
100 films à voir absolument
analyse décennie par décennie/feuilleton en 12 épisodes
qui court des débuts du cinéma aux années 2010
Ciné-Phil RW à la mise en place ; Nausicaa DEWEZ,
Daniel MANGANO et Thierry DEFIZE au contrepoint.
Bonus : une intervention d’Adolphe NYSENHOLC.
(III)
Les ANNÉES 1920
(apogée du muet)
Un TOP 10 de la décennie (dans le désordre)
(5/100) Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, Allemagne, 1920).

Phil :
Caligari ! Un nom mythique, mais il m’a fallu la guidance du cinéaste Nikolas List pour aller explorer cette pépite d’une créativité et d’un modernisme à tomber.
Voir mon article : LIEN vers Caligari
(6/100) L’aurore (Murnau, Allemagne/EU, 1927).

Phil :
Considéré par d’aucuns (Truffaut, etc.) comme le plus beau film muet de tous les temps. On entre difficilement dans le récit mais la magie pure du 7e art opère ensuite, nous transporte progressivement de l’insipide vers le sublime, le noyau dur et d’or de… l’Amour. Avec des scènes nocturnes d’une qualité photographique à tomber !
Thierry :
Je confirme l’opinion de la critique universelle : L’aurore est sublimissime, le plus grand film muet de tous les temps.
Phil :
Voir un article paru dans Karoo (mais… SPOILER ! notre collègue dévoile l’intrigue jusqu’à sa dernière image) :
https://karoo.me/cinema/a-propos-de-laurore-de-friedrich-wilhelm-murnau
Murnau est un génie, plusieurs images ou scènes de Nosferatu le vampire (1922), autre pic, hantent nos imaginaires.
(7/100) Le journal d’une jeune fille perdue (G.W. Pabst, Autriche, 1929).

Phil :
Sublime Louise Brooks ! Dans mon tiercé d’actrices de tous les temps avec Monica Vitti et Ingrid Bergman (Audrey Hepburn, c’est platonique). Et sublime Pabst ! Humanisme, anticonformisme. Plans et images formidables. Des trognes inoubliables. Et un récit bouleversant. Que je préfère à Loulou (1929), considéré comme une œuvre phare du cinéma européen.
(8/100) Le vent (Victor Sjöström, Suède/EU, 1928).

Phil :
Hors normes ! Un film qui nous plonge dans un déferlement d’air et de sable et nous asphyxie littéralement. Avec une notation romantique : le cinéaste sera aussi, beaucoup plus tard, un acteur fétiche de Bergman (notamment dans Les fraises sauvages). Euh… un cinéaste sachant jouer, et bouleversant, pas un Truffaut, non.
(9/100) Docteur Mabuse, le joueur (Fritz Lang, Allemagne, 1922).

Phil :
Mabuse est le fantasme absolu de mon adolescence. Lang est un génie (qui avait déjà glissé sa patte lors de la genèse de Caligari) et il est assez ardu, voire pénible, de choisir un de ses films au détriment d’autres. Metropolis (1927), Les Niebelungen (1927) et Les trois lumières (1921) sont des étapes cruciales de l’Histoire du cinéma et de purs bijoux. Quant à Spione/Les espions (1928) et La femme sur la lune (1929), ce sont des films d’aventures en avance sur leur temps, le premier pétaradant, le second teinté d’onirisme, avec un couple central (Willy Fritsch et surtout Gerda Maurus, reconduits entre les deux films) très glamour et des scènes qui ont sans doute marqué à vie… Hergé.
Thierry :
Parmi les Lang, j’adore Les trois lumières !
Phil :
Voir un article paru dans Karoo (mais SPOILER : notre collègue en dit long sur l’intrigue, l’épilogue) :
https://karoo.me/cinema/de-mort-lasse-les-trois-lumieres-der-mude-tod-1921-de-fritz-lang
Nausicaa :
De Fritz Lang, j’aurais gardé Metropolis pour la puissance des images – un film qui reste une référence pour tout créateur qui cherche à mettre en scène une ville du futur aujourd’hui.
(10/100) Le cuirassé Potemkine (Sergueï Eisenstein, Russie, 1925).

Phil :
De préférence à Octobre (1928), qui impose tout autant une esthétique, des plans qui clouent sur place. Le Russe vénérait Griffith et a repris son flambeau, s’érigeant en pape du 7e art. Par un faux paradoxe, qui n’aurait guère plu à Staline. Comment se lasser de la scène de l’escalier d’Odessa ?
Voir l’article du duo Nausicaa/Phil : LIEN vers Potemkine
(11/100) The Kid (Charlie Chaplin, GB/EU, 1921).

Phil :
Chaplin ! Je laisse de côté, pour cause de diversité, La ruée vers l’or (1925), qui s’impose au Kid dans les classements de l’AFI. Mais l’humanisme de mon élu est trop bouleversant, Jackie Coogan est irrésistible et inoubliable.
(12/100) La passion de Jeanne d’Arc (Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1928).

Phil :
Loin d’être une épopée narrant les exploits de la Pucelle d’Orléans, le film se concentre sur son procès et la vie intérieure de Jeanne. Un resserrement à hauteur d’âme qui offre un rôle au-delà du jeu à Renée Falconetti, saisie sous toutes ses coutures et dans le moindre de ses frémissements. Une ode à l’expressivité et à la sensibilité humaines ! Du tout grand art ! Radical. Poignant.
Nausicaa :
LE film de la décennie, pour moi. Les gros plans sur le visage nu, halluciné, de Renée Falconnetti, et son jeu extraordinaire, d’une grande modernité.
(13/100) Napoléon (Abel Gance, France, 1927).

Phil :
J’entorse, toute règle étant avalisée par ses exceptions, et cite un film dont je n’ai vu que de courts extraits. Mais comment zapper un monument (5h30) que la critique universelle et tant de créateurs portent au 7e ciel ? Dont on claironne à droite et à gauche les qualités et audaces incroyables. Comme ce final halluciné où l’image s’élargirait soudain pour couvrir trois écrans juxtaposés ou cette autre, ultime, en bleu/blanc/rouge.
Daniel Mangano parle d’un film « extraordinaire » et s’extasie devant « les scènes sur la Révolution française ». Je le suis donc. Tout en jalousant haut et fort notre équipier polyglotte car nous évoquons une œuvre peu accessible. Dont la résurrection (due à un historien anglais) est récente (2016) et quasi limitée au marché anglo-saxon. Espérons ! La Cinémathèque de France annonce une version francophone (intertitres).
(14/100) Le mécano de la General (Buster Keaton, EU, 1927).

Phil :
Pour Buster Keaton, je la joue classique, Le Mécano atteint encore la 18e place de l’AFI en 2007. En dépit de Sherlock Junior (1924) ou de L’opérateur/The Cameraman (1928). La page d’Histoire (la Guerre de Sécession/Civil War) enlève le morceau, on ne se refait pas !
Thierry :
Parmi les Keaton, je choisirais plutôt La croisière du Navigator.
Contrepoints en surplomb
Daniel :
Je partage les raisons invoquées par Phil quant aux 9 premiers films listés. Pour le 10e, j’aurais retenu un Keaton moi aussi mais difficile de décider lequel.
Nausicaa :
Pour le cinéma soviétique, il faudrait aussi mentionner le travail de Dziga Vertov et plus particulièrement le chef-d’œuvre L’homme à la caméra(1929). Cinéma d’avant-garde et film de propagande à la fois, il est emblématique du « ciné-œil » théorisé par Vertov et montre, dans un montage virtuose, des scènes de la vie à Odessa. Deux ans plus tôt, une autre grande ville était célébrée dans un film à l’esthétique proche de celle de Vertov : Berlin, symphonie d’une grande ville (Walther Ruttman, Allemagne, 1927).
Phil :
Adolphe Nysenholc (expert mondial ès Chaplin, immense cinéphile, auteur de livres formidables, comme Chaplin, le rêve) nous a fait l’honneur de relire ce dossier avant parution. Notre dossier recoupe ses goûts mais il aurait ajouté La mère de Poudovkine (Russie) et un René Clair (France).
Il ajoute ceci, qui concerne encore le cinéma soviétique :
« Griffith était montré en exemple – dans l’enseignement du cinéma à Moscou sous Lénine (qui privilégiait le cinéma comme l’art des masses), certes pour sa mise au point du langage cinématographique de base (perfectionné par Eisenstein), mais aussi et peut-être surtout pour la séquence de la répression d’une grève dans la section moderne d’Intolérance, avec la mort du père du héros. Une séquence reprise par Chaplin dans Modern Times, en hommage à Griffith, avec lequel il avait co-fondé United Artists.
A retenir encore…
Phil :
Le chanteur de jazz de l’Américain Alan Crosland (1927), le premier film parlant, un film-évènement ; La grande parade (1925), un immense succès commercial et critique, ou La foule (1928) de l’Américain King Vidor ; Un chien andalou (1929) de l’Espagnol Luis Bunuel, aidé de Salvador Dali, une sorte d’ovni surréaliste qui accapare bien des regards au cœur du musée Dali de Bruges de par la scène de l’œil coupé au rasoir ou un érotisme torride.
Nausicaa :
Avant de réaliser Un chien andalou, Buñuel a scénarisé La chute de la maison Usher, un film réalisé par Jean Epstein (France, 1928). Souvent évoqué dans les classements des plus grands films de l’histoire, il est l’adaptation d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe.
Daniel :
J’aurais intégré Greed/Les rapaces d’Erich Von Stroheim (EU, 1924), un chef-d’œuvre absolu et, sans doute, Le voleur de Bagdad (1924, EU, Raoul Walsh), un film d’action, pour le virevoltant Douglas Fairbanks.
LIEN vers l’article du duo Daniel/Phil, en OFF, sur Greed/Les Rapaces
Trois coups de cœur de Ciné-Phil
. Intrigues (Clarence Brown, EU, 1928).

Une histoire de triangle ou de quatuor amoureux, où des liens intenses et ambigus relient chacun, où se manifeste l’incapacité à communiquer, faire confiance, s’émanciper des ornières.
Un raffinement absolu, qui bouleverse, pulvérise à la Lubitsch le code éthique normatif et se passe allègrement de paroles de par la magie de visages sachant tout exprimer. Greta est fraîche et sublime d’élégance (physique et morale… au 2e degré). Douglas Fairbanks Jr, jeune premier absolu, offre des allures de Dorian Gray. Quant à John Gilbert, il forme à cet instant avec la Divine le plus grand couple de l’histoire du cinéma.
. The Lodger/Les cheveux d’or (Hitchcock, GB, 1927).

Le titre français est une honte surréaliste… mais on en a l’habitude, il faudrait pendre quelques traducteurs. Quoi qu’il en soit, Truffaut adorait et on comprend pourquoi. Hitch applique pour la première fois sa véritable palette et offre des inventions d’artiste tout en ménageant une intrigue grand public (une variation sur le thème de Jack l’Eventreur, comme dans le Loulou de Pabst).
Le jeune premier, beau et troublant (un Ivor Novello ambigu), éclipse tout le casting. Il y a des scènes osées (Novello menotté à une grille et prenant une pose de Christ en croix), une dénonciation féroce de la médiocrité/hideur des foules (on juge trop vite, on soupçonne qui est différent, étranger, étrange) et l’irruption du grand thème du Maître : l’innocent persécuté.
. Les dix commandements (Cecil B. DeMille, EU, 1923).

La première version ! Ce film très curieux m’a semblé une tentative (ratée) de refaire Intolérance, soit un film qui combine plusieurs films, différentes époques reliées par un thème.
La première partie raconte Moïse et l’Exode, le Veau d’Or, la Mer Rouge, les Dix Plaies, etc. mais on regrette à chaque instant le charisme de Charlton Heston et les extraordinaires effets spéciaux du remake, on ne voit qu’un récit amputé, amidonné. MAIS ! La deuxième partie, qui nous projette dans l’Amérique contemporaine de la misère sociale et du capitalisme à tout crin, est très émouvante et le ton moralisateur passe la rampe. On se prend d’empathie pour le frère amoureux d’une vagabonde recueillie par sa famille, son sacrifice, sa générosité, ses principes ; on applaudit la belle leçon qui oppose quasi catholicisme et christianisme, soit l’excès de religiosité face à l’amour du prochain.
Who Knows ?
L’apogée du cinéma muet
Phil :
… que l’irruption du parlant va bientôt balayer. En 1927, par une ironie tragique, sortent à quelques mois d’écart Napoléon et Le chanteur de jazz. Abel Gance ne retrouvera jamais l’élan créatif qui lui a inspiré J’accuse/La roue/Napoléon. Ne nous leurrons pas. Le parlant manifeste une avancée technique mais une décadence de fond. Temporaire. L’eau trouve toujours son chemin. Le flambeau du génie viendra se faufiler à l’intérieur du nouveau sillon et s’y redéfinir.
Nausicaa :
Le passage au parlant, difficile à négocier pour certains réalisateurs, signe aussi la fin de la carrière de plusieurs stars du cinéma muet qui, contrairement à Garbo, n’ont pas su adapter leur jeu à la nouvelle esthétique ou poser leurs voix, désormais audibles.
Deux grands films des années 1950, aujourd’hui considérés comme des classiques, mettent en scène cette difficulté de reconversion : Sunset Boulevard (Billy Wilder, EU, 1950), dans la veine noire ; Singin’ in the rain (Stanley Donen et Gene Kelly, EU, 1952), dans la veine plus souriante et légère de la comédie musicale.
La condition de la femme à l’écran
Phil :
Plusieurs grands cinéastes américains mettent en scène l’émancipation féminine, la promeuvent. Un modernisme éthique boosté par des porte-étendards olympiens : Greta Garbo, Louise Brooks et Lilian Gish, bientôt rejointes par les Marlène Dietrich ou Joan Crawford des années 30. Autant de femmes épatantes dont la vie réelle est aussi un combat pour la liberté et la réalisation personnelle hors compromis et mensonges. On est alors très loin des futures vamps des années 40/50.
Le cinéma d’animation
Nausicaa :
Les années 1920 sont une décennie-clé. Le personnage de Mickey Mouse, créé par Walt Disney et icône des studios éponymes, naît en 1928, avec une série de trois courts-métrages. Les deux premiers, muets, ne rencontrent pas de succès. Le troisième, sonore, signe la véritable naissance du personnage : Steamboat Willie (Walt Disney/Ub Iwerks, EU, 1928), est une parodie de Steamboat Bill Jr/Cadet d’eau douce de Buster Keaton (EU, 1928).
On le sait moins, mais l’Europe est aussi active dans ce domaine. En Allemagne, la réalisatrice Lotte Reiniger (devenue britannique par la suite) mène une œuvre originale d’animation en silhouettes, évoquant le théâtre asiatique d’ombres chinoises – esthétique aujourd’hui chère à Michel Ocelot. Le résultat est infiniment délicat et poétique. En 1926, elle réalise selon cette technique Les aventures du prince Ahmed, premier long métrage d’animation en Europe.
Le cinéma expérimental surréaliste
Daniel :
A ne pas oublier ! L’Allemand Hans Richter, gommé par les Nazis ; la Française Germaine Dulac.
Nausicaa :
Je rejoins Daniel concernant l’importance du cinéma surréaliste. Germaine Dulac, probablement la seule femme réalisatrice du groupe, a aussi été une grande théoricienne du cinéma, multipliant les écrits à cet égard.
À noter : le réalisateur français René Clair aujourd’hui surtout connu pour des films comme La beauté du diable (1950) ou Les grandes manœuvres (1955), a débuté dans la mouvance dadaïste/surréaliste, notamment avec le court-métrage Entracte (1924).
Lang et l’expressionnisme allemand
Phil :
Le grand réalisateur allemand fonde un courant mais s’en défend, ne voulant pas y être réduit sans doute. Pourtant, on parle là d’une des sources d’inspiration majeures d’Alfred Hitchcock, dont le génie a beaucoup à voir avec le fait qu’il synthétise le meilleur des apports british et teuton… en les américanisant, ce qui mène à une hybridation attractif/inventif, art/divertissement.
Top 100 en cours
(1) Le voyage dans la lune (Georges Méliès, France, 1902).
(2) Le vol du grand rapide/The Great Train Robbery (Edwin S. Porter, E.U., 1903).
(3) Naissance d’une nation/Birth of a Nation (D.W. Griffith, Etats-Unis, 1915).
(4) Intolérance (D.W. Griffiths, Etats-Unis, 1916).
(5) Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, Allemagne, 1920).
(6) Le cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein, Russie, 1925).
(7) Le journal d’une jeune fille perdue (G.W. Pabst, Autriche, 1929).
(8) L’aurore (Murnau, Allemagne/EU, 1927).
(9) Docteur Mabuse, le joueur (Fritz Lang, Allemagne, 1922).
(10) The Kid (Charlie Chaplin, GB/EU, 1921).
(11) Le vent (Victor Sjöström, Suède/EU, 1928).
(12) La passion de Jeanne d’Arc (Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1928).
(13) Napoléon (Abel Gance, France, 1927).
(14) Le mécano de la General (Buster Keaton, EU, 1927)
Daniel MANGANO, Thierry DEFIZE, Nausicaa DEWEZ et Ciné-Phil RW (et le grain de sel d’Adolphe NYSENHOLC).