial (sur base de trois lectures appuyées différentes), il m’avait aidé à améliorer mon roman et, sans doute, mon approche. Je fus donc heureux de le compter plus tard parmi mes amis Facebook, de pouvoir le citer dans les remerciements de l’ouvrage publié, etc. Et, un jour, inversion des rôles, il me propose son roman (le deuxième de sa carrière d’auteur, après un roman pour adolescents paru en… 1978), Les violons de l’ivresse. Et me voici dans l’embarras de commenter qui m’a commenté un jour.

Les violons de l’ivresse.

Une autoédition ? Distinguons les types d’édition. Je ne rubrique pas, en principe, les livres publiés à compte d’auteur, les pratiques y sont souvent malhonnêtes, trompeuses par essence : si on paie pour être publié, on n’en a aucun mérite. L’autoédition, moins crédible que l’édition à compte d’éditeur, la VRAIE édition (avec choix par un expert, des experts), peut se comprendre et cacher des perles. Le problème, pour le médiateur, c’est qu’on part dans l’inconnu absolu, aucune sélection n’ayant été réalisée en amont.

Le roman s’inscrit dans une future Trilogie des violons. Qu’est-ce à dire ? Je ne sais. Ce premier opus annonce en quatrième de couverture un récit qui ne se dessine pourtant que tardivement, celui des relations houleuses entre deux jeunes violonistes, Laura et Stepan, qui sont comme la glace et le feu. Il est question aussi d’une aventure policière, de fraudes autour de violons, etc. A contrario, le roman commence avec un Jean-Sébastien Courtois en héros, un jeune commercial qui tombe amoureux de Laura et s’évertue à la rencontrer, à jouer un rôle dans sa vie, jusqu’à devenir son intendant, jusqu’à se rapprocher de sa jumelle, Lore, jusqu’à jouer les Candide face à un univers fantasmatique.

A dire le vrai, je suis décontenancé, j’oscille entre des caps d’interprétation. Que dégage le récit, dès l’entame ? Une fraîcheur un tantinet juvénile ou une certaine naïveté ? Je suis d’abord emporté puis mon élan se trouve entravé. Comment juger l’écriture ? D’un côté, la langue, simple, offre une lecture aisée et sans ennui. De l’autre, il n’y a pas de plaisir du mot ou de la phrase. Les dialogues sont parfois fort longs ou peu naturels, mais il y a des scènes amusantes, étonnantes, qu’on imagine en extraits de films.

Ce roman est suffisamment ludique, enjoué (notes policières ou romantiques) pour séduire un public, ou même deux publics (ceux qui aiment le violon, la vie musicale trouveront beaucoup d’intérêt à découvrir les coulisses d’une vie de concertiste débutante), mais il ne s’adresse pas aux gourmets littéraires.

(8)

Dans Le Carnet, j’ai évoqué un thriller de Noëlle MICHEL, Viande, paru chez Lilys :

Et, pour perpétuer un rituel, soit terminer en apesanteur et en beauté, hors analyses et commentaires, deux proses poétiques d’un de mes auteurs francophones préférés, voire celui dont la plume m’aura le mieux parlé en 2020, relayant Véronique Bergen et Rossano Rosi.

(9)

Luc DELLISSE, Le cercle des îles, recueil de poésies, Le cormier, Bruxelles, 2020, 98 pages.

Le cercle des îles » de Luc Dellisse

Dans Bateau blanc, ce passage qui m’envole vers Rimbaud et Corto Maltese, quoiqu’une aile de mouette tangue vers Poe/Pym ou Baudelaire :

« Le sentiment d’appartenir à une espèce voyageuse, qui n’a pas de scaphandre mais une certaine promesse amphibie, m’aide à vivre dans ce siècle bizarre. Il me réconcilie avec l’idée d’affronter le monde. Il me rappelle que j’ai décidé vingt fois de ne plus bouger de ma chambre et que je n’y suis jamais parvenu. Evidemment, je suis sédentaire autant que possible, préférant me garder sous la main, à un point fixe de l’univers, là où il n’y a pas besoin de surmonter un décalage horaire pour s’accomplir. Mais mon âme est restée nomade, vestige d’une vie antérieure. »

Et cet autre, dans Le vrai visage du temps, qui me trouble :

« En projetant le passé dans l’avenir, on fait apparaître des ondulations nouvelles. Le visage du temps redevient visible, aux limites du regard. On sort enfin du monde : on rentre dans la vie. On y rentre tout seul.

La course à l’abîme n’a pas ralenti un instant. Elle prend des formes sans cesse nouvelles, mais ce n’est qu’une suite de ruses. Le néant reste son seul but. Ce néant est sans intérêt.

Ici, j’attends mon âme à la roulette. Ici, personne ne connaît le secret de l’enfance. Ici, le sommeil n’existe plus. Le dieu des voyageurs dort en travers du balcon. »

Philippe REMY-WILKIN.

LECTURE DE RECONFINEMENT : LA GUERRE DES EGOS / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Que ce soit à la campagne, dans les siècles écoulés, ou à la ville aujourd’hui, les rivalités, même si elles sont parfois plutôt bénignes, dégénèrent souvent en querelles de voisinage ou en de violents conflits personnels. Les égos prennent souvent le pas sur la raison et la situation devient vite explosive. Ainsi deux maîtres de forge de la Révolution industrielle en viennent à la destruction de leur forge respective pour une querelle très ancienne qui aurait pu, en son temps, se régler sans grandes difficultés. En ville, à Bruxelles, de nos jours, deux petits coqs finissent par s’affronter en un terrible conflit pour conquérir une charmante étrangère qui cherche seulement à s’installer en ville.

+

Le secret de la forge

Isabelle Artiges

Editions de Borée

Au début du XIX° siècle, en Périgord, Alphonse de Chaumeuil affiche richesse et satisfaction, petit nobliau campagnard, il a réussi le virage de l’industrialisation en installant à proximité de sa demeure un haut fourneau pour la production de la fonte. Son affaire et ses activités agricoles sont prospères, il fait vivre nombres de fermiers et métayers qui travaillent à la forge de l’automne au printemps. Il ne lui reste qu’une préoccupation, assurer son lignage et le développement de ses activités industrielles en mariant son fils avec un « bon parti ». Mais, le fils refuse de s’enterrer dans une campagne perdue pour y pratiquer une activité sale et malodorante, il préfère la ville et ses mœurs en y exerçant une fonction de magistrat. Sa fille est tout aussi rétive, elle refuse tous les partis qu’on lui présente et s’enferme dans célibat austère et stérile. Il ne peut plus compter que sur sa petite-fille qui l’accompagne souvent à la forge et en connaît bien tous les secrets.

Il a cependant une autre préoccupation qu’il s’efforce d’oublier : la haine qui le sépare de son voisin depuis des décennies. Elle resurgit un beau jour quand le petit-fils du voisin secourt sa petite-fille coincée sous une calèche après un malheureux accident. Cupidon épingle de ses flèches les deux jeunes gens qui sombrent sous un véritable coup de foudre : la boîte de pandore est ouverte, les haines et querelles ancestrales resurgissent, la violence se déchaîne, la bêtise et la rancœur provoquent des ravages…

Isabelle Artiges

Dans cette histoire de passion et de violence, Isabelle Artiges ne raconte pas seulement un amour rendu impossible par les actes des générations précédentes, elle met aussi en scène la vie des la petite noblesse campagnarde et de ses sujets confrontés au développement de l’industrie dans leur paisible campagne. Cette première phase de la révolution industrielle apportera richesse et pouvoir à ceux qui auront su prendre le virage au bon moment mais les cartes seront bien vite redistribuées, « une forge isolée n’est pas en mesure d’affronter la concurrence », la sélection est sévère parmi les établissements industriels, certains ne s’en remettront pas et conduiront leurs propriétaires vers des situations plus que compliquées.

En lisant ce livre, j’ai pensé à la série télévisée « Poldark » tiré du roman en plusieurs volumes de Winston Graham, où l’on retrouve cette petite noblesse campagnarde qui essaie de s’accrocher au train de la grande bourgeoisie industrielle. Ces nobliaux campagnards, en profitant de mariages arrangés, essaient d’assurer leur pérennité familiale et d’agrandir leur domaine et leur puissance industrielle en ne considérant les femmes que comme des reproductrices tout juste bonnes à donner un héritier au maître et à assurer une concentration des fortunes en apportant une riche dote. En mariant les enfants, on marie les fortunes pour les transmettre à un héritier encore plus riche. « Les Roméo et Juliette du Périgord » parviendront-il à échapper à cette triste règle ?

Le livre sur le site de l’éditeur

+

Une histoire belge

Robert Massart

M.E.O.

Une histoire belge

Cette histoire belge commence à la Gare du Midi, la porte que je pousse quand j’arrive à Bruxelles pour visiter mes amis amoureux des livres : éditeurs, auteurs ou simplement lecteurs passionnés. Robert Massart conduit son premier personnage, Baert Kommer, un Flamand de Bruxelles comme on appelle dans cette ville les Bruxellois de langue flamande, dans les toilettes de cette gare où il recopie les graffitis qui fleurissent sur les murs des sanitaires. La dame pipi trouvant qu’il passe beaucoup de temps dans ses toilettes, le gronde fermement et lui interdit de venir, à l’avenir, se soulager dans les toilettes dont elle a la surveillance. Ernest Dubois, un Bruxellois francophone, assiste à la scène et compatit avec la victime qui l’invite à boire un verre. Ainsi, les deux hommes, le Flamand et le francophone, font plus ample connaissance en évoquant leur vie, leur travail, leurs occupations, leurs passions, … Ils sont tous les deux sans épouses même si Kommer fricote avec la serveuse du bar où ils sont installés et donc libres de leur temps sauf quand Dubois, professeur de français, doit assurer ses cours.

L’amitié se renforce peu à peu entre les deux hommes jusqu’à ce qu’une nouvelle serveuse débarque dans le salon de thé qu’ils fréquentent de plus en plus assidûment. Elle est roumaine et mignonne et, bien sûr, ils en sont tous les deux amoureux. La tension s’installe de plus en fortement entre les deux amis qui s’opposent de plus en plus sur fond de querelle linguistique. La jalousie et l’opposition culturelle et linguistique prennent bientôt des propositions de plus en plus violentes jusqu’à ce que leur relation devienne explosive et provoque des dégâts collatéraux inattendus.

Robert Massart
Robert Massart

Cette histoire belge est la métaphore de l’histoire de Bruxelles et plus généralement de la Belgique créée principalement par la réunion de deux provinces de langue et de culture différentes. Robert Massart, professeur dans l’enseignement supérieur, grand spécialiste de la langue française, dresse cette métaphore à travers cette opposition. Il utilise ses grandes connaissances linguistiques pour affuter les arguments de chacun des deux protagonistes qui essaient d’accaparer non seulement l’amour mais aussi l’appui de jolie serveuse qui, étant roumaine, peut être concernée par cette querelle linguistique puisque sa langue est latine comme le français mais elle pourrait aussi descendre du flamand comme l’explique Kommer.

Personnellement, et je pense comme la plupart de mes concitoyens français, je ne comprends pas très bien tous les arcanes des querelles qui opposent wallons et flamands. Robert Massart les explique avec beaucoup d’humour, de dérision et d’ironie mais, je n’ai pas eu l’impression qu’il pensait une réconciliation culturelle et linguistique possible, le fossé est encore trop large entre les deux communautés. Grand défenseur de la langue française qu’il promeut beaucoup mieux que nombre de Français obnubilés par le jargon pseudo anglais très en vogue actuellement en France, il ne m’a pas semblé totalement objectif dans le tableau qu’il dresse. Si Dubois est un intellectuel, pleutre, phobique, pas très dynamique et un peu geignard, il charge le Flamand de quelques défauts un peu plus lourds, il ne travaille pas, il est assez riche pour très bien vivre sans dépenser sa sueur, il est violent, arrogant, vindicatif et plutôt extrémiste. Le tableau est bien dressé, il n’est pas sans fondement, mais l’auteur s’est bien amusé en écrivant son livre et il m’a bien fait rire. Alors ne boudons pas notre plaisir et laissons-le écrire la suite, si … l’envie vient lui prendre …

Le livre sur le site de l’éditeur

COMME LE FLEUVE AU PAYSAGE de Jean-Baptiste PEDINI et Vincent MOTARD-AVARGUES (L’Aigrette) / La lecture de Philippe LEUCKX

Ecrire dans le courant du fleuve, à deux mains, ce que le coeur sent, brouille, ce « ça » qui remue sans cesse, ces images d’eau. Voilà le projet intime de deux voix liées, que j’aime bien, celles de Pedini et de Motard-Avargues, voix amies, qui s’entrelacent sans qu’on sache qui appartient à l’une, à l’autre.

Comme le fleuve au paysage

« Comme le fleuve au paysage » (éd. de l’Aigrette) est une réussite de collaboration amicale, fraternelle : « ce chant de peu/ que le fleuve délivre/ au bout du jour » (p.39).

C’est tissé de regards, de « mots/ mélodies sans peur », de « longues heures/ ombrageuses », de « souvenirs ».

Deux amis se tiennent au bord des mots, du fleuve, de l’entente et enregistrent des « battements éternels de l’éphémère ».

« Prendre garde

au souffle des mots tus » semble un conseil de lecture qu’adressent les deux compères.

D’un lyrisme tempéré, les poèmes nous parlent des « odeurs de l’enfance », des « petits éclats dedans ».

On sent l’intime prégnance, la conviction et le besoin de se dire, sans apprêts.

Un beau livre de partage.

Jean-Baptiste PEDINI et Vincent MOTARD-AVARGUES, Comme le fleuve au paysage, Ed.de l’Aigrette, 2020, 60p., 13€.

Le recueil sur le site de l’éditeur

Le site de Jean-Baptiste PEDINI

LECTURE DE RECONFINEMENT : DESTINS EXCEPTIONNELS / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

J’ai rassemblé dans cette chronique deux textes extrêmement différents évoquant des milieux à l’opposé l’un de l’autre. D’un côté il s’agît de l’histoire d’une fille déterminée, volontaire, surmontant les obstacles les uns après les autres, ne pliant jamais malgré tous les pièges qu’on lui a tendus, pour fonder un ordre capable de soigner les plus démunis et enseigner aux plus éloignés de la culture, tout en refusant toutes les ségrégations qu’elles soient déterminées d’après le sexe, les origines ou d’autres raisons encore. De l’autre côté le sort d’une fille battue par son père, sa mère, ses beaux-pères successifs, humiliée, martyrisée et pourtant cherchant encore de toujours se relever pour retrouver la place qui était la sienne quand elle était tout de même parvenue à devenir mannequin international.

+

La sainte entreprise

Pascale Cornuel

Alma éditeur

Pascale Cornuel, agrégée de l’université, docteur ès lettres, a consacré sa thèse et l’ensemble de ses travaux à Anne, sœur Anne-Marie en religion, Javouhey fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny au début du XIX° siècle. Elle a tiré de ses travaux le présent ouvrage dans lequel elle raconte la vie et l’œuvre de cette religieuse particulièrement déterminée qui, contre vents et marées, contre l’administration et le clergé quand ils s’opposaient à sa vocation, a fondé un ordre qui aujourd’hui encore est présent sur les cinq continents où il poursuit son œuvre d’enseignement et de soins aux malades.

Anne Javouhey est née, en 1779, aux confins de la Bourgogne et de la Franche-Comté dans un petit village à proximité de la bourgade de Seurre. Contrairement à ce qu’elle a souvent dit, sa famille était relativement aisée, son père était un paysan suffisamment fortuné pour posséder de belles terres qu’il pensait confier à Anne au moment de prendre sa retraite. Mais, son vœu ne s’est jamais réalisé, sa fille, après des débats houleux avec lui, s’est enfui pour entrer en religion. C’est ainsi qu’elle rencontra, à Besançon, Jeanne Antide Thouret la fondatrice des Sœurs de la Charité. Et, c’est dans cette ville qu’elle eut une vision qui la montrait entourée d’enfant de toutes les couleurs auxquels elle enseignait la religion, la lecture et l’écriture et tout ce qu’on apprenait aux enfants à cette époque. Après moult voyages entre la France et la Suisse autant pour échapper aux sicaires de la Révolution que pour trouver l’ordre qui conviendrait le mieux à sa vocation, elle finit par fonder le sien : Les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny dans lequel elle entraina ses trois sœurs, puis une nièce.

Rapidement, elle a installé un établissement à Paris qui se fit remarquer de ceux qui avaient en charge les colonies et qui pensèrent que les méthodes qu’elle appliquait pourraient y avoir de bons résultats. C’est donc à Saint Louis du Sénégal qu’elle conçut ce qui devait être sa grande œuvre, la Sainte Entreprise comme certains la dénommèrent rapidement. Elle voulait construire un village qui pourrait être reproduit à moult exemplaires, autant que nécessaire pour accueillir les esclaves libérés. Elle heurta de nombreux milieux notamment les colons qui supportaient très mal d’être privés d’une main d’œuvre gratuite et qui n’admettaient pas que des Noirs puissent être considérés à l’égal des Blancs, que des femmes occupent des postes réservés aux hommes. Son projet, pour les colons, n’avaient que des inconvénients, les esclaves libérés, installés au village noir de Mana, cultivaient ce dont ils avaient besoin et non des productions exportables et donc lucratives pour les maîtres. Le monde d’Anne Javouhey était un monde égalitaire où chacun pouvait manger à sa faim, recevoir un enseignement, être soigné correctement dans le respect de sa dignité. Mais c’était aussi et même surtout un monde catholique qui vénérait le Dieu des chrétiens, un monde qui pourrait produire son propre clergé, un monde qui pourrait se passer des Blancs. C’était la meilleure manière de se faire des ennemis particulièrement tenaces et féroces, sa vie fut donc une lutte perpétuelle contre tous ceux qui ne respectaient pas le sens de sa vocation.

Pascale Cornuel

Pour comprendre l’œuvre d’Anne Javouhey, il faut aussi se replonger dans son enfance quand le choc révolutionnaire atteignit le fond des campagnes, quand les églises furent pillées, les prêtres martyrisés, les ordres religieux dispersés. Cette haine anticléricale attisa la foi de certains qui devinrent encore plus déterminés dans leur foi et parfois même intégristes dans leurs pratiques. Anne et sa famille combattirent aux côtés des catholiques pour sauver ce qui pouvait l’être et plus tard reconstruire un clergé régulier et séculier capable de réimplanter la religion chrétienne en France. En créant son ordre, elle a participé à la recréation du clergé français mais elle a aussi fourni de nombreuses sœurs hospitalières dont le pays, avec toutes les guerres qu’il menait, avait un grand besoin, et de très nombreuses sœurs enseignantes dont la France et ses colonies avaient un tout aussi grand besoin. Son œuvre en gênait certains mais trouvaient beaucoup d’encouragements auprès de ceux qui défendaient l’enseignement pour tous, des soins dignes même pour les fous et les lépreux souvent fort mal traités, et surtout l’émancipation des esclaves afin qu’ils ne sombrent pas dans un statut encore plus contraignant que celui qu’ils quittaient en étant soi-disant libérés.

Jusqu’à son dernier souffle, elle a lutté parcourant la France et le monde pour visiter, mobiliser, restaurer, relever ses fondations souvent mises à mal. Elle avait peut-être un défaut qui était, peut-être sa plus grande qualité, elle n’acceptait aucune autorité qui fut contraire à sa mission divine. Son énergie, sa détermination, sa ténacité étaient immenses, quand toutes et tous croyaient qu’il n’y avait plus de solution, elle s’en remettait à Dieu et les événements lui donnaient presque toujours raison. Le clergé ne fut pas son plus mince adversaire de nombreux évêques et clercs acceptaient mal qu’une femme puisse avoir de si énormes responsabilités, qu’une femme puisse s’imposer devant la hiérarchie cléricale, qu’une femme punisse un homme ayant battu sa femme. Sa vision d’une société égalitaire entre les hommes quel que soit leur condition, leur origine et leur sexe n’était pas acceptable par tous mais beaucoup d’humanistes la soutinrent comme le grand poète Lamartine. Elle fit preuve même, en certaines circonstances, d’un réel œcuménisme, réservant toujours une bonne écoute aux propos humanistes.

A son époque, sa vision du monde n’était peut-être pas acceptable pour tous mais, aujourd’hui, elle peut être, sur bien des points considérée, comme une pionnière. Elle n’était pas très diplomate, pas très bonne gestionnaire, mais elle avait une qualité fondamentale pour moi, elle avait toujours un objectif dont elle ne changeait jamais, et ceci la rendait très crédible. Elle savait où elle allait, sans savoir toujours comment elle pourrait y aller, mais la plupart du temps elle atteignait son objectif car le vouloir est plus fort que le savoir et le pouvoir.

C’est un énorme travail qu’a accompli Pascale Cornuel, ce livre c’est non seulement un biographie extrêmement précise, c’est aussi l’analyse, presque au jour le jour, de la mission que cette sœur s’est donnée mais c’est aussi une formidable page d’histoire qu’on a un peu oubliée aujourd’hui : la reconstruction du clergé séculier et régulier après l’anéantissement par la Révolution, la participation du clergé à la colonisation, le rôle du clergé dans l’émancipation des esclaves libérés, le rôle des sœurs dans la reconnaissance des compétences des femmes, elles ont largement contribué à démontrer ce que toutes les femmes pouvaient accomplir. Et, bien d’autres choses encore tant le champ de l’œuvre est vaste dans le temps, l’espace et la diversité des actions et des engagements.

Et félicitations encore à l’auteure, qui en historienne avisée, n’est jamais tombée dans les pièges de la religion, des différentes idéologies, des courants de pensée, …, son texte est d’une clarté absolue et d’une impartialité exemplaire.

Le livre sur le site de l’éditeur

+

Pleure, tu pisseras moins

Dawa Ma

M.E.O.

Pleure…

En lisant ce livre, j’ai pris une grosse baffe en pleine tronche, avant d’écrire la moindre ligne. Après cette lecture il m’a fallu un bon moment pour reprendre mes esprits, digérer toute la colère que j’avais accumulée, dominer toutes les envies de meurtre qui m’avaient trotté dans la tête, essayer de comprendre comment une gamine devenue adulte à cinq ans, tabassée, humiliée, violée, exploitée de mille façons peut devenir un mannequin international, replonger dans les séquelles de tout ce qu’elle a subi et rebondir, une fois, deux fois, trois fois, …, rebondir encore et encore pour se battre toujours et encore, pour gagner son combat dantesque contre les forces du mal incarnées par ceux qui sont les plus proches d’elle, par ceux qui devraient être là pour l’aimer, la choyer et la défendre contre le mal.

L’histoire atroce que raconte Dawa Ma, c’est son nom de scène, c’est une petite française qui, comme toutes les autres, n’a pas choisi ses parents et qui a hélas tiré un mauvais numéro, l’un des pires peut-être, c’est la sienne, celle qu’elle a vécue depuis sa plus tendre enfance. Elle a choisi de l’écrire pour régler ses comptes avec tous ceux qui l’ont martyrisée. « …, le petit Chaperon rose s’est métamorphosé en louve. Et il revient aujourd’hui d’entre les paumés pour liquider les méchants, armé jusqu’aux dents d’un simple stylo… Parce que parler peut aussi tuer ». Elle raconte cette histoire en alternant d’une part les chapitres du journal intime qu’elle a tenu de 2013 à 2016 et d’autre part le récit qu’elle a écrit pendant son confinement à Londres au printemps dernier. Dans ce dernier texte, elle raconte tout ce qu’elle a vécu avant et après s’être confié à son journal et tout ce que son histoire lui a appris, tout ce qu’elle en a tiré, toutes les séquelles dont elle n’arrive pas à se débarrasser, le combat qu’elle mène pour elle et pour tous ceux qui ont subi les mêmes traitements.

Elle commence son récit par une phrase terrifiante en s’adressant à son père décédé alors qu’elle n’avait que quatre ans : « Je suis devenue adulte le jour de ta mort et femme à cinq ans par ce lui qui te remplaçait dans le lit de ma mère, un homme que tu aurais écartelé … ». tout pourrait être dans cette phrase mais hélas, mais après il y a eu bien plus encore … la vie dont elle se souvient commence entre son père et sa mère biologiques : « « La plupart des souvenirs que m’ont laissés Roméo, père dépressif et colérique, et Eglantine, mère cruche, arrogante et ridicule, sont d’une extrême violence ». Eglantine et Roméo se sont mariés trop jeunes parce que Dawa frappait à leur porte, elle n’était pas très dégourdie, il était violent et cavaleur, il ne donnait pas d’argent à la mère pour élever les quatre mômes qu’il lui avait donnés en quatre ans. « Je me rappelle avec précision les huissiers fouinant dans mes coffres, emportant mes livres et le peu que nous possédions devant des parents ébahis, trop jeunes, impuissants, désespérés ».

Dawa Ma
Dawa Ma

Elle l’a plaqué, est rentrée chez ses parents avec sa progéniture, il a voulu les récupérer, la famille a fait obstacle, il est rentré chez lui et s’est pendu. Dawa avait quatre ans. La mère est rentrée en ville, dans une cité, avec sa marmaille et après avoir été battue est devenue elle-même violente, laissant souvent ses enfants à l’abandon. Dévergondée, elle a vite ramené un gars à la maison violent, violeur, sadique, cynique qu’elle a flanqué à la porte quand les mômes se sont plaints. Mais bien vite un autre encore pire est venu s’installer à la maison pour une longue durée, jusqu’à ce que Dawa le mette dehors du haut de ses quinze ans avec un couteau pointé sur son gras bide.

C’est ce long calvaire qu’elle raconte dans ce livre dans lequel elle dénonce aussi tous ceux qui n’ont pas vu, pas entendu, pas voulu voir, pas voulu écouter et même seulement entendre, la famille, les amis, les voisins, les services sociaux, la police, les écoles, …, ils sont nombreux bien trop nombreux pour que nous acceptions une telle indifférence. Elle raconte aussi son combat pour se protéger en même temps que ses frères et sœur dont elle avait souvent la charge, les violences répétées, les humiliations récurrentes, la déscolarisation alors qu’elle était une bonne élève, le viol régulier, la prostitution, elle pensait avoir tout supporté, tout digéré quand de nouveaux troubles sont apparus avec le stress post-traumatique et sa cohorte de symptômes la démolissant régulièrement. Mais encore une fois, elle a lutté, retombant, se relevant, plongeant dans les abîmes pour toucher le fond du fond et rebondir encore en prenant appui sur ce fond. Ce fameux stress c’est le lot de tous ceux qui sont « Incapables d’affronter les causes de leur mal-être, qu’ils ont refoulées au plus profond par ce qu’elles faisaient trop mal, ils stagnent dans leurs émotions perturbatrices ».

Elle a connu toutes les déchéances, elle a tutoyé les étoiles … de la mode (elle est devenue mannequin internationale, adulée en Extrême-Orient notamment), elle a été à nouveau exploitée, elle a tout jeté, elle s’est relevée encore une fois pour reprendre ses études, pour reconstruire une autre vie. « Accepter m’a permis de me préparer à émerger. Plus forte ! »

Ce livre est un témoignage bouleversant, une plongée au plus profond de l’horreur, un combat titanesque. Il m’a écœuré, mis en colère, mouillé les yeux de pitié, de douleur et d’émotion devant toute l’énergie, la détermination, la volonté, … que cette gamine a dû et su déployer pour essayer de se sortir de tous les pièges qu’on lui a tendus. Et c’est de la belle littérature, écrite avec beaucoup de justesse et d’émotion sans jamais se complaire dans de geignardes lamentations.

Le livre sur le site de l’éditeur

Le site de Dawa Ma

LECTURES DE NOVEMBRE / Une chronique de Philippe LEUCKX

Philippe Leuckx (auteur de D'Enfances) - Babelio
Philippe LEUCKX

*

René Lérou, Mes Venises, Atéki, 2020, 90p., 11€.

MES VENISES

Des lieux inspirent, célèbres comme Venise ou Rome, et le poète qui s’est amouraché des lieux ne peut que célébrer à son tour, au fil des marches et des ébahissements notables.

La description habile et méticuleuse donne à ces vignettes leur pesant d’authentique vertu pour le voyageur qui sait y faire.

Sous « les froids éclats de lune » ou dans la lumière du « pont des Soupirs », les beautés vénitiennes s’enfilent dans des poèmes parfois rimés.

Tout des souvenirs et de la mémoire vive repasse ici, du Carnaval fêté aux rêves sur le « nom étrange » des ponts et des ruelles.Et « quand une barque s’éloigne » et quand se précise la fin du voyage, c’est tout le coeur qui s’agite et se mélancolise.

Un livret classique, qui fera du bien aux amateurs de la Cité des Doges, et aux amoureux des sites inusables.

Un avis de parution du recueil

*

Roselyne Sibille, Une prairie de poèmes suivi de Les langages infinis, Collection Grand Ours, l’Ail des ours n°3, 2020, 66p., 6€. Oeuvres de Renaud Allirand.

Des blasons sur la nature, « l’herbe drue », l’attente du « vent », des poèmes qui signent leur « simplicité dans ce monde en furie ».

Une attention sensible aux oiseaux, aux vagues régulières odorantes du vert frais », et une écoute fidèle de ce que la nature nous donne à lire, au fil des saisons :

« Ce qui fuse dans le silence

éblouit la lumière »

ou

« D’une fissure monte une inquiète étrangeté »

La poète lâche les mots « entre les galets », saisit « la précieuse grammaire » pour écouter et nous faire partager son monde, ébloui, sensible.

L’ouvrage sur le site de l’éditeur

*

Montaha Gharib, Comme un derviche emporté dans un ciel d’été, Bleu d’encre, 2020, 82p., 12€.

Comme un derviche emporté dans un ciel d'été – Les éditeurs singuliers

La poète libanaise livre ici  ses « jours » ses « nuits » à la recherche d’une présence ; elle se sent noyée, ensevelie, et le poème est là pour l’assurer d’une vie multiple. Secret, tabou, ombre dévalent à tout crin dans ces vers lyriques qui disent un coeur en alarme, les souffrances, les « palpitations » ordinaires. Tout revient : les alertes du coeur, les chagrins, les batailles. Mais c’est l’heure de passer aux aveux, de partager, de « s’enchanter ».

De longs poèmes relatent le travail de sape auquel la poète a consacré tant de temps pour renaître aux autres, à soi.

L’envie revient ; le plaisir peut-être lui aussi.

Les textes qui servent d’épilogue, écrits au conditionnel, disent assez le bonheur à conquérir, par la vie, par les mots.

Le recueil sur le site des Editeurs singuliers

L’éditeur Bleu d’ENCRE sur Facebook

*

Valéry Meynadier, La morsure de l’ange, Al Manar, Eotica, 2020, 32p., 13€.

La morsure de l'ange, vient de paraître... - Valéry Meynadier | Facebook

De bien beaux poèmes sensuels, érotiques sous la plume de la poète, pour dire « notre chair solitude », éprouver « à petites lampées » le désir de l’autre, « le feu dans mon ventre ». Audacieuse écriture qui ne fait jamais fi de la moindre imprécision ; toute sensation physique est bonne à entendre.

La mort et le plaisir intime se croisent, fusionnent. Il y a vraiment morsure, et prise nette par l’autre, sur l’autre.

Les textes, parfois distordus, épousent le frémissement, cette musique des corps même quand « l’impatience a brûlé ».

Il y a là une voix sincère, crue, aiguë.

« Coucher avec vous

Mon visage se répand

Descend en profondeur »

Le recueil sur le site de l’éditeur

BELGIQUES de VÉRONIQUE BERGEN (Ker) / Une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

Belgiques est une collection de nouvelles dont chaque recueil, confié à un auteur, est, un portrait composite de la Belgique. Le Belgiques de Véronique BERGEN vient de paraitre voici quelques semaines.

Véronique Bergen

A la manière d’un vitrail avec ses couleurs, ses lieux et ses personnages, il dessine une allégorie de la Belgique toute en nuances : une relative douceur y contraste avec une histoire parfois violente et sauvage ; une étonnante nuée d’artistes marque leur siècle tandis que couronnant le tout s’exprime sans vergogne  un sens rare du saccage urbanistique.

Au fil des nouvelles, on retrouve les thèmes récurrents de l’œuvre de Véronique Bergen : l’écologie, la sensibilité au vivant sous toutes ses formes, l’effroi devant l’extinction massive de la biodiversité, la figure de l’anarchisme. Pour notre plus grand bonheur, nous renouons également avec ce style si personnel, précis, rigoureux mais multipliant les inventions lexicales et d’un grand pouvoir d’évocation.

Reflets de sa Belgique, les nouvelles de Véronique Bergen sont plus encore un hommage à Bruxelles dont, en esprit, nous  arpentons avec elles, quelques-unes des rues à jamais disparues. Nous pénétrons dans des quartiers à la mémoire mutilée par les délires modernistes d’une époque ou la volonté cynique d’éradiquer la pauvreté du centre-ville en la faisant physiquement disparaître.

L’hommage est souvent sombre, proche du martyrologue : on ressent l’attachement charnel de Véronique Bergen pour cette bibliothèque de pierre dont chaque volume arraché est une blessure, une perte irrémédiable. J’ai en tête les mots de Nougaro :

« Carillons, sonnez tous à cette capitale
Que la guerre épargna et que la paix massacre
»
Et pourtant, étrange magie, Bruxelles reste si belle et l’attachement qu’elle suscite, si profond, inséparable de l’âme de ceux qui y habitent.

Je ne peux ici évoquer toutes les nouvelles. Je me contenterai de trois : L’Anarchiste et le Roi, la cinquième des dix nouvelles du recueil, Une Forme, une mesure, un chiffre qui ouvre le volume et enfin, La Rue des pianistes qui le ferme.

L’Anarchiste et le Roi, suit la trace de Gennaro Rubino, anarchiste italien débarqué à Bruxelles le 26 octobre 1902 et auteur d’un attentat manqué contre Léopold II, alors au plus fort de son impopularité : quelques semaines plus tôt des ouvriers manifestant à Louvain en faveur du suffrage universel ont été massacrés.  Mal préparé, Rubino manque sa cible. A peine le convoi royal s’éloigne-t-il  « qu’une foule se jette sur lui, qu’un essaim d’humains  le ceinture, l’étrangle en tonnant « Vive le Roi ». ». Personne dans la foule ne l’acclamera en héros. Ce que Michelet appelait « l’imbécile tradition de l’incarnation monarchique » triomphe : Rubino a « échoué à libérer la lie de la terre » 

Ce petit texte à la charnière du volume me semble exemplaire de la tonalité grave du recueil : par l’évocation de l’anarchisme qui en ce temps-là suscite espoir et frayeur, il traduit cette difficulté qui est toujours la nôtre,  de mettre en place un modèle de société autre que celui qui nous conduit à l’abîme.

Mais je l’ai dit, les différents textes s’insèrent entre deux nouvelles dont la première se démarque par un geste de résistance et la seconde par l’ouverture à ce que l’humanité produit de plus beau : la musique.

Une Forme, une mesure, un chiffre rend compte du séjour totalement fictif du très réel mathématicien Alexandre Grothendieck et de son chien Georg à Saint-Idesbald.

Une ambiance shakespearienne se dégage des premières pages : « Georg, penses-tu que Paul Delvaux, le peintre de Saint-Idesbald, s’élançait sur la plage les jours d’orage, plissant les yeux pour observer les combats entre la mer et les nuages, la détresse des bateaux en perdition, la palette des couleurs générée par une nature en furie ? A qui appartiennent les yeux qui nous regardent depuis la digue ? Pourquoi avons-nous atterri sur la côte belge ? »

Sur fond d’éléments déchaînés, dans la nuit wagnérienne zébrée d’éclairs et bousculée par la sauvagerie des flots, mathématicien de génie et fils d’anarchiste, Grothendieck s’interroge sur le dévoiement des mathématiques. Pour lui, elles « sont une mystique, une connexion avec le mystère, une quête spirituelle (…) » qui, par sa faute et celle de ses collègues « ont accouché d’un monstre, servi les intérêts militaires et industriels, la conquête spatiale ».

C’est l’occasion pour Véronique Bergen d’évoquer le groupe écologique « Survivre ou vivre » fondé par Grothendieck en 1970 qui, dès cette époque, rompt avec les mathématiques et s’investit dans la lutte contre le désastre écologique qu’il pressent avant beaucoup d’autres : il entre en résistance.

La Rue des pianistes est dédiée à Martha Argerich, pianiste que Véronique Bergen affectionne tout particulièrement.
Avec légèreté et drôlerie Bergen a choisi un chat pour témoin de l’emménagement de la pianiste dans une vielle maison de maître de Bruxelles. Pas n’importe quel chat : un chat mélomane !

Nous quittons ce beau recueil en restant comme ce chat, à quelque distance, de l’immeuble occupé par Argerich tandis que, par une fenêtre restée entrouverte, s’échappent dans l’air du soir, les notes éparses d’un prélude de Chopin.

Le livre sur le site de KER Editions

LECTURE DE RECONFINEMENT : EN AVANT LA MUSIQUE ! / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Depuis quelques années, les livres CD à l’intention des petits ont conquis un bel espace dans les rayons des disquaires et libraires. J’ai donc décidé de réserver cette chronique à l’intention des plus jeunes dont les parents voudraient leur faire découvrir les belles histoires et la musique. Ainsi, j’ai réuni trois albums dans cette chronique : un livre-CD de Jérôme Attal, une belle histoire du rock de Cyril Maguy et un album de chansons de Raphaëlle Garnier.

_____

Duncan et la petite tour Eiffel

Jérôme Attal (chant, récit et paroles)

Théo Aboukrat (chant, musique)

Juliette Bossé (chant, parole sur une chanson)

Sylvie Serprix (illustrations)

La label dans la forêt

Le Label dans la Foret - Duncan et la Petite Tour Eiffel

« Duncan est un petit garçon rêveur. Quand il est ici, il est toujours ailleurs ». Comme tous les petits garçons de son âge, Duncan rentre à l’école pour la première fois, il s’évade par la fenêtre, « Une fenêtre fermée n’a jamais empêché un garçon rêveur de s’envoler ». L’école organise un voyage en bus à Paris pour voir la Tour Eiffel, Jérôme Attal raconte cette incroyable aventure en une histoire illustrée et onze chansons avec la complicité de Théo Aboukrat et Juliette Bossé pour la musique et de Sylvie Serprix pour les chatoyantes illustrations. Un très bel album que j’ai regardé comme si j’avais huit ans en écoutant les aventures de Duncan et les chansons comme si j’en avais six…

Duncan prend le bus avec les enfants chahuteurs et surtout avec Lucie qui lui a réservé une place dans le bus, peut-être ont-ils tous les deux rêvé qu’ils l’avaient promis à l’autre ? On ne saura jamais mais on sait bien que Duncan aime bien Lucie. Le voyage passe très vite à côté de Lucie et il faut déjà grimper sur la Tour Eiffel et redescendre tout aussi vite. Duncan a un peu d’argent mais pas assez pour acheter des bonbons à manger avec Lucie et un petit souvenir pour les parents, il hésite, c’est un rêveur, il n’a pas l’habitude de décider rapidement, pendant qu’il hésite encore le bus part et il ne peut pas le rattraper… Heureusement, il rencontre un écureuil qui connait un rat, un rat râleur, du quartier de Bonne Poubelle, qui pourrait peut-être arrêter le bus en criant très, très, fort. Mais, il y a trop de bruit dans le bus, alors le rat à une idée, il faut appeler l’homme le plus de Paris, il saura certainement comment arrêter le bus…

C’est une histoire charmante où apparaissent des animaux bien sympathiques toujours prêts pour donner un coup de main à Duncan afin qu’il puisse revenir près de ses parents. Les enfants apprécieront l’histoire et les chansons et les parents et grands-parents reconnaîtront peut-être des rythmes qui ressemblent à ceux qui les faisaient danser quand ils étaient plus jeunes. Et, à coup sûr, toute la famille se penchera sur les magnifiques dessins de Sylvie Serprix. C’est un bien joli cadeau à offrir à nos bambins qui quittent leurs parents pour la première fois pour affronter un monde inconnu où ils seront peut-être des chahuteurs ou peut-être des rêveurs, on ne sait pas encore. En attendant, ils ont bien mérité d’écouter des belles histoires, comme celle de Duncan, en rentrant le soir à la maison après une longue journée de séparation.

Extraits à découvrir le site du Label dans la forêt

+

Rock the Cavern

Cyril Maguy

Bertrand Lanche (illustrations)

Le Label dans la forêt

Le Label dans la Foret - Rock the Cavern - Cyril Maguy - Bertrand Lanche

Après avoir raconté l’histoire de Charley Patton l’un des pères du Delta Blues, le blues du delta du Mississipi dans « Les bedaines de Coton », Cyril Maguy, toujours avec son complice Bertrand Lanche pour les illustrations, remonte cette fois aux origines du rock n’roll à travers une émission qu’il confie au célèbre archéologue « Copince ». Celui-ci découvre les premiers indices de la présence de cette musique en Angleterre dans la grotte de Glastonbury, là où, désormais, s’installe chaque année l’un de plus grands festivals de musique du monde. L’archéologue a mis au jour les premières traces de la présence sur terre du groupe Rock the Cavern, le groupe fondateur du rock n’roll.

Cyril Maguy et ses complices ont traduit les recherches de « Copince » en douze textes et onze chansons enregistrés sur un CD et écrits dans un album joliment illustré par Bertrand Lanche. Les chansons sont mises en musique sur des airs de rock n’roll qui évoquent aussi bien le bon vieux rock à Billy de mon adolescence que les « grosses guitares » de la fin du millénaire et même des musiques évoquant celles servant aux rappeurs et aux « slameurs » pour déclamer leurs textes.

Dans ces musiques le plus petits trouveront des airs qui leur feront découvrir des rythmes qu’ils ne connaissent certainement pas encore mais qui les inciteront probablement à balancer les hanches en des danses primitives. Ceux qui ont déjà rangé quelques morceaux de savoir au fond de leur sac à dos, trouveront certainement dans cette histoire des allusions à ce que leurs enseignants essaient de leur apprendre. En effet, tout ce texte n’est qu’un parodie de l’évolution de l’humanité, de l’invention et de l’invasion du rock n’roll sur la planète.

« On passe des nuits dans des grottes, à composer et à chanter

On fait même des graffitis, sur les parois quand on s’ennuie

Le rock n’grotte est né, ça y est, la mode est lancée

… »

Et les parents, papis et mamies, envahis par un courant de nostalgie, lèveront l’oreille en se souvenant de ces bons vieux rocks endiablés qui les faisaient danser quand ils avaient encore toute leur énergie. Je n’ai pas échappé au coup de blues quand j’ai entendu qu’une chanson évoquait Lucy, j’ai cru entendre Little Richard chanter « Lucille », un vieux rock surgi du fond de ma mémoire. Clin d’œil de l’auteur, peut-être, ce livre-disque en comporte dans chaque texte et dans chaque chanson. Ces clins d’œil sont aussi l’occasion pour les adultes de transmettre dans cette école de la musique, quelques connaissances à leurs héritiers. Et ils pourront chanter comme l’un des interprètes : « Qui a eu cette idée cool d’inventer la préhischool ? ».

Le rock est donc né dans cette grotte en Angleterre et, en s’enrichissant, il aurait migré en Amérique. « Une fois célèbres, ils ont troqué beaucoup de choses grâce au succès, notamment une grotte à Miami et une autre en Californie ». Ainsi, le rock a accompli son premier grand pas pour la conquête de la planète :

« Silex, grotte and rock n’roll

On sera des milliards sur terre

On sera les rois de l’univers ».

À découvrir sur le site du Label dans la forêt

+

Masques & tuba

Raphaëlle Garnier

Jean-Marc Le Coq

Label Production Nid de coucou

Masques & tuba (livre cd): Amazon.fr: Nid de coucou: Livres

A eux deux ils constituent le groupe Nid de coucou éponyme du label qui a créé la tétralogie des saisons dont ce livre CD évoquant l’été est le troisième volet mais le dernier à avoir été enregistré et publié. Eux, ce sont Raphaëlle Garnier « auteure-compositrice-interprète, chanteuse et trompettiste / illustratrice » pour les dessins, et Jean-Marc Le Coq « compositeur, interprète / accordéon chromatique ». Un duo très éclectique qui a reçu le concours de Stéphanie Duvivier et Claudius Dupont pour la musique et le chant et de quelques invités pour la musique et les voix d’enfants notamment. Je n’oublierai pas la participation du photographe Serge Picard pour la réalisation de l’album, ces photos sont de véritables créations artistiques, elles montrent des personnages au visage très sérieux, comme des parents ou des enseignants, installés dans un décor un peu décalé évoquant la mer : tenue de plage ou de bain, suroît ou marinière… Avant de mettre le CD sur la platine, on se délecte déjà des illustrations de Serge et de Raphaëlle.

Masques & tuba, c’est donc le troisième volet, l’été, de la tétralogie des saisons présentée sur scène par Nid de coucou, il se compose de quatorze chansons écrites et interprétées par les deux membres du groupe avec les participations évoquées ci-dessus. Des chansons parfois enjouées et même endiablées, parfois douces et tendres, évoquent le monde des enfants, un monde souvent idéalisé par la douceur de la vie estivale.

« Tous les jours dans ma cabane

On danse on est heureux

Les yeux au fond des yeux »

Même si parfois certains un peu grognons préfèrent les frimas hivernaux :

« Adieu feu de cheminée !

Adieu couverture chauffée !

On va tous mourir d’ennui à ne rien faire de l’après-midi… »

Mais la plupart préfère l’été et toutes les attractions qu’elle offre et que les auteurs ont mises en chansons : balade à vélo, l’eau qui rafraichit, les ciels étoilés, les masques et les tubas pour les explorations sous-marines, les histoires d’amour au soleil, les facéties des adultes libérés de leurs contraintes. La joie pour tous sauf les grognons et les animaux qui mènent souvent une vie de chien. Ces chansons composent l’histoire de belles vacances au soleil agrémentées par la musique dansante de l’accordéon, celle douce et grave de la contrebasse, celle des cuivres qui brille comme le soleil estival et de quelques autres instruments encore. Un moment de joie, de gaieté, de bonne humeur, … pour les petits et les déjà un peu plus grands. Un récit de vacances qu’ils pourront voir en vrai sur scène, car ces quatorze chansons sont aussi mises en scènes et interprétées par la troupe du Nid de coucou.

Et, pour conclure, avec le gros chien on pourrait chanter :

« …

J’adore allumer les étoiles

J’aime quand la liberté

M’irise un peu comme un été

… »

À découvrir sur le site de Nid de Coucou

LECTURE POUR RECONFINEMENT : MELANGE D’AUTOMNE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Dans cette chronique j’ai rassemblé diverses lectures qui stationnaient sur mon bureau sans trouver un texte avec lequel s’accoupler, alors je les ai laissées ensemble réunies dans un mélange comme on dit à l’université quand on veut éditer des textes de natures différentes. Vous trouverez donc dans ces mélanges : un roman policier de Carine-Laure DESGUIN, , un monographie sur les grands joailliers de Bertrand MEYER-STABLEY & Laurence CATINOT-CROST et même une réédition d’un texte biblique : L’Ecclésiaste.

+

La lune éclaboussée, meurtres à Maubeuge

Carine-Laure Desguin

Le Lys bleu

La lune éclaboussée, meurtres à Maubeuge (C.-L. Desguin, Ed. Lys Bleu),  avis de lecture de Sylvie Mordang (YOUFM) - Carine-Laure Desguin, ses  romans, nouvelles et poésies

« Les derniers livres de la bibliothèque personnelle de Michel Garnier attendent un acquéreur. Invitation à tous. Olivier Garnier ». Jenny, une fan de cet auteur à succès de romans policiers, vedette de Maubeuge, principale célébrité vivante jusqu’à que son corps soit trouvé sans vie dans sa cuisine. Jenny, jeune africaine professeur de physique chimie, veut acheter ces livres, elle veut sentir dans ses mains les ouvrages touchés par l’auteur qu’elle admire et qu’elle aime. Comme elle n’est pas arrivée assez tôt, elle n’a pu acheter que trois cartons de livres, elle trouve à sa grande surprise dans l’un des livres qu’elle a sorti, un ticket de caisse sur lequel est écrit : « Ma vie est en danger. On veut ma mort. Tout mon sang est d’encre ».

Jenny est convaincue que Michel Garnier n’est pas décédé de mort naturelle mais qu’il a été assassiné et elle veut savoir par qui et comment ? Pour cela, elle appelle ses deux protecteurs, Tonton et Tontaine, les deux amis de son père qui veillent sur elle, avec vigilance et bienveillance, depuis que ses deux parents sont décédés dans un accident de la circulation routière. Ils croient qu’elle se fait un film, que son amour secret pour l’écrivain l’aveugle mais ils finissent par accepter de mener l’enquête. Ils la croient d’autant plus que de nouveaux meurtres endeuillent la ville et mettent la police sur les dents, notamment la chère cousine de Jenny qui l’a violée alors qu’elle n’était encore qu’une enfant.

La situation ce tend de plus en plus et Jenny est impliquée dans l’affaire, les mails qu’elle a échangés avec l’écrivain intriguent la police et pas que la police. Le fameux ticket de caisse est aussi un indice très recherché par d’autres personnes impliquées de près dans l’affaire. Carine-Laure noue une intrigue bien ficelée où les héros ne sont pas tous stéréotypés, la policière n’est pas claire, les petits jeunes ne sont peut-être pas des voyous, les drogués ne le sont pas forcément, certains personnages sont fort mystérieux. Jenny elle-même n’est pas une oie blanche ni même, considérant ses origines, une oie noire. Elle se laisse porter par les événements pour, au bon moment, porter l’estocade en laissant les autres avec leurs convictions.

En bonne Carolorégienne, l’auteure connait bien Maubeuge, « là où la plupart des gens ne voient qu’une ville du Nord pleine de grisaille et de poussières, désertées de ses sidérurgies et autres industries ». Comme Simenon a planté de nombreuses intrigues dans des petites villes de province : Concarneau, La Rochelle, …, Carine-Laure, elle aussi, a choisi de d’installer son intrigue dans une petite ville un peu endormie où tout le monde se connaît et s’observe.

Un bon polar qui pourrait éventuellement appeler une suite, la matière est suffisante et le dénouement laisse quelques portes entrouvertes pour y glisser des événements ou des indices qui pourraient éventuellement faire rebondir l’enquête et provoquer la naissance d’un nouveau polar. Alors, Carine-Laure, vite un petit paquet de « bêtises à la pomme verte » et en route pour la suite des aventures de jenny.

Le livre sur le site de l’éditeur

Le blog de Carine-Laure DESGUIN

+

Joailliers de légende

Catinot-Crost Laurence

Meyer-Stabley Bertrand

Bartillat

J

Après avoir lu ce livre, j’avais l’impression d’avoir traversé des rivières de diamants, d’avoir escaladé des montagnes de pierres toutes plus précieuses les unes que les autres, d’avoir traversé des océans de joyaux chargé comme un galion espagnol rentrant au port de Séville après une campagne en terres amérindiennes, … , tant les joyaux de tous genres inondent ses pages. En une quinzaine de chapitres, comme autant de monographies des plus grandes maisons de joaillerie de l’histoire du monde, les deux auteurs racontent comment ces joyaux à la valeur souvent devenue inestimable ont traversé l’histoire sautant de tête en tête, de cou en cou, de poignet en poignet, etc…, et même parfois de tête en cou ou de cou en poignet, toutes les formules sont possibles tant l’imagination et le talent des joailliers sont immenses. Et, comme le célèbre film nous a appris que les diamants sont éternels on peut penser aussi que c’est le cas de tous les joyaux.

Suivre leur traces des têtes couronnées au cou des épouses et héritières des maîtres du commerce mondial et des grands capitaines d’industrie avant de les retrouver dans les parures des plus grandes stars du cinéma et des arts et peut-être, mais nos auteurs n’ont pas poussé leur étude jusque là, dans les cassettes des nouveaux milliardaires de notre époque ayant fait fortune dans le pétrole, la communication ou diverses industries de pointe. Ils résident souvent au Moyen-Orient, en Chine ou sous d’autres cieux asiatiques. Suivre cette trace, c’est emprunter le chemin qui mène vers ceux qui détiennent la puissance et la gloire, la fortune et le pouvoir. Ainsi en lisant ces textes, on peut voir comment le pouvoir passe d’une caste à une autre, comment les aristocrates ont dû partager – et même parfois céder – leur fortune avec les maîtres du commerce et de l’industrie avant que ceux-ci doivent, à leur tour, laisser une part du butin aux nouvelles corporations enrichies dans les arts, la communication et les nouvelles technologies.

Ce livre c’est aussi un hommage vibrant à tous les acteurs de la filière du luxe, ces artisans, plus souvent artistes qu’artisans, capables de concrétiser les rêves le plus fous de créateurs de génie. Il a fallu aussi pour que cette filière inonde la planète de ses merveilles que des femmes et des hommes prennent le risque d’oser, d’investir souvent des sommes folles, pour gagner la confiance de ceux qui sont dépositaires des fortunes de ce monde. Car les joyaux ne sont souvent que de passage dans les coffres des plus nantis, ils voyagent beaucoup et tout le monde peut espérer, un jour, gagner suffisamment d’argent pour pouvoir s’approprier pour un bout de vie, même très court, une parcelle, même infime, de cet immense trésor.

Cette lecture m’a aussi laissé penser que le grand luxe se concentrait de plus en plus dans les mains quelques opérateurs, quelques géants qui se partagent la majorité des marques les plus prestigieuses, et que pour une fois, les Français ne semblaient pas être à la traîne dans le paysage mondial de ce grand luxe dont le centre semble toujours être la célèbre Place Vendôme au cœur de Paris.

Le livre sur le site de l’éditeur

+

L’Ecclésiaste

Louise Bottu éditions

L'Ecclésiaste

« Vanité, vanité, tout n’est que vanité. » Cette maxime des millions de fois répétée, mille fois écrite, inusable, inoxydable, introduit L’Ecclésiaste, ce court texte inséré dans la Bible hébraïque dans le Ketouvim, parmi les « Cinq rouleaux », entre les Lamentations et le Livre d’Esther. La Bible est composée de textes différents rassemblés dans un même livre dont il existe plusieurs versions. A la lecture de « L’Ecclésiaste » on pourrait penser que ce texte aurait été écrit par le roi Salomon lui-même, « Moi, l’Ecclésiaste, qui fut roi d’Israël dans Jérusalem, …, je résolus de rechercher et d’examiner tout ce qui se passe sous le soleil… », mais le contenu et la forme du texte ont orienté les exégètes vers d’autres hypothèses dont aucune, à ce jour, n’a pu être validée. L’Ecclésiaste reste donc un texte pseudépigraphe attribué à un auteur dont le nom ne correspond vraisemblablement pas à son l’identité réelle.

Ce texte selon les datations aurait été écrit entre le III° et le I° siècle avant notre ère. L’édition proposée par Louise Bottu éditions correspond à la traduction de Lemaistre de Sacy revue et corrigée par le préfacier : Frédéric Schiffter. Dans cette préface, il fait une lecture de L’Ecclésiaste en parallèle avec certains textes de Spinoza que je n’ai pas lus, je ne peux donc apporter aucune remarque à cette préface. Je pourrais seulement souligner que le préfacier a, chez ce même éditeur, publié « Le voluptueux inquiet », une réponse à « La lettre sur le bonheur » d’Epicure. On remarque donc qu’Epicure, le pseudo Ménécée et l’auteur de l’Ecclésiaste partagent une certaine vision de la vie sur terre.

L’Ecclésiaste estime que dans la vie tout est vanité, vanité au sens puérilité, futilité, vaineté, … « … J’ai trouvé que tout était vanité, à commencer par les actions des hommes qui ne sont que brassage d’air ». Tout au long de son texte, il répète que tout est vanité, l’argent, le pouvoir, les richesses matérielles, …, ne sont que vanité. Le riche comme le pauvre décédera un jour. Même les efforts sont inutiles car les fruits qu’ils porteront ne seront qu’éphémères. Le laborieux, le besogneux, ne seront pas récompensés de leurs efforts et n’auront pas meilleures fins que le fainéant et le profiteur. « On enterre le sage comme le fou ».

Selon L’Ecclésiaste, la vie ne serait qu’acceptation, résilience, mesure, sagesse. Il conviendrait, d’accepter le temps et ce qu’il contient comme ils viennent. Il récuse les philosophes et les scientifiques qui ne peuvent en rien améliorer la vie sur terre. « … j’ai constaté que même la philosophie n’épargnait pas l’accablement et, même, que la science accroissait la peine ». « Ne vaut-il pas mieux pour tout un chacun se contenter de manger, de boire, et de se satisfaire, mais seul, du fruit de ses travaux ? ».

La fatalité a accablé l’homme quand il est apparu sur terre, « Le seul péché dont les humains se rendent coupables génération après génération est celui de naître et leur châtiment celui de vivre ensemble ». L’homme ne changera jamais son destin car tout a déjà été et tout sera à nouveau, le changement n’existe pas. « Pourtant ce qui s’est produit autrefois se produira à l’avenir, ce qui fut sera de nouveau ».

Ce qui m’étonne le plus dans ce court texte, ce sont la misanthropie et la misogynie affichées par l’auteur, même si on peut penser qu’autre temps autres mœurs, « … entre mille hommes on en peut trouver un estimable ; mais, parmi toutes les femmes, pas une seule ». Et pourtant la femme est bien nécessaire à l’homme pour qu’il vive en harmonie avec les préceptes énoncés par l’auteur : « Voilà pourquoi il nous faut jouir de la vie passagère avec la femme que nous aimons, pendant tous les jours de notre vie passagère ».

J’ai trouvé dans ce texte des principes qui pourraient avoir été empruntés aux Epicuriens et mélangés avec d’autres puisés chez les Stoïciens, impression personnelle, peut-être, mais ce qui est sûr c’est que ce texte semble bien peu religieux, il est surtout moral, conseillant de profiter de la vie en toute modération. « Profitons du bonheur quand il se présente et préparons-nous au malheur… » car « Le seul bonheur que Dieu donne aux hommes sous le soleil, et dont ils doivent se contenter de la naissance à la mort, consiste à manger, boire, se réjouir, se reposer ». Certains trouveront que c’est peu mais c’est déjà beaucoup quand on considère toutes les calamités qui ont affligé, affligent encore, et affligeront certainement toujours, l’humanité.

« La tragédie des hommes est que le monde n’est pas fait pur eux et qu’il n’y en a pas d’autre… »

Le livre sur le site de l’éditeur

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 55. RACCOMODEUR D’ERGOTS

ergot

Chaque jour qui passe, l’ergot du coq a bien des occasions d’être égratigné, brisé, mis en pièces. À la faveur de la réflexion d’un quelconque gallinacé, de l’invective d’une poule frondeuse, de la remarque d’un porc dans la bouse, d’un poney donneur de coups de sabots, d’une vache impertinente. 

L’ergot ébranlé conduit le coq à des conduites de repli, de dénigrement de soi et de rancune. Le coq sans crête ni ergots est un roi sans couronne ni épines.

C’est pourquoi le raccomodeur d’ergot est d’une telle utilité publique pour la basse-cour.
Il sait trouver les mots qui dénigreront le faiseur de reproches, le lanceur de fléchettes, le dresseur de liste de torts, le noteur de notes le lectures et recontextualiseront la diatribe en rendant la confiance perdue à l’oiseau meurtri dans son orgueil.

Afin de ne pas nous égarer, penchons-nous sur un cas particulier : l’ego, pardon, l’ergot du coqauteur.

Régulièrement le coqauteur a son ergot, même si monstrueux au départ – et qui plus est à mesure qu’il publie -, fracturé, endommagé, un brin étrillé à la suite, il se peut, de l’épithète déplacée d’un critique pas à l’aune de ce qu’on attend d’un critqud’oeuf, de l’emportement démesuré d’un collègue pour l’œuvre d’un tiers, de la mise en valeur d’une élite régionale de dindons ou de la star faisandée de la ferme locale, de l’érection d’un poussin littéraire sorti tout droit de sa coquille, de l’indifférence d’un coqéditeur épris ailleurs, d’une grosse ponte ponctuelle d’une poule des lettres, de la diminution du nombre de likes & partages d’une photo de profil mal retouchée sur Coqstagram.

Le raccomodeur d’ergot aura fort à faire dans ce cas précis d’autant qu’il touche à un secteur essentiel du monde culturel régulièrement foulé au pied et battu en brèche, périodiquement confiné et voué aux dégoûts du libéralisme incontrôlé.

On le devine, même s’il y a d’excellents raccomodeurs d’ergot généralistes, il existe des spécialistes par occupation ou hobby de confinement : littérature en circuit court, culture de bonsaï à paroles, danse d’appartement, art vocal de balcon protégé par une rambarde à sons, récitation de textes à la demande, théâtre au miroir, air banjo et attrapage de mouches à la ficelle.

Applaudissons bruyamment et nuitamment le raccomodeur d’ergot tel un angle gardien aux côtés obliques, un tuteur de parasol à la dérive, un parrain à la main légère, un frère d’âme dans le désordre spirituel, un Narcisse de remplacement dans le placard aux doubles de substitution !

À défaut d’ergot pointu, une crête avenante et un beau plumage valent amplement un désolant ramage. 

RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020 : LES RADIÈRE EN FAMILLE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

VIENT DE PARAÎTRE : L'actualité du livre par DENIS BILLAMBOZ) – LES BELLES  PHRASES
Denis BILLAMBOZ

La famille c’est un thème cher à Thierry RADIÈRE dont j’ai déjà lu un certain nombre d’ouvrages qui évoquent souvent ce thème notamment à travers les enfants mais aussi les aïeux et bien évidemment celle qui partage sa vie. Dans cette chronique, j’ai rassemblé deux ouvrages : un recueil de textes courts dans lequel il écrit en parallèle avec son épouse des textes inspirés par des mots qu’ils ont choisis parce qu’ils ont marqué un moment important de leur vie ; un livre pour la jeunesse qui raconte une autre histoire familiale, l’admiration d’un petit frère pour son grand frère en opposition à son père. Deux beaux textes qui évoquent la vie familiale sous différents aspects.

+ + +

Mon grand frère

Thierry Radière

Magnard jeunesse

Mon grand frère

La famille, le couple, l’enfance, l’adolescence, tout ce qui conditionne la construction de l’adulte qui devra, à son tour initier un nouveau cycle pour perpétrer le lignage, est au centre de l’œuvre de Thierry Radière que je commence à bien connaître. Dans le présent ouvrage qu’il dédie plus particulièrement aux adolescents, il construit une famille qui pourrait couler des jours heureux si chacun faisait un petit effort, qui en travaillant un peu plus à l’école, qui en étant un peu plus tolérant, qui en étant un peu plus ferme…

Cette famille comporte un couple constitué d’un père autoritaire et intransigeant et d’une mère une peu trop faible et résignée, ils ont deux enfants, deux garçons, l’aîné qui sera bientôt majeur et le second qui n’a pas encore douze ans. Le petit frère adore son grand frère qui lui enseigne tout ce qu’un jeune doit savoir avant d’entrer dans la vie adulte. Il lui fait notamment découvrir des nouveaux groupes qui ne sont pas encore à la mode car il est lui aussi membre d’un groupe local qui croit autant en sa musique qu’en son avenir. La famille pourrait baigner dans le bonheur si le grand frère travaillait un peu plus à l’école et ne manquait pas systématiquement certains cours. Le père ne supporte pas un tel laisser aller et un si flagrant manque d’assiduité et de persévérance dans les études. Chaque vendredi soir quand le grand frère rentre à la maison pour le week-end, la comédie recommence avec sa cohorte d’engueulades et son enchaînement inévitable : reproches du père, arrogance du grand frère, colère du père, désolation de la mère et tristesse du petit frère qui raconte l’histoire et qui voudrait bien trouver une solution pour que tout le monde vive en harmonie.

2018 – LECTURES DE VACANCES : RADIÈRE EN TROIS FAÇONS, une chronique de  Denis Billamboz – LES BELLES PHRASES
Thierry Radière

C’est le schéma classique de la lutte des générations, le père n’aime pas la musique du fils, il ne supporte pas son comportement et son arrogance mais derrière toutes ces altercations, il y a une grande angoisse, l’angoisse que partage de nombreux parents : la peur de voir leur rejeton exclu du monde du travail, sombrer dans la marge du chômage, de la dèche où l’alcool et la drogue sont les seuls stimulants. Comme le livre s’dresse aux jeunes, il comporte une issue pour qu’ils croient encore en leur destin et soient convaincus qu’ils ont un venir à condition de s’en donner les moyens. Au passage, il conseille aux parents d’écouter leurs enfants et de leur laisser la liberté de se construire avec leurs envies, leurs moyens et même leur talent.

Thierry connait bien le problème, il a déjà vu défiler un certain nombre d’adolescents plus ou moins talentueux, plus ou moins travailleurs mais aussi, parfois, mal dans leur peau, mal dans leur famille, …, alors lisons ce texte avec attention.

Le livre sur le site de l’éditeur

Le blog de Thierry Radière

+ + +

Garage, néon, hélicoptère et autres mots d’amour

Balval Ekel

Thierry Radière

Jacques Flament alternative éditoriale

Nouveautés Éditeurs - GARAGE, NEON, HELICOPTERE - Jacques Flament Editions  - BALVAL EKEL RADIERE THIERRY

Après avoir commenté dix-sept livres de Thierry et quatre de Balval, son épouse à la ville, j’ai été ravi de lire et commenter ce nouvel opus où, pour la première fois, ils ont réuni leur plume respective pour répondre à une invitation de leur éditeur qui leur a proposé de choisir quarante mots d’amour et d’écrire chacun pour chaque mot retenu un texte selon leur inspiration. Ils ont relevé le défi, ils ont choisi des mots qu’on ne trouve pas habituellement dans le langage de l’amour : arbres, bars, cuisine, dattes, étranger, garage, hélicoptère, …, des mots qui les rattachent peut-être à leur histoire personnelle. L’éditeur, Jacques Flament, a ainsi présenté chacun de leur quarante textes respectifs en vis-à-vis, les textes de Madame sur la page de gauche, les textes de Monsieur sur la page de droite.

A force de lire leurs textes, je commence par bien connaître la famille Radière car dans chacun de leurs écrits je trouve toujours une tranchette de vie, une anecdote, une allusion, une indiscrétion, une révélation, …, qui évoquent leur vie familiale. Dans cet exercice, j’ai retrouvé beaucoup de choses que je savais mais je me suis surtout attaché à voir comment, eux, ils regardaient, chacun de leur côté, leur histoire, leur rencontre, leur vie en famille, leur façon de concevoir l’existence, …, et le moins que l’on puisse dire c’est que ces deux auteurs semblent très unis dans le couple qu’ils forment, faits pour vivre ensemble en se complétant quand ils ne sont pas absolument d’accord ce qui est presque toujours le cas.

LE FEU SACRÉ ÉDITIONS — BOOKHOUSE BOY #54 | VALÉRY MOLET, écrivain
Balval Ekel

Et pourtant, j’ai trouvé une certaine différence entre eux, celle qui peut exister entre un paysan sédentaire et un nomade de passage, ils sont peut-être d’accord, ils pensent peut-être de la même façon mais leur raisonnement n’emprunte pas le même chemin. Balval appartient au monde ouranien issu du peuple des pasteurs qui suivent leur troupeau en adorant les dieux du ciel, comme Ouranos, qui les guident vers les meilleurs pâturages. Thierry lui appartient plutôt au descendant du monde chthonien, le peuple de ceux qui labourent la terre en adorant les dieux de la fécondité. Ainsi le propos de Thierry est plus centré sur sa famille, ses origines terriennes, les lieux où il a vécu avec ses parents puis avec la famille qu’il a constituée avec son épouse et sa descendance. Alors que Balval laisse plus voguer son esprit vers des lieux lointains, des éléments immatériels : les rêves, les sentiments, les émotions et ses origines qu’elle ne connaît pas très bien. Mais in fine, ils profèrent les mêmes valeurs et, ensemble, ils pourront espérer de belles récoltes et conduire leur petit peuple sous les cieux les plus cléments. Le pragmatisme de Thierry apportera les solutions nécessaires à la réalisation des rêves et désirs de Balval.

C’est un bel exercice littéraire que leur a proposé leur éditeur, il dévoile bien des facettes du couple qui se livre à ce jeu d’écriture en acceptant de se dévoiler un peu.

Garage, néon, hélicoptère - sans botox ni silicone

Le livre sur le site de l’éditeur

Thierry Radière chez Jacques Flament

Balval Ekel chez Jacques Flament