VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BÉBE (Howard HAWKS, 1938) par Nausicaa DEWEZ, Julien-Paul REMY & Philippe REMY-WILKIN

VERS UNE CINETHEQUE IDEALE

100 films à voir absolument…

des débuts du cinéma aux années 2010

(20/100)

Bringing Up Baby/L’impossible monsieur Bébé,

Screwball Comedy de Howard Hawks, Etats-Unis, 1938, 102 minutes.

Affiche du film L' Impossible Monsieur Bébé - Photo 13 sur 13 - AlloCiné

Une polyphonie où se répondent les voix de Nausicaa DEWEZ, Julien-Paul REMY et Ciné-Phil RW.

Phil :

Une histoire loufoque de chasse au léopard, à l’os de dinosaure et au mari. Souvent présentée comme la meilleure comédie de tous les temps avec Some Like It Hot. Un peu vieilli ? Il faut entrer dans le trip du burlesque, lâcher la bride et… ça paraît alors trépidant et drôle à pleurer. En sus, l’un des plus beaux duos ciné des tous les temps : Katherine Hepburn face à Cary Grant !

Nausicaa :

La quintessence de la Screwball Comedy. Un film au rythme endiablé, l’une des clés de la mécanique comique : il n’y a aucun temps mort. Avant cela, le duo Hepburn-Grant avait déjà illuminé Sylvia Scarlett (George Cukor, EU, 1935).

Phil :

Avant de récidiver dans le merveilleux The Philadelphia Story/Indiscrétions (de George Cukor, encore, en 1940), dont nous reparlerons dans la suite de la Cinéthèque. Le seul film qui réunit les trois géants absolus du genre, James Stewart étant le troisième larron.

Phil :

Un paléontologue, le docteur David Huxley (Cary Grant), plongé dans la reconstitution d’un brontosaure, vit dans l’attente fébrile de la réception d’un os intercostal et de son tout prochain mariage. Mais sa fiancée, Alice, qui est aussi son adjointe, lui rappelle un devoir urgent : convaincre une riche donatrice d’attribuer un million de dollars à leur musée. Et David d’aller à la rencontre de l’avocat de celle-ci sur un terrain de golf, où tout dérape de par l’intervention d’une jeune dame, Susan Vance (Katharine Hepburn) d’une distraction abyssale. S’ensuit un récit pétaradant, il est impossible de reprendre son souffle tant les répliques fusent, les scènes désopilantes s’enchaînent, tant l’on court, poursuit, est poursuivi. Mais comment résumer la suite ?

L'Impossible Monsieur Bébé — Wikipédia

Susan et David (Katherine HEPBURN et Cary GRANT).

Julien-Paul :

Cet échange de répliques (de mémoire), entre David Huxley et le garçon qui lui apporte le colis attendu (l’os !), semble cristalliser toute la dimension satirique du film envers la conception traditionnelle de l’amour :

« Je vais me marier !

— Mes condoléances ! »

Phil :

Les troisièmes rôles eux-mêmes ne sont pas oubliés, en effet. Et je pense à l’apparition ô fugace d’un motard joué par un Ward Bond (acteur emblématique de John Ford) non crédité. Mais que dire des seconds rôles ? Le psy, l’ami de la tante de Susan, etc.

Nausicaa :

On traduit souvent Screwball Comedy par « comédie loufoque ».  C’est un sous-genre du cinéma américain, qui s’épanouit pendant une dizaine d’années, entre les années 1930 et les années 1940, même si certaines de ses caractéristiques persistent dans des films nettement plus tardifs.

Phil :

Comme Some Like It Hot/Certains l’aiment chaud (59, Billy Wilder), The Party (68, Blake Edwards), 0’Brother (2000, Joel et Ethan Coen).

Nausicaa :

Et même dans Femmes au bord de la crise de nerfs (88, Pedro Almodovar). La Screwball Comedy décline la comédie romantique, en la tirant vers l’humour.

Phil :

Dès New York-Miami (34, Frank Capra), un régal du genre.

Nausicaa :

Ses recettes ? Les situations loufoques ou burlesques : David/Cary Grant et Susan/Katharine Hepburn sont en charge d’un léopard (!) apprivoisé (!) qui obéit lorsqu’on lui chante I Can’t Give You Anything But Love (!) ; l’os de brontosaure qu’attend le héros est attrapé par un chien. Le rythme effréné des répliques. Une histoire d’amour compliquée entre deux personnages qui ne s’aiment pas au départ, avec une différence sociale entre eux : Susan est une riche héritière tandis que Cary Grant campe un savant désargenté, tributaire des mécénats.

La Screwball Comedy est aussi marquée par une forme de guerre des sexes : les femmes y mènent le jeu et contestent l’autorité masculine qui était la norme dans la société et le cinéma de l’époque. Cet aspect du personnage joué par Katharine Hepburn ressort d’autant plus si on le compare à celui d’Alice, la fiancée dévouée et admirative de David/Cary Grant interprétée par Virginia Walker. Le héros est quant à lui habillé en femme lors d’une scène mémorable du film, soulignée par la réplique « I just went gay all of a sudden ».

Bringing up Baby reprend tous ces ingrédients et les sublime. Le rôle de femme fortunée, indépendante, têtue, qui donne du fil à retordre à son partenaire masculin, est le personnage que décline Katharine Hepburn pendant une grande partie de sa carrière, notamment dans The Philadelphia Story/Indiscrétions, Woman Of The Year/La femme de l’année (George Stevens, EU, 1942) ou encore Adam’s Rib/Madame porte la culotte (George Cukor, EU, 1949).

Phil :

Remarque fondamentale ! Katherine Hepburn (qui n’a aucun lien de famille avec Audrey, ni de style, cette dernière étant une femme-enfant) est un engagement politique ou sociologique incarné ! Elle balade (et impose) de film en film une manière d’être femme, qui prolonge l’émancipation initiée par les Louise Brooks, Marlène Dietrich, Greta Garbo et autres Joan Crawford. Qui explicitera leur rôle dans la modification de l’imaginaire américain ou européen ?

Phil :

Je n’ai jamais compris le titre anglais : Bringing Up Baby.

Nausicaa :

Je pense qu’il s’agit d’un titre en forme de jeu de mots, à traduire à la fois par « Éduquer Baby », « Éduquer un bébé » et « Monter/Conduire Baby », Baby étant le nom du léopard.

Phil :

Qui est en fait un guépard, un félin provenant du Brésil.

Nausicaa :

Ce titre met en avant le léopard comme le bébé du couple David/Susan, qui n’a pas (encore ?) d’enfant (puisque le film montre justement la formation du couple). Mais « Baby » pourrait aussi bien faire référence à l’immaturité des deux personnages principaux : David, le paléontologue enfermé dans ses recherches et éloigné des réalités concrètes du monde, et Susan, enfant gâtée frivole qui n’en fait qu’à sa tête, au mépris de tous les dangers.

Au premier degré, le titre évoque l’intrigue autour de laquelle va se nouer tout le film : le couple en devenir a pour mission d’emmener le léopard chez la tante de Susan/Hepburn, dans le Connecticut. Délivrer l’inhabituel colis n’ira évidemment pas sans de multiples péripéties.

Phil :

Ce film est jugé depuis des décennies comme le parangon des vertus comiques, une réussite absolue, un modèle inspirant, etc. Or, comme d’autres chefs-d’œuvre (Intolérance), il ne sera reconnu que très tardivement : c’est un échec commercial lors de sortie, Hawks et Grant sont sauvés par l’immense succès de leur collaboration suivante, Seuls les anges ont des ailes, qui efface l’ardoise un an après.

Nausicaa :

Katharine Hepburn, considérée comme responsable de l’échec du film, en a le plus pâti : elle a été considérée comme un « box office poison ». Il faut dire que l’échec du film de Hawks venait après d’autres, notamment celui de Sylvia Scarlett. Après Bringing Up Baby, la RKO, où Hepburn est sous contrat, ne croit plus en elle et ne lui propose plus que des films de seconde zone. Bien aidée par la fortune familiale, l’actrice rachète son contrat et quitte la compagnie.

celebrity houses and real estate | Katharine hepburn, Old hollywood  glamour, Old hollywood glam
Katharine HEPBURN dans le rôle de Susan

Phil :

Un aveu à méditer ! La première vision du film m’avait laissé sceptique. J’ai beaucoup aimé à la deuxième, adoré à la troisième. Comme s’il y avait un sas de mise en condition à franchir.

Julien-Paul :

C’est que le film est éminemment théâtral. Quasiment aucun plan proprement cinématographique (gros plan, tableaux), avec pour conséquence d’empêcher le spectateur de pénétrer dans la psychologie des personnages. D’où une question : y a-t-il seulement une psychologie des personnages ? La précipitation des scènes, digne d’un vaudeville pur jus – où les personnages passent leur temps à entrer et à sortir, à claquer les portes, à monter et à descendre, à avancer et à reculer, les prive pour ainsi dire, du moins en apparence, de leur libre arbitre, de toute prise de conscience psychologique.

Phil :

Quand on visionne le film, on est dans le premier degré du rire, on est emporté comme on glisse le long d’un toboggan et on ne songe pas à des niveaux d’interprétation politique, sociologique, etc. Pourtant…

Julien-Paul :

Pas de film plus anti-psychologisant ! Pourquoi ? L’instinct (amoureux ?) règne, l’instinct et l’inconscient (allusion à une réflexion d’un docteur en psychologie) dominent les personnages et leurs actions. D’où un écho saisissant entre cette histoire romanesque et la conception de l’Histoire de Marx en général :

« Les hommes font l’histoire sans savoir l’histoire qu’ils font. »

Un paradoxe savoureux se loge dans le film d’ailleurs : le psychologue (Phil : le Dr Feld est-il un psychanalyste, un psychiatre ?), personnage secondaire, balance une vérité aux allures de clé de compréhension de tout le film mais, dans le même temps, la psychologie demeure totalement inexistante de bout en bout.

Un film théâtral, j’insiste. En plus de ne pas user de l’intériorité psychologique propre au cinéma, il montre avant tout des SCENES. Des scènes de langage, des scènes de ménage, des scènes de chamailleries. Qu’est-ce qu’une scène ? Une mise en mouvement entre deux êtres humains sous la forme d’une tension aboutissant à des issues imprévisibles. Enfin, théâtral aussi dans son rapport à la règle de l’unité de temps : l’action du film se déroule sur une seule journée !

Nausicaa :

La progression de l’histoire relève en effet davantage de la mécanique pure, bien huilée, brillante, que d’une évolution psychologique des personnages. Ils n’existent que par leurs actions. Celles et ceux qui attendent une description fouillée de l’éveil amoureux de David et Susan en seront pour leurs frais.

Julien-Paul :

Un film toutefois émouvant car exposant un homme attentiste (il attend de l’argent, il attend son mariage, il attend son os de brontosaure) dont le destin s’avère plus accepté que véritablement choisi, et qui finira par se réaliser pleinement en tant qu’homme : en actes (en sauvant la femme des griffes du léopard) et en paroles à la toute fin (en se livrant à l’amour).

Phil :

Oui, il y a un film et un sous-film. Voir supra ce qui est induit, sociologiquement, politiquement, à travers la domination de Susan, sa personnalité. Mais cette dernière réflexion ouvre la porte à une interprétation supplémentaire, sinon abyssale. Ce fil est-il l’histoire d’un homme conforme/traditionnel, tout à son métier, qui se voit chamboulé par une femme moderne mais qui s’adapte en cours de route, apprécie cette émancipation féminine et la digère, jusqu’à s’affirmer lui-même, l’épilogue proposant alors la conjugaison de deux émancipations et la réalisation d’un bonheur adulte ? Quant à la fiancée délaissée, qui incarne la femme traditionnelle, elle dissimule elle aussi un sous-texte. A première vue, une femme qui se dévoue à son futur époux, joue les assistantes. A bien y regarder, elle subit moins une situation qu’elle ne l’impose, elle transmet une vision conservatrice et possède une dimension castratrice.

Phil :

Un mot sur le metteur en scène ? Howard Hawks ! Un grand nom de l’Age d’or américain, que j’aurais tendance à associer à John Ford et à quelques westerns. Pourtant…

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est image.jpeg
Howard HAWKS dans les années 40

Nausicaa :

Hawks est l’auteur de plusieurs films qui figurent dans les classements des plus grands films de tous les temps. Actif dès les années 1920, il a tout d’abord réalisé des films muets avant de donner sa pleine mesure dans le parlant. Sa filmographie, très éclectique, montre qu’il a exploré quasi tous les genres emblématiques du cinéma américain : le film de gangsters (Scarface, 1932), le film de guerre (The Road To Glory/Les chemins de la gloire, 1936), le western (Red River/La rivière rouge, 1948 ; The Big Sky/La captive aux yeux clairs, 1952 ; Rio Bravo, 1959 ; Rio Lobo, 1970), le film noir (The Big Sleep/Le grand sommeil, 1946), le film musical (Gentlemen Prefer Blondes/Les hommes préfèrent les blondes, 1953), la comédie (Monkey Business/Chérie, je me sens rajeunir, 1952 ; Man’s Favorite Sport ?/Le sport favori de l’homme, 1964) ou encore le péplum (Land of the Pharaohs/La terre des pharaons, 1955).

Nausicaa Dewez, Julien-Paul Remy et Ciné-Phil RW.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s