DENIS BILLAMBOZ
La poésie étant certainement l’un des meilleurs remèdes contre la morosité et l’enfermement, je vous en propose une double dose : quatre recueils pour une seule chronique. Vous trouverez dans celle-ci le dernier recueil publié par l’ami Jean-Louis MASSOT, celui d’Olivier VOSSOT, un autre magnifiquement illustré de Jean-Jacques MARIMBERT, un autre encore de poèmes courts d’inspiration japonaise de Iocasta HUPPEN et pour terminer un petit dernier de Jean-Jacques NUEL. De quoi vaincre n’importe quelle mélancolie.
/ / / / /
L’écart qui existe
Olivier Vossot
Les Carnets du dessert de lune

Albane Gellé, rappelle dans sa jolie préface que « Ce deuxième livre prolonge le premier, il est de nouveau adressé au grand-père… ». Comme je n’ai pas eu le plaisir de lire ce premier opus, je me suis réfugié dans les vers, tout de légèreté, de ce second recueil où j’ai trouvé : la douceur des sons, des mots, des sentiments, du rythme qui emmène le lecteur sur les traces du grand-père disparu, la tendresse du petit-fils pour son aïeul, la nostalgie du temps passé avec lui, la tristesse de l’avoir perdu et l’attente toujours présente, l’attente dans le passé de le retrouver et l’attente, peut-être, aussi aujourd’hui d’un impossible retour.
En picorant dans les vers d’Olivier, j’ai essayé de retrouver ce grand-père craint et adulé.
« … / A huit ans j’ai su que j’avais peur de lui, de son mal être. / Chaque verre l’arrachait au même noyau de silence / … »
Ce grand-père tendre et aimant qui n’avait qu’un défaut : une inclination pour l’alcool
« Tout l’alcool dilué / le changeait / ne changeait rien. / … »
« … / Ce que nous attendions, elle et moi / n’était pas que l’alcool lui passe, … »
Ce grand-père disparu dont il ne reste que le souvenir, la tendresse, des images, des bribes de vie, des objets posés là, des odeurs.
« … / une attente, la vague odeur de médicaments / enfant, au milieu de regards dilués. / Lui n’est plus là, ne vient pas. / … »
« … / Souvent tu me tiens dans tes bras, / je ne pèse pas lourd de vie. »
Et il reste aussi, et surtout, les poèmes écrits dans sa jeunesse à lui, ses mots, son regard sur le monde qu’il habitait.
« Il me reste tes poèmes, / le pincement des lettres, les contours flous du temps. / J’ai traversé l’âge que tu avais / quand tu écrivais les premières fois. / … »
« … / Je ne sais plus / depuis ta mort le nombre d’années / … »
C’est comme un vide qui bée depuis que le grand-père est parti avec ses excès, ses vers, sa tendresse peut-être un peu rude, un monde qui se réduit autour des mots récurrents dans les poèmes de l’auteur : présence, absence, silence, attente, vent, temps qui passe … tout ce qui construit un monde qui n’est plus mais qui vit toujours dans sa mémoire. « A présent ce qui dure / nous sépare. / … ». Et des images bien ancrées dans ses souvenirs. « Il restait seul à la table / le poing contre la joue. / L’attente, … », des images chargées des odeurs de la vieillesse : « Dans la pièce, l’air, l’odeur / font une peau aux souvenirs. / … ».
C’est un portrait d’une rare finesse, plein de tendresse et de sensibilité, qu’Olivier dresse de son grand-père avec lequel il semble, par-dessus les ans, partagé un amour et une passion pour la poésie, et peut-être, qu’à la fin des temps ils pourront joindre leurs mots en un même poème…
« Nous n’avons plus l’un et l’autre / qu’à attendre sans nous voir/ que le silence qui couvre tout / sorte de nos bouches / … ».
Peut-être que « L’écart qui existe entre durer et tenir » n’est que cet espace de temps qui sépare les deux poètes qui se sont déjà réunis par les sentiments et les émotions que leurs mots transportent. Olivier a su à merveille alléger ses vers, les réduire à de simples traces d’émotion, de sensibilité, d’amour filial, tout en les laissant lourds des sentiment qu’il adresse à l’ancêtre adulé. Des poèmes qu’on a envie de relire juste après avoir refermé le recueil, tant ils sont beaux !
Le recueil sur le site de l’éditeur
+
La boussole des rêves
Jean-Jacques Marimbert
Le Chat polaire

La première chose que j’ai vue en prenant ce recueil, après la qualité de l’édition, c’est la sérénité qui se dégage aussi bien des personnages des douze dessins, en noir et blanc, à la mine de plomb, qui l’illustrent que celle qui se dégage des textes. Sérénité, quiétude, irénisme, paix, calme et beauté sont les premiers mots qui viennent à l’esprit après la lecture de quelques textes seulement et la contemplation des dessins. Ce sont des reproductions, de la main de l’auteur, qui représentent des statues célèbres figurant dans des grands musées. L’auteur écrit dans une note que les dessins « se réfèrent à des œuvres « d’un musée imaginaire », et tiennent lieu de rosace de la Boussole des rêves… ».
Chaque texte est composé de quatre à une dizaine de quatrains en vers libres, et souvent de sonnets irréguliers (libres de toute rime). Dans ces vers, j’ai trouvé que le mot avait plus d’importance que la phrase, comme si l’auteur avait voulu associer des mots-images pour représenter un paysage, une scène, … pour en dire la beauté, l’intensité, l’émotion dégagées… pour impressionner le lecteur, marquer ses sens…
« Croyance en la beauté. J’ai cru. Seule elle peut,
Je l’ai cru, tatoué sur ma langue, sur mes yeux,
La beauté, vaincre la tempête, crachats du ciel,
Nuées d’oiseaux noirs. La beauté, où, des mots,
…. »
J’ai eu le sentiments que l’auteur voulait confier à ses mots la charge d’émotion, les impressions, les sensations qu’il voulait faire ressentir à ses lecteurs, tout ce qu’il avait lui-même éprouvé dans les mêmes circonstances. Ces mots disent, suggèrent, évoquent…
« Lit défait, draps humides, la nuit, et le froid
… »
Ses mots voyagent sur les ailes du vent, dans l’espace, dans l’ailleurs, au-dessus des mers, par-dessus les sables, sur les monts et les vallées. Ils parcourent les légendes, les contes et les fables, les mythologies à la recherche des vérités originelles, des forces de la nature et des faiblesses des hommes…
« … aussi violent
Que doux, ravivant ce que j’espérais oublier à jamais,
Ou mots surgis d’une ombre inexistante, origine de la
Métaphysique, qui sait. Sommeil envolé et des images
Brisées des plis d’un drapé médiéval enserrant la nuit. »
Des mots qui disent la vie, la mort, la nature comme on ne la voit plus, des émotions qui explosent, des sentiments et des sensations qui se déversent en flots versifiés, le flamboiement du soleil et des couleurs et la nuit sombre.
Des mots qui voyagent et qui chantent…
« Sindibad de Bassorah, Cristoforo de Gênes,
Marco Polo, serviteur de l’empereur mongol,
En paix à San Lorenzo, James Cook, Captain,
Mort à Hawaï, La Pérouse né au Gô, disparu
A Vanikoro, … »
Une exploration de l’espace entre les mots et les images et de leur fusion possible … Une vision du monde loin de nos préoccupations sanitaires quotidiennes, une vison de l’espace et de la vie au-delà des limites que nous nous sommes fixées.
Le recueil sur le site de l’éditeur
+
Oh, et puis zut !
Iocasta Huppen
Bleu d’Encre
/image%2F2166758%2F20201128%2Fob_d2e7a3_couv-recueil-iocasta.jpg)
Comme le souligne l’éditeur dans la quatrième de couverture, ces poèmes brefs ressemblent étrangement à des haïkus, ils en ont la forme mais pas le contenu. Les Japonais les nomment « senryu », ils ont pour sujet principal les faiblesses humaines avec ou sans une référence à la saison. Iocasta Huppen, grande spécialiste des poèmes courts d’inspiration japonaise, propose avec ce recueil une sorte d’éphéméride qui raconte une année calendaire qui commencerait au printemps. Une année qui pourrait être celle qui s’écoule avec des compléments de précédentes pour raconter l’automne qui vient de finir et l’hiver qui commence. Comme les haïkus, ces poèmes sont composés de trois vers, deux parfois, qui ne comportent que quelques mots, rarement plus de cinq. Avec ces quelques mots, elle raconte la vie qu’elle mène à Bruxelles ou sur les lieux de vacances qu’elle a fréquentés.
Ainsi, dès le début, elle évoque la vie de cette année difficile avec son confinement qui nous a tellement entravé et a fait tout autant jaser :
« Dans le ciel bleu / Le scoop de quelques traces d’avion – / confinement mondial »
A cette saison, au Japon les cerisiers fleurissent, Iocasta ne l’a pas oublié :
« Reflet – / des pétales de cerisier / partout sur la lune »
Une nouvelle importante fleurit ce début de ce printemps :
« Cinquième mois – / la graine apportée par le vent / se porte bien » ???
Pour fêter l’arrivée de l’été un peu de musique avec trois titres de chanson alignés en forme de senryu :
« Passe me voir / Je t’aime tellement fort / Juste nous »
Et, l’été, c’est les vacances :
« Départ imminent / crème solaire, maillot de bain / et masque en tissu »
Et, les vacances, c’est la liberté :
« L’une des fesses / dépourvue de sa part de maillot – / se croire seule au mode »
Et le plaisir coquin … :
« Câlin à l’étang / une grenouille / nous tient la chandelle »
L’été s’en va, les vacances se terminent, l’automne approche :
« Fin des vacances / la fuite irréparable / du fauteuil gonflable »
L’automne s’installe !
« Rayon après rayon / l’araignée tourne en rond – / lumière d’automne »
Puis, cède la place à l’hiver :
« Soleil de décembre – / de la fiente de pigeon / un peu de vapeur »
« Grêle de février – / quelques grains de cardamone / dans mon café grec »
Le cycle est terminé, nous avons tous un an de plus et nous savons comment Iocasta a passé cette année, elle nous l’a confié en quelques mots comme des images qu’on range précieusement pour, plus tard, se remémorer de bons souvenirs. Malgré toutes ces images iréniques et apaisantes, Iocasta sait bien que le monde ne tourne pas très rond :
« Le monde va mal / le zapper quelques minutes / au bord de l’eau »
Peut-être qu’il tournera plus rond l’an prochain … ?
Le recueil sur le site de l’éditeur
+
Mémoire cash
Jean-Jacques Nuel
Gros Textes

« Après avoir sacrifié / près d’un demi-siècle /à la prose » – il semble bien que ce fut un véritable sacrifice – Jean-Jacques Nuel revient à la poésie pour s’immerger dans une cure de nostalgie en évoquant : son enfance à Lyon, sa gare, peut-être aussi la Gare de de Lyon à Paris, son quartier, son petit monde d’alors : les rues, les commerces, les services publics ou privés, l’insouciance de la jeunesse et puis le temps qui passe… « Tu ne referas plus / ce trajet adolescent / entre la sortie du lycée / et la gare routière / où tu attendais l’autocar / de 18 heures 20 ». Aujourd’hui, « à 68 balais », Il évoque déjà l’autre extrémité de sa vie, l’avenir plus inquiétant qui se profile avec son lot de tracas et de souffrances. Ce recueil décrit une vie qui ne serait qu’un étirement entre deux extrémités : l’enfance insouciante et heureuse et la fin qui s’annonce avec tous les aléas réservés à la vieillesse. Aujourd’hui, ne serait qu’une passerelle entre ces deux extrémités sans relief particulier. Il a ce qu’il lui faut pour s’assurer un confort douillet dans un paisible coin de campagne bourguignonne tout en jouissant encore d’une santé suffisante pour vaquer à ses obligations et loisirs sans difficultés aucunes.
En quelques poèmes de quelques vers composés de quelques pieds seulement, Jean-Jacques Nuel raconte ce qui semble être la plus belle période de sa vie, son enfance à Lyon. A Lyon où il était tout aussi libre que le sont ses vers, où il rêvait encore… Aujourd’hui, son regard se voile d’une certaine désillusion accumulée au fil des ans et d’un brin de cynisme pour évoquer tout ce qui a changé pas forcément pour le mieux-être de l’humanité. A travers, cette tout petite strophe, il exprime, en quelques mots seulement, la puérilité qui a envahi notre société : « ce qui était merveilleux / en ce temps-là // c’est qu’on ne prenait pas / de photos » … Voilà tout est dit … ou presque !
Dès les premières pages de ma lecture, j’ai remarqué ces accès de nostalgie et ces bouffées d’inquiétudes, j’avais déjà rédigé une notule sur un petit papier quand, page 35, du recueil, j’ai lu ces vers : « Je vis trop il est vrai dans le passé / remémoré ou dans le futur /imaginé ». L’auteur était donc bien conscient qu’il considérait sa vie par les deux bouts comme d‘autres brûlent la … Pour lui le « … le présent n’est que la ligne / de partage / étroite / fuyante / entre le passé et l’avenir ». Et comme le temps est ta seule richesse, tu ne voudrais pas le galvauder inutilement. « Tu n’es pas un businessman / pour qui time is money / mais tu sais que le temps / est ta seule / fortune ». Alors gère-la avec le plus grand soin !
PS : « ne te fais pas plus dinosaure que te ne l’es », tu es plus jeune que moi ! Et, j’espère bien qu’un jour nous pourrons partager « une bouteille de Château-Chalon / dont (je) suis (aussi) amateur ».