VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LA GRANDE ILLUSION (Jean RENOIR, 1937) par MANGANO, NYSENHOLC & REMY-WILKIN

VERS UNE CINETHEQUE IDEALE

100 films à voir absolument…

…des débuts du cinéma aux années 2010

(23/100)

La grande illusion

film de Jean Renoir, France, 1937, 114 minutes

La Grande Illusion (Jean Renoir, 1937) : le mirage de l'existence -  Décryptage d'affiche de films

polyphonie où se répondent les voix d’Adolphe NYSENHOLC, Daniel MANGANO et Ciné-Phil RW.

ADOLPHE :

Le film a été classé 5e meilleur film de tous les temps par un comité réunissant 117 experts mondiaux lors du Top 12 organisé par la Cinémathèque royale de Belgique en 1958, à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles.

NDLR :

Voir la présentation/introduction du feuilleton consacré à ce Top 12 de 1958 par notre ami Adolphe Nysenholc (qui intègre des liens permettant d’en savoir davantage sur lui) :

Ce feuilleton intégrera bientôt un dossier complémentaire d’Adolphe sur La grande illusion.

PHIL :

J’ai souvent lu que les deux plus grands films de l’histoire du cinéma français étaient Les enfants du paradis et La grande illusion, les deux géants hexagonaux Marcel Carné et Jean Renoir. J’avalise l’opinion critique la plus commune, en glissant Clouzot dans la foulée des deux susdits. Mais je vais être plus polémique. Quand j’entends dire que Truffaut, Godart, Chabrol, Rohmer, etc. représentent la French Touch, je sursaute toujours, non que je leur dénie une importance évidente, ils me semblent simplement à des années-lumière du génie des susdits.

PHIL :

Le synopsis détaillé se trouve sur Wikipedia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Grande_Illusion#Synopsis

Ce film amène plusieurs fois les larmes aux yeux, tant il exhale un humanisme profond, conjuguant pudeur, solidarité et questionnements sur l’identité. Pourtant, mon rapport au film, passé à la loupe, est plus complexe. Ainsi, la première partie, à la deuxième vision, m’avait paru assez faible. A la troisième vision, toute récente, mon regard se modifie, nuance dans la nuance. Cette première partie est très moderne dans son montage. Une suite de micro-scènes. Qui permettent d’économiser plusieurs films. Qui racontent la guerre et un premier camp, l’internement en quelques coups de pinceau (Jean Renoir n’est pas pour rien le fils d’Auguste !). La perception est plus cérébrale et contraste avec l’unité, la densité de la deuxième partie, qui se situe dans le second camp d’internement de Maréchal, de Boëldieu et Rosenthal. La présence de von Stroheim est si puissante que le film véritable naît avec sa réapparition. Mais le décor, ce formidable château (du Haut-Koenigsbourg), un Wintersborn labyrinthique inscrit sur un escarpement, joue indubitablement sur la prégnation. On pourra ergoter sur la troisième partie, l’errance de Maréchal et Rosenthal (un autre film ?) à travers l’Allemagne, jusqu’à l’arrivée en Suisse, ou leur arrêt bucolique chez l’habitante. Ou regretter la quatrième envisagée mais évacuée (voir le synopsis), qui aurait définitivement mué le film en un ensemble de tableaux, l’équilibrant davantage.

ADOLPHE :

La première partie est brillante, pleine de temps forts, avec l’apparition, – égal à lui-même, – de von Stroheim, qui a abattu l’avion de Maréchal et de Boëldieu, la chanson de Carette (on ne peut plus expressif), le French Cancan cocasse des Anglais devant les Allemands, la Marseillaise entonnée avec émotion à la reprise de Douaumont, Gabin touchant en cellule… Sans cette partie, la deuxième, qui la retourne, n’aurait pas été, me semble-t-il, aussi forte. Dans la troisième partie, l’évasion tant rêvée est totale, après l’enfermement dans l’amitié des lager. Sans l’ouverture sur le monde et l’amour dans la liberté (Gabin-Dita Parlo), le film n’aurait pas porté l’illusion et l’espoir à son comble. Quant à la suppression de la quatrième partie (les retrouvailles après la guerre), celle-ci aurait fait retomber à plat l’épopée dans le quotidien. Le choix de la supprimer sauvait le film, la vibration de son titre.

PHIL :

Un mot sur la seule femme du film. Elsa est jouée par Dita Parlo, une Allemande, comme von Stroheim. Elle a joué dans un autre chef-d’œuvre du cinéma français : L’Atalante (Jean Vigo, 1934).

DANIEL :

La grande illusion est essentiellement un film d’hommes, hormis l’épisode de la rencontre avec Elsa. Pourtant, dans ce milieu militaire, si la femme est exclue, toujours hors champ, elle stimule l’imagination érotique masculine. Dès le début du film, Gabin est séduit par la voix d’une chanteuse s’échappant d’un disque pour susurrer Frou-Frou, allusion aux murmures des affriolants jupons. Ce pouvoir évocateur, on le retrouve lors de l’arrivée de vêtements féminins destinés au spectacle des soldats. Tous sont émus en les touchant et en les caressant, jusqu’à ce qu’un soldat d’allure moins virile s’habille en femme et crée, sans s’en rendre compte, un trouble exprimé par un silence général éloquent. L’art d’évoquer le charme féminin par l’absence, avec pudeur et discrétion.

PHIL :

Le fantasme féminin irrigue l’ensemble du film. Je l’ai relu à la lumière de ton intervention, Daniel. Dès la première scène, chez les aviateurs français, il y a les allusions distillées à Maréchal sur une mystérieuse Joséphine qu’il court retrouver dès que possible. Dès la première scène chez les aviateurs allemands, il y a ce pan de mur avec des affiches du Moulin-Rouge, des danseuses de French Cancan et autres vamps.

DANIEL :

Chez Renoir, c’est d’ailleurs souvent quand le discours cesse que la tendresse peut s’exprimer. Idem dans la scène où le geôlier console Gabin dans sa cellule. Quand le gardien sort et entend le son de l’harmonica (Gabin étant lui aussi hors champ), l’émotion gagne la partie.   

PHIL :

Très belle scène ! Une de mes préférées. Mais, au sommet de l’émotion, je place celle où von Stroheim veille de Boëldieu… après lui avoir tiré dessus, sollicite son pardon puis, ayant constaté sa mort, va couper le géranium qu’il entretenait avec un soin amoureux.

DANIEL :

D’accord avec toi. Le cadrage joue ici un rôle majeur. Alors que Fresnay et von Stoheim font souvent l’objet d’un jeu champ/contre-champ (lorsqu’ils conversent aimablement ou sont séparés – épisodes qui opposent Français et Allemands), ils sont réunis dans un même plan lors de cette scène poignante, à l’heure ultime où il n’y a plus ni vainqueur, ni vaincu.

ADOLPHE :

Le génie de Jean Renoir est la générosité. Son film raconte la fraternisation d’ennemis durant la Grande guerre, pour essayer de prévenir la Seconde Guerre mondiale qui s’annonçait. Il n’y a pas de raison de se battre si on s’entend bien par-dessus les frontières. On a le lieutenant Maréchal (Jean Gabin), évadé parisien d’un camp de prisonniers…

PHIL :

… avec son langage de titi : « Je suis frigo ! Faut que je bouge ! »

ADOLPHE :

…qui aime d’amour Elsa (Dita Parlo), la femme allemande auprès de laquelle il a trouvé refuge. Et il y a aussi deux officiers des camps adverses qui développent une grande amitié :  le capitaine de Boëldieu (Pierre Fresnay) et son geôlier teuton, le commandant von Rauffenstein (Erich von Stroheim).

DANIEL :

Oui, la générositéest le mot-clé. Dans mon souvenir, aucun personnage ne fait preuve de bassesse. Pas de traîtres, ni de manifestations outrancières d’égoïsme ou d’abus de pouvoir. La bienveillance du film m’émeut, d’autant plus à une époque (la nôtre) où la notion de « genre » donne lieu à des affrontements agressifs ou à des réactions hostiles de part et d’autre. Renoir nous rappelle qu’un genre transcende tous les autres : le genre humain.

PHIL :

Je me demande si tout grand cinéma ne possède pas nécessairement une dimension humaniste. Mais il y a des contre-exemples. Du moins suis-je pour ma part, dans mes prédilections, réticent quand une expression artistique ne renvoie pas à notre condition humaine.

DANIEL :

Le trio qui domine La grande illusion est extraordinaire (ainsi que les seconds rôles : Dalio, Carette, etc.), mais Erich von Stroheim (qui éprouvait des difficultés à mémoriser les répliques en allemand !) confère à son personnage une silhouette inoubliable. Il a eu lui-même l’idée de la minerve qui le raidit encore davantage et accentue le contraste avec son côté humain. Hergé avouera s’en être souvenu pour créer le personnage du colonel Sponsz de L’affaire Tournesol

ADOLPHE :

Erich Von Stroheim dans son rôle favori : « l’homme que vous aimeriez haïr ». Celui-ci porte une minerve : son avion a été descendu en flammes et il a la nuque brisée. Cela permet à son personnage de demeurer un militaire digne et droit. Mais c’est comme si von Stroheim (cinéaste cassé) portait au vu de tous sa blessure intérieure.

Base de données de films français avec images

NDLR :

Voir l’analyse de Daniel sur les mésaventures de von Stroheim comme cinéaste, dans notre article sur Greed :

Voir aussi la conférence de Daniel sur Greed (avec une première partie dévolue au livre de Frank Norris qui a inspiré le film) :

PHIL :

Comme acteur, dans les films français du temps, Erich von Stroheim est en effet bouleversant d’humanisme, ce qui est un comble quand on voit la noirceur de ses films américains (comme réalisateur). Il a creusé une empreinte très forte dans mon imaginaire dès l’enfance, avec un autre rôle mémorable : le professeur d’allemand des Disparus de Saint-Agil. A propos de Carette, je note une maladresse du film. Il est omniprésent dans la première partie, a pour ainsi dire droit à un one man show (il danse, chante pour amuser les prisonniers) mais disparaît complètement dès l’ouverture de la deuxième partie.

ADOLPHE :

Le spectacle est sacrifice. Il y a celui de Boëldieu par lui-même et celui de Carette par le réalisateur (qui ne le fait plus réapparaître), mais, dans les deux cas, le sacrifice sert à rendre l’évasion possible, elle ne pouvait réussir qu’à deux…

PHIL :

Dalio, quant à lui, me renvoie au formidable auteur de comédies Gérard Oury. Celui-ci lui a confié des décennies plus tard un rôle de rabbin dans Rabbi Jacob, où il interroge le regard franchouillard sur l’identité juive Je ne puis m’empêcher d’y voir le prolongement d’une connexion entre La grande illusion et… La grande vadrouille. L’errance des lieutenants Maréchal et Rosenthal (Gabin et Dalio), à la fin, m’a renvoyé celle de Bourvil/De Funès. Il y a le même signe éthique adressé aux spectateurs : deux personnes que beaucoup sépare (classe sociale, voire confession ou racines dans le film de Renoir) mais qui sont réunies par une fraternité humaine. La proximité des titres interpelle.

MARCEL DALIO : A PROPOS DE "LA GRANDE ILLUSION" - Mon Cinéma à moi....

ADOLPHE :

On peut lire La grande vadrouille comme un hommage à La grande illusion. Et La grande évasion/The Great Escape (de John Sturges, E.U., 1963, avec Steve McQueen, Charles Bronson, etc.) comme un remake de La grande illusion.

PHIL :

Une convergence évidente, en effet. Qui projette dans une… grande illusion : le film américain est l’adaptation d’un livre de Paul Brickhill paru en 1950 et relate des faits authentiques survenus durant la Deuxième Guerre mondiale.

DANIEL :

La grande évasion emprunte sans doute au film de Renoir l’épisode de la terre qu’on ramène du tunnel pour la mêler à celle du camp en vidant ses poches. Deux autres films de Renoir se situent dans le cadre de l’armée. Le premier, Tire-au-flanc (1926) est une satire courtelinesque du monde militaire, tirée d’une pièce assez médiocre. L’autre, son dernier film, Le caporal épinglé (1962), évoque, lui aussi, un camp de prisonniers (mais pendant la Seconde Guerre mondiale). S’il est injustement méconnu, il présente une belle brochette d’acteurs débutants (Jean-Pierre Cassel, Claude Rich, Claude Brasseur, Guy Bedos) mais n’atteint pas au sublime de La grande illusion : son message est moins humaniste, les personnages sont moins complexes. Il me semble en fait plus proche du film de Sturges par son côté fonctionnel, axé sur la débrouillardise.

PHIL :

Le film est tellement profond côté fond, humanisme, qu’on en oublierait ses qualités techniques ou esthétiques. Les décors, du premier camp aux paysages alpins finaux, en passant par le château de Wintersborn, sont magnifiques, mais il y a de nombreux plans resserrés sur des détails matériels qui métaphorisent l’univers mental des personnages concernés. Adolphe et Daniel ont évoqué les parties musicales ou dansantes, mais Joseph Kosma est aux commandes de la bande-son, comme il sera de la partie lors de la plupart des chefs-d’œuvre de Carné (dont Les enfants du paradis) et Renoir. Enfin, participant de l’humanisme étendard, les dialogues sont souvent superbes, qu’ils soient cocasses, émouvants ou philosophiques :

« Au revoir, sale juif ! » (qui renverse les préjugés et sonne très chaleureusement) ; « Si je me retournais, je ne pourrais peut-être plus partir. » ; « Une frontière, ça ne se voit pas, c’est une invention des hommes, la nature s’en fout. » ; « Tant mieux pour eux ! » (d’un soldat allemand qui arrête le tir de son camarade, ayant observé que les fuyards sont en Suisse).

DANIEL :

Essentiel aussi, le rôle du théâtre. Renoir, passionné, fait de celui-ci un usage très moderne par le renversement des rôles. Contrairement au théâtre filmé où la caméra est au service de la pièce, ici, comme dans La règle du jeu, le théâtre vient apporter au cinéma une touche à la fois réaliste et poétique. L’ensemble du film est d’ailleurs découpé comme une série d’actes et de scènes.

Et je voudrais revenir, insister sur un aspect remarquable : l’art d’évoquer des éléments essentiels par leur absence même. On a cité supra le cas de « la femme » ou la scène Maréchal/géôlier, mais que dire de la guerre ? Aucune scène de combat dans le film de Renoir !  Un exemple frappant de cette stratégie narrative :  Douaumont, où l’alternance des annonces de victoire suffit pour témoigner de l’âpreté des combats. Renoir veut en quelque sorte tenir l’imagerie guerrière à distance, peut-être pour éviter l’exaltation qu’elle pourrait provoquer (le film de guerre est souvent aussi un divertissement) mais surtout pour mieux mettre en exergue le message pacifiste.   

ADOLPHE :

Comme beaucoup d’autres hélas, La grande illusion est un « film martyr ». Même si, contrairement à un Greed (du von Stroheim cinéaste), il n’a pas été débité en tranches ni remonté par autrui. Mais, sa réception a connu des problèmes en cascade. En Allemagne, dès sa sortie, le film est déclaré, par Goebbels (qui n’a jamais pu produire un Potemkine, qu’il voulait dépasser), « ennemi public n°1 ». Evidemment : entre amis, on ne peut pas faire la guerre et l’Allemagne, toujours malade de sa défaite en 1918, rêve d’une implacable revanche. En 1940, au cours de la campagne de la « Drôle de guerre », ce film pacifiste paraît défaitiste au Ministère de la Défense et sa diffusion arrêtée. Durant l’occupation de l’Hexagone par le IIIe Reich nazi, le film est interdit. En 1945, en France, une polémique naît du côté communiste qui accuse le film d’antisémitisme. On épingle la scène où Jean Gabin se dispute avec Dalio, son camarade juif avec lequel il s’est évadé. Ils sont épuisés, et Dalio s’est foulé le pied. Gabin avec lui désespère de traîner un boulet. Il a des mots, qu’ensuite il regrette. On voit bien qu’ils restent les meilleurs camarades du monde. La critique, au lendemain de la Libération, était apparemment de la Résistance mal comprise.

DANIEL :

Pour des raisons diverses, la critique s’est déchaînée tous azimuts contre le film, atteignant parfois des sommets de virulence haineuse, comme dans l’ignoble pamphlet Bagatelles pour un massacre (1937),où Louis-Ferdinand Céline cible le personnage de Rosenthal. Cet auteur avait pourtant tellement fustigé la guerre 14-18 dans le Voyage au bout de la nuit…

PHIL :

Le film a posé problème dès avant sa réalisation. Renoir ne trouvait pas de financement et il lui a fallu l’aide de Gabin pour y arriver. Dans ce feuilleton, nous rappelons souvent à quel point il existe un décalage entre le succès immédiat et le succès à long terme, à quel point l’art véritable doit résister à mille tourments, accepter un purgatoire d’années ou décennies. Il n’est qu’à relire déjà ce qui se dit pour L’impossible monsieur Bébé ou Hitchcock avant Une femme disparaît. Mais ça vaut pour Griffith, Welles, Laughton, Tati, etc. Un cas Chaplin est très rare, soit une reconnaissance publique et critique sur le court et le long termes.

PHIL :

Jean Renoir ! Un génie ! Auquel on doit plusieurs chefs-d’œuvre : La règle du jeu (1939), Le crime de M. Lange (1935), Une partie de campagne (1936) ou La bête humaine (1938). Qui a parfois fait l’acteur aussi (un brillant et émouvant Octave dans La règle du jeu). Mais quelle famille ! Son père Auguste est un peintre majeur, son frère Pierre est un inoubliable comédien dans Les enfants du paradis de l’autre géant, Carné. Son autre frère, Claude, qui travaillera dans le cinéma à son côté, a été un expert de l’œuvre paternelle et un céramiste réputé. Ses sœurs sont moins connues, Jeanne et Lucienne, mais la deuxième (à la paternité polémique) sera peintre elle aussi.

Adolphe NYSENHOLC, Daniel MANGANO et Ciné-Phil RW.

MOUETTES de CLAUDE LUEZIOR

Sans cesse, les mouettes crient leur urgence. Elles virevoltent et pourfendent les embruns, défient les turbulences, éparpillent le scandale au gré des falaises, comme si le ressac, ce matin, se résumait à l’unique nouvelle sur l’ardoise marbrée des flots.

Une poignée de mouettes, c’est pas grand-chose, mais il faut dire qu’une armée toute entière, une armada de mouettes au faîte de leur indignation coalise le respect. Convoquant d’étranges noces dans leur appareil presque immaculé, mêlant et démêlant des serments nomades aux rumeurs des flots, scandant quelque jacquerie à la face des bourrasques, toujours hautaines, toujours ivres de tempêtes, les voilà qui prennent possession de la crique toute entière.

Indignation bien légitime : devant le phare dressé comme une croix, les mouettes crient la mort du poète.

Mouettes GIF | Gfycat

Le site de Claude LUEZIOR

Photo
Claude Luezior croqué par Jeanne Champel-Grenier 

LA MAISON DU BELGE d’ISABELLE BIELECKI (M.E.O.)/ Une lecture de Philippe BRAHY

Les tulipes du Japon

Voilà une auteure, Isabelle BIELECKI, qui est dans la ligne d’Hubert Nyssen. Je lui souhaite l’Académie royale des Sciences, des Lettres de Belgique et, un beau succès pour ce dernier volume d’une trilogie : Les mots de Russie et Les tulipes du Japon.

En la lisant ce roman : La maison du Belge, je comprends mieux son évocation à Amélie Nothomb : Stupeur et tremblements, dans l’expérience qu’elle fait d’une entreprise nipponne. Et comment, plus avant ne pas penser à ce titre : Le Parfum, roman de Patrick Süskind.

Dans ce triangle d’Amour, de désamour, de sentiments et d’empathie, les personnages du livre : Élisabeth, Ludo et Marina « Maia dorogaia, bonne conseillère ».

Une autre amie, Caroline : « ces homme qui ont peur d’aimer » et ses mots de Ludo, l’homme d’affaires : « séduire, conquérir, asservir ». Cynisme et réalisme, hélas ! où nous pourrions tous nous retrouver si ce n’est à contre nature de notre cœur, de notre éducation. Ludo avait-il été aimé ?

Élisabeth et son roman : « je rature. Recommence. Recopie avec hargne. […] « pichi ! Pichi ! Pichi ! » : écrire, écrire, écrire…

Ce roman qui prend forme envers et contre tout ; un roman fort, qui aura l’écho qu’il mérite, ici où ailleurs, je le sens. Le temps s’apaise, même s’il en coûte, il ne fallait penser qu’à soi pour arracher la FIN.

Je suis sûr qu’Élisabeth aime toujours Ludo mais le deuil de cet amour est fait. Elle a eu peur, elle aussi, d’aimer trop : son père, Ludo et les hommes lui furent indispensables dans son combat pour la « simple » liberté d’exister mais, seule, elle a su vaincre.

Bravo à Isabelle BIELECKI qui a su conduire ces lignes sans concessions nous offrant un roman d’amour où ne manque aucun des ingrédients d’un très bon livre. Une écriture sur laquelle investir.


La Maison du Belge, roman.
Illustration de couverture :
© Pierre Moreau
Préface de Myriam Watthee-Delmotte

Éditions M.E.O.
http://www.meo-edition.eu
meo.edition@gmail.com
ISBN : 978-2-8070-0270-8


À découvrir sur les site de l’éditeur

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 80. RACCORDEUR DE COCCINELLES

Savez-vous différencier les coccinelles du jardin ?

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La coccinelle est un insecte à points sur lequel on peut compter.

Elle renvoie à la bonne fortune, au soleil, au dieu bon comme le vin. Seuls les pucerons l’ont en horreur. Sa rotondité fait écho aux largesses maternelles et sa petitesse fait signe vers la candeur, l’objet à protéger – devenant lui-même gage de protection. Elle donne prise à la caresse et aux élans tactiles, qui plus est en période de restrictions affectives strictes. À l’instar du trèfle à quatre feuilles, de la queue d’écureuil ou du fer à cheval, elle porte chance. Tout qui supporte une coccinelle se voit touché par la grâce. Ainsi, comme on le raconte, de ce condamné à être décapité, dont le cou plusieurs fois de suite visité par une coccinelle, fut gracié.

La Coccinelle est aussi un véhicule utilitaire qui, détourné de sa fonction d’origine, de son acte de naissance un brin suspect, customisé, cinémaïsé, dynamisé, propulsé dans les airs et sur les routes les plus improbables, peut donner de l’amusement et de la joie à ses utilisateurs en plus que de la mobilité passive.   

Mais la coccinelle, à force d’user de la chance, d’avoir épuisé sa capacité à rendre heureux, sous la pression des insatisfactions nées des successives crises du capitalisme et du socialisme, sa capacité se décharge. Elle perd des points dans la course à la félicité, elle a des ratés, on ne peut plus compter sur elle.

Il faut la raccorder au bonheur.

Mais les prises se font de plus en plus rares car l’âge d’or des plaisirs et des libertés faciles est passé. Et le bonheur coûte bonbon ; il ne suffit pas de le liker ni de le click & collecter, sauf pour certaines sortes de bonnes fortunes financières pleines de ronds et de blés.  

Le raccordeur de coccinelles agit au printemps, la saison durant laquelle l’aubaine sied le mieux aux cœurs demeurés en hiver et aux assoiffés de soleil. Il suffit dès lors de brancher le coléoptère sur une source de lumière avec un chargeur fourni gracieusement par La Fabrique des métiers qui prépare activement sa Journée Ailes ouvertes sur le sky center de l’entreprise bio et du commerce équitablement réparti entre les plus rapaces du monde nouveau.

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ABYSSE de LEÏLA ZERHOUNI (Bleu d’Encre) / Une lecture d’Éric ALLARD

Abysse, c’est huit textes-souvenirs pour raconter une amitié dans la région du Centre, en Belgique. 

Deux adolescentes de 14 ans scellent une amitié à la faveur du séchage d’un cours de maths pour  trouver refuge dans un petit café de La Louvière

« Quel plaisir de se sentir affranchie de toute obscure formule mathématique et d’échapper au joug des adultes ! Pour les jeunes filles que nous étions, cet envol vers de nouveaux cieux était un grand pas vers l’émancipation. Au diable les leçons et les cahiers ! A nous l’insolence, le parfum grisant de la transgression, l’odyssée des interdits ! »

Bientôt, elles vont refaire le monde en évoquant des figures féminines : Virginia Woolf, Simone de Beauvoir et Simone Veil, Victoire Cappe, « cette Liégeoise qui lutta en faveur de l’émancipation de la femme en Wallonie »…

Dans la même école, le prof de français initie ses étudiants aux aphorismes d’Achille Chavée. Ce sont d’ailleurs des apophtegmes du vieux peau rouge de la rue Ferrer qui ouvrent chacun des textes.

L’amitié entre les deux jeunes filles va être rompue par l’arrivée d’un garçon dans la vie de l’amie, un jeune homme aux humeurs changeantes prénommé Joss, à qui elle passera tout…

Entre insouciance et gravité, Leïla Zerhouni raconte une histoire en phase avec la région qui, même ensoleillée, ne peut se départir de son lourd passé minier, des tragédies qui s’y sont jouées. Elle raconte en noir et blanc un destin qui s’est ouvert à tous les possibles pour ensuite…

Des quatrains s’insèrent comme des chœurs bienvenus dans chacun des textes pour ponctuer, commenter à leur façon, légèrement décalée, musicale, la narration,  

Il y a des roses

Qu’on ne peut cueillir

Elles n’éclosent

Qu’en lointain souvenir

L’épilogue se passe dans le parc du domaine de Mariemont, lieu emblématique de la région, près duquel, nous apprend-on, est née l’autrice.  

Il ressort de cette lecture un charme, un fort parfum de nostalgie que seuls les textes habités parviennent à nous faire éprouver. 

Les Editions BLEU d’ENCRE

Staccato de Leïla Zerhouni (Lamiroy)

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDEALE : LE MAGICIEN D’OZ (Victor FLEMING, 1939) / Krisztina KOVACS & Philippe REMY-WILKIN

VERS UNE CINETHEQUE IDEALE

100 films à voir absolument…

…des débuts du cinéma aux années 2010

OFF

Le magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939)

Description de cette image, également commentée ci-après

Krisztina KOVACS à la mise en place,

Ciné-Phil RW au contrepoint.

Le magicien d’Oz/The Wizard of Oz, film musical/conte fantastique de Victor Fleming, Etats-Unis, 1939, 98’.

KRISZ :

Je réexplore le classique américain (familial ?) pour la Cinéthèque durant une période festive qui ne nous verra pas voyager ou revoir notre famille de sitôt, pandémie oblige : il reste vibrant, décalé et aura mieux vieilli que certains films de Tim Burton (avis controversé !).

PHIL :

Un classique familial ? Assurément. Qui, dès l’avènement de la télévision, vers 1956, deviendra une diffusion idéale pour la période de Noël, se faufilant ainsi dans l’imaginaire de plusieurs générations d’Américains. Tout en séduisant la critique : l’AFI (American Film Institute, une référence mondiale) l’a classé 6e film (américain) de tous les temps en 1997 et 10e en 2007, 1er film fantastique aussi et 3e film musical, tout en plaçant « la méchante sorcière de l’Ouest » 4e plus grand méchant de l’histoire du grand écran.

PHIL :

Rappelons les grandes lignes du récit.

Dorothy Gale (Judy Garland), une orpheline, est élevée par ses oncle et tante dans une ferme du Kansas. Le grain de sable qui grippe sa vie ? Les manigances d’une institutrice : Miss Gulch veut faire saisir (et tuer) son chien Toto. Pour éviter la séparation, la jeune fille s’enfuit avec celui-ci, une tornade les surprend et les emporte « over the rainbow »/« au-delà de l’arc-en-ciel », dans un pays magique, Oz. Elle voudrait rentrer chez elle, songeant à la détresse de ses parents adoptifs, trouver qui pourra l’y aider. Elle croise une fée, des nains sympathiques. On lui parle d’un puissant magicien, elle reçoit des souliers magiques, en rubis, pour la guider jusqu’à lui. S’ensuivent une série de rencontres et bien des aventures auprès de personnages fantastiques, dont plusieurs deviennent des amis inséparables : « l’épouvantail », « l’homme de fer-blanc » et « le lion peureux ». Aventures d’autant plus échevelées qu’elle doit affronter les entreprises haineuses d’une bien vilaine sorcière destinée à tout pour lui ravir ses chaussures magiques.

Dorothy parviendra-t-elle à rencontrer le magicien d’Oz et à en obtenir ce qu’elle souhaite ? Echappera-t-elle à la « méchante sorcière de l’Ouest » et à ses hordes de singes volants ? Regagnera-t-elle un jour le Kansas et sa maison, sa famille et ses amis ?

Pourquoi vous n'avez (sans doute) rien compris au « Magicien d'Oz »

Dorothy et ses amis l’épouvantail, le lion peureux et l’homme en fer-blanc.

KRISZ :

Le film est d’autant plus intéressant qu’il plaît à la fois aux adultes et (énormément !) aux enfants, qui y voient un monde onirique et une quête initiatique, y reconnaissent des valeurs « sûres » : la famille, le travail, l’amitié, la gentillesse, tous symbolisés par les personnages principaux, très attachants. Serait-ce de la propagande, après la grande dépression américaine ? Le dur labeur, la solidarité et l’honnêteté triompheront à la fin… Ou simplement une merveilleuse source de distraction pour le public, entre films noirs et films de gangsters, très populaires à l’époque ? Qu’en penses-tu, Phil ?

PHIL :

Tu me tends une perche qui peut mener très loin.

D’abord, cadrons le propos. Le film est inspiré des livres de L. Frank Baum, le premier tome est paru en 1900, près de quarante ans plus tôt. Donc il faut tenir compte des intentions de l’écrivain puis vérifier si le film présente des écarts signifiants. Baum lui-même a dit que son récit avait été écrit « pour le seul plaisir des mômes d’aujourd’hui » (dans l’introduction qui précède Le magicien d’Oz). Avis corroboré par la Bibliothèque du Congrès américain qui voit dans cette œuvre « le premier conte américain destiné aux enfants ».

Il y a pourtant une interprétation politique de l’œuvre de Baum, qui est encore aujourd’hui étudiée dans les universités américaines. Elle date de 1964 et d’un article rédigé par un professeur de New York. Henry M. Littlefield réinterprète Oz en allégorie d’un courant populiste, qui aurait échoué dans sa lutte contre la finance et l’étalon-or. Dorothy devient une incarnation du peuple américain, ses amis représentent les fermiers (« l’épouvantail ») et les ouvriers (« l’homme de fer-blanc ») confrontés à un marasme économique, endettés ; « le lion peureux » renverrait au leader démocrate (dont Baum était un supporter) qui voulait aider le peuple mais n’y arrivera pas. La route en briques jaunes symboliserait l’or, le magicien ces hommes politiques qui font des promesses qu’ils ne peuvent tenir, etc.

Un détail du film m’a interpellé tant il semble gratuit et donc tant il renvoie à un sous-texte : une réplique virulente de la tante de Dorothy, au début, révèle que l’institutrice (qui se métamorphosera en « vilaine sorcière ») appartient à une famille richissime qui possède toute la région ou l’Etat, des allures d’exploiteurs féroces. Dans le film, les amis merveilleux de la jeune héroïne sont des interprétations des ouvriers agricoles de la ferme familiale, mais ce détail est dû à un des réalisateurs ou scénaristes. Le plus important changement opéré par ces derniers, la transformation des souliers de Dorothy, n’a rien à voir avec l’idéologie mais tout avec la technologie : Technicolor !

A méditer, donc ! Au contraire de la rumeur idiote qui a associé les livres puis le film à une « apologie de la sorcellerie ». Hier (dès la parution des livres) et aujourd’hui (du moins, encore en 1986). Ce qui renvoie à un radicalisme chrétien, très présent aux States, dont on ne mesure pas assez, en Europe, l’obscurantisme et la force de nuisance. Quoique. Trump a soulevé le couvercle…

15 Wonderful Things You Might Not Know About L. Frank Baum | Mental Floss
Lyman Frank Baum (1856-1919)

KRISZ :

Produit par la MGM en réponse au succès du Blanche-Neige de Disney, le film sera attribué à Victor Fleming, même s’il part avant la fin pour les plateaux d’un certain Autant en emporte le vent !

PHIL :

Sacré Victor ! Et c’est doublement le cas de le dire. Fleming sera le grand vainqueur des Oscars de l’année 1940. 1939 est une année magique du cinéma américain mais, au milieu des chefs-d’œuvre qui se seront télescopés, Oz est nommé pour 5 Oscars (dont le meilleur film), Autant en emporte le vent pour 13 ! Fleming est sacré meilleur réalisateur pour Autant mais Oz ramène les statuettes pour la musique et la chanson Over the Rainbow.

Ont aussi apporté leur grain de sel à la réalisation : Richard Thorpe, George Cukor, King Vidor et Mervyn LeRoy, autant de grands noms qui renvoient à l’omnipotence des producteurs/créateurs de l’époque. Cinq réalisateurs et… quatorze scénaristes, dont trois, seulement, seront cités.

KRISZ :

A la base, je ne suis pas du tout fan de comédies musicales, Le magicien d’Oz a pourtant une valeur singulière dans mon imaginaire d’enfant, et maintenant d’adulte. Son impact formel ? Tout le film, mis à part le générique du début, a été entièrement filmé en studio. Une atmosphère colorisée, fortement psychédélique mais parfois claustrophobe, à l’image de ce passage inédit alors, du noir et blanc (Phil : du sépia, en fait) à la couleur, aussi magique qu’inquiétant. Curieux mélange. Dans l’ouvrage d’origine, le roman de Frank L. Baum, les fameux souliers de Dorothy sont en argent, mais la production a préféré le rouge éclatant du rubis (Phil : pour cause de Technicolor !). Selon l’écrivain Salman Rushdie, la merveilleuse comédie musicale est en fait « un rare exemple de film améliorant un bon livre ».

PHIL :

Ne serait-ce pas le cas aussi du Parrain de Mario Puzo (adapté par Coppola) ou du Rebecca de Daphné du Maurier (réinventé par Hitchcock) ?

KRISZ :

Cas des classiques que tu cites, beaucoup n’ont pas lu le livre mais connaissent parfaitement le film et les séries ou comédies musicales Broadway ou West end dérivées.

KRISZ :

Serait-ce le premier film « à gros budget » prioritairement destiné à un jeune public ? Commence-t-on à l’époque (avec les premiers Disney, quasi contemporains du film) à voir le potentiel commercial et artistique d’œuvres destinées à l’enfance ? Le magicien d’Oz marque une étape dans les campagnes promotionnelles au cinéma en imprimant, pour la première fois de l’histoire, un t-shirt à l’effigie d’un film.

PHIL :

Du coup, je relis nos listes des années 1910 et 1920… Il me semble que tu as raison. Disney et Oz pourraient avoir ouvert une nouvelle ère. Il faut mesurer (et ça vaut pour les romans : Les trois mousquetaires, les Sherlock Holmes, etc.) que de nombreuses œuvres glissent vers la jeunesse après de nombreuses années, des décennies. Chaplin, les Marx ou Keaton, Laurel et Hardy, les films d’aventures avec Tyrone Power, Douglas Fairbanks ou Errol Flynn ont d’abord été des films pour adultes.

KRISZ :

Bien des répliques du Magicien d’Oz sont devenues cultes, et sa thématique a inspiré à son tour d’autres films dont le déjanté Sailor et Lula (Lynch, 1990), et donné vie à de nombreuses répliques de répliques par exemple dans Reservoir Dogs (Tarantino, 1992) ou Qui veut la peau de Roger Rabbit (Zemeckis, 1988).

PHIL :

Quelques exemples : « Toto, I’ve got a feeling we’re not in Kansas anymore/Toto, j’ai le sentiment que nous ne sommes plus au Kansas » ; « There’s no place like home/Il n’y a aucun endroit où on est aussi bien que chez soi » ; « I’ll get you, my pretty, and your little dog, too/Je t’aurai, ma jolie, et ton petit chien aussi ».

KRISZ :

Judy Garland/Dorothy interprète Over the Rainbow, chanson devenue un classique, repris par des dizaines d’artistes, de Frank Sinatra à Juliette Gréco en passant par Harry Nilsson et Phil Collins.

PHIL :

Over the Rainbow (Yip Harburg à l’écriture, Harold Arlen à la composition), première au classement des plus grandes chansons du cinéma américain, m’a aidé jadis à comprendre le talent d’interprète exceptionnel de Judy Garland. Une de ces voix habitées si rares dans tous les genres, qui font frissonner dès la première note : Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Janis Joplin, Piaf, Barbara…

A noter qu’un premier montage avait éliminé Over the Rainbow ! Que de pertes opérées par les monteurs (et les directives des producteurs !), même si leur rôle est fondamental. Un bonus d’une version DVD révèle la soustraction d’une scène de danse exceptionnelle… et les talents de Ray Bolger/« l’épouvantail ». Vive le DVD, donc ! Qui peut ressusciter une part de création !

KRISZ :

Lors de la cérémonie des Oscars, Judy Garland, âgée de 17 ans, reçoit un prix spécial récompensant la prestation remarquable d’un jeune talent. Ceci ne l’empêchera pas d’être critiquée et manipulée à l’extrême par les producteurs. Garland mènera un âpre combat contre l’alcoolisme et l’addiction aux barbituriques, maux hollywoodiens, qu’elle perdra à 47 ans, emportée par une overdose.

PHIL :

Puisque tu me confies en off avoir prévu de nous parler de… Pink Floyd d’ici la fin de l’article, je glisserai un lien menant à Queen. L’idole absolue du chanteur Freddie Mercury était Liza Minelli, la fille de Judy Garland, cas rare d’une progéniture atteignant, si pas le génie absolu de sa mère, un talent hors normes dans le même domaine.

KRISZ :

Quelques anecdotes sur les personnages ?

Le maquillage de « l’homme en fer-blanc » contenait de la poussière d’aluminium qui a fini par enrober les poumons de son premier interprète Buddy Ebsen. Un jour, il ne pouvait plus du tout respirer et il fut emmené aux urgences. L’interprète du « lion peureux », Bert Lahr, transpirait tellement sous sa peau de 40 kilos qu’il a fallu engager deux personnes pour s’occuper exclusivement de sécher et nettoyer le costume durant la nuit. Quant à « l’épouvantail », son maquillage, en majeure partie constitué d’une prothèse en caoutchouc, a fini par laisser de nombreuses marques sur le visage de son interprète Ray Bolger.

L’actrice jouant la sorcière et sa doublure ont été grièvement brûlées aux second et troisième degrés. Plusieurs acteurs incarnant les singes volants (scène de l’attaque dans la forêt) ont été blessés : les câbles auxquels ils étaient suspendus ont subitement lâché, les faisant chuter de plusieurs mètres. Pis encore. Dans la célèbre scène du champ de pavots – symboliques du sommeil et de l’opium, la neige utilisée était faite à partir d’amiante au chrysotile (asbestos) malgré la dangerosité du produit.

Ah, le Hollywood de la pré-guerre, ne veillait aucunement à la sécurité et/ou au bien-être de ses employés !

Pourquoi vous n'avez (sans doute) rien compris au « Magicien d'Oz »
Dorothy et ses amis sur le chemin de briques jaunes

PHIL :

C’est le moins qu’on puisse dire ! Une pensée pour le pauvre Buddy Ebsen, remplacé sans état d’âme après avoir été démoli physiquement et privé d’immortalisation !

KRISZ :

Une autre anecdote ? Une légende urbaine relie Oz et… Pink Floyd ! Une rumeur, confidentielle dans les années 70 et 80, s’est amplifiée et fortement répandue à travers le monde au milieu des années 1990, avec l’arrivée d’Internet et des premiers groupes de discussions : le mythique album de Pink Floyd Dark Side of the Moon (1973) aurait été écrit pour être une bande-son idéale du Magicien d’Oz ! Roger Waters, le leader du groupe, aurait-il initié ceci sans informer ses trois partenaires ? Nick Mason, le batteur de Pink Floyd, dit ne pas « vraiment se souvenir d’avoir composé l’album pour ce film ». Ailleurs, il nie en bloc, sarcasme à l’anglaise, disant que ça correspond davantage à Sound of Music (Wise, 1965) : tiens, une autre comédie musicale, un autre « film de Noël ».

PHIL :

Je n’en avais jamais entendu parler et j’eusse plutôt associé Pink Floyd (époque Meddle) à un Space Opera (le 2001 de Kubrick !). J’ai découvert le dossier hallucinant, halluciné ! Il est question de « synchronicités », un thème qui me passionne, un phénomène auquel j’ai été confronté dans ma vie et mes créations. Un ami m’a renvoyé à Jung et ses théories : ces connexions existeraient à l’insu de ceux/celles qui s’y coulent, renvoyant à un inconscient collectif peut-être, quelque chose du genre.  En l’occurrence, il faut tirer sur la corde mais des scènes du film colleraient à des passages du disque. Quoi qu’il en soit, cette affaire amusante me rappelle une autre légende urbaine du pop/rock, qui a troublé mon adolescence. A en croire les singularités de la pochette du disque des Beatles Abbey Road, Paul McCartney était mort et avait été remplacé par un sosie.

KRISZ :

Il y a aussi des indices sur la pochette de Sgt Pepper, non ? Les bouquets funéraires, les stars « décédées » (autour de Paul) et quelque chose d’écrit dans le gazon… Ce genre de légendes pop/urbaines me fait sourire et m’intrigue tout à la fois.

PHIL :

Krisztina, figure-toi qu’une autre légende urbaine est liée à Oz ! Elle est née à l’époque où circulaient les versions VHS du film. Dans une scène, Dorothy danse aux bras du bûcheron en fer-blanc et de l’épouvantail. Or, à l’arrière-plan, d’aucuns ont observé un détail pour le moins déconcertant : une silhouette semble pendue à un arbre. Et une théorie de se propager : l’un des figurants s’était suicidé sur le tournage et la production s’en était rendu compte beaucoup trop tard. Il a été signalé aux complotistes que le pendu était en fait un oiseau. Qui déploie ses ailes sur une bande-annonce.

KRISZ :

Glauque ! Encore un tour de la « sorcière de l’Ouest » !

PHIL :

Terminons en prolongeant ce que disait Krisztina au début de cet article et en rappelant à quel point les livres et le film sont inscrits dans l’imaginaire américain ou anglo-saxon.

Une sélection très partielle sinon infime (et je vous incite à jeter un œil sur la page Wikipedia du film : vertigineuse !) : Goodbye Yellow Brick Road, le plus célèbre album d’Elton John (une route en briques jaunes !) ; Eldorado, l’un des meilleurs disques de l’Electric Light Orchestra (sur la pochette, un fragment de scène : la « sorcière de l’Ouest » tente d’arracher les souliers de Dorothy !) ; Zardoz, titre d’un des films les plus singuliers de John Boorman (une contraction de The Wizard of Oz !) ; Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (ce film de 1988 reproduit la scène de la fonte de la sorcière !) ; Sailor et Lula, le film de David Lynch évoqué supra par Krisztina (entre autres allusions, les chaussures rouges de Lula/laura Dern) ; Oz, la mythique série sur le monde carcéral (a priori en opposition absolue avec l’atmosphère du Magicien sauf que… l’extérieur du bloc pénitentiaire est rutilant, ce bloc est nommé « cité d’émeraude ») ; Ally McBeal, la drolatique série sur le monde judiciaire (l’une des avocates du bureau de l’héroïne, des allures de serpent à sonnette – inoubliable Lucy Liu ! -, fait souvent irruption accompagnée par un thème musical lié à miss Gulch/« la sorcière de l’Ouest » !) ; Homeland, la série d’espionnage et d’action (dans un épisode, les cibles sont toutes désignées selon des noms de personnages du Magicien). Etc.

Krisztina KOVACS et Ciné-Phil RW.

LA CÉRÉMONIE DES INQUIÉTUDES d’ALAIN DUAULT (Gallimard)/ Une lecture de Nicole HARDOUIN

La cérémonie des inquiétudes - Blanche - GALLIMARD - Site Gallimard

Il y a des résurrections que là où il y a des tombeaux.

                                                                                                         Nietzche

                        C’était la nuit où nous avions refusé de porter nos propres croix.

                                                                                                          Luezior

Dans le crépuscule aux dents de suie tout peut-il être atteint, tout peut-il encore être mordu sans cicatrices ?

Sous la langue, le poète garde goût des fruits croqués et / ou désirés.

L’auteur se demande s’il verra encore longtemps ce lait de l’enfance, ce débordement d’amour ?

Et de se poser cette lancinante question: comment savoir ce qu’il y a dans la poussière des chemins lorsque le loup s’est enfui peut-être on l’a tué / Dis que reste-t-il du vent de l’ombre de cet instant que reste-t-il  à marée montante dans l’anse cambré de nos dunes lorsque, au galop, le cheval a disparu ?

Les mots, étoiles filantes dans un ciel d’interrogations, de souvenirs, se pressent vers un estuaire incertain baignant dans des crus rebelles.

Faut-il relever les paupières  avec cette obsédante question : se remet-on jamais d’être né ?et qu’est-ce que l’on peut espérer assis sur le parfum du soir ?

Le poète voudrait tellement savoir si on peut encore se noyer dans une mer aux yeux de fruit défendu : il est temps de vouloir la vie, savoir si le temps, fondu dans l’eau des corps, peut être retenu juste pour revoir l’amante froissée dans la saumure de la nuit.

Rêves, doutes, certitudes, balaient, rident, le sable des jours : parfois la vie patine et c’est tellement difficile /D’être un homme /Un virage peut déchirer un visage au milieu de la tôle.

Fragilité de l’instant qui file comme sable dans les béances du cœur Dis que reste-t-il du vent de l’ombre de cet instant. L’assurance et l’offrande, peut-être juste pour se rassurer et l’espoir car il faut bien vivre même avec des cicatrices  et même quand elle essuyait l’hiver avec ses larmes.

Entre flux et reflux des ombres et la gelée onctueuse et cendrée du temps, la force du souvenir s’articule toujours dans les pliures du désir.

Aimer c’est le nœud de l’espoir et du désespoir, c’est l’idée tremblante du possible, c’est draper des ombres dans l’éclat du rien. C’est une île dans le ciel/ Une île avec des hanches.

Sous la plume élégante de l’auteur les paysages s’animent de Venise à Hambourg à Hammamet et sa médina aux yeux véronèse, les souvenirs palpitent, vibrent comme des éclairs sur un corps d’orage.

Dans le remous des fantômes avec  brûlures et ressacs, la mémoire se fait rumeur, elle vrille les tempes, pousse, culbute et pourtant un poète qui donne mille vies/ N’abandonne pas car les chrysanthèmes fanent quand même.

Pour Duault, le temps est un rouleau compresseur qui parfois, le broie: j’attends la fin:/ Du jour peut-être ou de cette vie qui coule si lente.

Omniprésente est la force du mot, j’ai écrit avec mes rêves mais aussi avec mon sang. L’ardeur qui pousse doute et foi  s’entrecroisent, se lacent dans une imploration: emporte-moi très loin; mais vers quel  rivage, vers quelle chute, vers quel après?

Le Féminin est omniprésent dans ce recueil : femmes fragiles, femmes vénéneuse, femmes-miroir, femmes-fileuse de sentes perdues, femmes-oiseaux dont les ailes viennent casser le désir bleu d’un moment où tout paraît possible : quand le ciel est clair comme un vers d’Apollinaire.

Lire La cérémonie des inquiétudes c’est tressaillir dans le nuit des silences et des questions, ce qui n’empêche pas une folle dérive de gravité dans le murmure du plus secret, du plus enveloppant, même si parfois les oiseaux ont des ailes de glace.

Mais depuis la mise en scène initiale, l’exil n’est-il pas programmé ? Dans ce recueil A. Duault se fait orant d’une poésie à méditer, oraison dans un repaire d’incertitudes où s’ecoulent les traces, où passe la vie, où s’ordonnent les souvenirs

Le lecteur en garde précieusement mémoire pour rêver, aimer dans les déchirures de la nuit et les soubresauts du jusant.

Alain Duault | [Il n'est peut-être pas trop tard] - Terres de femmes

Le livre(+ un sonnet à découvrir) sur le site de l’éditeur

Alain DUAULT chez Gallimard

Le site de Nicole HARDOUIN

2021 – LECTURES DU RENOUVEAU : ENFANTS DE L’EXODE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Ces deux livres ont été écrits par des femmes qui ont soit des parents, soit des grands-parents, ayant connu les affres de l’exode alors qu’ils vivaient dans l’est de l’Europe qu’ils ont quittés pour fuir le massacre généralisé perpétré par les forces du mal au détriment de leur communauté. Isabelle BIELECKI essaie de se reconstruire après de nombreuses épreuves tout en s’appuyant sur sa vieille amie venue de Russie alors qu’Evelyne GUZY, elle, essaie de boucher les trous restés béants dans l’arbre généalogique qu’elle voudrait transmettre à sa descendance. Deux destins qui puisent leurs racines dans cette communauté vivant dans des frontières qui, aujourd’hui, ont beaucoup bougé mais dont elles conserveront toujours la mémoire.

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La Maison du Belge

Isabelle Bielecki

M.E.O.

Les tulipes du Japon

Dans ce troisième tome d’une trilogie qui comporte « Les mots de Russie », évoquant les origines russes de son père, et « Les tulipes du Japon », racontant l’époque où elle travaillait dans une société nippone, Isabelle Bielecki raconte la vie d’Elisabeth, une femme qui lui ressemble étrangement, quand elle est tombée amoureuse d’un homme riche exerçant de nombreux mandats dans la sphère économique et financière bruxelloise. Un soir, en revenant chez elle, elle entre dans le logement de sa voisine et amie décédée, prise de nostalgie, elle lui rappelle la vie qu’elle menait quand elle vivait encore et la vie qu’elle mène maintenant qu’elle n’est plus là pour la soutenir et la conseiller.

La vie d’Elisabeth est bien compliquée, elle a déjà vécu avec deux hommes, elle est mère de famille, elle a la cinquantaine mais elle vit seule, elle n’en peut plus, son corps demande de l’amour et son cœur de l’affection. Elle a besoin d’une présence, il lui faut un homme qui l’aime et la fasse vibrer. Un jour, un bel homme distingué, Ludo, l’accroche, il est riche et puissant, il s’intéresse à elle, Cupidon les réunit, leur histoire commence par de folles étreintes. Désormais la vie d’Elisabeth déborde, elle doit composer avec ses activités professionnelles de plus en plus accaparantes, son irrépressible besoin d’écrire et sa vie amoureuse et mondaine avec Ludo.

Elisabeth sort d’un burn out et d’une longue période d’amnésie provoqués par un patron nippon très méprisant. Sa vie professionnelle dans cette société a été compliquée, elle l’a racontée dans l’opus précédent. Dans celui-ci, elle parle peu de son emploi si ce n’est pour dire qu’il devient de plus en plus accaparant et qu’il empiète de plus en plus sur le temps qu’elle pourrait consacrer à ses écrits ou réserver à son amant.

Sa vie littéraire est beaucoup plus importante, pour elle c’est une activité nécessaire à sa reconstruction, un devoir envers son père décédé qui lui avait demandé d’écrire ses mémoires pour qu’il puisse donner sa version de ce dont on l’accusait, des relations qu’il aurait eues, pendant la guerre, avec les Allemands alors que lui était encore citoyen russe. Elle n’a pas pu écrire ce texte, elle était trop jeune pour comprendre toutes les révélations qu’on lui proposait d’écrire. Et, depuis, elle culpabilise. Elle s’est lancée dans l’écriture d’un roman pour rendre justice à son père et étouffer cette culpabilité qui l’étouffe. Elle écrit aussi de la poésie et du théâtre qu’elle s’efforce de faire jouer sans grand succès.

Mais, c’est Ludo qui occupe la place principale dans ce livre, Ludo qui la sort dans les premières, l’invite au spectacle et au restaurant, l’emmène en vacances, en week-end, en croisière dans des résidence de luxe. Ludo qui la comble physiquement. Ludo avec qui elle partage de véritables orgies bachiques. Ludo dont elle est le complément parfait. Mais, Ludo qui est aussi un grand manipulateur, lui laissant espérer le mariage sans jamais lui proposer, lui promettant son soutien éditorial sans ne jamais rien faire, lui proposant un prêt dont elle ne verra pas le premier sou, etc… Ludo qu’elle voudrait quitter mais elle ne le peut pas et il ne le veut pas. Ludo qui vieillit et qui décline irrésistiblement.

Dans ce texte d’une grande densité écrit comme dans l’urgence, Isabelle embarque le lecteur dans son histoire d’amour qui remonte à la surface son enfance malheureuse avec une mère violente et méprisante. Avec une écriture fébrile, passionnée, une écriture évoquant le tempérament slave avec tous les excès qu’il peut générer : sentiments débordants, réactions impulsives, passions exubérantes, amours subversifs, cuites phénoménales. Elisabeth est sortie de son angoisse et de son amnésie mais elle est tombée sou la coupe de son tempérament et dans les rets de son amant. Son amour peut mourir, sa carrière littéraire peut décoller, sa vie peut prendre un autre tour. Elle se raconte à Marina son amie décédée qui ne peut, hélas, plus entendre ses confidences et lui proférer des conseils pleins de bon sens et surtout lui demander d’écrire, d’écrire encore et encore …

Le roman sur le site de l’éditeur

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La malédiction des mots

Evelyne Guzy

M.E.O.

La malédiction des mots

Descendante de familles juives ayant subi les terribles épreuves qui leur ont été infligées tout au long du XX° siècles, Evelyne Guzy confie sa plume à une narratrice anonyme pour raconter la morbide épopée de ses ancêtres à travers l’Europe trop souvent antisémite. Elle a choisi la fiction car les sources qu’elle possède, ou qu’elle dépouille dans de nombreux gisements d’archives, laissent quelques béances dans la biographie de ces aïeux de même qu’elle n’a pas écrit à la première personne, sous le nom d’Eva qui figure dans le roman. L’auteure anonyme raconte donc la vie des aïeux d’Eva/Evelyne dans une fiction très proche de la réalité. Elle veut écrire la vie de sa famille à la mémoire de tous ceux qui sont morts dans les différentes épreuves infligées au peuple juif tout au long de ce terrible siècle, elle veut écrire aussi pour ceux qui doivent perpétuer la culture yiddish et surtout pour témoigner que les Juifs ne se sont pas laissé mener dans les camps comme des moutons à l’abattoir. Elle veut montrer, décrie, expliquer leurs combats, leur résistance, leur rébellion…

La narratrice raconte tout d’abord, l’histoire des grands-parents paternels venus de Pologne, de Czestochowa, là où se déroule le célèbre pèlerinage à la Vierge noire, là où le grand-père fabriquait des casquettes, qu’il a fuie avec la grand-mère issue d’une famille terrienne venue de la région de Vilnius. Il a quitté la Pologne après avoir défendu son pays les armes à la main malgré les mauvais traitements infligés par ses collègues militaires et après avoir assisté à quelques pogroms particulièrement sanglants. Il est arrivé à Charleroi où, après bien des épreuves, il a pu créer un commerce prospère jusqu’à ce qu’un résistant communiste lui dise de filer vite avant que les SS débarquent chez lui et l’embarquent pour un retour morbide en Pologne. Eva a peu de souvenir de ce grand-père falot, sans grande envergure apparente, lors de ses recherches, elle découvre un grand-père discret mais courageux et une grand-mère un peu rustre mais volontaire et tenace qui se sont battus, ensemble et avec détermination, pour exercer leurs activités commerciales et artisanales mais surtout pour donner la meilleure instruction possible à leur fils.

Ce fils qui est leur seul enfant, a connu la débâcle au cours de laquelle, il a traversé seul la France du nord au sud après avoir égaré ses parents dans l’indescriptible cohue mais qui, revenu à la maison a pu poursuivre ses étude pour devenir un brillant ingénieur. Caché dans une institution religieuse catholique pendant la guerre, il en sort affecté par une sorte schizophrénie judéo-catholique qu’il conservera toute sa vie. Ayant épousé la fille d’un grand résistant juif, il a honte de ses parents petits commerçants médiocres, à son avis. Eva sera la petite-fille de son grand-père maternel beaucoup plus que celle du pauvre petit commerçant.

Le grand-père maternel, Juif de Pologne, lui aussi, a vu sa famille décimée, il s’est engagé très tôt dans la résistance où il est devenu un personnage important, encore plus important après la guerre au moment d’écrire l’histoire mais seulement jusqu’à ce qu’un historien juif et communiste, lui, mette en doute la véracité des faits de résistance qu’il s’attribue. Eva ne pourra jamais découvrir la vérité, plusieurs témoignages non concordants circulent, chacun cherchant à exploiter la guerre, ses misères, ses morts et les faits glorieux pour étayer sa propre théorie et sa propre vision de l’évolution du judaïsme avec la création de l’état d’Israël.

Eva a laissé des blancs dans son récit, ils sont peut-être encore plus importants que tout ce qu’elle a découvert car ils interrogent et, ainsi, évitent que l’oubli gomme ceux qui ont participé à cette terrible épreuve. Mais, avec sa petite-fille, elle pourra toujours témoigner que « Nous ne sommes pas des moutons qu’on mène à l’abattoir. Nous sommes un peuple de mémoire ».

Le roman sur le site de l’éditeur

Le blog d’Evelyne GUZY

Le site des EDITIONS M.E.O. avec les dernières parutions et le catalogue complet

OEUVRE POÉTIQUE (1966-2020) de JACQUELINE FISCHER / La lecture de Philippe BRAHY

Peut être une image de texte qui dit ’UVRE POÉTIQUE 1966 1966-2020 2020’

Amen, « ite missa est » et, pas que ! Par quel bout ordonnancer ce livre qui bottelle plus de 500 pages et concentrent les précieux jalons d’une vie – non close, en poésie ?
Jacqueline FISCHER le peut !


Elle nous dit aux quatre dernières lignes de son livre consacré à sa poésie :


[…] « mes yeux mendiants / quêtent en amont / sans mon aval / toutes les lignes de mes fuites. » la vue éprouvée du poète la désespère…
Nous rappelant au passage qu’il ne s’agit là qu’une part non exhaustive de son travail en poésie. Elle parle d’ailleurs en introduction de ses trois arts : écriture, art textile et images numériques « trois facettes d’un même désir d’expression, en moi étroitement liées. »


Elle nous prévient dans un texte écrit en 1973 : « Ici, l’intelligence exclurait la sensibilité. »

Qui dans notre « petit milieu » ne connaît pas Jacqueline FISCHER, femme déterminée et sans concession pour son travail qu’elle chérit comme le plus précieux de ses enfants ; n’y touchez pas car elle vous éconduirait en une pertinente analyse sur le bien-fondé de votre commentaire et elle aurait raison ! Ses textes sont d’intelligence et de sensibilités, d’hypersensibilités.

Si elle peut être dans l’excès, avoir le sens de la formule, elle a aussi cette harmonie poétique qui vous prend de court. Mots et images sont parfois si fort –pour qui veut le lire– qu’elle laisserait interdit plus d’un poète. Il faut se réjouir qu’une telle écriture soit ! La citer et en parler serait de « salubrité publique » non sollicitée. Ignorer la « vérité qui blesse », elle vous dira d’ailleurs qu’elle ne détient pas cette vérité.

Bravo à cette femme, elle n’est bien sûr pas la seule, qui a pris sur son sommeil pour exister. Ah, oui, il faut la supporter mais pour quel résultat ! Qui pèserait le poids de l’emballage avant l’expédition de son livre ? Elle, bien sûr qui se bat contre Poste et Maréchaussée pour abreuver nos sillons de son chant d’amour, de désir et de révolution.

À elle de conclure en citant Alfred de Musset :


« Eh bien ! en vérité, les mots auront beau dire, / Quand on n’a pas d’argent, c’est amusant d’écrire ; / Si c’est un passe-temps pour désennuyer, / Il vaut bien la bouillotte ; et, si c’est pour un métier, / Peut-être qu’après tout ce n’en est pas un pire / Que fille entretenue, avocat ou portier.
J’aime surtout les vers, — cette langue immortelle. »
Mettre ici le moindre texte, le moindre poème, serait réduire cette œuvre à une impardonnable offense.

Chez l’auteur, prix 20 €

ISBN : 979-10-699-6577-5

Le blog de Jacqueline FISCHER

Jacqueline Fischer sur Facebook

D’ARRACHE-PIED, D’ARRACHE-CŒUR de CATHERINE BAPTISTE (Bleu d’Encre) / Une lecture d’Eric ALLARD

Non, je n’ai pas trouvé mieux qu’écrire des poèmes

Qu’être en butte à la lumière

dans la vie de nos ailleurs

et à contre-courant aussi

dans la vie d’ici

jusqu’à la clarté de l’âme

D’emblée, Catherine Baptiste se pose la question de ce que peut la poésie et de son rapport à l’être – l’humain et ce qui l’anime ; ce qui l’éclaire et le guide.

L’être est poème, écrit-elle ensuite en substance. 

Le ton et le thème ainsi posés, le recueil peut se développer entre arrachement et élan, en interrogeant l’Autre en nous de même que celui qui nous est extérieur – celui qui vient d’ailleurs.

Les poèmes naviguent entre ces deux entités constituantes de l’étrangeté. Ils s’adressent aussi bien au Migrant imaginaire, et non moins réel, tout autant qu’à la partie de nous-même qui ne demande qu’à se déporter de sa trajectoire, à s’excentrer.

Dans la présentation de l’auteure, on nous apprend que Catherine Baptiste vit à Poitiers où elle est art-thérapeute, à quelques maisons de celle de la Solidarité où] elle croise souvent le regard de jeunes migrants. (…)

Elle questionne dans ce recueil l’humain, sa capacité d’accueil, d’appréhension, son besoin de s’arracher à soi, à son chez soi, par nécessité matérielle ou ontologique. Comme toujours, Catherine Baptiste le fait dans une langue belle et enlevée qui multiplie les sens et les possibilités d’échange. Il s’agit d’une « brûlante poésie du cœur » mais exigeante aussi, qui se livre sans s’exhiber, qui donne à penser à et (ré)agir.

L'immigration en vers et contre tout
Catherine Baptiste

Baptiste questionne les valeurs de la démocratie (française) mises à l’épreuve par cette problématique du migrant : l’égalité, la « liberté toute », mais emploie ce néologisme plus adéquat que fraternité pour dire « ce qui nous rassemble » : mêmeté.

Oui, que l’œil inquisiteur

se pose à nos pieds

et sache enfin

l’égalité des liens de sang, de sève et de salive

qu’il sache enfin

l’étrangeté

de toute poésie, de tout fraternel

et de leur beauté d’herbes vivantes frémissant sous nos pieds

Quel rapport on entretient avec ces valeurs quand on est exposé à l’autre qui nous déporte, quel œil d’occidental porter.

D’où tu viens

c’est là que je ne verrais rien

non qu’il n’y aurait rien à voir

mais parce que je serais myope en mon pays

affublée de lunettes à paillettes

abusée de filtres déformants

comme autant de mirages déformants

Elle raconte en vers éclairants, limpides, les périples de la traversée, les ombres « au tableau de la joie », les roches qui l’altèrent, l’horizon qui s’assombrit…

Catherine Baptiste est servie dans son propos par les belles calligraphies de Sophie Verbeek qui (em)portent ses mots vers le lecteur.

Au bout du voyage verbal, faisant écho à la traversée migratoire, le poème apparaît comme un phare, indispensable, pour « être tenaces / dans la fraîche espérance / de la dignité renouvelée » et pour éclairer nos routes à venir.

Les Editions Bleu d’Encre

L’immigration envers et contre tout, un article de La Nouvelle République sur le recueil et son autrice

Claude Donnay parle de sa maison d’édition et présente le travail de Catherine Baptiste