LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 63. PROMETTEUR DE BONS TOURS

Bar Refaeli retombe en enfance avec ce mini manège - Puretrend

Le prometteur de bons tours agit en binôme avec le tourneur, le propriétaire de manège ou le prestidigitateur. Il est l’ami des potiers, des enfants et de tout ce qui a vocation à la rondeur dans le domaine machinal ou social. Il déteste les ballons de rugby et les boules de Berlin, les cons tours et les circuits courts, les roues voilées et les révolutions manquées, les volte-farce.

Si le prometteur de bons jours est entaché d’une mauvaise réputation, le prometteur de bons tours fait en sorte, lui, de tenir toutes ses entourloupes.

Il agit là où les cercles peinent à se fermer, où les ronds coincent, où la courbe s’affaisse, où les graines tournent sol et les orbes noircissent, où les auréoles se déchirent et les aréoles transpirent, où les cernes se creusent et les bulles crèvent, là où les mauvais tours foisonnent.

Le prometteur de bons tours n’est jamais loin du centre : de l’attention, de l’illusion, de ses intérêts. Il aurait voulu être un artiste, comme le crie la chanson, nimbé de gloire et de rayonnement, face un public pris de vertige, prêt à l’applaudir et le vénérer comme un disque solaire ; il n’est qu’un artisan de La Fabrique des métiers.

Il arrive que le prometteur de bons tours en rate un et soit envoyé dans les cordes voire à l’extérieur du ring. Il tance son acolyte un peu rond, jure qu’on ne l’y reprendra plus, corrige le tir circulaire et promet de se recycler. S’il prend la tangente, une flèche tirée d’un arc le ramène au cœur de cible ; c’est comme qui dirait un cercle vicieux, un sacré sac de nœuds.

LES 40 LECTURES PRÉFÉRÉES de DENIS BILLAMBOZ en 2020

2019 – LECTURES FRAÎCHEUR : BRÈVES DE BELGIQUE / Une chronique de Denis  Billamboz – LES BELLES PHRASES
Denis BILLAMBOZ

FICTION

1 – Jirô ASADA – L’ombre d’une vie (Picquier)

L'Ombre d'une vie - Editions Picquier

2 – Liliane SCHRAÛWEN – Exquises petites morts (M.E.O)

3 – Chi ZIJIAN – Neige et corbeaux (Picquier)

4 – Pierre STIVAL – Une caravane attachée à une Ford Taunus (Cactus Inébranlable)

5 – Laurent GRAFF – Monsieur Minus (Le Dilletante)

6 – Daniel CHARNEUX – A propos de Pre (M.E.O.)

7 – Gérard ADAM – La lumière de l’archange (M.E.O.)

8 – Loris BARDI – La position de schuss (Le Dilettante)

9 – Nuala O’FAOLIN – L’histoire de Chicago May (Sabine Wespieser)

10 – Leïla BHASAÏN – Le ciel sous nos pas (Albin Michel)

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APHORISMES & TEXTES COURTS en tout genre

1 – Daniel FANO – La tétralogie (Les Carnets du Dessert de Lune)

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Daniel FANO (1947-2019)

2 – Pascal WEBER – Zizanie dans le métronome (Cactus Inébranlable)

3 – Ramon EDER – Palmiers solitaires (Cactus Inébranlable)

4 – Francis DENIS – Jardins (s), la femme trouée (La Route de la soie)

5 – Michel DELHALLE – Max Laire, le bricoleur des mots (Cactus Inébranlable)

6 – Eric ALLARD – La Maison des animaux (Lamiroy)

7 – Monique THOMASSETTIE – Au-delà des jardins (Mon éveil)

8 – Agatha STORME – Fenêtre (Maelström)

9 – Philippe REMY-WILKIN – Vertige ! (Maesltröm)

10 – Pascal HÉRULT – Ma voisine dans presque tous ses états (Cactus Inébranlable)

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POÉSIE

1 – Olivier VOSSOT – L’écart qui existe (Les Carnets du Dessert de Lune)

L'écart qui existe // Olivier Vossot

2 – Montaha GHARIB – Comme un derviche emporté dans un ciel d’été (Bleu d’Encre)

3 – Anne-Marielle WILWERTH – Là où s’étreignent les silences (Bleu d’Encre)

4 – Sylvie DURBEC – Ca, qui me poursuit (Les Carnets du Dessert de Lune)

5- Iocasta HUPPEN – Oh, et puis zut ! (Bleu d’Encre)

6 – Jean-Jacques NUEL – Mémoire cash (Gros Textes)

7 – Martine ROUHART – Dans le refuge de la lumière (Bleu d’Encre)

8 – Patrick BOUTIN – L’âme à Deshusses (Gros Textes)

9 – Jasmine NGUYEN – Po’aime-moi (Bleu d’Encre)

10 – Marcelle PÂQUES – Le cristal des jours (Bleu d’Encre)

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ESSAI – BIOGRAPHIE – TÉMOIGNAGE

1 – Stefan ZWIEG – L’esprit européen en exil (Bartillat)

L'esprit européen en exil - Stefan Zweig - Babelio

2 – Alain BERTHIER – Notre lâcheté (Le Dilettante)

2 – Pascale CORNUEL – La sainte entreprise (Alma)

3 – Dawa MA – Pleure, tu pisseras moins (M.E.O.)

4 – Anne STAQUET – Les effacés (M.E.O.)

5 – Chloé SAFFY – Pourquoi je lis Le Maître des illusions de Dona Tartt (Le Feu sacré)

6 – Ludovic VILLARD – Pourquoi je lis Septentrion de Louis Calaferte (Le Feu sacré)

7 – Philippe CHAUCHÉ – En avant la chronique (Louise Bottu)

8 – Frédéric JACCAUD – Pourquoi je lis La Famille royale de William T Vollmann (Le Feu sacré)

9 – Joachim DU BELLAY – La défense et illustration de la langue française (Louise Bottu)

10 – L’Ecclésiaste (Louise Bottu)

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Les chroniques littéraires de Denis BILLAMBOZ

sur LES BELLES PHRASES

Sur CRITIQUES LIBRES

Sur BENZINE MAGAZINE

Sur le blog INTERLIGNE d’Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

Sur son blog personnel : MES IMPRESSIONS DE LECTURE

LES DIX LECTURES PRÉFÉRÉES de NATHALIE DELHAYE en 2020

MON AMIE ADÈLE de SARAH PINBOROUGH (Préludes) / Une lecture de Nathalie  DELHAYE – LES BELLES PHRASES
Nathalie DELHAYE

Aline KINER, La nuit des béguines, Liana Levi

La Nuit des béguines

Armel JOB, En son absence, Robert Laffont

Fabienne RIVAYRAN, Météo Marine, Jacques Flament Alternative éditoriale

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Agatha STORME, La fenêtre, Maelström

BSC#86 La fenêtre

Ervan LARHER, Pourquoi les hommes fuient, Quidam Editeur

Pourquoi les hommes fuient Erwan Larher – La viduité

Philippe REMY WILKIN, Vertige, Maelström

Vertige ! - Philippe Remy-Wilkin - Maelstrom - Poche - Le Hall du Livre  NANCY

Carine-Laure DESGUIN, Le Transfert, Chloé des Lys

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Jean-Philippe QUERTON, L’Homme à la Chimay bleue, Cactus Inébranlable

Anne PAULY, Avant que j’oublie, Verdier

Benoît JANTET, Nos rêves sont priés de prendre une douche froide, Jacques Flament Alternative Editoriale

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Choix opéré par Nathalie DELHAYE parmi ses chroniques de l’année sur LES BELLES PHRASES.

Retrouvez toutes ses chroniques de lecture sur CRITIQUES LIBRES !

LES DIX LECTURES PRÉFÉRÉES de JEAN-PIERRE LEGRAND en 2020

JEAN-PIERRE LEGRAND – LES BELLES PHRASES
Jean-Pierre LEGRAND

Marie GEVERS, Vie et mort d’un étang, Espace Nord

Vie et mort d'un étang • Espace Nord

Véronique BERGEN, Belgiques, Ker Editions

Véronique Bergen | Ker Éditions

Georges DUBY, Saint Bernard, L’art cistercien, Flammarion

Saint Bernard - L'art cistercien - Georges Duby - Livres - Furet du Nord

Hélène GAUDY, Un monde sans rivage, Actes Sud

Fédor DOSTOÏEVSKI, Humiliés et offensés, Actes Sud

Martine ROUHART, Les Fantômes de Théodore, Murmure des Soirs

Marcel SEL, Rosa, Onlit

Rosa

Gaston BACHELARD, L’air et les songes, José Corti

peinture

Alexandre POUCHKINE, Eugène Onéguine, Gallimard

Eugène Onéguine - Alexandre Pouchkine - Folio classique - Site Folio

Georges BATAILLE, Lettre à René Char sur les incompatibilités de l’écrivain, Fata Morgana

Lettre à René Char sur les incompatibilités de l'écrivain | Éditions Fata  Morgana

Retrouvez, parmi beaucoup d’autres, les chroniques de ces livres par Jean-Pierre LEGRAND dans la rubrique AU FIL DES PAGES sur ce blog !

LA LUNE ECLABOUSSÉE, MEURTRES À MAUBEUGE de Carine-Laure DESGUIN (Le Lys Bleu) / La lecture de Nathalie DELHAYE

L’image contient peut-être : ciel et plein air, texte qui dit ’La lune éclaboussée, meurtres à Maubeuge Carine Carine-Laure Desguin SIBBN’

Jenny, jeune femme pétillante, professeur de sciences donnant des cours particuliers en attente d’un nouveau poste, se trouve mêlée bien malgré elle à une enquête policière des plus surprenantes. Elle rêve aussi d’écrire des romans, policiers, justement, et trouve en cette histoire un booster d’inspiration.

Carine-Laure DESGUIN nous offre dans ce livre une enquête menée tambour battant. Au rythme de Jenny, autour de laquelle toute cette histoire se dénoue. Assistée de ses tontons de coeur, détectives à leurs heures, elle essaiera de comprendre pourquoi son auteur préféré, Michel Garnier, enfant de Maubeuge et auteur de polars à succès, est mort subitement. En se plongeant dans son intimité, elle avait tissé des liens, des échanges de mails lui faisaient espérer une rencontre prochaine, et puis… Le malheur est arrivé, et comme il n’arrive jamais seul…

« La lune éclaboussée, meurtres à Maubeuge », c’est frénétique, l’auteure ose et va très loin dans la noirceur, le crime, les complots. C’est aussi un défilé de personnages hauts en couleur, caricaturaux souvent, mais qui sont tellement vrais. On les croise chaque jour, ces protagonistes, si bien dessinés et analysés par la plume. Au-delà de l’intrigue policière, les thèmes d’origines, de violence, d’enfance difficile, et bien d’autres encore, sont évoqués. Chacun des personnages présente une ou des blessures, qu’ils ont dû surmonter et qui les ont forgés.

C’est encore un air de folie, de légèreté, des notes d’humour, des clins d’oeil, on ressent le plaisir certain à cette écriture, les personnages virevoltent, les décors se succèdent, et la Sambre, rivière locale, apaise tout ce petit monde et recueille les confidences.

C’est enfin la ville de Maubeuge, remarquablement mise à l’honneur dans ce livre, avec moult détails. Tout est précis, et on imagine l’implication et le travail autour de cet ouvrage, très documenté et plein de véracité.

Le roman sur le site de l’éditeur

Le blog de Carine-Laure DESGUIN

LA MAISON DES ANIMAUX d’Eric ALLARD (Lamiroy) / La lecture de Philippe REMY-WILKIN

La maison des animaux d’Éric ALLARD

(numéro 162 de la collection Opuscule, Lamiroy, Bruxelles, 2020, 39 pages)

par Philippe REMY-WILKIN,

qui associe à son hommage de Noël Martine ROUHART, Nathalie DELHAYE, Denis BILLAMBOZ, Jean-Pierre LEGRAND, Philippe BRAHY et Pascal FEYAERTS.

Eh bien, les éditeurs belges sont innovants ! Après les collections Bruxelles se conte (Maelström) et Belgiques (Ker), Noir Corbeau (et ses polars, Weyrich) et à cœur d’écrits (celle-ci évoquée un peu plus bas, Le coudrier), en voici une autre : Opuscule publie un court récit chaque semaine. Bravo à Éric Lamiroy : les livres d’Opuscule sont de jolis objets, tout mimi (14×10 cm).

La maison des Animaux #162

Éric Allard, que l’on connaît comme poète ou auteur d’aphorismes (recommandons son décapant Les écrivains nuisent gravement à la littérature, aux éditions du Cactus inébranlable), mais comme médiateur aussi, est à la barre du 162e numéro.

Le pitch ? Le narrateur, la quarantaine, est amoureux d’une jeune femme, Noémie, la trentaine, qui habite le même immeuble :

« Elle était menue, vive, tout en délicatesse, même si ses jeans laissaient deviner un fessier charnu. Son visage, piqueté de taches de son, possédait un front haut et beau pour l’occupation duquel se battaient sans relâche des mèches rebelles. ».

Noémie écrit/illustre des contes pour enfants mais doit gagner sa vie en servant le pain à la boulangerie du quartier. Tant et si bien que notre héros s’invente des neveux pour justifier une prise de contact.

Une bluette ? Un filigrane. Qui se faufile dans une cocasserie teintée de poésie surréaliste. C’est que les deux protagonistes ont pour voisins… des « animaux socialisés », un cheval, Xanthe (« du nom du fils de Zéphyr et de Podarge dans la mythologie »), et un lion, Aslan, « dernier survivant du monde sauvage ». Ajoutons une concierge et un bourgmestre, ou Joe, le chimpanzé amant de ce dernier, secouons le tout, saupoudrons d’un meurtre et d’une énigme, et…

Au-delà de l’humour et du burlesque, des clins d’œil modernistes à diverses littératures de genre, Éric Allard insinue un second degré structurel en osant de subtils décalages qui renvoient à des réalités plus prosaïques. La manière dont les animaux socialisés sont acceptés mais à peine tolérés (distorsion entre l’évolution des institutions et des populations, entre élites – au sens moral, intellectuel – et majorités) renvoie à l’insertion des Noirs, des Arabes, de l’étranger en général (qui peut encore être à l’occasion le villageois en ville et le citadin à la campagne). Mais que dire des amours entre humains et animaux ? Où la zoophilie n’est plus ce qu’elle signifie dans le langage commun mais un nouveau pas dans l’évolution des mœurs, une métaphore ?

L’air de ne pas y toucher – car on se focalise sur les dossiers énigme criminelle ou intrigue amoureuse jusqu’au bout, l’auteur coule un pas déjanté mais léger dans l’ornière creusée par des Swift et autres conteurs philosophes. Initiant une réflexion sur l’horloge de l’évolution des mœurs. Ce qui semble choquant un temps devient la norme un jour, ou, d’abord, une avancée des mœurs, une ouverture et un élargissement des cœurs et des consciences.

Amusant ? Troublant !

D’autres regards sur cet opuscule ?

Martine Rouhart :

« Passionnée par la défense de la condition animale, le titre de l’opuscule d’Éric Allard ne pouvait que m’attirer. La maison des animaux, une phrase chaude et ronde, un refuge pour ces êtres dits « inférieurs ». (…) Un récit rythmé par de petits et d’assez énormes rebondissements, raconté d’une belle écriture vivante et ayant largement recours aux métaphores et à l’humour. Un conte un peu fou comme le sont les contes, mais pas loufoque ; une réflexion, moins sur la condition animale proprement dite que sur les droits qu’il conviendrait d’octroyer à nos amis de poils et de plumes. (…) »

Le texte complet :

https://l.facebook.com/l.php?u=https%3A%2F%2Fwww.areaw.be%2Feric-allard-la-maison-des-animaux-opuscue-162-ed-lamiroy-

Nathalie Delhaye :

« (…) Le sourire m’est venu en voyant cet homme, maladroit, comme un tout jeune qui découvre ses premiers émois, balbutiant, multipliant les aller-retours entre chez lui et la boulangerie pour aller voir sa belle… (…) j’ai apprécié l’esprit, les remarques pleines de finesse et l’humour de notre auteur. (…) A la fois touchant et satirique, ce conte nous emmène dans une histoire loufoque, dramatique et drôle (…). »

Le texte complet :

Denis Billamboz :

« (…) ce conte est surtout une satire aigre-douce de notre société et peut-être aussi une leçon démontrant que la cohabitation avec les animaux est fort possible dans le respect de la dignité de chacun (…) La morale de ce conte pourrait être qu’en toute chose il faut savoir raison et modération garder même si cela n’empêche pas d’avoir les idées et la tolérance larges. »

Le texte complet :

http://mesimpressionsdelecture.unblog.fr/2020/12/19/la-maison-des-animaux-eric-allard/

Jean-Pierre Legrand :

« (…) Éric Allard nous entraîne dans une société qui reconnaît l’égalité de droits civiques entre humains et animaux tout en continuant à les maltraiter. Cette compénétration du monde animal et du monde humain aboutit à un effet d’humanisation des animaux et d’animalisation des humains sur fond d’opportunisme politique. (…) Enjouée et allègre, la fable se lit aussi comme une déroute annoncée (…) J’ai adoré cette nouvelle qui mêle humour décalé, farce et subtile interrogation, le tout dans la ligne claire d’un style des plus agréables. Vraiment jubilatoire. »

Le texte complet :

Philippe Brahy :

« « Mon chien, c’est quelqu’un. Depuis quelque temps, mon chien m’inquiète… Il se prend pour un être humain et je n’arrive pas à l’en dissuader. » Ainsi aurait pu être dédicacée la plaquette d’Éric ALLARD à l’intention du regretté Raymond Devos. Éric ALLARD, qui excelle dans l’humour à froid, serait, pour moi, le « p(r)ince sans rire » des hôtes des Opuscules édités par LAMIROY (…) »

Le texte complet :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2020/12/21/la-maison-des-animaux-deric-allard-lamiroy-la-lecture-de-philippe-brahy/

Pascal Feyaerts :

« (…) un livre étonnant et la lumière jaillit, l’air de pas y toucher, une lumière un rien surréaliste. (…) Pour peu, Éric Allard nous ferait manger du foin. Son œuvre ne cesse de surprendre au fil des lectures. Ici, il clame son droit idoine à la satire et à la polysémie (…) les plus vigilant y verront une dénonciation du monde tel qu’il est, décevant et glauque, et une culture de la déception semble émerger. Cependant, le narrateur demeurant un naïf amoureux, il nous libère de la noirceur par sa candeur. (…) »

Le texte complet :

2020 – LECTURES DE NOËL : LE COURT SOUS TOUTES SES FORMES / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Ceux qui me lisent régulièrement savent sans doute que j’ai un petit faible pour les formes littéraires courtes, j’ai donc décidé de construire une rubrique avec des textes courts de forme différentes. J’ai retenu un très joli recueil de nouvelles de Liliane SCHRAÛWEN, un autre de textes courts de Jean-Claude MARTIN et enfin la « bible » que Paul LAMBDA a consacrée, après des années de travail assidu, à la compilation de citations particulièrement pertinentes. J’aurai certainement l’occasion de vous reproposer des rubriques de ce genre car je reçois beaucoup de recueils de textes, courts, aphorismes, poésies, nouvelles, etc…

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Exquises petites morts

Liliane Schraûwen

M.E.O.

Petites morts

Eros et Thanatos, le titre de la dernière nouvelle de ce recueil pourrait être celui de ce livre qui évoque la lutte sans merci que se livrent sans cesse les deux compères de la mythologie grecque. Mais, celui proposé par l’auteure et l’éditeur est excellent, il évoque parfaitement la jouissance, toujours extrême et souvent ultime, que les héros des nouvelles de ce recueil peuvent ressentir. Personnellement, j’aurais peut-être penché pour un titre qui évoquerait plutôt l’exacerbation, l’exacerbation des sentiments, l’exacerbation des douleurs et des plaisirs… L’exacerbation et le raffinement, le raffinement dans les plaisirs, les tortures, la mort, et même le cynisme.

Liliane Schraûwen que j’ai découverte récemment dans un excellent recueil de poésie, Nuages et vestiges, publié chez Bleu d’encre, qui évoquait déjà une certaine forme d’exacerbation des sentiments, des sensation et des comportements. J’ai relu mon commentaire de ce recueil et j’y ai trouvé ces quelques lignes qui pourraient tout aussi bien illustrer les présents textes : « Une vie de femme pleine de douleur, de souffrance, de violence, de trahison, d’abandon, un vie de désillusion et de désespoir. Une vie comme trop de femmes en ont subie. Une vie de femme mise dans des mots mis en vers, des poèmes pour dire l’inacceptable ». Dans ce recueil de nouvelles, il ne s’agit, bien sûr pas d’une vie de femme mais de vies de femmes et d’hommes qui se rencontrent un peu brutalement, parfois même se percutent, se froissent, se déchirent, se démolissent… dans un grand choc que l’amour seul peut produire quand il est à son comble, exacerbé à l’extrême.

Comme le coup de foudre fulgurant que cette fille et ce garçon éprouvent quand un choc brutal les projette l’un contre l’autre alors qu’il n’en était qu’aux préliminaires. Comme la déception que ce garçon ressent quand il entend la voix de la fille, belle, belle, tellement belle qu’il la désirait ardemment. Comme l’ultime étreinte que Dominique inflige à son au mari qu’elle ne supporte plus mais qu’elle aime tellement. Comme le supplice qu’une femme voulant entrer dans le petit peuple des amoureux légendaires, inflige à son mari avant de le rejoindre dans un autre monde pour y vivre un autre amour tout aussi passionnel. Comme le souffrance et le plaisir ressentis par ce fétichiste léchant le pied de sa voisine au moment où un choc brutal permit à la fille de lui fracasser le nez. Et comme dans les treize autres textes de ce recueils dans lesquels Liliane Schraûwen raconte des amours exacerbés, passionnels, violents extrêmes, explosant de plaisirs sensuels, charnels, souvent confondus avec la douleur. « Je connais bien cet état où tout se confond, quand on ne sait ce qui domine, du plaisir ou de la souffrance ».

Ces textes écrits sur le fil du rasoir sont tranchants comme la lame qui s’immisce entre deux côtes, explosifs comme un orgasme trop longtemps contenu, et pour qu’ils atteignent l’extrême sensualité qu’ils dégagent et le haut niveau littéraire qu’ils atteignent sans jamais tutoyer la vulgarité ni la pornographie, il faut toute la finesse de la plume de Liliane et surtout l’immense raffinement de son vocabulaire, de son style et de son art de conteuse. Pour conjuguer plaisir souffrance, elle conjugue érotisme et littérature dans la même élégance et la même délicatesse.

Le livre sur le site de l’éditeur

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Lire un jardin

(l’aube viendra-t-elle)

Jean-Claude Martin

Tarabuste Editeur

Jean-Claude Martin - Poésie de l'instant - L'Actualité Nouvelle-Aquitaine —  science et culture, innovation

C’est le troisième recueil de Jean-Claude Martin que je lis cette année, c’est un auteur prolifique et talentueux qui a séduit différents éditeurs (Gros textes, Le Merle moqueur, Tarabuste éditeur, Les carnets du dessert de lune, pour les ouvrages que j’ai lus) et qui m’a séduit moi aussi comme lecteur. Après avoir écrit une encyclopédie de l’alphabet, ça peut paraître abscons mais il a édité un recueil dans lequel il a inséré un texte inspiré par chacune des lettres de notre alphabet. Il a aussi écrit un autre recueil où il évoque les filles qu’il a connues ou celles qu’il voudrait encore séduire. Dans ce nouvel opus, il évoque son jardin, l’endroit où il aime se prélasser, baguenauder, laisser couler doucement le temps sans laisser prise à toutes les tensions qui envahissent notre époque. « Je me méfie du matin parce qu’il traîne toujours en laisse l’après-midi. Mais, au soleil adolescent, je bois un verre d’eau claire. Des oiseaux chantent. Tout le monde a l’air à peu près gai ce matin… »

« L’auteur confesse : « J’adore pratiquer « la poésie de chevalet », ce qui signifie qu’il s’installe au jardin pour écrire ses textes qui sont de la véritable poésie en prose écrite à l’aide de phrases courtes, particulièrement bien venues dans des textes courts comme celui-ci que j’ai choisi pour toutes les impressions visuelles qu’il dégage :

« Le jour se lève. Joyeuse boucherie. Du sang partout. Contrairement aux idées admises, la naissance est un sale moment. Mais le temps. Vous nettoie une scène de crime mieux que le plus méticuleux des assassins. En quelques minutes le bébé est présentable. Rayonnant. Vaniteux… »

Cette poésie dégage calme, quiétude, irénisme, humilité, …, comme dans un cloître où « Quelques minutes suffisent pour s’y apaiser la tête, et, regardant le ciel, espérer être meilleur… ». Comme dans ce cloître « On baisse la tête pour entrer dans mon jardin. Non que ce soit un lieu de recueillement, ou un lintottroba (linteau trop bas). Seulement quelques branches d’arbre qui se laissent aller. Humilité plus qu’humiliation, passage un peu masqué : normal, c’est un jardin secret ! »

Ses textes sont aussi des mines pour les amateurs d’aphorismes, allitérations, assonances, calembours et autres jeux avec les mots. Ce petit texte en est un bel exemple :

« Parmi tous les jardins, le zen a mon affection. Parce qu’il cultive les cailloux, et qu’on ne cultive jamais assez les cailloux. Le jardin zen est fait pour l’esprit, pas pour la culture. Peu d’espace lui suffit. Tant pis si l’on ne peut s’y promener. Sable, râteau, deux trois pierres, du gravier… Dieu est gravier ! Bref : où il y a zen, il y a plaisir … ».

Mais, « Une cloche tinte dans le soir lointain… » serait-ce le carillon de Bruges que Pierre Selos chantait si magnifiquement ?

« Et j’entendais le carillon de Bruges

Le carillon de Bruges

Monter dans le matin

Et j’entendais le carillon de Bruges

Le carillon de Bruges

Au lointain ».

Le livre sur le site de l’éditeur

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Le cabinet Lambda

Paul Lambda

Cactus inébranlable éditions

« 5 014 citations à siroter, croquer, injecter ou infuser », un fantastique travail de recherche, de compilation et de sélection qui, s’il n’avait pas été aussi productif, aurait pu provoquer la fabrication d’un immense collier de perles mais Il y a beaucoup trop de perles dans ce recueil pour un seul collier et même des dizaines de colliers. J’ai moi-même commencé, au moins deux fois dans ma vie, un tel travail mais je l’ai bien vite abandonné tant il est astreignant et contraignant, j’apprécie ainsi d’autant mieux l’œuvre de l’auteur. Bien évidemment, je n’aurais jamais pu lire ces quelques milliers de citations avant de rédiger une chronique dans des délais raisonnables., donc, j’ai appliqué la méthode prônée par Paul Lambda, j’ai feuilleté, j’ai pioché, je me suis baladé dans l’ouvrage guettant les mots que je voulais voir illustré par un grand esprit et je me suis laissé accrocher par quelques citations que j’ai trouvé particulièrement spirituelles, drôles, surprenantes, étonnantes et parfois même éblouissantes.

Pour donner aux lecteurs qui liraient cette chronique, une idée assez concrète de l’immense travail commis par le compilateur, j’ai reproduit ci-dessous une vingtaine de citations qui a attiré mon attention et qui, je l’espère, titillera le leur et les incitera à se procurer l’original. Un livre comme celui-ci, on ne le lit pas, on le dépose précieusement sur le coin de son bureau et on y revient chaque fois qu’on a besoin d’un bon mot, d’une citation, d’un trait d’esprit, … , lorsqu’on veut retrouver la source originelle d’un bon mot, ou tout simplement quand on a envie de déguster de la littérature spirituelle condensée comme une essence dans son huile. Cet ouvrage était nécessaire, il est là mais les auteurs écrivent et écriront encore longtemps et il faudra alors remettre une nouvelle compilation en chantier. Paul, une nouvelle mission d’intérêt littéraire attend ton talent et ta pugnacité pour donner une suite à ce formidable travail.

Voici les quelques citations qui ont attiré mon attention mais j’aurais pu en ajouter beaucoup, beaucoup d’autres, … presque toutes, il n’y a aucun déchet dans la sélection de l’auteur. C’est comme dans le cochon, tout est bon.

Aphorisme – Eric Chevillard : « L’aphorisme parfait serait un mot d’enfant filtré par la barbe d’un vieux sage. »

Briller – Jean-René Huguenin : « … tu ne brilleras jamais pour moi que du côté où je t’éclaire… »

Chant – Emil Cioran : « Dans ton âme il y avait un chant : qui l’a tué ? »

Désirer – Roland Barthes : « On écrit avec son désir et je n’en finis pas de désirer. »

Ecrire – Philippe Djian : « Ce qui pousse un type à écrire, c’est que ne pas écrire est encore plus effrayant. »

Foi – Louis Scutenaire : « J’ai une foi inébranlable en je ne sais quoi. »

Grave – Arto Paasilinna : « Le plus grave dans la vie c’est la mort, mais ce n’est quand même pas si grave. »

Histoire – Arno : « Les humains resteront dans l’histoire comme ceux qui ont cru la faire. »

Innocence – Charles Nodier : « Quiconque est parvenu à discerner le bien et le mal a déjà perdu son innocence. »

Journalisme – André Gide : « J’appelle journalisme, en littérature, tout ce qui intéressera demain moins qu’aujourd’hui. »

Kafka, Franz – Daniel Desmarquets : « Le vrai portrait de Kafka, n’est-ce pas ‘L’homme qui chavire », la sculpture de Giacometti. »

Livre – Hervé Gulbert : « Un livre en soi n’est rien, ou n’est que peu : « c’est l’imagination des autres qui le fait, qui le refabrique (…). »

Modestie – Georges Perros : « Il y a pire que la modestie. C’est la peur de l’orgueil. »

Noir – Guy Goffette : « Maintenant c’est le noir. Les mots c’était hier. »

Oser – Soren Kierkegaard : « Oser, c’est perdre pied momentanément. Ne pas oser, c’est se perdre soi-même. »

Perdu – Antonin Artaud : « Laissons se perdre les perdus. »

Quitter – Louis Calaferte : « Ce qu’on croit quitter ne nous quitte pas. On ne quitte pas : on s’éloigne. »

Réalité – Mahmoud Darwich : « J’affronte la réalité brutale en insistant sur son contraire. »

Savoir – Pétrarque : « Beaucoup quittent cette vie sans avoir su ce qu’ils voulaient. »

Talent – Jules Renard : « Le talent, c’est le génie rectifié. »

Urgence – Daniel Pennac : « L’urgence n’est pas de l noter mais de le vivre. »

Vie – Eugenio Montale : « Il faut trop de vie pour en faire une. »

Whisky – Olivier Hervy : « Le whisky voudrait nous faire croire qu’en vieillissant on devient meilleur. »

L’auteur conclut cette compilation avec cette citation : « « L’art de citer, c’est savoir où s’arrêter. » Robertson Davies ». Alors, peut-être ai-je failli ?

Le livre sur le site de l’éditeur

LES DIX COUPS DE COEUR de LITTÉRATURE de PHILIPPE LEUCKX pour 2020

Philippe Leuckx (auteur de D'Enfances) - Babelio
Philippe LEUCKX

1.

Dario FRANCESCHINI, Dans les veines ce fleuve d’argent, Gallimard

Amazon.fr - Dans les veines ce fleuve d'argent - Franceschini, Dario,  Moiroud, Chantal - Livres

2.

Anna Maria ORTESE, La mer ne baigne pas Naples, Gallimard

La mer ne baigne pas Naples - Du monde entier - GALLIMARD - Site Gallimard

3.

Michel BOURÇON, Passe aux cerfs dans la brume, Christophe Chomant

Michel Bourçon, Passe aux cerfs dans la brume, Poésie - Christophe Chomant  Editeur, Boutique en ligne

4.

BASHÔ, Journaux de voyage, Verdier

Journaux de voyage - Editions Verdier

5.

Amédéo ANELLI, Neige rêvée, Libreria Ticinum Editore

Neige pensée, Amedeo Anelli (par Philippe Leuckx)

6.

Natalia GINZBURG, Tous nos hiers, Lidia Livi

Tous nos hiers

7.

Hubert MINGARELLI, La Terre invisible, Buchet Chastel

Amazon.fr - La Terre invisible - Mingarelli Hubert, BUCHET CHASTEL - Livres

8.

Abdellatif LAÂBI, Ouvrir l’oeil du coeur, Maelström

Bookleg DABA  #12 Ouvrons l'œil du cœur

9.

Patrick MAURIÈS, Roland Barthes, Gallimard

Amazon.fr - Roland Barthes - Mauriès, Patrick - Livres

10.

MOSES, Un dernier verre à l’auberge, Lanskine

Un dernier verre à l'auberge - Emmanuel Moses - Babelio

On peut retrouver via ce lien toutes les chroniques de Philippe LEUCKX sur LES BELLES PHRASES et via cet autre, celles qu’ils a données pour LA CAUSE LITTERAIRE.

LA MAISON DES ANIMAUX d’Éric ALLARD (Lamiroy) / La lecture de Philippe BRAHY

La maison des Animaux #162

Mon chien, c’est quelqu’un (1) « Depuis quelque temps, mon chien m’inquiète… Il se prend pour un être humain et je n’arrive pas à l’en dissuader. » Ainsi aurait pu être dédicacée la plaquette d’Éric ALLARD à l’intention du regretté, Raymond Devos.

Éric ALLARD, qui excelle dans l’humour à froid, serait, pour moi, le « p(r)ince sans rire » des hôtes des Opuscules édités par LAMIROY, Avec Denis Billamboz, ils forment d’ailleurs la plus sympathique des équipes qu’il me plaît de fréquenter dans le groupe des Belles phrases (2).

Éric ALLARD nous livre une courte nouvelle où « s’entremêlent » humains et animaux dont les plus nobles : Lion, cheval et singe… (non exhaustif) ! Le récit se situe en un temps où, la différence entre genres humains et animaux est abolie : « Le philosophe Martin GIBERT, auteur de Voir son steak comme un animal mort, qualifierait volontiers l’antispécisme de nouvel humanisme. GIBERT précise que cet humanisme doit être inclusif, c’est-à-dire qu’il ne doit pas réserver aux seuls humains les devoirs de générosité et de comportement éthique. » (3).

J’ai très certainement tort d’appuyer sur cette définition car la nouvelle d’Éric ALLARD n’est pas d’éclairer ce débat mais de poser ce problème sociétal avec ironie où : amour ; crime ; déboire ; tromperie inattendue ; politique, se côtoient comme dans un bon polar, il me faudrait écrire « pollard » tant on écorne ces pauvres bêtes.

Sachez simplement que : « Tous les matins il achetait son petit pain au chocolat (aye aye ayayay) / La boulangère lui souriait, il ne la regardait pas (aye aye ayayay) » (4) Et, que tout commence un 23 juillet avec le supposer attentat d’Aslan, le vieux lion (l’ami roi- sic) après sa célébration à une sorte de « Veggie Pride ». Quant à la vendeuse de petits pains, Noémie, il eut mieux valu qu’elle n’oublia pas sa carte de transport… Xanthe, l’As-de-pique, était un sacré étalon. Dans ce cas précis, l’humanisme devenait inclusif et exclusif. Il ne restait plus au narrateur que de déménager. À lire bien évidemment et à offrir !

Opuscule#162
Éric ALLARD
La maison des animaux
Éditions LAMIROY. 4€
http://www.opuscule.be
http://www.lamiroy.be

L’Opuscule sur le site des Editions Lamiroy

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  1. Paroles de :
    « Mon Chien c’est quelqu’un »
    Raymond Devos
  2. Les belles phrases : page Facebook du blog d’Éric ALLARD.
  3. Antispécisme : concept visant à dénoncer la hiérarchisation des espèces et la supériorité de l’homme sur l’animal. https://www.google.com/amp/s/amp.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2018/08/25/37002-20180825ARTFIG00011-l-antispecisme-veut-abolir-la-discrimination-envers-les-animaux.php
  4. Le Petit Pain au chocolat.
    Titre de Joe Dassin

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 62 : REDRESSEUR DE SAULE

Saule : planter et tailler – Ooreka

La tête penchée sur l’eau qui court, les saules dépriment, ils ont le vague à l’âme et rêvent de mer, à défaut de retrouver le chemin de la source, la voie des origines.

Rivé au bord des rivières comme un clou dans une tête de bois, ce sont les poètes maudits de la forêt. Parfois, de loin en loin, du haut de sa blanche colonne, le peuplier lui adresse un regard hautain, un signe du bout de ses branches tournées vers le ciel. Ou bien il lui conseille, narquois comme il peut l’être, d’aller se faire élaguer.

Les saules ne sont d’aucune fête, contrairement au houx, au gui, au buis ou au sapin ; on les tient à distance, préférant les laisser mariner dans leur sève, remâche dans leurs songes d’évanescentes pensées, ce qu’on prend un peu vite pour du sommeil. Ce sont les oubliés des dieux et des druides, les laissés-pour-compte de la manne céleste.

On l’appellerait volontiers le hérisson des parcs alors que ses fleurs caduques, alternes, ovales ou lancéolées ne sont que douceur, doigts d’effleurement. Voyez comme ses branches balaient la surface l’eau, s’y trempent sans perturber son cours, caressent l’ondée qui hésite à repartir, y installerait bien ses pénates sous l’ombre d’un salix alba ou d’un salix japonica, si elle n’avait pas affaire ailleurs, si elle n’était pas pressée par le courant !

Les saules ne saoulent jamais, contrairement à certaines herbes ou lancinants romans des abords de la littérature courante. On peut paraît-il, si ne sont pas là des salades, ajouter certaines jeunes pousses à de la laitue avec un peu vinaigre. Et des indigènes auraient tiré de ses feuilles un peigne pour relever leur moustache après avoir bu trop de vin.

Alors qu’on tire de ses feuilles et de son écorce des antidouleurs et de l’aspirine, le saule souffre régulièrement de migraines. Car ce sont, comme on le sait chez les saules, les sauciers les plus mal saucés.

En boule, comme replié sur leur sort, pour éviter toute attaque extérieure, le saule rumine, il se regarde dans le miroir de l’eau, sans se trouver beau. Il faudrait pour cela qu’il prenne du recul, sache voir combien sa vue apaise, repose et donne du courage.

Le redresseur de saule relève l’arbre qui ploie, plie sous le poids des pleurs.

Il lui redonne de l’énergie, de l’allant et même la parole s’il jouxte une Maison de la poésie enracinée dans le silence et si on sait toutefois entendre son discours intérieur.