
Les Lectures d’Edi-Phil
Numéro 38 (décembre 2020)
Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones
sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…
A l’affiche :
deux contes (Geneviève Génicot, Luigi Capuana), un recueil de nouvelles (Marianne Sluszny), un micro-roman illustré (Jacques De Decker/Maja Polackova), un thriller fantastique (Noëlle Michel), deux romans (Laurent Demoulin, Michel Corentin), une biographie (Jacques De Decker), un recueil de poésies (Luc Dellisse) ; les maisons d’édition Maelström, Ker, Lilys, Le Livre en papier, Le Cormier, Gallimard.
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Nous avons déjà écrit tout le bien que nous pensions des booklegs de Morgane Vanschepdael (dans Le Carnet) et de Céline De Bo (dans Les Belles Phrases). Eh bien, près d’un an après la sortie de la dernière salve de huit Bruxelles se conte, nous y revenons avec cet ouvrage.
Le directeur général des transports de la SNCB (la compagnie des chemins de fer belges) reçoit une lettre manuscrite expédiée depuis l’Argentine. Stupeur ! Celui qui l’a rédigée est un accompagnateur de train mystérieusement disparu depuis un an.
La suite ? Le récit de Thomas Kenisman, dont la lettre, fort longue, nous mène jusqu’à l’avant-dernière page du texte, narre tout ce qui lui est arrivé. Un parfum policier ou fantastique ? Un écho de toute une littérature (notamment des contes du XIXe siècle), avec récit-cadre donnant une allure de témoignage, d’authenticité à des faits dont on devine très vite qu’ils vont dépasser l’entendement ?
Oui et non. Amarré à des repères classiques ou romantiques, le récit décolle (littéralement) très vite dans une dimension passionnante de maîtrise, de souffle. Un souffle qu’on perd, à ne plus pouvoir le reprendre. C’est que le texte s’affiche en descente de toboggan. Pas de chapitre, pas de sous-chapitre, quasiment pas de retrait, pas de dialogue. Une narration pure, distillée par Kenisman, qui fonce, fonce, fonce. A travers Bruxelles. A partir d’un jour de canicule où tout semble dérailler, sauf les trains qui s’envolent dans les airs, plongent sous la surface. Mais comment décrire ce qui nous emporte ? Le narrateur et les lecteurs se retrouvent au sommet d’une vague lors d’un tsunami. Un tsunami littéraire aux allures de peinture surréaliste en mouvement, de kaléidoscope, de maelström. Kenisman vit mille aventures mais nous raconte Bruxelles aussi, au gré de ses cavalcades. Le Bruxelles d’hier et celui d’aujourd’hui, ses beautés et ses charmes, ses atouts, ses dérives et ses perversions aussi. Et la Senne, ce cœur d’eau de la ville, de surgir des profondeurs pour témoigner, se venger :
« Adieu, hommes rectilignes qui avez enfermé mes méandres ! Hommes honteux qui m’avez étouffée sous terre pour mieux cacher vos déjections dans mon lit, hommes sales oublieux des purifications, hommes cupides qui avez bâti des maisons de riches en chassant le peuple simple qui vivait sur mes berges et n’avait pas encore le droit de vous élire (…). »
Et Bruxelles de devoir rendre des comptes, assignée en justice.
A lire ! Absolument ! C’est très bien écrit et raconté, dense, lyrique, onirique, romanesque, avec des effluves sociologiques ou philosophiques :
« A mon avis, chacun de nous se fait simplement une illusion du monde, et c’est comme ça qu’on n’arrête pas de causer de ce qu’on pense et de ce qu’on voit, chacun dans son monde, chacun avec son illusion qu’il veut expliquer aux autres (…). »
On frôle la perfection. Une force centripète eût apporté la touche finale à cette réussite magistrale. Un enjeu narratif. Or celui-ci s’insinue en filigrane, avec les amours de Kenisman et d’une jeune touriste japonaise, Yu.
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Marianne SLUSZNY, Belgiques (sous-titré Chemins de femmes), Ker, Hévilers, 121 pages.

Chaque année, les éditions Ker de Xavier Vanvaerenbergh livrent une salve de trois recueils de nouvelles, tous intitulés Belgiques. Cette collection, dirigée jusqu’ici par Marc Bailly mais qui sera reprise par Vincent Engel en 2021, décline une vision de notre pays à travers le regard d’un auteur ou d’une autrice. Un concept qui offre un air de gémellité avec celui de Maelström évoqué supra. A souligner : le très bon travail graphique d’Eva Myzeqari (responsable des trois couvertures).
La salve 2020 réunit trois auteurs qui me sont chers : Michel Torrekens (dont je possède et ai lu tous les livres), Véronique Bergen (à laquelle j’ai consacré deux feuilletons) et Marianne Sluszny (dont j’ai beaucoup aimé un récit de vie et de deuil).
L’autrice du Banc épate ! Par la forme et le fond. Par le plaisir pur de la narration. 9 nouvelles nous content des tranches de vie de 9 femmes. Elles appartiennent à des milieux fort divers, socialement ou linguistiquement (elles sont flamandes, bruxelloises, wallonnes ou des cantons germanophones), toutes sont confrontées viscéralement aux affres de la Première Guerre mondiale, elles doivent y survivre, avant et après :
« Il est des équilibres subliminaux qui s’établissent en nous. Alors que la conscience patauge dans l’affliction, notre esprit puise dans ses abysses l’énergie d’assembler les morceaux éclatés de son destin. »
L’autrice du Banc épate ! Par la combinaison percutante de qualités contrastées, d’équilibres rassérénants.
L’écriture est belle, ciselée mais discrète, sans ostentation. Avec un faux paradoxe : je prends sans cesse plaisir au mot, à la phrase mais ne coche que peu de passages. Comme si l’harmonie du tout ne laissait filtrer qu’un minimum de saillies :
« Ma nuit de noces ? Des draps de soie pour emballer l’ennui. »
La sensibilité est omniprésente, le lecteur vit auprès de ces femmes et de leurs intimités, de leurs désirs et de leurs frustrations, dans un après-guerre étonnamment morose, incertain, loin des clichés triomphalistes :
« Oui, nous y étions, chacune à notre façon. Sur le chemin si escarpé des femmes. »
Les hommes y apparaissent le plus souvent volages ou ennuyeux, les parents peu fiables sinon cruels.
Il y a, tout autant, l’émergence de considérations intellectuelles. L’information nous restitue une époque, ses personnages et ses décors, ses balises : l’Hôtel de l’Océan, les massacres de civils belges par les troupes allemandes, les actes posés par le roi Albert, le travail volontaire, les mutilations (physiques et mentales), le mauvais accueil des réfugiés (un million de Belges en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en France) à leur retour au pays, les ravages de la grippe espagnole, le rôle du Comité National de Santé et d’Alimentation, etc. Plus profondément, la réflexion se faufile tout azimut. La psycho-généalogie, et ces traumatismes qui se transmettent à notre insu de génération en génération. La question du droit de vote des femmes, à un moment où une majorité d’entre elles sont sous la coupe des curés, ce qui pousse des démocrates à retarder ce qui serait intrinsèquement une avancée démocratique. La survie à quel prix sinon à tout prix ? La situation des populations vivant dans des régions limitrophes, à cheval sur deux identités (cantons de l’Est), etc.
Mon recueil préféré, parmi mes lectures de l’année 2020, derrière le Modèles réduits du regretté Jacques De Decker ?
Jacques ! Marianne Sluszny lui distille une dédicace, en bas d’une de ses nouvelles. Cet éternel médiateur, cet homme-orchestre et passerelle, l’a mise sur la piste du sujet dudit texte, « l’amour de la guerre » (et l’impossibilité de la réadaptation à une vie normale), assurément « un tabou qui mériterait tout un roman ».
Jacques De Decker. J’en reparle ci-dessous.
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Dans Le Carnet, j’évoque avec enthousiasme un micro-roman de… Jacques DE DECKER, Suzanne à la pomme, réédité avec des illustrations de la plasticienne Maja Polackova :

Jacques De Decker. Encore et encore !
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Jacques DE DECKER, Wagner, biographie, Gallimard/Folio, Paris, 2010, 263 pages.
Après mes deux dossiers (dont un en duo avec Julien-Paul Remy), mes neuf articles, notre émission radiophonique (avec Daniel Simon), quoiqu’ayant dit l’essentiel, je reviens vers le grand homme, brièvement, en découvrant cette biographie. La deuxième de JDD, après son Ibsen, qui m’avait beaucoup plu naguère.
Le livre est bien écrit, il se lit aisément et agréablement, j’y ai appris beaucoup de choses sur le musicien qui a bercé toute ma jeunesse (ma mère était wagnéromane), comme la raison de la rupture avec Nietzche. Pourtant, je reste sur ma faim. Côté fond, le livre ne me surprend pas, les enjeux évoqués me semblent à distance, comme les intimités (Wagner et ses femmes, ses maîtresses ; Wagner et ses amis ; Wagner et ses musiciens) – à l’exception de la relation avec Louis II – ou la musique elle-même. Côté écriture, JDD surprend à nouveau, adoptant une ligne classique à mille coudées de ses romans, de ses pièces ou de ses articles critiques, mais je regrette cette normalisation, singulière dans le chef d’un auteur qui s’évertuait à créer des prototypes.
Après avoir versé dans l’hagiographie, quasi, à propos du roman Le ventre de la baleine ou d’un parcours romanesque décapant, m’être extasié devant la pièce Tranches de dimanche, le recueil de nouvelles Modèles réduits ou le Bruxelles, guide intime, une biographie me ramène donc les pieds sur terre. Alors qu’elle concerne Wagner, celui qui nous emmène, auditeurs, au plus haut de l’azur, vers l’éther. Mais c’est peut-être là qu’est l’os : dans une attente trop forte ou dans le choix de l’auteur de s’effacer derrière son sujet.
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Laurent DEMOULIN, Robinson, roman, Gallimard/Folio, Paris, 2016, 256 pages.
Ce roman, qui n’en est pas un mais plutôt un récit de vie, de tranches de vie, a décroché le Prix Rossel 2017, soit le prix le plus prestigieux décerné en FWB (Fédération Wallonie-Bruxelles). Mérité ? Loin de mes prédilections naturelles, il affiche des qualités évidentes, de forme et de fond.
Le livre détaille les rapports entre un père et son enfant autiste, Robinson. Il nous plonge dans une réalité dure mais complexe, la gestion d’une différence au quotidien, quand mille et un moments de vie (aller à la toilette, faire des courses, prendre un bain, se balader) se transforment en épreuves, en mises en danger. Quand un père, qui s’offre quasi tout entier à la paternité, ne peut mesurer le retour de l’interaction, doit en guetter la trace, l’indice.
Le ton oscille entre hyper-réalisme et humour, violence et délicatesse des sentiments, un style illumine le texte, conjuguant, ce qui est rare, littérature et témoignage :
« Mes grands-parents dans les frondaisons, dans les limbes, invisibles ; mes parents comme de la rosée qui flotte un peu partout dans chaque feuille, en haut, en bas, au cœur de l’absence, au gré du souvenir (…). »
Ce qui m’a le plus ému ? Paradoxalement, une réalité marginale… à première vue. Qui recoupe, somme toute, à une autre échelle, la nécessité de l’émergence de Justes face aux collaborateurs et aux lâches, aux tortionnaires. Laurent Demoulin met très subtilement, très généreusement en lumière la pure humanité. Qui peut jaillir du comportement d’une caissière de grande surface. C’est l’acmé du livre, selon moi, l’efflorescence de la Vie véritable, qui est empathie, inventivité, compassion, réaction, résistance. Il me semble que la poésie, alors, se déploie en actes, en êtres humains.
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Je reviens encore à la cuvée 2019 de Bruxelles se conte !
A contrario des récits contemporains des 7 autres auteurs de la salve, cet opus est une réédition/traduction d’un conte paru en italien il y a plus d’un siècle. Et on se demandera ce qui a poussé Luigi Capuana (1839-1915), un écrivain/professeur/critique littéraire italien à situer l’aventure de son texte dans notre capitale. Mais tant mieux !
Comme pour Canicule, à peine a-t-on entamé la nouvelle, on songe à nos spécialistes français du XIXe (Mérimée, Villiers, Gautier, etc.), au duo Poe/Baudelaire. La traductrice Alexandra Charpentier a réalisé un très beau travail et parfaitement restitué un climat à la fois suranné et délicieusement envoûtant, le texte offrant un plaisir du mot et de la phrase tout en relatant avec vivacité et suspense une aventure fantastico-policière, qui flirte avec les énigmes criminelles en lieu clos, les crimes impossibles.
Au cœur du récit, le directeur général de la police belge, Denis Van-Spengel (pourquoi ce « – » ?), nous est présenté comme un individu hors normes, une sorte de Sherlock Holmes avant l’heure. Elève préféré du fameux Vidocq, un regard d’une acuité si pénétrante qu’il en pétrifie l’interlocuteur, soutenu par une singularité de son anatomie :
« Je me sentais (dit le docteur Croissart, qui fera office de narrateur) attaqué dans le sanctuaire de ma conscience (…) J’en arrivai même à imaginer qu’il se servait de ce nez (long, pointu, un tantinet tordu et retroussé, est-il dit plus haut) comme de la baïonnette des gardes douaniers aux portes des villes ; cherchant à débusquer chaque fibre de mon esprit et à s’y enfoncer plus loin encore. »
Or ne voilà-t-il pas que cet éminent enquêteur réalise un beau matin avoir rédigé durant la nuit (à son insu) le procès-verbal d’un carnage atroce qui n’a pas encore été découvert ! Un farceur a-t-il imité son écriture et tente-t-il de le renvoyer au somnambulisme dont il souffrit des années plus tôt ? On devine que Van-Spengel va se lancer à corps perdu dans la résolution de l’affaire. Et le lecteur de penser à Œdipe, le prototype du roman policier, où un homme se cherche lui-même. N’en disons pas plus. Tout n’est pas joué.
Un bon texte, et on saluera ici le travail de prospection des éditions Maelström (Marcello Oro, en l’occurrence). Tout en s’étonnant d’une singulière convergence du temps. L’AEB (l’Association des Ecrivains belges) vient de sortir de l’oubli et de publier un conte fantastique d’Alex Pasquier (voir notre Edi-Phil de septembre). Une nouvelle maison d’édition, Les Névrosées, se propose une exhumation à grande échelle de textes d’autrices belges des temps jadis.
(7)

Michel Corentin est le nom de plume d’Alain Michel, un ingénieur qui a traversé ma vie comme éditeur (Le hêtre pourpre), il y a une vingtaine d’années.
Parenthèse égocentrée. Trois éditeurs avaient retenu mon deuxième roman et j’élus Alain pour sa réputation, son catalogue, la sympathie qu’il dégageait. Mal m’en prit, il abandonna ses activités éditoriales peu avant la sortie de mon ouvrage, on imagine mon embarras. Mais, avant son retrait, il avait livré un très bon travail éditorial (sur base de trois lectures appuyées différentes), il m’avait aidé à améliorer mon roman et, sans doute, mon approche. Je fus donc heureux de le compter plus tard parmi mes amis Facebook, de pouvoir le citer dans les remerciements de l’ouvrage publié, etc. Et, un jour, inversion des rôles, il me propose son roman (le deuxième de sa carrière d’auteur, après un roman pour adolescents paru en… 1978), Les violons de l’ivresse. Et me voici dans l’embarras de commenter qui m’a commenté un jour.
Les violons de l’ivresse.
Une autoédition ? Distinguons les types d’édition. Je ne rubrique pas, en principe, les livres publiés à compte d’auteur, les pratiques y sont souvent malhonnêtes, trompeuses par essence : si on paie pour être publié, on n’en a aucun mérite. L’autoédition, moins crédible que l’édition à compte d’éditeur, la VRAIE édition (avec choix par un expert, des experts), peut se comprendre et cacher des perles. Le problème, pour le médiateur, c’est qu’on part dans l’inconnu absolu, aucune sélection n’ayant été réalisée en amont.
Le roman s’inscrit dans une future Trilogie des violons. Qu’est-ce à dire ? Je ne sais. Ce premier opus annonce en quatrième de couverture un récit qui ne se dessine pourtant que tardivement, celui des relations houleuses entre deux jeunes violonistes, Laura et Stepan, qui sont comme la glace et le feu. Il est question aussi d’une aventure policière, de fraudes autour de violons, etc. A contrario, le roman commence avec un Jean-Sébastien Courtois en héros, un jeune commercial qui tombe amoureux de Laura et s’évertue à la rencontrer, à jouer un rôle dans sa vie, jusqu’à devenir son intendant, jusqu’à se rapprocher de sa jumelle, Lore, jusqu’à jouer les Candide face à un univers fantasmatique.
A dire le vrai, je suis décontenancé, j’oscille entre des caps d’interprétation. Que dégage le récit, dès l’entame ? Une fraîcheur un tantinet juvénile ou une certaine naïveté ? Je suis d’abord emporté puis mon élan se trouve entravé. Comment juger l’écriture ? D’un côté, la langue, simple, offre une lecture aisée et sans ennui. De l’autre, il n’y a pas de plaisir du mot ou de la phrase. Les dialogues sont parfois fort longs ou peu naturels, mais il y a des scènes amusantes, étonnantes, qu’on imagine en extraits de films.
Ce roman est suffisamment ludique, enjoué (notes policières ou romantiques) pour séduire un public, ou même deux publics (ceux qui aiment le violon, la vie musicale trouveront beaucoup d’intérêt à découvrir les coulisses d’une vie de concertiste débutante), mais il ne s’adresse pas aux gourmets littéraires.
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Dans Le Carnet, j’ai évoqué un thriller de Noëlle MICHEL, Viande, paru chez Lilys :

Et, pour perpétuer un rituel, soit terminer en apesanteur et en beauté, hors analyses et commentaires, deux proses poétiques d’un de mes auteurs francophones préférés, voire celui dont la plume m’aura le mieux parlé en 2020, relayant Véronique Bergen et Rossano Rosi.
(9)
Luc DELLISSE, Le cercle des îles, recueil de poésies, Le cormier, Bruxelles, 2020, 98 pages.

Dans Bateau blanc, ce passage qui m’envole vers Rimbaud et Corto Maltese, quoiqu’une aile de mouette tangue vers Poe/Pym ou Baudelaire :
« Le sentiment d’appartenir à une espèce voyageuse, qui n’a pas de scaphandre mais une certaine promesse amphibie, m’aide à vivre dans ce siècle bizarre. Il me réconcilie avec l’idée d’affronter le monde. Il me rappelle que j’ai décidé vingt fois de ne plus bouger de ma chambre et que je n’y suis jamais parvenu. Evidemment, je suis sédentaire autant que possible, préférant me garder sous la main, à un point fixe de l’univers, là où il n’y a pas besoin de surmonter un décalage horaire pour s’accomplir. Mais mon âme est restée nomade, vestige d’une vie antérieure. »
Et cet autre, dans Le vrai visage du temps, qui me trouble :
« En projetant le passé dans l’avenir, on fait apparaître des ondulations nouvelles. Le visage du temps redevient visible, aux limites du regard. On sort enfin du monde : on rentre dans la vie. On y rentre tout seul.
La course à l’abîme n’a pas ralenti un instant. Elle prend des formes sans cesse nouvelles, mais ce n’est qu’une suite de ruses. Le néant reste son seul but. Ce néant est sans intérêt.
Ici, j’attends mon âme à la roulette. Ici, personne ne connaît le secret de l’enfance. Ici, le sommeil n’existe plus. Le dieu des voyageurs dort en travers du balcon. »
Philippe REMY-WILKIN.