VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LES ANNÉES 30, par Ph. Remy-Wilkin, N. Dewez, K. Kovacs, D. Mangano, J.-P. Remy et A. Nysenholc

VERS UNE CINETHEQUE IDEALE

100 films à voir absolument

Une analyse décennie par décennie, un feuilleton en 12 épisodes

qui court des débuts du cinéma aux années 2010

(IV)

Les années 1930

(1e décennie du parlant)

Ciné-Phil RW à la mise en place ; Nausicaa DEWEZ, Krisztina KOVACS et Daniel MANGANO au contrepoint.

Avec la participation exceptionnelle d’Adolphe NYSENHOLC !

Julien-Paul REMY nous rejoint pour deux analyses de films.

Un TOP 10 de la décennie (dans le désordre)

(15/100) Autant en emporte le vent/Gone With The Wind (Victor Fleming, EU, 1939)

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Une fresque qui allie souffle et émotion, un grand bazar animé (anima = âme en latin) qui a accompagné toute ma vie et mon évolution. Enfant, j’ai été atterré par la scène du poney, je suis tombé amoureux de Vivian Leigh. Vers mes vingt ans, j’étais pétrifié/envoûté par la phrase finale de Rhett, emporté par l’ampleur, les décors. Aujourd’hui ? Je suis plus critique.

Ce film a été le plus grand succès de tous les temps ou étiqueté « plus grand film de tous les temps » parce qu’il constitue une mise en abyme du rêve américain avec cette ingénieuse (ou géniale ?) idée de disposer en filigrane un message opposé. Comme dans les livres religieux, on y lit tout et son contraire. Melanie/Ashley versus Scarlett/Rhett. Il faut se faire violence pour grimper dans la nuance et distinguer, à l’intérieur des couples polarisés, un Rhett d’une Scarlett et une Mélanie d’un Ashley. Scarlett n’est-elle pas une figure hideuse de l’égoïsme, du carriérisme, de l’opportunisme, de l’exploitation de l’autre au nom du profit, bref le parangon de l’ultralibéralisme sans foi ni loi ? Fascinante parce que libre et forte ? Hum… N’offre-t-elle pas la caricature de la réalisation et de l’émancipation ? Et pourtant… A tel point qu’il doit y avoir quelque chose de la tragédie humaine, une métaphore, qui flotte dans l’air du film et le rend éternel, mêlant distraction, information (sur des pages d’Histoire) et réflexion.

Ce film est avant tout l’œuvre d’un producteur, David O. Selznick, mais n’oublions pas le cinéaste : Victor Fleming nous a aussi offert Le magicien d’Oz (1939), qui mériterait une place dans notre classement.

KRISZTINA :

Le magicien d’Oz est mon coup de cœur de la décennie !

NDLR :

Voir l’article OFF du duo Krisztina/Phil consacré au Magicien d’Oz :  

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDEALE : LE MAGICIEN D’OZ (Victor FLEMING, 1939) / Krisztina KOVACS & Philippe REMY-WILKIN

NAUSICAA :

Autant en emporte le vent est effectivement un énorme « bazar », jusqu’à sa grandiloquente bande originale composée par Max Steiner et Lou Forbes, l’une des plus célèbres de l’histoire du cinéma. Le film fascine aussi pour son histoire, des difficultés de production (l’actrice principale n’a été castée que tardivement et le tournage a commencé sans elle) à l’Oscar de Hattie McDaniel (la première actrice noire distinguée par l’Académie a dû assister à la cérémonie à l’écart pour ne pas se mêler aux Blancs). Et aujourd’hui, dernier soubresaut en date, le film est retiré du catalogue de plusieurs distributeurs pour son caractère raciste.

PHIL :

Je dirais « présumé raciste ». Il y a un racisme intrinsèque et un racisme contextuel et relatif. Analyser une époque en y appliquant une grille de lecture d’aujourd’hui serait incongru. Pour rappel, la loi du talion était un formidable progrès à sa naissance, qui limitait la violence et l’arbitraire. Quelqu’un qui manifeste un préjugé en 1930 peut être, pour son temps, beaucoup plus ouvert, progressiste qu’un prétendu antiraciste d’aujourd’hui. Un individu ne doit jamais être réduit à une idéologie mais être décrypté à la lumière de ses mécanismes de fonctionnement mental. Un film « raciste » qui inculquerait à une majorité de spectateurs une immense affection/estime pour la bonne jouée par Hattie serai très paradoxal. Plus récemment, La cage aux folles n’était certainement pas une œuvre homophobe lors de sa création mais je jugerais tout autrement (et très sévèrement) si la pièce elle était créée aujourd’hui.   

NAUSICAA :   

En effet, le procès en racisme aujourd’hui intenté contre Autant en emporte le vent escamote largement le contexte de l’époque. Toutefois, il est indéniable que le film présente l’esclavage sous un jour favorable ou, du moins, non-problématique.

DANIEL :

Phil, je souscris totalement à ton propos sur le « racisme » du film. D’accord aussi avec la conclusion de Nausicaa, même si le film ne fait en cela que respecter le roman dont il est issu.

(16/100) Les Hauts-de-Hurlevent/Wuthering Heights (W. Wyler, EU, 1939)

LE film romantique ! Mais du romantisme à l’anglo-saxonne, soit plus sombre, teinté d’accents gothiques. D’après un roman british célébrissime. Réalisé par un prodigieux et éclectique faiseur de succès. L’inoubliable couple Laurence Olivier/Merle Oberon. Merle et ses yeux en amande si exotiques… cachant un secret de naissance teinté d’hindouité. Mon idéal féminin de jeunesse… devant Vivian Leigh.

NAUSICAA :

Vivian Leigh, qui a été l’épouse de… Laurence Olivier.

William Wyler a aussi réalisé L’insoumise/Jezebel (EU, 1938), avec Bette Davis en vedette. Il est la réponse de la Warner au Autant en emporte le vent tourné par la MGM : une fresque sudiste avec une femme au caractère fort. Finalement, en raison des retards pris par le projet concurrent, le film de Wyler l’a précédé sur les écrans.

(17/100) Le testament du docteur Mabuse (F. Lang, Allemagne, 1933)

Ciné-club d'ENGHIEN : "Le testament du Docteur Mabuse" de Fritz Lang à l' affiche !

De préférence à M. le maudit (1931), pourtant une des œuvres majeures du cinéma européen. J’assume ! Le climat de terreur, la narration échevelée, la mise en abyme (involontaire ? j’en doute fort !) du nazisme et cette scène, d’un esthétisme soufflant, que j’ai évoquée dans un article de la plateforme culturelle Karoo :

https://karoo.me/cinema/scenes-cultes-12-le-testament-du-docteur-mabuse-fritz-lang

(18/100) Une femme disparaît/The Lady Vanishes (A. Hitchcock, GB, 1938)

Une Femme disparaît - DvdToile

GENIAL ! Qui dénoncerait un aspect désuet, suranné sera… trucidé, je m’y engage ! Il y a TOUT ! A commencer par une philosophie de la résistance et de l’engagement qui se greffe sur une intrigue pétaradante et thrilling en diable Avec un sens du détail qui tue : les deux British qui ne s’intéressent qu’aux résultats de cricket, le mot écrit sur la glace, les hauts talons de la nonne…

KRISZTINA :

Revu ce Noël 2020 ! Un film captivant, à la trame absolument envoûtante. Je ne peux m’empêcher d’y voir, au-delà du génie policier, une belle évocation de l’esprit européen et de ses peuples en cette période trouble de Brexit.

PHIL :

Je le choisis malgré Les 39 marches (1935) et son intrigue trépidante, sa course-poursuite à travers la Grande-Bretagne, que j’apprécie davantage à chaque vision. Malgré la scène initiale percutante (l’une des plus cruelles/sombres de l’univers hitchcockien) de L’auberge de la Jamaïque (1939), un film assez poussif globalement.

NDLR :

Voir l’article du trio Nausicaa/Julien-Paul/Phil sur Une femme disparaît :

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : UNE FEMME DISPARAÎT (Alfred HITCHCOCK, 1938) par Nausicaa DEWEZ, Julien-Paul REMY et Philippe REMY-WILKIN

(19/100) King Kong (Merian C. Cooper et E. Schoedsack, EU, 1933)

King Kong — Wikipédia

Une merveille ! Un récit aux accents mythologiques, un immense classique dans divers registres : exotisme, action, fantastique, blockbuster à effets spéciaux, épouvante. Mais rehaussé par des touches de poésie, d’onirisme, d’émotion pure : le King qui déshabille Mae West, sa mort au sommet de l’Empire State Building… On méconnaît trop l’importance du duo Cooper/Schoedsack, qui alternaient réalisation et production. Les mêmes sont aussi à l’origine des Chasses du comte Zaroff (1932), tournées en même temps et sur les mêmes lieux que KK, un des rares cas où le titre français est supérieur à l’original (The Most dangerous Game).

KRISZTINA :

Passion partagée pour King Kong et, en rétrospective, une vision intéressante de l’Amérique, puissante, structurée, impérialiste, menacée par le sauvage, l’étranger. Un film qui reste selon moi intéressant, dans son rendu des craintes de l’époque, mais aussi par son audace. Kong perché sur l’Empire State, défiant Lady Liberty, reste iconique.

(20/100) L’impossible M. Bébé/Bringing up Baby ! (H. Hawks, EU, 1938)

L'Impossible Monsieur Bébé (Bringing Up Baby) - La culture sous toutes ses  formes

Une histoire loufoque de chasse au léopard, à l’os de dinosaure et au mari. Souvent présentée comme la meilleure comédie de tous les temps avec Some Like It Hot. Et l’un des plus beaux duos ciné des tous les temps : Katherine Hepburn face à Cary Grant !

NAUSICAA :

La quintessence de la Screwball Comedy. Un film au rythme endiablé, l’une des clés de la mécanique comique : il n’y a aucun temps mort.

NDLR :

Voir l’article du trio Nausicaa/Julien-Paul/Phil, avec explicitation de la Screwball Comedy par Nausicaa :

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BÉBE (Howard HAWKS, 1938) par Nausicaa DEWEZ, Julien-Paul REMY & Philippe REMY-WILKIN

(21/100) La chevauchée fantastique/Stagecoach (John Ford, EU, 1939)

D’un côté, une admirable transposition du Boule-de-Suif de Maupassant dans l’univers du western, où Ford, loin de glorifier les valeurs américaines traditionnelles, filme une ode à l’anticonformisme et distribue des rôles féminins superbes. De l’autre, la première incursion dans Monument Valley et la naissance du mythe Wayne !

DANIEL :

C’est sans doute le premier western où les personnages ont des caractères nuancés et où les dialogues ne sont pas purement fonctionnels. Le western n’est plus seulement un film d’action, mais aussi de réactions.

(22/100) New York-Miami/It Happened One Night (Frank Capra, EU, 1934)

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Il faut nécessairement un Capra dans mon top 10 de la décennie. Mais lequel ? Va pour cette comédie romantique, son couple irrésistible Clark Gable/Clodette Colbert, dont les répliques créent quasi un nouveau genre, la Screwball Comedy. Mais abandonner les autres perles de notre Américain d’origine italienne est un crève-cœur. 

(23/100) La grande illusion (Jean Renoir, France, 1937)

Affiche du film La grande illusion - Photo 56 sur 61 - AlloCiné

La deuxième partie, superbe, humaniste, emporte l’adhésion. Un opus majeur du patrimoine européen.

NDLR :

Voir l’article du trio Adolphe/Daniel/Phil :

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LA GRANDE ILLUSION (Jean RENOIR, 1937) par MANGANO, NYSENHOLC & REMY-WILKIN

(24/100) Ninotchka (Lubitsch, EU, 1939).

Ninotchka de Ernst Lubitsch - (1939) - Comédie

Lubitsch ! Le messie de la comédie subtile. Qui bouscule la morale conformiste et rafraîchit l’air ambiant, ouvre les esprits à la modernité, installe dans un univers où je me sens heureux. Ninotchka, souvent classé derrière Haute pègre/Trouble In Paradise (1932) mais devant Sérénade à trois (1933), appartient à son top 5 officiel. Le film « où Greta Garbo rit » ! Et Greta, de fait, en espionne russe succombant lentement mais sûrement aux charmes du Vieux Monde, est sublime ; Melvyn Douglas à tomber de grâce et de raffinement.

NAUSICAA :

En nous faisant rire du mode de vie spartiate imposé par le communisme en Europe de l’Est, en montrant à quelle vitesse une femme de confiance du régime bascule de l’autre côté, le film a quelque chose de politique, voire de gentiment propagandiste, mais ce message passe avec légèreté, dans le tourbillon du récit.

KRISZTINA :

Mon premier Greta Garbo ! Et on l’y voit sourire. Greta RIT. J’ai ensuite vu plusieurs films dont elle était la star absolue. Je me souviens de son interprétation poignante d’Anna Karénine (1935) de David O. Selznick (le producteur d’Autant en emporte le vent), dans ma version cinéma préférée du classique russe. Ce plan final, entrecoupé de ses yeux et de la locomotive qui s’approche à grande vitesse dans un vacarme assourdissant, vous laisse anéanti.

Les années 30 sont d’une richesse extraordinaire…

Côté Etats-Unis…

Le parlant s’émancipe et acquiert ses lettres de noblesse assez rapidement.  Le top 100 de l’AFI/1998 intègre d’ailleurs 15 films de la décennie pour seulement 3 (et 22 nominés) pour les décennies précédentes et l’ère du muet. Il y a des bijoux absolus pour tous les goûts, dans tous les registres.

La comédie musicale et la danse, avec Sur les ailes de la danse/ Swing Time (George Stevens, 1936) ou Le danseur du dessus/Top Hat (M. Sandrich, 1935), tous deux avec Fred Astaire.

L’animation, avec Blanche-Neige et les sept nains (David Hand pour Disney, 1937).

Le film d’horreur, avec le très dérangeant Freaks (Tod Browning, 1931) et Frankenstein (James Whale, 1931).

Le comique, burlesque avec Une nuit à l’opéra (Marx Brothers, 1935), La soupe au canard (Leo McCarey, 1933… encore avec les Marx !), Les compagnons de la nouba (Laurel et Hardy filmés par W.A. Seiter, 1934) ; émouvant/philosophique avec Les lumières dans la ville/City Lights (1931) ou Les temps modernes/Modern Times (1936), deux grands Chaplin.

Le film d’action historique/épique, avec Pacific Express (Cecil B. De Mille, 1939) ; Les aventures de Robin des bois (1938) ou Captain Blood (1935), tous deux de l’Américain d’origine hongroise Michael Curtiz et avec un flamboyant Errol Flynn en première ligne ; Les révoltés du Bounty (Frank Lloyd, 1935) dans la version Clark Gable/Charles Laughton ; Gunga Din (G. Stevens, 1939).

Le film de guerre, avec le bouleversant A l’ouest rien de nouveau (Lewis Milestone, 30), cette fable humaniste, pacifique qui a le mérite de nous placer en compagnie de jeunes soldats allemands.

En Europe…

En Allemagne, Leni Riefenstahl,la future égérie du nazisme, réalise à travers La lumière bleue (1932) un appel à la… tolérance (eh oui !). Elle laisse déjà filtrer cette manière de filmer unique, impressionnante, qui révolutionnera la prise de vue sportive lors des Jeux Olympiques de Berlin (Les dieux du stade). On peut mépriser la personne, haïr la propagandiste (Le triomphe de la volonté), l’artiste a révolutionné son art.

En France, en sus de La grande illusion, Renoir nous offre les renommés Le crime de M. Lange (1935), Une partie de campagne (1936), La bête humaine (1938) et La règle du jeu (1939). A ses côtés, il y a un autre Grand, Marcel Carné : Drôle de drame (1937) avec sa fabuleuse brochette d’acteurs (Louis Jouvet, Michel Simon) et ses répliques mythiques (« Bizarre, vous avez dit bizarre ? ») ; Quai des brumes (1938, Gabin/Morgan et « T’as d’beaux yeux, tu sais ! ») et Hôtel du Nord (re-1938, avec Arletty et « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ») ; surtout Le jour se lève (1939). On pourrait ajouter le J’accuse d’Abel Gance ? Ou L’âge d’or (1930), cher à notre collaborateur des premiers chapitres Thierry Defize, qu’un Espagnol, Luis Bunuel, un futur géant, vient tourner en France.

En Europe encore : le film d’action historique/épique Alexandre Nevski (S. Eisenstein, Russie 1938) et sa scène d’engloutissement des Teutoniques dans les glaces ; le film d’horreur Vampyr (Dreyer, Danemark, 1932).

Le coin des contrepoints

DANIEL :

Oui, La soupe au canard AVEC les Marx Brothers, et Un jour aux courses (1937) DES Marx Brothers. L’ange bleu (J. Von Sternberg, Allemagne, 1930) ? Les poupées du diable (Todd Browning, EU, 1936) ?

Côté français, je songerais à un Duvivier, plutôt La belle équipe(1936) à cause de l’ambiance front populaire, voire Pépé le Moko (1937) ou Un carnet de bal(1937).

Il me semble juste aussi de rompre une lance en faveur de Pagnol, longtemps mal-aimé de la critique cinéphilique et accusé de se contenter de faire du théâtre filmé. Comment ne pas évoquer la trilogie marseillaiseet sa pléiade d’acteurs formidables ? L’’immense Raimu. Quelle humanité, quelle faconde, quels inoubliables seconds rôles ! Et la métamorphose de Pierre Fresnay, « l’Alsacien », en fils de bistrotier marseillais ! Il suffit de rappeler sa composition du capitaine de Boëldieu, dans La grande illusion,pour mesurer l’étendue de sa palette d’acteur. Marcel Pagnol a confié la réalisation de Marius (1931) et de Fanny (1932) à deux confrères (respectivement A. Korda et M. Allégret) avant d’assurer le troisième volet (César, 1936). J’ajouterais encore Le schpounz (1938), un méta-film très drôle fondé sur une anecdote véridique (survenue lors du tournage d’Angèle en 1934) et qui met en scène une certaine cruauté des milieux du cinéma. La meilleure preuve de la valeur intrinsèque de ces œuvres n’est-elle pas que tous leurs remakes, sans exception, se sont lamentablement plantés ?

NAUSICAA :

J’aurais pour ma part gardé deux films de Lubitsch pour cette décennie : La huitième femme de Barbe-Bleue(E.U., 1938), film mineur sans doute, mais un petit bijou bâti sur le duo Claudette Colbert-Gary Cooper et le singulier Ange(EU, 1937) autour du trio Marlene Dietrich, Herbert Marshall et Melvyn Douglas.

Après L’ange bleu, le duo Joseph von Sternberg-Marlene Dietrich part pour les États-Unis. Le réalisateur et son actrice fétiche tournent ensemble plusieurs chefs-d’œuvre, notamment Shanghai Express (EU, 1932), Vénus blonde (EU, 1932) et L’impératrice rouge (EU, 1934) – ce dernier étant un échec commercial à sa sortie. Un film qu’on peut rapprocher, par certains aspects, d’une autre fresque historique somptueuse interprétée par Greta Garbo : La reine Christine(R. Mamoulian, EU, 1933).

PHIL :

Vous faites bien de signaler ce duo, dont j’ai visionné récemment tous les films (sauf un). J’adore ! Surtout Shangaï Express, qui a inspiré l’une des plus belles BD d’Hugo Pratt : Corto en Sibérie.

NAUSICAA :

Côté cinéma français, Le roman d’un tricheur(S. Guitry, 1936) est construit autour d’un malicieux dispositif : une voix off omniprésente est superposée à des images muettes, mais ce qui est dit ne correspond pas à ce qui est montré – laissant apparaitre la personnalité fanfaronne du « tricheur ».

Les années 1930 sont aussi la décennie de la très courte carrière de Jean Vigo, mort en 1934 à 29 ans : 2 courts métrages, 1 moyen et 1 long. Son œuvre est l’une des influences revendiquées des cinéastes de la Nouvelle Vague et Zéro de conduite (Fr, 1933), film de collège et ode à la liberté, vaut certainement d’être revu.

PHIL :

Son seul long-métrage, L’Atalante, est considéré comme l’un des plus beaux films français de tous les temps.

KRISZTINA :

Le film Freaks, évoqué supra, continue pour moi d’être un des films les plus marquants qu’il m’ait été donné de voir. Un mélange de désolation, réalisme et parabole carnavalesque. Bien plus que de l’horreur, une fable sur la cruauté et la condition humaines. Le trope du « cirque maudit » et du « freak show » continue de fasciner encore aujourd’hui, surtout à la télévision (American Horror Story en 2014, Carnivale en 2003, etc.).

PHIL :

J’ai adoré l’excellent Carnivale et été immensément frustré par son arrêt après deux saisons nous laissant sans épilogue.

KRISZTINA :

Un autre film de cette décennie m’a particulièrement touchée, pour une toute autre raison : Les temps modernes du grand Chaplin. C’est le premier film classique qu’on m’a emmenée voir au cinéma, lors d’une diffusion pour la jeunesse. Du haut de mes 7 ans, sans comprendre le contexte socio-économique ni les références culturelles, j’avais compris que j’assistais à un moment important et à une communion particulière : un irrésistible rire venu nous chatouiller, bravant les années, le langage. Je ris toujours devant la scène de Charlot, saturé, pris dans les engrenages, même si c’est aujourd’hui un rire sans doute plus jaune et résigné !

ADOLPHE :

N’oubliez pas La terre/Zemlja d’Aleksandr Dovjenko (U.R.S.S., 1930), classé 10e meilleur film de tous les temps lors du Top 12 réalisé par un comité de 117 experts à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles de 1958. 

NDLR :

Adolphe, dans un nouveau feuilleton, à la fois autonome mais adossé à la Cinéthèque, nous présentera bientôt des articles sur La terre et les autres membres du Top 12.

Voir la présentation/introduction du feuilleton Les 12 plus grands films de tous les temps… en 1958 :

LES DOUZE MEILLEURS FILMS DE TOUS LES TEMPS… en 1958, par ADOLPHE NYSENHOLC (0)

Coups de cœur personnels

. Les disparus de Saint-Agil (Christian-Jaque, France, 1938).

Cette magie du film noir qui a bercé mon enfance ! Un certain cinéma français, un peu oublié, d’un charme fou. Une histoire de disparitions d’enfants, de meurtre aussi, dans un collège où les couloirs et les salles de classe acquièrent une dimension onirique ou fantastique. Et des seconds rôles (du côté des adultes) formidables, dont un bouleversant Erich von Stroheim en professeur d’allemand… au moment où la guerre s’annonce.

. Mannequin (Frank Borzage, EU, 1937).

Avec Spencer Tracy et Joan Crawford.

Un très beau film psychologique. Une battante veut échapper à la misère et trouver l’amour mais se trompe sur toute la ligne (son amoureux d’enfance, joué par un Alan Curtis révulsif, est un bon à rien qui passe son temps à jalouser, traficoter, gaspiller) sous le regard enamouré d’un patron incroyablement généreux. Le Pretty Woman du riche ? Une utopie sociale et conjugale ? Avec, en contrepoint, cynique, le véritable monde dans lequel une minorité de romantiques et de purs se débattent ?

Connivence profonde avec ce cinéaste, si oublié par la TL et le grand public mais référence pour les cinéphiles (notamment via L’adieu aux armes de 1932 ou Ceux de la zone de 1933), avec cette Borzage Touch où il est question de délire, d’amour fou bravant les épreuves.

. TOUT Hitchcock ! C’est un génie dont TOUTE la production mérite une vision attentive.

Agent secret/Sabotage (1936) m’a toujours mis mal à l’aise (mort d’un enfant dans un attentat, impunité du leader occulte des terroristes, comportement ahurissant du contre-espion/héros) mais les incongruités sont contrebalancées par une Sylvia Sydney émouvante, un Oscar Homolka aux relents expressionnistes, des effets techniques qui relèvent de la haute patte artistique… et une résonnance actuelle troublante.

Jeune et innocent (1937) introduit des détails qui paraîtront futiles mais renversent notre perception profonde, à la façon d’images subliminales. Par exemple, la micro-scène des mouettes (ou goélands) en plein vol vient insinuer une note d’horreur au moment de la découverte d’un corps, suggérant la cruauté ou un acharnement post-mortem. 

L’homme qui en savait trop (1934, première version), que Tonton Hitch considérait comme le début de son véritable envol, nous laisse d’abord en retrait du récit (le couple ne fonctionne guère, les relations sont peu travaillées/emballantes) mais on se laisse envoûter par le jeu de Peter Lorre, le décor de carte postale de la station de Saint-Moritz, les scènes d’humour, de suspense et d’action, certaines d’anthologie (le concert de l’Albert Hall mais aussi l’attaque du refuge des terroristes, basée sur une tranche de la vie de Churchill).

Réflexion. Hitch a trois types de fans, ce qui (quasi) garantit son succès : un grand public qui prise les amourettes, les beaux jeunes premiers, la comédie sentimentale et ses recettes ; un autre grand public avide de sensations glauques (goût du sang, de la perversion, du frisson délicieux) ; un aéropage de fins gourmets qui se délectent de trouvailles techniques, d’inventions scénaristiques (cf le plébiscite des Cahiers du cinéma, si féroces souvent, qui ont hissé le Maître au statut d’Auteur… majusculissime, à mes yeux).

. TOUT Capra !

Capra fait du bien à notre âme, comme Lubisch, mais dans une version plus traditionnelle. Deux autres films très célèbres auraient mérité d’intégrer notre top 10 : Monsieur Smith au sénat/Mr. Smith Goes To Washington (1939), avec James Stewart, et L’extravagant Mr Deeds (1936), avec Cary Cooper. Du cinéma engagé socialement, philosophiquement, qui rappelle la force de résistance de l’individu citoyen face aux maux qui gangrènent nos sociétés, le monde politique, les médias depuis beaucoup plus longtemps qu’on ne le croit. N’oublions pas des bijoux moins diffusés ou rarissimes : Horizons perdus (1937) et son étrange utopie himalayenne Shangri-La, ses paysages superbes, sa quête du Sens et des valeurs, son allure de conte de Noël exotique ; La ruée (1932) démontre qu’on peut diriger une banque avec de l’âme, assène une réflexion sur l’argent, la finance ; Vous ne l’emporterez pas avec vous (1938) prône une forme de décroissance, des valeurs hors normes sociales ; La grande muraille (1933) avec son impossible histoire d’amour interraciale (un scandale pour l’époque).

Who Knows ?

. Si 1969 est dite année érotique, 1939 est L’année cinématographique à l’échelon américain. 5 films cités dans la liste des 100 meilleurs films de tous les temps par l’AFI en 1998 : Autant en emporte le vent (4e), Le magicien d’Oz (6e), Monsieur Smith au sénat (29e), La chevauchée fantastique (63e) et Les Hauts-de-Hurlevent (73e). 13 films dans les 56 nominés de la décennie (dont Ninotchka,

. La filière ciné US/émancipation de la femme se poursuit durant cette décennie. Avec un point d’orgue, Femmes/Women (Cukor, 1939), où le cinéaste dit « de LA femme » tourne avec la crème des actrices hollywoodiennes (Norma Shearer, Joan Fontaine, Joan Crawford, Paulette Godard, etc.) sans AUCUN homme.

. Ô tempora ô mores ! L’impossible M. Bébé a d’abord été un four. Et Howard Hawks a failli y laisser sa peau de cinéaste, Cary Grant une partie de son aura d’acteur. Mais les deux ont eu la chance de se refaire dès l’année suivante avec Même les anges ont des ailes, un gros succès commercial (qui hissa Rita Hayworth sur le pavois hollywoodien) et un film culte aux yeux de la Nouvelle Vague. Pourtant, les aventures de ces aviateurs, qui assurent héroïquement des liaisons importantes dans un décor andin, ce ragoût mêlant romances, virilité et misogynie, rédemption du lâche qui devient un héros, humour à la Rio Bravo, avec des alcoolos attendrissants, tout cela me laisse de marbre. A méditer ! A quel point le temps, les modes ou le recul tamisent ou redistribuent les cartes.

. A regretter, pour la cause féministe, qui nous est chère, que deux modèles possibles, deux grands talents créatifs féminins (Leni Riefenstahl et Théa von Harbou, la compagne de Fritz Lang, scénariste de plusieurs chefs-d’œuvre) aient été nazies !

. Cinecittà a été inauguré en 1937. Des studios gigantesques, voulus par le régime fasciste pour soutenir la création d’un cinéma à la gloire du pouvoir en place. Ils survivront toutefois, largement, à leur vocation initiale et à la chute de Mussolini. (NAUSICAA).

Nausicaa Dewez, Krisztina Kovacs, Adolphe Nysenholc, Daniel Mangano, et Ciné-Phil RW.

Top 100 en cours

(1) Le voyage dans la lune (Georges Méliès, France, 1902).

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LE VOYAGE DANS LA LUNE / Un article de Julien-Paul REMY

(2) Le vol du grand rapide (Edwin S. Porter, E.U., 1903).

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LE VOL DU GRAND RAPIDE / Un article de Philippe REMY-WILKIN

(3) Naissance d’une nation (D.W. Griffith, Etats-Unis, 1915).

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : (3/100) NAISSANCE D’UNE NATION (Griffith, 1915)

(4) Intolérance (D.W. Griffiths, Etats-Unis, 1916).

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : (4/100) INTOLÉRANCE (Griffith, 1916)

(5) Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, Allemagne, 1920).

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI de ROBERT WIENE (1920)

(6) Le cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein, Russie, 1925).

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LE CUIRASSÉ POTEMKINE d’EISENSTEIN (1925)

(7) Le journal d’une jeune fille perdue (G.W. Pabst, Autriche, 1929).

(8) L’aurore (Murnau, Allemagne/EU, 1927).  

(9) Docteur Mabuse, le joueur (Fritz Lang, Allemagne, 1922).

(10) Le Kid (Charlie Chaplin, GB/EU, 1921).

(11) Le vent (Victor Sjöström, Suède/EU, 1928).

(12) La passion de Jeanne d’Arc (Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1928).

(13) Napoléon (Abel Gance, France, 1927).

(14) Le mécano de la General (Buster Keaton, EU, 1927)

(15) Autant en emporte le vent (Victor Fleming, EU, 1939)

(16) Les Hauts-de-Hurlevent (W. Wyler, EU, 1939)

(17) Le testament du docteur Mabuse (F. Lang, Allemagne, 1933)

https://karoo.me/cinema/scenes-cultes-12-le-testament-du-docteur-mabuse-fritz-lang

(18) Une femme disparaît (A. Hitchcock, GB, 1938)

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : UNE FEMME DISPARAÎT (Alfred HITCHCOCK, 1938) par Nausicaa DEWEZ, Julien-Paul REMY et Philippe REMY-WILKIN

(19) King Kong (Merian C. Cooper et E. Schoedsack, EU, 1933)

(20) L’impossible monsieur Bébé (H. Hawks, EU, 1938)

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BÉBE (Howard HAWKS, 1938) par Nausicaa DEWEZ, Julien-Paul REMY & Philippe REMY-WILKIN

(21) La chevauchée fantastique (John Ford, EU, 1939)

(22) New York-Miami (Frank Capra, EU, 1934)

(23) La grande illusion (Jean Renoir, France, 1937)

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LA GRANDE ILLUSION (Jean RENOIR, 1937) par MANGANO, NYSENHOLC & REMY-WILKIN

(24) Ninotchka (Lubitsch, EU, 1939).

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